Alain Claudot, Essor de la parole et autres poèmes

 

En cette solitude
Notre vanité se dénude

Vent âpre qui lapide
Une terre précaire

Déjà le froid nous prend
La nuit en son désordre nous précède

*

 

Tombées

D’où

De quel ciel

En quelle préhistoire

Pierres

Immobiles

Au plain-chant des labours

*

 

Pays déshérité
Terre inhospitalière
Territoire de la soif

Que seule l’amitié désaltère

*

 

Telle la roche soumise au froid
Ma langue mutilée se délite

Telle joie enclavée
Telle une harpe bègue

*

 

Ruines

À la lisière du vide
Par la nuit noire trop étreintes

Vigies
Levées à contre-ciel

Comme à remords

*

 

Le vent
Toujours plus large

Épuise le rossignol

L’aube du long partage
Lui redonnera souffle

*

 

Au carrefour minéral
Pour un instant
Encore
Ma langue s’arrache au néant

*

 

J’emprunterai la voie étroite
La route blanche de l’ascèse

Au large
Des bergeries de pierre sèche

Où la source de parole
Ne tarit pas

*

 

En cet asile
Un souffle nu m’escorte
Et déporte mon corps

Hors des ornières qui blanchissent
Ma liberté grandit

*

 

Soudain

La horde des arômes

Cet œdème bleu qui bourdonne

La déchirure de l’essaim nuptial

Le cérémonial de l’urgence

*

 

Au terme
Des terres réfractaires

Ma gorge s’élargit
Sous le surcroît du jour

∗∗∗

 

Notre-Dame de Lure

Notre-Dame de Lure
En ta très haute solitude

Notre-Dame des devineurs d’eau
Des fontaines avaricieuses

Notre-Dame du vent têtu
Soufflant du bleu à perdre haleine

Notre-Dame des humbles des pénitents
Des récoltes frugales

Notre-Dame du bon secours
Étoile de miséricorde

Notre-Dame des mauvais jours
Ta barque pétrifiée au cœur noir des hivers

Ô rose minérale

Notre-Dame des nuits d’été
Bergère des chemins lactés

Notre-Dame des orages acerbes
De la foudre jetée en pâture aux errants

Notre-Dame des terres opiniâtres
D’où montent les parfums votifs

Notre-Dame des hommes noirs et des reclus
En ton insatiable désert

Notre-Dame des abeilles
Aux ruches limoneuses

Notre-Dame de Lure
Pour l’obole de ton silence

 

Enfances

La forêt
son flanc que  meurtrissait la roche
et des rochers encore arrachés au néant

L’oripeau des hivers jeté sur nos épaules
pour nous forger une âme

La fièvre des étés sur nos fronts calcinés
pour congédier l’effroi

Ainsi nous grandissions

Les fleuves indociles les rivières vespérales
et les vallées où l’on ployait l’échine
pour nous donner un cap

Le mépris où nous étions tenus attisait notre orgueil

Penchés à la périphérie des sources
les larmes étaient notre lisière

Ainsi nous grandissions

Dans le secret des nuits
mûrissait l’autre langue
l’alphabet nu de ses syllabes

Pour proclamer les vraies couleurs du monde
la rage turbulente du multiple
ses joies et ses blessures

Pour que le feu des mots  invective nos cendres

 

Passage des chimères

Mère j’ai parcouru
bien plus de la moitié du chemin
à ce jour
et me voici désormais ton aîné de trois ans

Je reste pourtant cet enfant
qu’aux beaux soirs
en été
le chant du merle traversait
comme une épée

Et tu passes toujours
tes doigts inquiets dans mes cheveux

Pourquoi m’as-tu rendu le goût des larmes

En ton lointain pays de brume
tes peurs d’oiseau blessé ont été congédiées
et les muettes étendues ne te font plus offense

Le pays où peu à peu je viens

Où tous deux
lentement
nous descendrons
la route ancienne de l’église
jusqu’à la place près du fleuve
où jamais tu n’allas

Et je tiendrai ta main

 

Le sourire de ma mère

Dans quel repli du temps se cache désormais
l’ombre de ton sourire

Dans quelle obscurité des nuits que je parcours
cherchant obstinément
ne serait-ce que ton fantôme

Mais si se croisaient à nouveau nos chemins
pourrais-je seulement te reconnaître
masquée que tu serais de cendre et de douleur

tu passerais
les yeux fardés de la couleur des peines
plus anonyme que le vent

Et je m’éloignerais
vêtu de silence et de brume
courbé sous le faix de l’absence

 

Présentation de l’auteur

Alain Claudot

Né à Charleville, Alain Claudot a enseigné les lettres à Reims. Passionné de poésie mais aussi de photographie et de cinéma, il y coordonne le Rendez-vous du cinéma italien et le Festival international de cinéma des villes jumelées avec la ville des Sacres. Se partageant entre le pays de Lure cher à Jean Giono,  ses Ardennes natales et l’Italie, il collabore poétiquement à la revue transfrontalière Les Amis de l’Ardenne.

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