Alain Nouvel, Pas de rampe à la nuit ?
Pas de rampe à la nuit ? Le titre est interrogatif, comme pour nous faire imaginer qu’il y en ait une, justement. A quoi bon une telle rampe ? On s’y accrocherait peut-être, ce qui signifie que nous aurions une prise sur le monde, mais comment croire que nous ayons une telle prise lorsque tout, autour de nous, s’effrite ou s’effiloche… « tu écris tu pêches au filet / tu crois avoir le geste large / et ne ramènes presque rien » … alors ? Trouver refuge auprès des arbres ?
Il y a dans la poésie d’Alain Nouvel des trouvailles syntaxiques et des tournures bizarres, le mot « arbre » au féminin par exemple, car on étreint un arbre sans doute comme on étreint une femme, et la Terre est notre mère, qui a ces arbres pour enfants, autrement dit pour filles. Le monde des objets s’anime, la nature devient un corps vivant.
Mais pourquoi ces atomes, pourquoi ces neurones ? « des neurones d’amour viendront s’enraciner dans le creux de ta tête creuse », nous ignorons ce que sont les « neurones d’amour », et pourtant nous sentons tout à coup combien il se pourrait que de telles cellules rafraîchissent sans arrêt l’eau de nos têtes brûlantes afin de faire éclore des décharges amoureuses… Le fou devient foudre et peut-être réciproquement. Dans ces impressions et ces instantanés souvent apparaît un trou, le vide d’une angoisse, brûlant comme « un alcool sec ».
Si on trouve des noms propres dans cette poésie, ce sont ceux qui désignent des montagnes et plus particulièrement des montagnes du Sud, Ventoux, Obiou, Bure, Lure, Grand Ferrand, monuments qui servent de repères au poète parce qu’elles sont riches déjà d’une tradition poétique : Pétrarque n’a-t-il pas décrit sa propre ascension du Ventoux ?
Alain Nouvel, Pas de rampe à la nuit ?, Encres de Valérie Ghévart, La Centaurée, mars 2020.
Ces poèmes sont aussi des figures de dialogue où un « je » et un « tu » s’interpellent avant de se mêler et de se confondre comme dans l’amour. Qui est « tu » au début de ces textes ? C’est un interlocuteur (ou une interlocutrice) mystérieux, ou mystérieuse, on pourrait même croire qu’elle est le poète lui-même, mais non, puisque ce « tu » renvoie aussi au vent « qui pose des questions », est-ce donc un jeu du « je » contre « Nature » ? au terme duquel les deux s’unifieraient, car c’est le poète qui, finalement, est à la fois l’arbre et le locuteur fait d’humanité (discrète, dit-il).
La poésie d’Alain Nouvel est tourmentée, elle se confronte sans arrêt à notre condition, à la lourdeur de nos esprits, à l’obligation de mémoire qui nous rappelle sans fin le poids du présent… « J’envie les oiseaux sans mémoire ». Englués que nous sommes dans les limites du réel, nous ne pouvons que ressentir la soif, cette soif qu’aucun mot, aucune eau ne peut étancher, et on en apprend alors un peu plus sur ce « tu », qui serait cette soif elle-même. Jusqu’à ce qu’enfin, dans les derniers poèmes, contact soit pris avec un « tu » qui s’incarne : « si tu savais à quel point ça me touche de te toucher », et même alors, cette identification nous joue des tours, les « je t’aime » jetés ne deviendraient-ils pas des « je m’aime » ? L’autre n’est-il pas moi ? (« il boit du café, comme moi »). Le poète nous laisse dans l’indécision. Nous aurons toujours des moments de répit, où « tout devient douceur » et où « mes mains se nourrissent de toi » mais aussi des moments de douleur où nous souffrirons de solitude et de vertige face à nous-mêmes. Seule la nuit peut-être… seule la nuit peut-être nous calmera car elle comporte des rêves et que « le grand bateau du lit / porte plus loin nos deux sommeils ».