Entretien avec Alain Wexler, créateur et directeur de publication de la Revue Verso

Depuis sa fondation en 1977, la revue de poésie Verso conserve une authenticité et une originalité qui ne s’usent pas et que renouvelle Alain Wexler, au fil de ses prologues et thématiques directement inspirés par les textes qui lui sont envoyés : Question d’angle (140), Bois profonds comme la mer ( 190), Le chant du monde (193), L’air, les mots (195), Espace-temps pour le tout dernier numéro.

Il compose ainsi chaque numéro avec minutie, exigence et générosité, un tour de main singulier de poèmes et de lignes tissées pour réunir, pour que se rencontrent les poètes.

Verso, c’est une longue histoire, celle avant tout d’un homme passionné, et cette histoire s’imprime dans les pages de la revue, lui donnant un souffle incomparable.

Alain Wexler, tu es le maître d’œuvre, le créateur de la Revue de Poésie Verso. Dans un tout premier temps, pourrais-tu nous dire ce qui t’a motivé à créer cette revue, sous quelles impulsions, dans quels objectifs ?
C’est Claude Seyve, un ami, qui en a eu l’idée en 1977. Il y avait des éditeurs à Lyon mais pas de revue de poésie. Le but est resté le même aujourd’hui : publier des jeunes poètes ou moins jeunes. Créer des événements, par exemple à Theizé en Beaujolais où, plusieurs années de suite, des auteurs et des lecteurs de poésie ont pu se rencontrer. Ce fut grandiose. Le lieu s’était déplacé à Villefranche, dans sa grande bibliothèque, à l’initiative d’un élu de la municipalité, mais ce dernier, n’ayant pas été réélu, les rencontres cessèrent. Cependant les lectures que j’organise depuis 2004 à la salle Bourgelat à Lyon en sont la suite.
Plus largement, est-ce que tu serais d’accord pour nous raconter l’histoire de cette revue, ses débuts et son évolution aujourd’hui, "les grands moments" et peut-être les difficultés rencontrées ?
En 1984, Claude Seyve abandonna la direction de la revue. Moi-même, à cette époque-là, j’en étais le trésorier. Ce qui facilitait la gestion matérielle, technique surtout, puisque dès le début nous imprimâmes la revue nous-mêmes. D’abord en typo avec du matériel Freinet, une presse à épreuve, puis pour gagner du temps, avec une presse offset Rotaprint d’occasion. Chaque feuille était ensuite reproduite avec un clicheur offset Copyrapid Agfa. Le film obtenu posé sur une plaque  alu passait dans un bain de développement puis entre deux rouleaux. La mise en pression entre ces deux derniers suffisait à décalquer le texte sur la plaque. J’ai travaillé ainsi pendant plus de 20 ans. Le matériel Freinet fut abandonné assez vite grâce à une machine à écrire à boule Olivetti, celle de Joseph Beaude. En 1984 je fis l’acquisition d’une presse Multilith d’occasion. Une vraie presse, pas une toque ! Que j’ai gardée 19 ans. Cette année-là, la revue devint un collectif. La publication des jeunes poètes  ne fut plus une priorité. Il y eut de nombreux n° spéciaux, tous très intéressants, j’insiste là-dessus. Le comité de rédaction comprenait : Patrick Ravella, Patrick Dubost, Christian Degoutte, Andréa Iacovella, Cyrile Louis,  Isabelle Pinçon, Serge Rivron, Maryse Dru, Claude Seyve, Joseph Beaude, Serge Rivron et moi-même. Je dois ajouter Gabriel Vartore-Neoumivakine et Christian Moncel. Ces nouveaux choix nous firent perdre beaucoup d’abonnés. Le groupe éclata. En 1984, 180 abonnés. En 1995, 60 abonnés. Me retrouvant seul aux commandes, je revins à l’orientation des premiers jours de la revue : publier les jeunes poètes. Jeune n’est pas à prendre à la lettre. Quelqu’un qui n’a encore rien publié. J’expliquais ou du moins j’essayais de le faire, la perte des abonnés, à cause des  n° spéciaux. Si ceux-ci sont trop nombreux, le délai de publication des auteurs s’allonge considérablement, ce qui use la confiance dans la revue. Si une revue est subventionnée, cela n’a pas trop d’importance mais Verso ne l’est pas. Elle n’en a pas besoin. Je la fabrique de A à Z. Ceci est important car le jour où l’on perd une subvention, c’est un gouffre qui s’ouvre sous vos pieds.
J’ai pu néanmoins obtenir des petites subventions pour le Salon de la Revue. La table coûte cher mais le bénéfice moral et financier que l’on en tire fait oublier ce détail !

Le chaos, texte de Manolis Bibilis, lu par Alain Wexler. filmé par Yasmina Ben Ahmed.

Tu assures donc intégralement la conception de la revue, l’impression, la reliure, la maquette, la diffusion, Il s’agit là d’un engagement important. Pourrais-tu nous parler concrètement de l’ampleur de ce travail ?
J’y fais allusion ci-dessus ; il faut penser à tout. Le papier d’abord, l’encre, les produits de nettoyage, les plaques offset, les films car en 2004 je passai à l’informatique pour la reproduction des textes. Le fichier informatique grâce à l’imprimante post script 3 devient un film placé sur la plaque avant l’insolation. La machine s’appelle un chassis. 6 lampes UV au fond. On fait pivoter le plateau du côté des lampes. 3 min d’insolation. La plaque est ensuite révélée dans un bain qui a les propriétés de la soude caustique. Gants obligatoires ! La plaque est enduite de gomme arabique ou produit équivalent, sinon elle s’oxyde ! Puis l’impression. Là, je mets la casquette du conducteur d’offset. C’est le travail le plus complexe mais passionnant. 6 types de pression à vérifier en permanence. Compte-fil obligatoire. Cela nous ramène à la gravure. La même année, je fis l’acquisition d’une presse Hamada 500 CDA. Sortie à chaîne, poudreuse, barres antistatiques. C’est une machine fidèle. 20 ans de services. Je la bichonne ! Elle le mérite.

Revue Verso, n°186, septembre 2021, http://revueverso.blogspot.com/2021/

Qu’est-ce qui détermine les choix de la thématique, et l’orientation des contenus de la Revue : le choix des poèmes, les notes de lecture, les entretiens, les chroniques.... Et puis l’attention aux poètes qui ne sont pas encore édités, de même que la découverte de jeunes lecteurs ?
Le thème apparent n’est qu’un thème débusqué après l’assemblage des textes reçus par la poste et rangés dans des enveloppes soigneusement datées, donc en attente. Ce serait une idée commune aux auteurs. Ce qui demande une lecture très attentive de tous les textes rassemblés. Ceci est possible parce que je ne fais pas d’appel de textes. On m’en envoie assez, même beaucoup. Je pense que les auteurs qui sont aux prises avec un réel partagé peuvent faire des analyses communes, ce qui expliquerait ces thèmes sortis d’un chapeau ! Quelques précisions toutefois : je pars du principe que nous sommes aux prises avec un réel changeant, les organes médiatiques sont là pour le répercuter, qu’il s’agisse d’événements sociaux, culturels, internationaux etc. Ou toute autre chose. Cela reste dans la mémoire des gens et à plus forte raison chez des gens qui écrivent des textes de création. Cela peut laisser des traces dans leur écriture au même moment ou presque. J’écrivais dans mon introduction au n° 67 : « Que des textes répondent à des critères établis d'avance n'est pas sans rappeler ces combinaisons dues au hasard, qui, elles aussi répondent à des règles ».
Notre langage crée le jeu. Bien qu'il y ait un départ et une arrivée, le CENTRE est partout. A la source des mots. » Voilà de quoi disserter ! L’espace est immense, on ne peut que s’y perdre !
Je reçois quantité de livres de styles différents. Je n’ai que l’embarras du choix !
Les Entretiens m’ont été conseillés. Peu de temps après, au Salon de la Revue, aux Blancs Manteaux, j’en informe Christophe Dauphin qui me présente alors à quelques mètres de lui Carole Mesrobian, enchantée par ma demande. Tout dialogue apporte de la connaissance, à plus forte raison entre un auteur et un autre, je ne mets pas d’étiquette. C’est comme la visite d’un lieu aux multiples trésors, il faut qu’on nous les montre sinon nous ne les verrons pas. A plus forte raison s’il s’agit de livres. Cela excite la curiosité. Par exemple Ian Monk explique la sextine inventée par Arnaud Daniel au 12 ème siècle ! A lire dans le n° 197. Annie Hupé ne l’ignorait pas puisqu’elle était l’auteure de la sextine présente page 58 dans le n° 196 de Verso !
Le cinéma, c’est Jacques Sicard qui me proposa cette chronique. Il la tint pendant très longtemps… Je ne demande rien, on m’offre tout sur un plateau. C’est presque vrai. La fréquentation des salons fait le reste ; les amis. Les auteurs publiés jouent un rôle également. L’association lyonnaise Poésie Rencontre en a joué un aussi et de taille ! Gratte-Monde à Saint Martin d’Hères. Quant à la Cave Littéraire à Villefontaine, elle fut présente dès les débuts de la revue. Elle nous fit rencontrer Bernard Noël à plusieurs reprises. Le Salon de la Revue est un de ces lieux magiques où les distances sont abolies. Vous rencontrez des roumains, des grecs, des russes et j’en passe. Paris c’est aussi cela, un grand salon !

Revue Verso n°197, Juin 2024, http://revueverso.blogspot.com/2024/

La relation que tu entretiens avec les lecteurs de la revue me semble importante, ne serait-ce que par les soirées de lectures poétiques que tu organises et qui sont régulièrement et massivement fréquentées. Comment s’articulent le projet de la revue et les relations que tu entretiens avec les lecteurs. Comment les lecteurs te parlent-ils de la revue, et quelles fonctions semble-t-elle avoir pour eux ?
Cette relation semble se préciser depuis peu de temps, par exemple : Gabriel Zimmermann, Samuel Martin-Boche, Vincent Boumard, Hélène Massip qui récemment ont montré l’intérêt qu’ils prenaient pour certaines orientations dans Verso. Cela fait principalement référence à l’humanisme. Vaste sujet ! J’avoue toutefois ma solitude devant tous les choix à faire dans la revue. La qualité du texte prime, mais quel jugement dans ce domaine peut prétendre à l’objectivité ? Tout dépend de la culture personnelle, du hasard des rencontres, des voyages que l’on a faits, de sa propre expérience de création. La Grèce, la Bretagne, l’Italie. Les peintres du quatrocento.  Les dessins de la Minotauromachie de Picasso que l’on peut voir aux Pays Bas dans un musée perdu au fond d’un parc ! Premier jet de Guernica. Cela compte énormément pour moi. Mes voyages à vélo n’y sont pas pour rien ! Dont celui que je fis aux Pays Bas. Mon panthéisme fait le reste… L’art roman, Pascal, Spinoza, Rousseau, Kant, Bachelard, les présocratiques surtout ! A ce sujet, une remarque : on m’a reproché lors d’une soirée de lecture à Paris, d’avoir publié un tel ou une telle et on me conseillait de me référer à une sorte d’ « agence » où je trouverai des auteurs de bonne qualité. Est-il besoin de faire des commentaires ?
La revue semble ravir pas mal de lecteurs, notamment pour la diversité des styles. Autant de dédales où ils aiment se perdre. Ou se retrouver. Car pour se retrouver il a fallu se perdre ! C’est de cette façon que je fonctionne.
Je tiens encore à préciser le rôle immense que joue la revue des revues que Christian Degoutte a nommée En salade. Elle ouvre un champ illimité sur la vie des revues et des auteurs qu’elles publient. Cela crée des relations, des découvertes. C’est en se frottant aux autres que l’on fait des progrès, la connaissance avance de cette manière. Certains abonnés lorsqu’ils reçoivent la revue vont directement à la Revue des Revues !
Tu as fait allusion aux numéros spéciaux. Tu pourrais nous en présenter quelques-uns.
Un numéro en Eté 1988 sur la Poésie allemande marqué par l’après-guerre : 40 ans de poésie en Allemagne de l’ouest avec 15 auteurs. Nous n’avions pas repris la numérotation de Verso. C’était le n° 14 de Matières. Ce changement de titre ne durera pas. Il fut nécessaire suite à la fusion de Verso avec Alimentation Générale en 1984. Présentation et traduction de Roger Sauter.
Vahé Godel n° 68. Entretien avec André Miguel et Jean-Marie Le Sidaner. Tous les sujets sont abordés dans ce n° y compris le drame arménien. La question de l’écriture aussi, parce que celle de Vahé Godel se situe entre prose et poésie et que cela se mêle.
Oxford Poetry n° 71,  proposé par William Leaf. Traductions de Sally Purcell. Réalisation de Andrea Iacovella.  Illustrations de William Leaf.
Poésie allemande au Tournant n° 72 : poèmes choisis et traduits par Raoul Bécousse. Les textes sont pour la plus grande partie d’auteurs de la RDA. Ce tournant, c’est la réunification. L’enthousiasme fut vite refroidi à cause des choix économiques de la RFA mais cela n’est un secret pour personne.
Le cochon, n° 73 : une collection d’auteurs impensable. Dessins de GEZA KRIEG. N° fondamentalement érotique.
Tarzan, n° 77. Distribution étonnante dont à ma grande surprise je fais partie. Je l’avais oublié. Je placerai ce texte qui chahute dans mon prochain livre. Il n’y sera pas dépaysé ! Allons au bois, c’est son titre et ici le chat devient une forêt...
Mise au poing n° 80, inspiré par la boxe. Un numéro qui frappe !
La poésie chilienne contemporaine présentée par Adriana Castillo de Berchenko, n° 83. Ce n° a vu le jour au cours d’un repas entre amis à Santiago.
Verso reçoit le Collège de Physiologie Subjective Appliquée. C’est le n° 84. C’est un pastiche des sociétés savantes. Je l’ai imprimé en 1996. Numéro désopilant !
Il y eut ensuite un numéro sur la poésie marocaine et un autre sur  la poésie algérienne avec des photos de Josette Vial. Ce numéro fut agencé par Arezki  Metref que j’avais rencontré à Rodez lors des journées de poésie en mai. Il est encore disponible
Rendez-vous sur le blog de la revue : http://revueverso.blogspot.fr

Présentation de l’auteur

Alain Wexler

Alain Wexler, poète, est né à Ambert dans le Puy de Dôme. Il dirige et imprime la revue Verso depuis 1977. Il vit dans le Beaujolais et se partage entre le travail pour la revue et les régions qu’il aime parcourir à vélo ou à pied (Grèce, Auvergne, vallée de la Loire…).

Il anime régulièrement des lectures de poésie à Paris et à Lyon.

Bibliographie 

Récifs (Le dé bleu, 1985).
Tables (Le dé bleu, 1992).
Nœuds (Le dé bleu, 2003).
Échelles (Éditions Henry, 2009).
La tentation (Editions Henry, 2018).

Poèmes choisis

Autres lectures