Intimité expulsée pour retrouver la paix en soi. Lorsque l’autre, malfaiteur hurlant dans les chairs tuméfiées, est trop bien installé au cœur de la femme-offrande, celle-ci vacille, tombe, mais continue de parler pour dire l’amour encore un peu entre deux souffles, dire la douleur enchâssée partout où l’homme demeure.
Carole Carcillo Mesrobian livre sa vérité dans FEM MAL, ouvrage ravageur paru chez Transignum, et abondamment illustré par Wanda Mihuleac ; ce parcours dans le kairos, le temps vertical, moment du basculement irrémédiable, rassemble en un point l’urgence du cri face aux beuglements de la gorge, des poings de celui qui se présentait, à l’aube de l’amour, comme un preux arthurien, et qui se révélera n’être qu’une armure vide forte seulement du fer de l’armure – un cri salvateur tissé de nerfs, sang séché, peau déchirées, organes découpés, os broyés.
FEM MAL – fait mal, femelle, femme et mâle, un titre opposition hors de l’apaisement. La mise en pages de FEM MAL est conçue par la plasticienne Wanda Mihuleac et renforce cette perception : chaque double page grand format est flanquée des figures répétées et légèrement modifiées de l’homme et de la femme, bouches ouvertes sur l’autre intrusif, sur le texte disant les mots de l’une, les borborygmes de l’autre.
Carole Carcillo Mesrobian, FEM MAL,
Les Editions Transignum, 2019, 20€.
La puissance de ce montage noir et blanc renforce le dire de la femme/Carole, le propulse, l’aide à expulser le bébé/homme mortifère. La dernière double page est celle, non de l’apaisement qui ne pourra jamais advenir, mais celle de la résolution du conflit dans la formation d’un trou noir duquel rien n’échappe.
L’exceptionnel du travail de Carole Carcillo Mesrobian (Carole Mesrobian en littérature) tient dans ce tremblement à l’orée du trou noir : tu peux encore oser nos corps entremêlés. Terrible aveu de celle qui tisse ses maux sur la ligne de fuite. Elle ajoute : séquestration, c’est fini ; puis, dans un silence fabriqué de sons : fait mal. En creux se révèle la personnalité de celui qui était censé porter la lumière : adultère, brutal, calculateur, arrogant, faux, voleur de sentiments et de pièces sonnantes. On le devine aimant la musique qui braille et qui, en boucle, empêche toute communication ; Carole Carcillo Mesrobian décrypte l’écriture de MAL : tu écris tant de choses, inimaginable comme on peut écrire tant de choses sorties comme des guirlandes d’insectes nauséabonds de ta tête ; ou encore : ta hargne part à la poste, tu calomnies. MAL, scribe de la haine et de la forfaiture. Après ces pages, ces pages à vider le sac des viandes faisandées par l’haleine du chevalier décousu : “ta crasse, au propre corps malodorant au figuré broyeur de ciel”.
Ai-je bien tué le monstre qui était en moi, semble exhaler Carole Mesrobian, telle est l’hypothèse émise entre les lignes, celles du poète. Qu’est-ce que l’Art ? Sinon la projection de l’impensé du créateur – de l’entre-deux – dans l’œuvre ; œuvre qui pense par elle-même et révèle ce que le créateur croit cacher encore ; le poète est dans ce FEM MAL, entièrement impliqué ; l’ouvrage est le journal du kairos, celui de tous les jours comptés (contés) dans l’instant du jouir dans la douleur d’écrire la douleur. Encore. Mais comme l’écrit Carole Carcillo Mesrobian en conclusion de son poème en prose, rythmé, coloré, violent, ciselé :
Je ne me tais pas.
Il faut que ça se tienne dans les pages
de quelque part,
cette distance parcourue au pays
d’une folie
dont j’ai accepté perméable la masse
époustouflante comme d’une bombe
atomique les ravages.
Et cette acceptation est le signe que les deux monstres sont distingués : MAL ne pouvant se connaître lui-même est enfin expulsé par la parturiente ; FEM, délivrée par volonté poétique (ce livre), voit dans son miroir son image inversée, monstre enfin connu et caressé. Plus ce monstre mourra par connaissance, plus la mort douce s’approchera.
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