La Confiance dans la décohérence — poésie et physique quantique

présentation et traduction : Marilyne Bertoncini

Dans un essai dont je propose ici une version résumée ( la version originale complète, avec les notes et renvois, peut être consultée sur le site Jacket) , le poète, artiste , essayiste  britannique Allen Fisher, à partir d'un tour d'horizon des liens entre poésie et théorises scientifiques contemporaines, explicite sa  position éthique d'écriture par rapport aux sciences actuelles, dans ce qui est un « art poétique » de la décohérence, qu'illustre toute la production artistique du poète, dont nous republions un poème confié en 2014 à Recours au Poème, ainsi que le vistuose extrait de Black Bottom, dont on peut lire la version anglaise sur le site lyrik line

Après avoir retracé depuis Platon, et à travers divers exemples de l'histoire littéraire anglo-saxonne,  l’évolution des  liens entre science et poésie, il déclare que  nombre de contemporains (et de poètes)  éblouis par des vocabulaires spécialisés  spécifiques issus du  monde industriel, commercial, ou militaire... ont provoqué, en raison de l'utilisation restreinte et figurative du langage, une aspiration collective à la cohérence.

« Or,  écrit-il, la poésie est en grande contradiction avec ces attentes, à la fois en ce qui concerne la logique,  la cohérence, et l’utilisation du vocabulaire, ce qui a conduit à une « confiance dans la décohérence » - une confiance que la poésie, à son niveau de plus grande efficacité, ne peut pas suivre la logique, telle qu’elle est diversement perpétuée dans la pensée commune et paternaliste, et ne peut pas aspirer à la cohérence, comme cela est également prescrit. La poésie a particulièrement besoin de faire des propositions ou d'avoir des aspirations dans notre époque de baisse de niveau extensive et d’exploitation du modernisme avec immense variété de moteurs matérialistes et fascistes.

En février 2007, sur  Nature, hebdomadaire scientifique international, un groupe de physiciens, soutenu par l'armée américaine, l'université de Yale et le marché, proposait de résoudre la question des états du nombre de photons dans un circuit supraconducteur. Ils comptaient faire la distinction entre les champs cohérents et thermiques (deux ordres de vocabulaire apparemment différents) pour  créer un analyseur de statistiques de photons qui générerait des états non classiques de la lumière réalisant une logique du bit-photon quantique par supraconductivité, la base d'un bus ((1-bus - Ensemble des conducteurs mettant en communication les différents composants d'un ordinateur)) logique pour un ordinateur quantique. »

L'article de Nature souligne donc un dilemme. La poésie et l'engagement avec un public, tout comme la science avec son propre public, offrent une discordance significative, potentiellement créée par un aveuglement naïf, ou plus souvent encore, par la tromperie volontaire.

Volume 7 Issue 2, February 2007

Les prémisses de cette discordance découlent d'une série d'incapacités et d'inaptitudes nécessaires aux fragilités qui sous-tendent les vulnérabilités. Elles contribuent à la pensée intelligible, et sont à la base esthétique et éthique de toute pratique poétique et scientifique écrite. Il s'agit d'un dilemme nécessaire en termes conceptuels et historiques, face aux propositions occidentales de logique et  aux aspirations modernistes à la cohérence. (…)

Depuis l'Antiquité, la pensée occidentale a débattu des difficultés entre la perception directe et les informations dérivées des machines, entre les démonstrations de la vérité et la présomption ou la spéculation informée. Platon, penseur précurseur des exigences de la pensée logique et de la vérité, fournit un certain nombre d'exemples significatifs. Sa description de la façon dont fonctionnent les poètes dans son Apologie indique immédiatement la difficulté proposée . "Après les politiciens, je me suis adressé aux poètes, aux auteurs de tragédies, de dithyrambes et autres, avec l'intention de me surprendre à être plus ignorant qu'eux. Je choisis donc les poèmes avec lesquels ils semblaient avoir pris le plus de peine et je leur demandai ce qu'ils voulaient dire, afin de pouvoir, à la fin ,apprendre d'eux quelque chose. J'ai honte à dire la vérité, mais je le dois. Presque tous les auditeurs auraient pu expliquer les poèmes mieux que leurs auteurs. Je me suis vite rendu compte que les poètes ne composent pas leurs poèmes à partir d’ un savoir,  mais grâce à un talent inné et leur inspiration, comme les voyants et les prophètes qui disent aussi beaucoup de belles choses sans comprendre ce qu'ils disent. Les poètes me semblaient avoir fait une expérience similaire. En même temps, je voyais qu'à cause de leur poésie, ils se croyaient très sages à d'autres égards... "

Les poètes sont encore critiqués sur ce point dans le livre X de La République ; "toute la poésie, depuis Homère, consiste à représenter une imitation de son sujet, quel qu'il soit, sans saisir la réalité. Nous parlions tout à l'heure du peintre qui peut produire ce qui ressemble à un cordonnier pour le spectateur qui, lui-même ignorant tout de la cordonnerie, ne juge que par la forme et la couleur. De même, le poète, qui ne sait que représenter les apparences, peut peindre en paroles l'image de n'importe quel artisan de manière à impressionner un public également ignorant et qui ne juge que la forme de l'expression ; le charme inhérent au mètre, au rythme et à la mise en musique suffit à lui faire croire qu'on a tenu un discours admirable sur la tactique militaire, la cordonnerie ou tout autre sujet technique. Dépouillez le propos du poète de sa coloration poétique et vous verrez ce que cela donne en prose simple. »

Allen Fisher, afin de préciser sa position, poursuit en évoquant divers points de vue confortant ou contestant l'opinion du philosophe grec : il cite ainsi Eric Havelock, spécialiste britannique de l'antiquité grecque dont la préface explique  que Platon " commence par caractériser l'effet de la poésie comme une "mutilation de l'esprit". Il s'agit d'une sorte de maladie, pour laquelle il faut acquérir un antidote. Cet antidote doit consister en la connaissance "de ce que sont réellement les choses". En bref, la poésie est une espèce de poison mental, elle est l'ennemi de la vérité... " -  et sur cette base de vérité, les poètes pourraient aussi bien perpétuer la tromperie. La cible de Platon semble être précisément l'expérience poétique en tant que telle. C'est une expérience que nous qualifierions d'esthétique. Pour lui, il s'agit d'une sorte de poison psychique.

Il évoque  ensuite Charles Stein qui précise le débat  à partir de son étude de la poésie de Charles Olson (1910-1970)  en expliquant les liens de sa poétique de juxtaposition syntaxique avec les nouvelles théories de la relativité: Platon a banni les poètes " parce que leurs moyens de discours entravaient le développement des pouvoirs abstraits que Platon s'efforçait d'entretenir ". Olson veut rétablir les poètes ", c'est-à-dire leur donner un langage commun, " mais il lui faut d'abord pour les comprendre réacquérir  certaines habitudes de langage et de pensée que la révolution platonicienne a fait perdre ".Stein poursuit : " Olson insiste sans relâche sur les théories linguistiques concrètes : des théories qui mettent l'accent sur la primauté des sons des mots, des mots d'action et de la nominalisation, par rapport à l'utilisation de la langue, sur la subordination et les relations grammaticales abstraites. Dans son livre "Grammar-a book" Olson cite des passages du livre Language d'Edward Sapir, selon lesquels " l'ordre des mots et l'accentuation " sont " les méthodes primaires d'expression de toutes les relations syntaxiques " et que la " valeur relationnelle de mots et d'éléments spécifiques " n'est " qu'une condition secondaire due au transfert des valeurs. " ...

La théorie radicalement concrétiste de Sapir sur la grammaire va de pair avec la "parataxe" de Havelock en fournissant à Olson des concepts linguistiques grâce auxquels il peut justifier l'accent mis sur les aspects les plus concrets du langage au détriment de la syntaxe.

La pratique d'une "syntaxe par apposition" est liée pour Olson à sa compréhension du "changement" de perspective cosmologique opéré par la théorie de la relativité et l'institution du continuum espace/temps comme contexte des événements de la réalité. Dans (The) Special View of History, Olson souligne : « La coïncidence et la proximité, parce que le continuum espace-temps est connu, deviennent les déterminants du hasard et de l'accident et rendent possible le succès créatif....

L'accent mis sur l'inclinaison de la finalité et du hasard, de l'accident et de la nécessité, de la forme et du chaos, comme étant à l'intérieur du processus actuel, est la justification cosmologique du "concrétisme" d'Olson, son insistance pour que les mots soient traités comme des objets solides, et les poèmes comme des champs de force....»

Theodor Adorno lie la cohérence défaillante du modernisme à ce qu'il identifie comme l’apparence du sens. Tout l'art moderne après l'impressionnisme, y compris probablement les manifestations radicales de l'expressionnisme, a abjuré l'apparence d'un continuum fondé sur l'unité de l'expérience subjective, dans le "courant de l'expérience vécue". L'enchevêtrement, le mélange organique, est coupé, et détruite la croyance qu'une chose se fond entièrement avec l'autre, à moins que l'enchevêtrement devienne si dense et complexe qu'il obscurcisse complètement le sens. À cela s'ajoute le principe esthétique de la construction, la primauté brutale d'un ensemble planifié sur les détails et leur interconnexion dans la microstructure ; en termes de cette microstructure, tout l'art moderne peut être appelé « montage ». Ce qui est intégré est comprimé par l'autorité subordonnée du tout, de sorte que la totalité contraint la cohérence défaillante des parties et affirme ainsi à nouveau le semblant de sens.

Même Michel Foucault préfère rétablir le statut de la cohérence lorsqu'il écrit : " Nous ne sommes plus dans la vérité mais dans la cohérence des discours, nous ne sommes plus dans la beauté, mais dans les relations complexes des formes ". Le meilleur moyen de comprendre ce que j'appellerais " un modèle de connectivité " est de mettre en question l'identité. Foucault écrit : "Il s'agit maintenant de savoir comment un individu, un nom, peuvent être le support d'un élément ou d'un groupe d'éléments qui, s'intégrant dans la cohérence des discours ou dans le réseau indéfini des formes, efface, ou du moins rend vacant et inutile ce nom, cette individualité dont il porte la marque pour un certain temps et à certains égards. Nous devons conquérir l'anonymat, prouver que nous sommes justifiés d'avoir l'énorme présomption de devenir un jour anonymes, un peu comme les penseurs classiques devaient justifier l'énorme présomption d'avoir trouvé la vérité, et d'y avoir attaché leur nom. Autrefois, le problème de celui qui écrivait était de s'extraire de l'anonymat de tous ; à notre époque, c'est de parvenir à effacer son nom propre et à loger sa voix dans ce grand vacarme des discours qui sont prononcés. "

Allen Fisher, from proceeds in the garden, 10, 11 and 12, after Dante’s Paradiso

 

Julia Kristeva  de son côté offre une sorte de contre-vue lorsqu'elle écrit à propos de Hannah Arendt : "Ayant [...]reconnu la déconnexion entre l'histoire en acte et l'histoire racontée, Arendt ne croit pas que la caractéristique essentielle de la narration puisse être trouvée dans la fabrication d'une cohérence au sein de la narration ou dans l'art de former un récit, ce qu'elle confirme par la suite, « Si nous nous laissons trop emporter par la cohérence d'une intrigue, nous oublions que le but principal de l'intrigue est de révéler, » et  « Cela ne peut manifester ce processus logique essentiel que s'il devient lui-même action.(...) »

Le désir personnel et l'affirmation publique, en particulier lorsqu'il s'agit de promouvoir une série d'activités morales, amènent les poètes à envisager toute une série de réponses allant de l'implication engagée à la fuite. Ce dont la poésie est capable à travers une recherche poétique, délibérée et détaillée, de la forme poétique et de la variété des vocabulaires utilisés, laisse souvent la meilleure poésie incapable de répondre à la demande générale d'une expression continue et linéaire, la demande de significations complètes.

Le sujet est trop vaste pour être totalement traité et l'article le démontrera par son approche confiante de son manque de solutions et de toute proposition de compréhension complète » écrit Allen Fisher, qui fait ensuite appel au mathématicien Alan Turing : celui-ci a prouvé "l'existence de problèmes mathématiques qui ne peuvent être résolus par la machine de Turing universelle" ainsi que  de problèmes mathématiques qui ne peuvent être résolus par aucune méthode systématique - en d'autres termes, qui ne peuvent être résolus par aucun algorithme :
"L'argument de '
Solvable and Unsolvable Problems' illustre pourquoi le besoin d'intuition ne peut pas toujours être éliminé en faveur de règles formelles. Turing, dans la conclusion de son essai, écrit : "Les résultats qui ont été décrits dans cet article sont principalement de nature négative, fixant certaines limites à ce que nous pouvons espérer atteindre par le seul raisonnement. Ces résultats, ainsi que d'autres résultats de la logique mathématique, peuvent être considérés comme allant dans le sens d'une démonstration, au sein des mathématiques elles-mêmes, de l'inadéquation de la "raison" non soutenue par le bon sens ".

L'auteur évoque ensuite son ouvrage sur la littérature et l'art en Amérique après 1950 dont l'introduction a donné naissance au texte iDamage, qui commence ainsi : "En un sens, c'est un sujet dépassé, car  on considérait déjà naguère que c'était un dilemme entre mélancolie et espoir, ou bien on pensait que les cultures occidentales ne survivraient jamais au prochain millénaire. "...

Une partie de la  thèse pourrait impliquer les élaborations extensives des idées de Francis Bacon, Aby Warburg et  Jean Baudrillard sur la simulation et le sentiment  d'hyperréalité de ce dernier. iDamage note : " Cela se juxtapose à la reconnaissance qu'un engagement avec les exigences proprioceptives de l'empathie pourrait être miné par la méthodologie d'assemblage. Cependant, plutôt qu'un inconvénient, il s'agit d'un résultat nécessaire ; l'idée que les préoccupations méthodologiques devraient conduire à une focalisation singulière serait une démonstration de dégâts qui mineraient la pensée sensible en promouvant de faux cadres de vérité, encouragés par un vision populaire sommaire et une alchimie de raccourcis rappelant les compétences sociales du show Celebrity Farm et les informations télévisées nationales.

Shamoon_Zamir (Auteur) Allen Fisher (Auteur) Paige Mitchell Pierre Joris (Préface) Aesthetic Function, Facture, and Perception in Art and Writing since 1950 Paru en novembre 2016  (ebook (ePub) en anglais

Une partie de la  thèse pourrait impliquer les élaborations extensives des idées de Francis Bacon, Aby Warburg et  Jean Baudrillard sur la simulation et le sentiment  d'hyperréalité de ce dernier. iDamage note : " Cela se juxtapose à la reconnaissance qu'un engagement avec les exigences proprioceptives de l'empathie pourrait être miné par la méthodologie d'assemblage. Cependant, plutôt qu'un inconvénient, il s'agit d'un résultat nécessaire ; l'idée que les préoccupations méthodologiques devraient conduire à une focalisation singulière serait une démonstration de dégâts qui mineraient la pensée sensible en promouvant de faux cadres de vérité, encouragés par un vision populaire sommaire et une alchimie de raccourcis rappelant les compétences sociales du show Celebrity Farm et les informations télévisées nationales.

"La cassure peut être considérée comme un processus nécessaire et positif. Une métonymie de civilisation brisée ou de devoir social détérioré n'est pas nécessairement volontaire. La forme initiale dérive de la rupture directe de la recherche. Le produit final est une conséquence de la rupture impliquée, en particulier dans le post-collage et dans la poétique transformationnelle, où la forme du texte a été rendue possible grâce à une série de transformations. Au niveau des mots du texte, par exemple, des transformations peuvent être utilisées pour créer des liens entre les mots, des modèles de connexion, par l'utilisation de sons (rimes), de sens comparables (rhétorique), de discussions ou de perturbations du sens (poétique) et de collages imparfaits (que l'on retrouve dans la plupart des genres, y compris la poésie, la peinture et la comédie). Le produit fini a donc subi une série de ruptures et de  transformations. Parfois, cette série implique une modification, une rupture planifiée et une réparation fortuite, parfois l'œuvre utilise une perturbation collagique de l'espace-temps, et souvent le collage de différentes parties simule la continuité. Dans le post-collage, une œuvre visuelle peut subir une nouvelle présentation et se transformer en une nouvelle image. La forme de  iDamage, Introduction to Assemblage and Empathy, a book in progress, fait appel à des processus conservateurs apparemment cohérents et parfois rhizomiques, souvent arbitrairement isolés de la constellation mobile de spins que l'œuvre propose et (parfois) réfute par cette discussion".

L'auteur poursuit et met en parallèle une analyse de l'oeuvre de Yeats, et la thèse de Jim Baggot, du département de physique de Seattle, sur le déplacement des ondes lumineuses et leurs dépendances spatio-temporelles « de plus en plus "désalignées" : en des points spécifiques de l'espace-temps, le pic n'est plus aligné avec le pic, le creux n'est plus aligné avec le creux. Il en résulte une interférence destructive et une perte de cohérence de la lumière. En clair, nous obtenons des interférences constructives et une cohérence maximale des trajets lumineux qui ne diffèrent pas de manière significative en termes de distance et donc de temps. Le mystère est maintenant résolu. Lorsque la lumière voyage à travers un seul milieu (comme l'air), les trajectoires de la lumière qui ne diffèrent pas de manière significative en termes de distance et de temps sont toutes regroupées autour du chemin le plus court, en ligne droite, de la source à la destination, qui est aussi le chemin le moins long.' » et plus loin, "le pragmatisme et l'instrumentalisme typiques de la jeune génération de théoriciens impliqués dans le développement initial de la théorie (quantique), comme Heisenberg, Dirac et von Neumann, exigeaient un cadre mathématique cohérent qui fonctionne. Pour ces physiciens, il importait peu que la signification profonde des concepts de la théorie semble être de plus en plus déconnectée de la réalité que la théorie tentait de décrire ... " qui commence ainsi à s'apparenter à la poésie dans le langage commun.

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Allen Fisher tire également des exemples  sur les fondements de l'incertitude dans l'étude de l'hydrologie par Gordan MacKerron, les théories mathématiques (Felix Klein Mario Livio, et Evariste Galois) et l'interprétation de la mécanique quantique, où «  certainement le problème des interférences macroscopiques, que semblent prédire une théorie linéaire et en pratique et qui ne sont  jamais observées, au point même qu'elles paraitraient absurdes si nous les voyions. La réflexion sur ce problème a conduit à l'idée de la décohérence, qui est certainement la découverte la plus importante de l'interprétation moderne …  "Lorsqu'une histoire comprend un phénomène marqué par la décohérence, il ne peut y avoir de cohérence pour une propriété ultérieure qui contredirait ce phénomène ou ses conséquences. On ne peut pas logiquement le nier. Il donne lieu à un enregistrement indélébile qui conserve ses conséquences, même s'il est effacé ou se dissipe. Il reste présent dans les détails internes des fonctions d'onde, la décohérence interdisant la cohérence de sa négation. Toute histoire qui tenterait de la nier (ou tenterait de nier ses conséquences ultérieures) violerait nécessairement les conditions de cohérence, et donc les règles, de la logique.

Nous sommes parvenus à l'ère  du " passage d'un monde structuré par des frontières et des enceintes à un monde de plus en plus dominé, à toutes les échelles, par des connexions, des réseaux et des flux...". Aujourd'hui, le réseau, plutôt que l'enceinte, apparaît comme l'objet désiré et contesté : le double domine désormais. L'extension et l'enchevêtrement l'emportent sur la clôture et l'autonomie " Pour exagérer ce problème, Vlatko Vedral a noté que la connectivité dans les phénomènes naturels peut en fait être mieux que parfaite. On s'en est rendu compte pour la première fois lorsque les physiciens ont essayé de déduire les lois qui régissent le comportement des petits objets... dans l'étude de la physique quantique. .... Les électrons sont comme de petites toupies, chacun tourne à sa façon, en fonction des circonstances extérieures. (…)

La connectivité est devenue la caractéristique déterminante de notre condition urbaine du XXIe siècle. « Mais nous avons besoin d'une imperfection planifiée, pas d'une correspondance exacte, ...l e réseau ultime fonctionnera par les moyens quantiques et magiques de la physique quantique..." ... Une solution consiste à introduire une non-linéarité effective par des mesures résultant d'opérations de portes probabilistes. Dans le calcul quantique à sens unique, l'erreur de mesure quantique aléatoire peut être surmontée en appliquant une technique de rétroaction, de sorte que la base des mesures futures dépende des résultats des mesures précédentes. ... Le calcul quantique à sens unique est basé sur des états multiparticulaires hautement intriqués, appelés "états groupés", qui constituent une ressource pour le calcul quantique universel. L'intrication établie entre des systèmes quantiques situés à différents endroits permet la communication privée et la téléportation quantique, et facilite le traitement quantique de l'information. L'intrication distribuée est établie en préparant une paire de particules quantiques intriquées à un endroit et en transportant un membre de la paire à un autre endroit. Cependant, la décohérence pendant le transport réduit la qualité (fidélité) de l'intrication. Un protocole de "purification" de l'intrication a été proposé afin d'améliorer la fidélité après le transport.'Cependant, les "probabilités de réussite n'étaient (que) supérieures à 35 %"."L'architecture multisegmentée de piège utilisée ici devrait permettre de distribuer les particules intriquées à des endroits distincts afin d'explorer des protocoles répétitifs dans de futures expériences.'

Pour Leavis, il est "évident" que nous voyons (dans l'ode de Keats "To Autumn") les arbres noueux et robustes avec leurs enchevêtrements de feuilles très chargées, bien que le poème n'en dise rien. De son côté,le physicien Roland Omnès, dans  Comprendre la mécanique quantique, clarifie la condition et la laisse en suspens lorsqu'il note que "l'état enchevêtré est une superposition quantique de deux systèmes physiques distincts. (Ainsi un état de deux réalités dans un collage.) C'est une situation très fréquente car tout système composite dont la fonction d'onde n'est pas simplement un produit des fonctions d'onde de ses composants est enchevêtré.' (Métaphoriquement, la relation entre la cognition et l'esthétique.

Read and filmed by Prof. Alan Macfarlane

John S. Bell a été plus concis dans son article de 1986 : il y a "des contreparties mathématiques dans la théorie à des événements réels à des endroits et des moments définis dans le monde réel (par opposition aux nombreuses constructions purement mathématiques qui se produisent dans l'élaboration des théories physiques, par opposition aux choses qui peuvent être réelles mais non localisées, et par opposition aux "observables" d'autres formulations de la mécanique quantique, pour lesquelles nous n'avons aucune utilité ici). Un morceau de matière est donc une galaxie de tels événements. En tant que parallélisme psychophysique schématique, nous pouvons supposer que notre expérience personnelle est plus ou moins directement constituée d'événements dans des morceaux de matière particuliers, nos cerveaux, lesquels événements sont à leur tour corrélés avec des événements dans nos corps dans leur ensemble, et ceux-ci à leur tour avec des événements dans le monde extérieur où, comme le note Karl Popper, "toutes les mesures de l'élan reviennent à des mesures de la position". John S. Bell écrit : "... l'observation, même lorsque l'on fait la moyenne de tous les résultats possibles, est une interférence dynamique avec le système qui peut modifier les statistiques des mesures ultérieures.... ainsi que la croyance que les instruments ne sont après tout rien d'autre que de grands instruments de mesure.

La formulation quantique est construite sur un ensemble de quatre postulats, ainsi que sur la relation de commutation position-momentum, les propriétés de convergence de l'espace de Hilbert et le théorème d'expansion. Le dernier ingrédient restant à considérer est également l'un des plus déroutants. Il s'agit du traitement mathématique de l'indiscernabilité..... Les pommes sont distinctes parce qu'elles occupent des régions de l'espace sensiblement différentes... Le fait est que les électrons, comme toutes les particules d'onde quantique, sont indiscernables. ... L'indiscernabilité est une propriété des particules quantiques qui est intrinsèquement liée à leur nature onde-particule, tout comme leur relation de commutation position-impulsion et le principe d'incertitude de Heisenberg. Tous ces problèmes sont un seul problème.

En tant que poètes écrivant après la fin de l'histoire, nous n'avons peut-être aucun problème à comprendre les déclarations de William Mitchell (dans Me ++ The Cyborg Self and the Networked City), selon lesquelles « le monde numérique est logiquement, spatialement et temporellement discontinu » et « les discontinuités produites par les réseaux résultent de la recherche de l'efficacité, de la sûreté et de la sécurité. » Cela ne convient pas lorsqu'il écrit que « si vous voulez construire des structures complexes », vraisemblablement comme des poèmes peuvent l'être, il ne sert à rien d'essayer de « minimiser les erreurs et de corriger automatiquement les erreurs lorsqu'elles se produisent. » Les widgets à l'échelle nanométrique cliquent directement sur le quantum mécanique; c'est un monde d'écume, d'interférence, de déséquilibre, d'incertitude et de confiance.

Exposés sur la décohérence
Video. Olivier Brossard © Allen Fisher, Kent in Paris, UPEM, double change, Olivier Brossard, 2018.

Bernard Williams interroge  : « Les notions de vérité et de véracité peuvent-elles être intellectuellement stabilisées, de telle sorte que ce que nous comprenons de la vérité et nos chances d'y parvenir puissent être mis en adéquation avec notre besoin de véracité ? »
De fait,  la poésie peut-elle  « s'adapter » à notre besoin de langage commun  lorsque « la Vérité en tant qu'idéal conserve son pouvoir... » Car n'y a aucun pouvoir sans violence (ou dégradation) , ce qui ne permet pas l'éclosion d'une esthétique efficace.




Allen Fisher, Around the World, Autour du monde

        This gravitational song meted against displacement
        The slow movement of holding you
        By the lake, deep amid fir and silver poplar
        Dream sleep’s energetic function
        During meditation each finger rayed in cactus spikes
        Blake crossed out sweet desire, wrote iron wire
        It was the discovery of human electromagnetism
       made a sign, opened curtains, revealed the garden
       Mouth perpendicular to mouth energised desire

All the weight and attraction that limits movement
A Mercury mix that replaces theft with eloquence
in the face of visitors’ astonishment, experienced veritable bliss
A robust memory in the flares of lost and added synapses
So that the vines burst from my fingers

        In the space of shape-time
       We move our fingers and simultaneity becomes falsity
       Sheltered by wall and hedge
       Translucent superimposition several distinctions one synapse   And the garden becomes geodesic for a           moment
        An imitation tomb among the vegetables

“A mango tree under a dull cloth, stirs its tentacles
A rush of calcium through my nostrils

        That the complex is Nature’s climate.

Passed out in the dole queue from an overdose of guerillas
satellite bang.   satellite bang.   hits the
negation of morning confidence and hope

        Took a stopwatch into her mouth and spat
        Reduces premiums to the political, to the sentence , ,
        ”and the simple at a discount

“the imitation stage has been passed
In a blue self-portrait the background continues the face
a gigantic plane tree
Given a part, consistent memory appropriates a whole
Flicks mercury in a meter    rolls off a glove

        Dealt out cards, silver-foiled dinners and cans
        piece.   pease.   pierce.   sleight of hand
        Friendship as virtue    an inventive memory combines
        varieties of inconsistent features
        Take my hand, the silken tackle
        Stored associations of the cellular net
        Swell with the touches of flower-soft fingers
        Rode shaking from the park on flat tyres.

claim of pastoral confidentiality
The return to copying pre-empted by cultivation
its enormous trunk
The net’s avoidance of overload and too much overlap
Take this palm to your mouth and fill it with grapes
A Net of Golden twine   many synapses
Semblance of worth, not substance
spawn of an entire lack of interest, but some surprise
The return to cultivation pre-empted by synthesis

       enter, stage right, “the creative centre of civilization”
       pieces of granite, broken and numbered, rejoined with cement
      Its mighty branching and its equilibrium

      Hard-wired to compensate against malnutrition and toxic
      waste   The danger of important words
      In tears clothed, in a dream sleep’s shed, avoid obsession
      Humane Eyes over a blasted heath
      hand holding a book, first finger inserted to hold position
      piled granite on the lawn like an enormous potato

Imagination sown meter again then this place beat
In search of ways to reverse-learn junk city
the gravity of its preponderant boughs
Sighs damp down potentially parasitic memories
Mother and child constitutes a society
reservation or rather reticent in flak of rhetoric
Enterprises based on innocence    a pleasant sufficiency
Creative imprecision to emphasise flux of meaning

       A future bright blocked by bricoles.

Strapped own earth underfoot to walk base without trespass
Took for exercise of virtue
O sprinkling the garden, to enliven the green!
Dreams random noise shorts-out unproductive activities
Ran out of faces so stopped action in film
A degree of benign limitation
Flummox then repose your wearied exercise

        The gravity occasions gone petered against retrenchment
        A hard task in truth I attempt
        In my garden    face lift    modifying spine shape
        Reverse-learning to modify cortex energetically
        Floral dress hung from sculptured timber
        Intellectual innocence in a pretence to value
        Play area scattered bricks painting garden
        Then the perceptions begin to repeat
        The garden that should have bloomed once

Doubled oscillation preludes another chaos
Confidence beyond consciousness
And do not forget the shrubs
Dreams selection to enhance retention
public elects pinball physics
In the face of wonder experienced a kind of vertigo
Trapped in a cage then allowed to sing.

“Responsibility for the present state of the world
The terror of feeling that consciousness may be
functional    Where are the sentiments of my heart

Simply kissing, with you on the balcony
Into a world not entirely song
Lifted all the baskets   Even those without berries
“the Paneubiotic Synthesis
muscle    neuronal excitability    energy generation

        to complete harmony laid biggest lime full length in garden
        The constantly actualised, shuddered chagrin
        In the garden nothing but evergreens
       Ungratified desire reminated each moment
       Short silence followed by a thud.

Ce chant gravitationnel compensait le déplacement
Le lent mouvement de te tenir
Au bord du lac, parmi les pins et les peupliers d'argent
La fonction énergétique du rêve nocturne
Lors de la méditation chaque doigt rayonnait en épines de cactus
Blake raturait le doux désir, griffonnait en fil de fer
C'était la découverte de l'électromagnétisme humain
fit un signe, ouvrit des rideaux, révéla le jardin
Là bouche à la bouche perpendiculaire énergisa le désir

 

Tout le poids et l'attraction  qui limitent le mouvement
Un mélange Mercurien qui remplace le larcin par l'éloquence
malgré  la surprise des visiteurs, éprouve une véritable félicité
Une solide mémoire dans les flamboiements de synapses perdues et ajoutées
Si bien que les vignes jaillissent de mes doigts

 

Dans l'espace du temps-forme
Nous bougeons les doigts et la simultanéité devient fallacieuse
A l'abri de murs et de haies
Translucide superposition plusieurs différences une synapse                  Et le jardin devient géodésique           pour un instant
Une imitation de tombe parmi les légumes

"Un manguier sous un voile morne, étire ses tentacules
Une décharge de calcium dans mes narines

            Que le complexe est le climat de la Nature.

Evanoui dans la queue des allocations chômage d'une overdose de guerillas
bang, le satellite. bang, le satellite. atteint  la
                                         négation de la confiance et de l'espoir matinaux

Prit un chronomètre dans sa bouche et cracha
Réduit les primes au politique, à la phrase, ,
"et le simple au rabais

"la phase d'imitation a été dépassée
Dans un autoportait bleu l'arrière-plan continue le visage
un immense platane
Ayant un rôle, une mémoire constante s'approprie un tout
tapote le mercure d’un thermomètre    se dégante

Cartes distribuées, repas en boîtes d’alu et conserves
pièce.  pois.  perce.  tour de passe-passe
L'amitié comme une vertu   une mémoire inventive combine
des tas de traits inconsistants
Prend ma main, le soyeux plaquage
Des associations du réseau cellulaire emmagasinées
Enflent au contact de doigts à la douceur de fleurs
Parcours qui bringuebale dans le parc pneus dégonflés.

Revendication de confidentialité pastorale
Le retour au copiage préempté par la culture
son tronc énorme
Le réseau évitant surcharge et excès de chevauchements
Porte cette paume  à ta bouche emplis-la de raisins
Un Réseau d'Or tresse de  nombreuses synapses
Apparence de valeur, pas de substance
rejeton d’un total manque d'intérêt, mais une certaine surprise
Le retour à la culture préempté par la synthèse

entre, côté jardin, "le centre où se crée la civilisation"
morceaux de granit, cassés et numérotés, jointoyés au ciment
Son branchage puissant et son équilibre
Cablé pour contrebalancer malnutrition et pollution
toxique  Le danger des mots importants
Drapés de larmes, à l’abri d’un rêve nocturne, évite l'obsession
Regard Humain sur une lande désolée
un livre à la main, index inséré pour tenir la page
granit empilé sur la pelouse comme une énorme patate

 

L'imagination semée mesure toujours  alors la pulsation de ce lieu
Cherchant des façons de désapprendre la camelote de la ville
la gravité de ses plus grosses branches
Des soupirs étouffent de possibles mémoires parasites
La mère et son enfant forment une société
réserve ou plutôt réticente en attaque de rhétorique
Des enteprises fondées sur l’innocence    une agréable autonomie
L’imprécision créative pour amplifier le flux de sens

Un brillant futur bloqué par des rebonds.

Sa propre terre arrachée sous les pieds
pour marcher bas sans risque de faux-pas
Considéra un exercice de vertu
O asperger le jardin pour aviver la pelouse!
Bruit aléatoire du rêve raccourcis  activités non-productives
A cours de visage je dus arrêter le film
Un certain contrôle léger
Interrompt puis repose votre exercice usé
Les occasions de gravité qui s’amenuisent contre le retranchement
Une rude tâche en vérité j’entreprends

Dans mon jardin le lifting modifiant la colonne vertébrale
Désapprentissage pour modifier l’énergie du cortex
Une robe de fleurs pendue à une boiserie sculptée
L’innocence intellectuelle dans un simulacre d’évaluation
Aire de jeux jonchée de briques dépeignant un jardin
Puis la perception commence à se répéter
Le jardin qui jadis aurait dû fleurir

La double oscillation  est le prélude d’un  autre chaos
La confiance au-delà de la conscience
Et n’oublie pas les buissons
La sélection des rêves pour exalter  la rétention
le public choisit la physique des particules
Malgré l’expérience du miracle une sorte de vertige
Prisonnier d’une cage puis autorisé à chanter.

« Responsabilité pour le  présent état du monde
La terreur de sentir que la conscience peut être
utile   Où sont les sentiments de mon cœur

Un simple baiser, avec toi sur le balcon
Dans un monde  incomplètement chanté
Il ôta tous les paniers  Même dépourvus de baies
« La Synthèse Paneubiotique
muscle   excitabilité neuronale  source d'énergie

pour compléter l’harmonie étala le plus gros citron vert de tout son long dans le jardin
Le dépit frémissant constamment matérialisé,
Dans le jardin, rien que des conifères
La reminiscence à chaque instant du désir insatisfait
Un bref silence suivi d’un bruit sourd.

Présentation de l’auteur

Allen Fisher

Né à Londres en 1944, Allen Fisher est poète, peintre, éditeur, professeur et performer. Ses œuvres, exposées dans de nombreux musées et galeries, font désormais partie des collections de la Tate, de King’s College Archive, du Living Museum Iceland et du musée Hereford. Dans les années 70, il a fait partie du groupe britannique de Fluxus. En 1978, Allen Fisher a commencé sa carrière de peintre. Après avoir passé vingt ans à travailler dans l’industrie du plomb et du plastique, il a obtenu un poste d’enseignant en art, histoire de l’art et poésie à Goldsmiths’ College dans les années 80. En 1989, il a commencé à enseigner à Herefordshire College of Art & Design, avant de devenir directeur du département d’art de Roehampton University en 1998. En 2002, il y est devenu professeur de poésie et d’art, et en 2005, il s’est vu offrir le poste de directeur des arts contemporains à Manchester Metropolitan University, où il est désormais professeur émérite de poésie et d’art. En 2017, son livre PLACE a été réédité, ses poèmes choisis ont été publiés par Reality Street sous le titre Gravity as a consequence of shape et son livre d’essais Imperfect Fit a été publié par les presses de l’Université d’Alabama.

© Crédits photos Paige Mitchell.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Autres lectures

Le poète, l’ingénieur et le mathématicien

Présentation et traduction : Marilyne Bertoncini L'extrait de Black Bottom que nous présentons peut être lu (et écouté) sur l'excellent  site de Lyric lines. L'auteur, Allen Fisher, a publié [...]




Le poète, l’ingénieur et le mathématicien

Présentation et traduction : Marilyne Bertoncini

L'extrait de Black Bottom que nous présentons peut être lu (et écouté) sur l'excellent  site de Lyric lines. L'auteur, Allen Fisher, a publié 150 ouvrages environ, dont des poèmes expérimentaux, des collages, essais, sur l'histoire de l'art et les sciences. L'article (dont nous publions parallèlement la traduction) explicite les liens établis par l'auteur entre les formes poétiques et les théories scientifiques contemporaines.

Ce passage du poème  Black Bottom (dont le titre évoque les quartiers noirs,  la danse acrobatique et comique contemporaine du charleston...) illustre  ce qu'il préconise dans ce qui nous semble être un "art poétique" pour le siècle de la physique quantique, qui remet en question nombre de "vérités" communes.
A travers  le débat  humoristique et surréel entre trois "spécialistes" (le poète, l'ingénieur et le mathématicien) abordant un phénomène (les états de la glace), chacun avec sa propre vision du monde et son  propre langage, il rend sensible au lecteur un monde  où règnent  l'indétermination (des cadres, ou des personnages) -  l'éclatement des frontières entre les éléments, les lieux, les temporalités - la volontaire "décohérence" de la logique du récit, l'insolubilité et inanité de la recherche d’un sens unique et véridique,  le maintien d’une totale incertitude,  les cassures, échos et interférences,  dans cet "état enchevêtré" que l'auteur décrit dans l'article comme une métonymie de civilisation brisée ou de devoir social détérioré. Elle est ici réalisée comme  une conséquence de la rupture impliquée, en particulier dans le post-collage et dans la poétique transformationnelle, où la forme du texte a été rendue possible grâce à une série de transformations. Au niveau des mots du texte, par exemple, des transformations peuvent être utilisées pour créer des liens entre les mots, des modèles de connexion, par l’utilisation de sons (rimes), de sens comparables (rhétorique), de discussions ou de perturbations du sens (poétique) et de collages imparfaits (que l’on retrouve dans la plupart des genres, y compris la poésie, la peinture et la comédie). Le produit fini a donc subi une série de ruptures et de  transformations. Parfois, cette série implique une modification, une rupture planifiée et une réparation fortuite, parfois l’œuvre utilise une perturbation collagique de l’espace-temps, et souvent le collage de différentes parties simule la continuité. Dans le post-collage, une œuvre visuelle peut subir une nouvelle présentation et se transformer en une nouvelle image.

L'ingénieur ratisse le sable pour couvrir

les brûlis d'huile sur le chemin

du moulin à vent. Il répand de la cendre sur la neige

et remonte sa montre.

Un homme en imperméable

Descend le chemin en tapant sa canne.

Il récite du Gongora.

Ses oreilles brûlent.

Il voit les bras du Photographe autour du tronc d'un orme.

On distingue une main : elle tremble.

Entre ses mains il dessine un équateur

son corps est une sphère d'énergie

peut-être égale à l'orme sans

limites atteignables

jusqu'à un noeud dans un espace à six dimensions.

Blake ferme sa porte

lentement tourne une clé

dans une serrure délicate

puis écoute.

Six espaces ?

Un mathématicien, un poète et

l'ingénieur sont assis une table de correspondances

sur la grande route

pour analyser la glace.

Le mathématicien ouvre un exemplaire anglais de

Klopstock, 1811.

On peut calculer la vitesse de la marche à partir des

empreintes

une séquence alternée de pied-arrière-pied-arrière-arrêt

se lit comme un pied prêt à faire surface pour supporter

le poids du corps si le pied d'appui glissait.

De temps à autres, la salive a gelé formant des disques sur le chemin.

L'espace à six dimensions est une illusion, dit le poète, c'est

Un bruit parasite, stratifié à chaque instant.

L'information, note l'Ingénieur, transmise sur de longues

périodes de temps, se détériore.

Le bruit peut être chaleur ou rayonnement, n'est-ce pas ?

Ce peut être un produit chimique mutagène. L’horloge

Moléculaire tourne plus vite que la génétique, elle s’appuie

sur le bruit pour tenir sous contrôle l'introduction de nouveautés.

Vous voulez parler d’équilibre entre conservation et changement radical ?

Qu'est-ce que ça veut dire ? le Poète semble irrité.

Il y a des problèmes de mesure et d'échelle.

Et d’imagination, ajoute le Poète.

Est-ce qu'on parle, demande l'Ingénieur en s'adossant à sa chaise,

De résilience, de persistance ou de résistance ?

Les perturbations doivent être exprimées spatialement, le mathématicien

se tourne vers le poète, tes richesse, connectivité et

interactivité créent de l'instabilité. Selon mes preuves

on peut observer une stabilité locale.

Mais vous ne prendrez pas conscience de la complexité de l'observation en tant que

participation.

Cela ne me concerne pas, dit le mathématicien, Avec

la destruction successive des individus. Des générations entières

se traîneront sur la Terre. Toutes les volontés se cumulent

pour former des schémas de destruction. Nous sommes ici pour examiner

la glace, les fissures et la forme de ce grand nuage

de points de vue.

L'énergie et le temps ne peuvent pas être mesurés simultanément, comme vous le savez.

Depuis le nuage, on peut intégrer une variable

pour obtenir la probabilité de l'autre.

Je suis à égalité avec ce que je vois, dit le Poète.

Non, interrompt l'ingénieur.

Le poète se tourne vers l'ingénieur, votre système

est acceptation de la mort.

Le mathématicien éclate de rire, dans le chemin vert

brillant de roseaux d'or à gauche, un

orage éclatant à droite, il galope vers la débauche de fleurs

qui émaillent son Paradis.

Les melons sont plats, prêts à être servis, les renoncules

ont des tiges droites, les framboises

se jettent dans des paniers entre les buissons.

L’baleine du mathématicien sort visiblement de ses narines

Et gèle sur le plateau de la table.

Sans perception réfléchie, ce qu'il voit

Se répète et tremble.

Je monte à grandes enjambées sur cet avion, j’ai le vertige,

jusqu'à ce que je provoque une profondeur horizontale.

Je peux briser cette glace, cet enchâssement subliminal:

Je peux empêcher l'expiation de votre sommeil et

freine votre euphorie.

Le mathématicien passe outre tout cela, il marche sur la glace

Pour observer sa structure

comme si ses cristaux concentraient son énergie pour penser

L'Ingénieur traverse sa contemplation en marchant

Pour détruire cette illusion. Le mathématicien observe

à travers son pare-brise, puis iélate d rire.

J'interroge, dit le Poète, la temporalité du récit,

et j’utilise ses plans pour rendre leurs rapports obsolètes.

L'ingénieur soulève un paquet et le porte à la table,

Un millier de fils de certitudes, dit-il. Tenez les amis

et aucun d'entre eux ne pourrait les briser.

C'est une illusion du futur, soutient le poète.

Le Photographe l’interrompt, Nous rejetons

le stoïcisme qui est vanité. Tout ce qui empêche la lucidité

et entrave la confiance, fissure le présent.

C'est une bobine de film, plaisante l'Ingénieur, qui renverse

son thé. Sa tasse laisse un cercle blanc. Le mathématicien

commence à y dessiner une tangente. Le photographe griffonne

une liste de courses sur la ligne tangente,

il écrit, HYPNOSE,

en travers de l’exemplaire de l'interprétation

des Rêves du mathématicien. J'ai récupéré l'un des volumes de Klopstock

annotés par Blake . Je pleurais

et je ne saurais dire si c'était de joie

ou de chagrin d'étonnement

Dans un plaisant désordre

Nous nous démolissons les uns les autres

Le mathématicien et l’ingénieur se mesurèrent dans

un bras de fer en travers de,

ce que l'Ingénieur appelait, la table de concentration.

Un orage plana sur la High Road alors que je pédalais

jusqu'à la passerelle pour m’abriter...

photo © Paige Mitchell

Présentation de l’auteur

Allen Fisher

Né à Londres en 1944, Allen Fisher est poète, peintre, éditeur, professeur et performer. Ses œuvres, exposées dans de nombreux musées et galeries, font désormais partie des collections de la Tate, de King’s College Archive, du Living Museum Iceland et du musée Hereford. Dans les années 70, il a fait partie du groupe britannique de Fluxus. En 1978, Allen Fisher a commencé sa carrière de peintre. Après avoir passé vingt ans à travailler dans l’industrie du plomb et du plastique, il a obtenu un poste d’enseignant en art, histoire de l’art et poésie à Goldsmiths’ College dans les années 80. En 1989, il a commencé à enseigner à Herefordshire College of Art & Design, avant de devenir directeur du département d’art de Roehampton University en 1998. En 2002, il y est devenu professeur de poésie et d’art, et en 2005, il s’est vu offrir le poste de directeur des arts contemporains à Manchester Metropolitan University, où il est désormais professeur émérite de poésie et d’art. En 2017, son livre PLACE a été réédité, ses poèmes choisis ont été publiés par Reality Street sous le titre Gravity as a consequence of shape et son livre d’essais Imperfect Fit a été publié par les presses de l’Université d’Alabama.

© Crédits photos Paige Mitchell.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Autres lectures

Le poète, l’ingénieur et le mathématicien

Présentation et traduction : Marilyne Bertoncini L'extrait de Black Bottom que nous présentons peut être lu (et écouté) sur l'excellent  site de Lyric lines. L'auteur, Allen Fisher, a publié [...]