Carole Carcillo Mesrobian, Ontogenèse des bris

Par |2020-03-08T13:42:56+01:00 6 mars 2020|Catégories : Carole Carcillo Mesrobian|

Dès son titre (oxy­morique), Onto­genèse des bris — qui fait l’é­conomie de l’article et ain­si se relie d’entrée aux textes ini­ti­a­tiques soule­vant depuis les lames de fond les « vagues vipérines » du Vivre en sa com­plex­ité, du Lan­gage en ses son­des de sourci­er ‑fait enten­dre une voix singulière.

Syn­taxe inno­vante en son alliage de clas­si­cisme et de moder­nité, voca­ble à la « tex­ture escarpée », sec­ouss­es sis­miques au pro­fond tel­lurique des strates du lan­gage, rythme tour­nant autour du nœud névral­gique du Verbe acharné à se dire et se retourn­er en tous sens piétés « vers le comble d’errance », déchirures avivées au sein du monde intime extéri­or­isé : livré à la parole poé­tique —une voix remar­quable s’énonce dans le laps de rup­ture entre ce qui s’engendre de l’être et se développe par effrac­tions dans le naufrage du temps. Le “vif-ardent” mou­ve­ment du Verbe « arpente dedans la pen­sée(du) corps » de l’auteure, Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian rap­pelant les vocif­éra­tions de fer­ventes dévorations/dévotions d’Antonin Artaud, sa quête inces­sante vers le feu qui dévore et ani­me notre gésir d’exister pour ten­ter de « résou(dre) la chute » en proférant l’espace indi­ci­ble tout en le taisant sous ses cen­dres cou­vées dans le ven­tre des maux/mots. 

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian, Onto­genèse
des bris
, PhB édi­tions, 2019.

Artaud écriv­it L’Ombilic des limbes (avec l’article défi­ni et un « O » majus­cule ini­tial parangon de l’Origine(l)) pour désign­er «l’ entraille » uni­verselle d’où le Dire et le Vivre se déchirent et sur­gis­sent ; Car­cil­lo Mes­ro­bian écrit l’Onto­genèse des bris d’où le Ci-gît se redresse, s’auto-régénère de ses débris : sous une sur­face des con­tin­gences ana­logue, glace la brûlure du vol­can, brû­lent les glac­i­ers de sidération

 

Il est le temps comme un hiver
Par­tir vivre comme on va mourir
Dans le bat­te­ment super­fluité expiatoire
De la vitesse au rouge dans les phares
L’asphalte l’amertume
 

 

L’« onto­genèse » s’incarne : « un sub­strat dans l’humus enracine ton corps / à la peau des bam­bous », écrit la poétesse. La pen­sée retrou­ve sève dans les radi­celles fer­tiles de « l’aura sauvage » portée par la « meute de (s)es rêves », et c’est « l’osmose » éprou­vée de la douleur et du gueu­loir « expi­a­toire », grat­tant par « le cray­on (des) os » l’écorce des mots, les imper­cep­ti­bles trans­for­ma­tions à l’œuvre dans l’œuf de l’ « ombre nue » créa­trice de l’expulsion ontogénique de la pen­sée, de son ravissement

 

Le cray­on de tes os griffe
Ton sang gris
Par l’osmose striée des abysses et de l’or
D’une douleur crue
Car­nage d’ombre nue et totem retors
Tu crèves le ter­reau pour creuser sous la mort
 

 

« Plaies de totems », cat­a­plasmes de la langue hurlée sur le bout torve des lèvres ou « au clos des paupières » brûlantes sur leurs torch­es brûlantes, l’Onto­genèse des bris expulse « l’acidulé » dans « l’absorption (et) la rup­ture de tout » (Antonin Artaud, Le Pèse-Nerfs) ; extirpe la pulpe, la chair, « le filet du couteau (de la langue) vis­sé entre (les) mains », « scalpe les grains du sabli­er » et refor­mule à l’encre psalmod­iée le tracé des « oiseaux pétris de glaise (lorsqu’ils) sui(vent) la tra­jec­toire épurée ». Dérac­inée, Onto­genèse des bris nous plonge dans l’abîme tor­turé d’une femme par­ti­c­ulière (saisie au vif vio­lent laps de perdi­tion « où la chute anam­nèse »), de l’Être en tous ses ren­verse­ments d’éclaircie où l’augure noir appelle un piac­u­lum, mais, l’élan tri­om­phant de l’inertie, « les rav­ages d’hier (nous) enchaî­nent aux points-vir­gule ».

 

Cet opus atteste la portée incom­press­ible, même à l’acmé des envers, du désir qui peut « efface® la terre là (s’)api­toy­er » ; du désir où la femme empris­on­née « dans la mai­son de limbes » d’un amour néfaste et nuis­i­ble « tisse des guir­lan­des », désor­mais, « de son nom d’évadée » ; du désir qui « achève le fardeau », libère « l’enclos », « résout la chute » : « l’apothéose est pour demain »…

 

Présentation de l’auteur

Carole Carcillo Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est née à Boulogne en 1966. Elle réside en région parisi­enne. Pro­fesseure de Let­tres Mod­ernes et Clas­siques, elle pour­suit des recherch­es au sein de l’école doc­tor­ale de lit­téra­ture de l’Université Denis Diderot. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence, Qomme ques­tions, à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  Edi­tions La chi­enne Edith, 2018.

Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., , ain­si que des pub­li­ca­tions dans les revues Libelle, et L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie manifeste.

Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et de nom­breuses notes de lec­ture et d’articles, pub­liés sur le site Recours au Poème.

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Murielle Compère-Demarcy

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