Le haïku face au changement climatique

Le haïku est un genre poétique particulièrement « exposé » au changement climatique puisqu’il est axé par définition sur la nature et le passage des saisons. Dans un essai original, l’auteur brestois Alain Kervern  nous révèle  comment le poète peut aujourd’hui devenir un véritable lanceur d’alerte.

Dans le haïku classique ou néo-classique (poème bref de trois vers, concret, saisissant une émotion fugitive), ce que l’on appelle les « mots de saison » sont primordiaux. Le poète japonais les puise dans un Almanach qui répertorie les mots accolés à telle ou telle saison (à titre d’exemple : le cerisier pour le printemps, le coucou pour l’été, la lune pour l’automne, la neige pour l’hiver). Il serait inconvenant ou incongru d’utiliser un mot qui ne correspond pas à une saison précise.

Mais aujourd’hui, avec le dérèglement climatique en cours et avec les menaces qui pèsent sur la biodiversité (liés notamment à la pollution, à l’urbanisation effrénée ou aux industries), certains « mots de saison » ne trouvent plus leur place dans les saisons qui les concernent. On assiste à un « écart entre le contenu de l’Almanach et la situation réelle », note Alain Kervern.

Alain Kervern, Haïkus et changement
climatique.Le regard des poètes japonais

Géorama, 98 pages, 12 euros.

« Les repères anciens peuvent être brouillés ». Il cite le cas du repiquage du riz avancé ou retardé en fonction de l’arrivée de hausses de température. Le réchauffement climatique provoque aussi le déplacement de certaines espèces animales. Le cas, par exemple, de la « cigale des ours », originaire du sud de l’archipel nippon, qui aime les températures élevées mais tend désormais à investir des espaces urbains plus au nord.

Autant dire que l’auteur de haïku, parce qu’il est sensible par définition aux phénomènes naturels et météorologiques, devient en quelque sorte la vigie ou le guetteur de tous les dérèglements en cours (et cela dépasse donc la seule question des « mots de saison »)

  

      Les yeux tournés vers l’île
où se déchaînent les cigales
le bébé apeuré

                                 Kurita Setsuko

 

      Tant de produits chimiques
se dissolvent en nous
vaporeux nuages des cerisiers en fleurs 

                                    Motomiya Tetsurô

 

      Au fond de la nuit
s’éteignent l’une après l’autre
les lucioles pour toujours 

                                Hosomi Ayako

 

 

Car les lucioles ont tendance à disparaître à cause de la prolifération d’éclairages artificiels.

 Ce rôle d’avant-garde du poète justifie-t-il pour autant que l’écriture de haïkus devienne en quelque sorte un acte militant. Pas certain, estime le haijin japonais Yasushi Nozu que Alain Kervern a sondé sur le sujet. Selon lui, « il est difficile et même contradictoire de s’inspirer en poésie » du thème du dérèglement climatique. Pourquoi ? « Parce que composer des haïkus sur ce thème, c’est exhaler une douleur plus qu’exprimer une émotion littéraire ». Yasushi Nozu note aussi que dans le haïku on transmet une émotion au lecteur « de façon indirecte ». Il rappelle qu’un bon haïku fonctionne « de façon allusive » (en contradiction avec un affirmation tranchée).

Alain Kervern tranche un peu lui-même le débat en prônant une forme de nouvel humanisme. « La menace de bouleversements à venir, écrit-il, nous apprend à vivre chaque instant avec une ferveur parfois oubliée » et « avec une attention plus vive à la fragilité et l’impermanence de ce qui nous entoure ». Parole de sage (breton) qui connaît sur le bout des doigts le rapport subtil que les poètes japonais entretiennent avec la nature.

Présentation de l’auteur

Alain Kervern

TextesAlain Kervern est né à Saïgon le 14 janvier 1945. Diplômé de l’École nationale des langues orientales vivantes, et de l’université Paris-VII, il revient définitivement en Bretagne en 1973. Il vit à Brest où il enseigne le japonais. Il a traduit plusieurs poètes des traditions classique et moderne du haïku.

© Crédits photos Franck Betermin

Poèmes choisis

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Alain Kervern, « praticien » du haïku

 Le Breton Alain Kervern est une référence dans le monde du haïku. Poète lui-même, essayiste, auteur de nombreux ouvrages, il a traduit le Grand almanach poétique japonais et vient de publier un essai sur les haïkus face au changement climatique.

D’où remonte votre passion et votre pratique du haïku ?
Pour évoquer ma pratique du haïku, il faut remonter très en arrière. Tout d'abord, j'ai étudié le haïku, genre mineur de la poésie japonaise, quand j'étais étudiant à l'Ecole des Langues Orientales à Paris entre 1966 et 1969, puis au Japon pendant deux ans, de 1969 à 1971. De retour en Bretagne, je découvre avec stupéfaction que le haïku est devenu une pratique internationale, sous l'influence de mouvement beatnik venu des USA. Un genre poétique si spécifiquement japonais devient ainsi une pratique internationale! La poésie n'est plus l'objet d'études, c'est une pratique à la portée de tous.
A partir de quel moment commencez-vous, vous-même, à publier ?
La naissance de la revue « Poésie Bretagne » dans les années 80, lancée par Denis Rigal, Paol Keineg Alain Le Beuze me permet d'y publier des  auteurs japonais de la grande tradition néo classique du haïku, comme Issa Kobayashi et Shiki Masaoka ainsi qu’un poète contemporain Tamura Ryûichi.

 

Et votre premier recueil personnel ?
J'ose publier mon premier recueil de haïku aux éditions Folle Avoine en début des années 2000. Depuis je publie çà et là, quand l'occasion se présente, des haïkus personnels, en particulier dans la revue « Seashores » à Dublin, revue bilingue français-anglais, ou dans la revue « Manmaru » à Tôkyo qui publie en français et japonais, revue animée par un talentueux poète de haïku, Yasushi Nozu.

Alain Kerven et Pierre Tanguy.

Mais vous avez surtout, pendant longtemps, travaillé sur l’Almanach poétique japonais…
Mon énergie et mes efforts se sont surtout concentrés, en effet, sur l'Almanach Poétique Japonais, un document extraordinaire que j'ai découvert fortuitement chez des amis japonais à Brest. Comme quoi le monde de la poésie n'a pas de frontière. De quoi s'agit-il? Il s'agit du « Saïjiki », un Almanach Poétique,  énorme répertoire de « mots de saison », ce que les Japonais appellent le « kigo » et qui  classe, saison après saison, les expressions caractéristiques des cinq  saisons, la cinquième saison étant  le Nouvel An, un moment très important de l'année qui  dure un mois. Cela signifie qu'au Japon, quand vous souhaitez écrire un haïku, celui-ci doit obligatoirement y  inclure une allusion saisonnière.
Que découvrez-vous en traduisant cet Almanach ?
Le choc a été pour moi qu'à travers des centaines voire des milliers de « mots de saison », c'est toute la civilisation japonaise qui est répertoriée dans ces Almanachs poétiques, les « Saïjiki ». Alors je me suis dit, je mettrai le temps qu'il faut, mais il faut traduire ça. La maison Kodansha, qui édite les cinq volumes de cet Almanach Poétique  à Tôkyô, apprenant mon projet, m'a fait cadeau des cinq volumes.
Encore fallait-il pouvoir l’éditer ?
J'ai eu la chance de rencontrer Yves Prié, des éditions Folle Avoine, qui n'a pas hésité une seconde et a édité la version francophone  des cinq tomes de ce monument de la sensibilité poétique japonaise. Aujourd'hui encore, les Japonais sont très étonnés qu'un document si spécifiquement japonais reçoive un tel engouement hors Japon. Pour la poésie francophone, j'observe que mon ami Seegan Mabsone, qui vit au Japon, fait avec d'autres poètes un gros travail  pour adapter cet almanach à la poésie francophone. Que dire de plus? Que la poésie est « une arme chargée de futur », nous dit le grand poète Gabriel Celaya.
 Pouvez-vous nous donner quelques haïkus que vous avez composés récemment 
 Volontiers, en voici quelques uns.
Bonne nouvelle! 
il desserre le noeud
qui s'est formé  en lui  
L'écorce des arbres  
une autre façon d'apprendre  
d'où viendra la nuit  
Il  amasse en lui
tant de lignes de force
germination                
Pour interroger le vent
tous ces mots 
lieux de convergence  
Faire corps
avec le silence
frôlements    
 
Ce ne se sont pas des haïkus qu’on pourrait qualifier de « classiques », avec notamment le kigo, le mot de saison. Que révèlent-ils de l’évolution du haïku ?
 Dans l'évolution actuelle du haïku, je trouve qu'il y a de plus en plus d'audace et de recherches sérieuses sur le rapport entre la poésie et le réel. A mon  corps défendant, à force de traduire des haïkus, ce qui constitue un véritable entraînement sportif,  je réalise de plus en plus ce qu'est la véritable nature de ce poème court. Il y a déjà une véritable profondeur troublante dans l'acte de transformer des émotions en mots couchés sur du papier. A plus forte raison quand il s'agit de poésie.
Quels travaux menez-vous actuellement ?   
Je traduis actuellement un long article du poète et essayiste Kazuo Ibaragi  intitulé « les poètes de haïku face aux problèmes que rencontre l'environnement ». Cet article a été publié dans le numéro  17 du Bulletin du Centre d'études sur la littérature du haïku. Il date déjà de l'année 2012 !

 

Présentation de l’auteur

Alain Kervern

TextesAlain Kervern est né à Saïgon le 14 janvier 1945. Diplômé de l’École nationale des langues orientales vivantes, et de l’université Paris-VII, il revient définitivement en Bretagne en 1973. Il vit à Brest où il enseigne le japonais. Il a traduit plusieurs poètes des traditions classique et moderne du haïku.

© Crédits photos Franck Betermin

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Dans le haïku classique ou néo-classique (poème bref de trois vers, concret, saisissant une émotion fugitive), ce que l’on appelle les « mots de saison » sont primordiaux. Le poète japonais les puise dans un Almanach qui répertorie les mots accolés à telle ou telle saison (à titre d’exemple : le cerisier pour le printemps, le coucou pour l’été, la lune pour l’automne, la neige pour l’hiver). Il serait inconvenant ou incongru d’utiliser un mot qui ne correspond pas à une saison précise.

Mais aujourd’hui, avec le dérèglement climatique en cours et avec les menaces qui pèsent sur la biodiversité (liés notamment à la pollution, à l’urbanisation effrénée ou aux industries), certains « mots de saison » ne trouvent plus leur place dans les saisons qui les concernent. On assiste à un « écart entre le contenu de l’Almanach et la situation réelle », note Alain Kervern.

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climatique.Le regard des poètes japonais

Géorama, 98 pages, 12 euros.

« Les repères anciens peuvent être brouillés ». Il cite le cas du repiquage du riz avancé ou retardé en fonction de l’arrivée de hausses de température. Le réchauffement climatique provoque aussi le déplacement de certaines espèces animales. Le cas, par exemple, de la « cigale des ours », originaire du sud de l’archipel nippon, qui aime les températures élevées mais tend désormais à investir des espaces urbains plus au nord.

Autant dire que l’auteur de haïku, parce qu’il est sensible par définition aux phénomènes naturels et météorologiques, devient en quelque sorte la vigie ou le guetteur de tous les dérèglements en cours (et cela dépasse donc la seule question des « mots de saison »)

  

      Les yeux tournés vers l’île
où se déchaînent les cigales
le bébé apeuré

                                 Kurita Setsuko

 

      Tant de produits chimiques
se dissolvent en nous
vaporeux nuages des cerisiers en fleurs 

                                    Motomiya Tetsurô

 

      Au fond de la nuit
s’éteignent l’une après l’autre
les lucioles pour toujours 

                                Hosomi Ayako

 

 

Car les lucioles ont tendance à disparaître à cause de la prolifération d’éclairages artificiels.

 Ce rôle d’avant-garde du poète justifie-t-il pour autant que l’écriture de haïkus devienne en quelque sorte un acte militant. Pas certain, estime le haijin japonais Yasushi Nozu que Alain Kervern a sondé sur le sujet. Selon lui, « il est difficile et même contradictoire de s’inspirer en poésie » du thème du dérèglement climatique. Pourquoi ? « Parce que composer des haïkus sur ce thème, c’est exhaler une douleur plus qu’exprimer une émotion littéraire ». Yasushi Nozu note aussi que dans le haïku on transmet une émotion au lecteur « de façon indirecte ». Il rappelle qu’un bon haïku fonctionne « de façon allusive » (en contradiction avec un affirmation tranchée).

Alain Kervern tranche un peu lui-même le débat en prônant une forme de nouvel humanisme. « La menace de bouleversements à venir, écrit-il, nous apprend à vivre chaque instant avec une ferveur parfois oubliée » et « avec une attention plus vive à la fragilité et l’impermanence de ce qui nous entoure ». Parole de sage (breton) qui connaît sur le bout des doigts le rapport subtil que les poètes japonais entretiennent avec la nature.

Présentation de l’auteur

Alain Kervern

TextesAlain Kervern est né à Saïgon le 14 janvier 1945. Diplômé de l’École nationale des langues orientales vivantes, et de l’université Paris-VII, il revient définitivement en Bretagne en 1973. Il vit à Brest où il enseigne le japonais. Il a traduit plusieurs poètes des traditions classique et moderne du haïku.

© Crédits photos Franck Betermin

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