Amir Parsa, Littéramûndi

Né en Iran en 1968, Amir Parsa, appartient à cette génération d’auteurs particulièrement rares, pour lesquels un monde meilleur est encore possible et que l’on aime arpenter, en dehors de tout préjugé ou de chapelle convenue. Il réside actuellement à New-York où il est professeur et directeur des études interdisciplinaires au Pratt Institute.

D’expression américaine, française, persane et espagnole, ainsi que des combinaisons hybrides ; il mène une œuvre patiente et méthodique qui met en perspective toute forme d’appartenance nationale, culturelle et poétique. Ensemble polyphonique et polysémique, son entreprise littéraire et poétique façonne de nouvelles formes structurantes, en portant la trace de nouveaux itinéraires d’écriture. Il a publié tout récemment deux ouvrages pour le moins novateurs et audacieux, intitulés Lïtteramûndi (prolégomènes à une Nouvelle Littérature Mondiale)

Qu’est-ce que la littérature mondiale ?

On doit la fameuse expression à Goethe, sous l’appellation usitée, de Weltliteratur, que l’on retrouve à plusieurs reprises dans son journal intime daté de 1827. Depuis l’eau à couler sous les ponts, et il faut reconnaître que ladite expression si elle demeure emblématique d’un certain idéal n’en demeure pas moins quelque peu confuse, voire inaudible pour un grand nombre de lecteurs et de locuteurs avertis. Pour les chercheurs Christophe Pradeau et Typhane Samoyault, « la notion de littérature mondiale, aussi, n’est pas la détermination interne, où l’adjectif viendrait dire l’attachement variable de l’œuvre au monde ou les usages du monde en littérature », mais encore : « L’idée d’une littérature mondiale serait-elle venue d’une culpabilité à l’endroit de la pluralité et du divers, comme une rétroversion du mythe de Babel ? » Bonne question en effet !

Amir Parsa, Littéramûndi (prolégomènes à une Nouvelle Littérature Mondiale) Volumes I et II. Editions Caractères.

Babel quand tu nous tiens ?

Comme en témoignent les œuvres immenses et magistrales de Dostoïevski,

Tolstoï, Virginia Wolf, Robert Musil, Franz Kafka, Thomas Mann, Jorges Luis Borges, mais aussi James Joyce avec son Finnegans Wake, et plus proche de nous, Louis Calaferte, avec Ourobouros, dont les œuvres coïncident parfois avec l’accès presque désespéré d’un imaginaire de nature universelle, capable de marquer et d’engendrer de nouveaux territoires et logiquement de transgresser les frontières littéraires.

Pour Amir Parsa, là réponse est assez claire bien que quelque peu simplifiée :

« La vérité est autre, et pourtant tout est simple : tu écris en français, parce que tu dois respirer, comme tu viens de le dire. Pareil en anglais. Une question de souffle, mais aussi d’intérêt, de besoin de reformuler à travers ces langues qui font partie de ton être – qui t’ont conditionné et te constituent. Comme tout écrivain, tu écris aussi pour comprendre pourquoi tu écris, pour créer une réalité, pour percevoir, pour construire. »  (P.17) L’entreprise est périlleuse avouons-le car elle induit ou oblige plusieurs portes d’entrée, qui n’ont pas forcément la même serrure et signification, dont la lecture « linéaire » de l’œuvre quelle qu’elle soit est naturellement exclue. Dans ce cas précis l’exclusion vaut pour « forclusion », suggérant « le retrait du monde » ou à l’inverse le recours à la mise en scène en quelque sorte qui coïncide avec le martèlement des genres, mais toujours susceptible d’entrevoir « une réalité ». Une parmi tant d’autres, cela va de soi, comme un miroir à multiples facettes ou un kaléidoscope, jonglant adroitement avec ses masques. Mais l’auteur affirme également que la vérité est autre. Or restons terre à terre, quelle vérité hypothétique à conquérir, et qui plus est sous le régime de la transgression, peut (pourrait) s’accoutumer d’un sort incertain, y compris sur le plan sémantique et linguistique. Là encore une réponse est donnée : « L’écrivain polyglotte à son tour n’est pas moins sensible, ni moins maitre d’une langue, mais hyper-conscient des paramètres stylistiques, structurels et formels qui permettent les opérations. » (P.29). Ainsi l’écrivain, le poète, peuvent-ils être selon les circonstances, des « manipulateurs », parfaitement conscients d’une destinée toute autre où l’imaginaire foisonnant pose ses « marques » ici et là, comme une bête sauvage. Mais laquelle ? – « tout en restant chez soi ». (Page 29). A ce stade, on peut toujours imaginer que la littérature agit comme un « caméléon » parfaitement méthodique qui est capable de changer fréquemment de « masques » et de couleurs, pour s’adapter à toutes les circonstances. « Une rupture avec les rythmes de la vie, une rupture avec ses habitudes, une rupture avec les conventions », (P.30). Mais pas sûr justement ! En vertu d’une liberté dépassant les cadres et se mesurant au quotidien avec la force de l’intention et de la novation.

Un pari audacieux : Le dé-travestissement des langues-territoire !

On songe dans un même ordre d’idée au fameux Bodner Lab, initié par Jérôme David, professeur à l’université de Genève qui vise à offrir à plusieurs types de publics, une bibliothèque numérique de la littérature mondiale à partir de la Bibliotheca Bodmerania, et qui constitue une numérisation intelligente opérée via un flux opérationnel rigoureux en regroupant en « constellations », proposées, comme autant de portes d’entrées induisant l’imaginaire littéraire. « Des écrits d’auteurs dont les œuvres constituent maintenant (pour le meilleur et pour le pire), les classiques dans une certaine langue et un certain contexte, des histoires d’enfants, aux contes et aux grandes épopées nationales, tout un fil intertextuel traverse les écrits. A travers le perpétuel passage d’une littérature à l’autre… » (P.112), « L’authentique création de nouveaux mondes à travers les osmoses de mondes existants ». (P.112). Ainsi l’œuvre littéraire peut franchir la limite, toutes les limites de son propre imaginaire (décloisonné) en exploitant autant de paysages géographiques, que de paysages symboliques dont la régulation interne s’effectue par le seul mouvement dynamique de l’œuvre. « Esthétique et éthique du masque qui nous amène, poète des marges et des disparitions, à une liberté absolue ». (P.117). Et cette liberté si souvent contredite par les itinéraires empruntés, que vaut-elle au regard d’une liberté plus grande qui ne soit pas que « un support » écrit, et reproductible à l’infini, combinant toutes sortes de hasards ? On comprend alors, que la littérature ne prend sa liberté qu’au travers des manifestes et des théories qu’elle produit elle-même pour justifier d’un manquement normatif. Et si l’on ne peut parler ici d’anarchie, on peut toujours valider l’ide de déraison. « Tenter d’imaginer, ou même d’étudier, ce que l’auteur aurait fait dans la langue cible – tout en reconnaissant qu’il n’y a vraiment aucune manière de le savoir ou le vérifier. (P.124) »La traduction comme écriture imaginaire et projétante »  (P. 124). La traduction devient alors, une échappatoire sans risque, du-moins en apparence ou l’œuvre exerce son pouvoir d’attraction avec la langue de l’autre et en signifiant un public divers ouvert à toutes les propositions sémantiques, sans jamais être en mesure de filtrer les écueils pourtant inévitables de ce type d’entreprise au point de s’enivrer malicieusement d’une phraséologie immortelle, mais sans aucun dessein providentiel. Peut-on dire pour autant que la littérature mondiale est une parade insouciante du désir universel, sans autre objectif que d’activer certaines transmissions (ou simulations). La réponse semble moins évidente qu’elle n’y parait : « La littérature doit demeurer aussi ouverte que la sensation que génère le lac au milieu du désert ». (P. 182). En ce sens Amir Parsa, a su habilement démêler le vertige de l’impossible en bâtissant une œuvre complexe, que n’est pas qu’un simple exutoire mais une volonté puisant sa source au sein des grands Humanismes, sans jamais déconsidérer la force de l’abîme.

                                Le rythme m’emporte et le feu m’atteint
                                              Et je brûle dans les cendres
                                   le sang le sort de
                                               de la longue marche sans traces
                                  du poète glissant sur les parois
                                                invisibles… (page.184)

A lire absolument…….

Présentation de l’auteur

Amir Parsa

Né à Téhéran, Amir Parsa a fréquenté les écoles internationales françaises en Iran et aux États-Unis, a étudié à Princeton et à Columbia, vit actuellement à New York et dirige des initiatives trans/néodisciplinaires au Pratt Institute.

Écrivain, poète, traducteur, nouvelliste, concepteur culturel et commissaire d'exposition de renommée internationale, il est l'auteur de plus de vingt œuvres littéraires, dont Kobolierrot, Feu L'encre/Fable, Erre et L'opéra minora, un livre multilingue de 440 pages qui fait partie de la collection de livres d'artistes de la bibliothèque du MoMA et de la collection de livres rares de la Bibliothèque nationale de France.

Son œuvre littéraire - écrite directement en anglais, français, farsi, espagnol et divers hybrides - constitue une entreprise polyphonique radicale qui remet en question les attaches nationales, culturelles et esthétiques tout en façonnant des genres, des efforts discursifs et des types d'artefacts littéraires novateurs.

Bibliographie 

Lancée en 2016 avec Le Chaise (Oui, Le), les "clandestins" sont des œuvres caractérisées par leur diffusion clandestine.

En 2015, deux de ses livres ont été réédités par UpSet Press, Tractatüus Philosophiká-Poeticüus et Drive-by Cannibalism in the Baroque Tradition. La même année, il a lancé Seasons of the Manifestoes Global Barnstorm, un projet pluriannuel de conférences et de performances qui se produisent dans différents lieux géographiques et qui concernent un certain nombre de disciplines et de domaines émergeants. Il a été invité à donner la conférence annuelle Samuel H. Kress sur l'éducation muséale à la Frick Collection en juin 2015, tandis que The Multilingual Literature Manifesto a été présenté dans une véritable grange lors de sa résidence Marble House Project à Dorset, dans le Vermont, en août 2015. D'autres manifestations concernent des pratiques muséales innovantes (Museo Equis), des œuvres d'art radicales (les fondements théoriques de Le Chaise et de The Complete NothingDoings), des parcours artistiques aventureux (RiDE : On, le catalogue des trois premières années de la série Risk/Dare/Experiment qu'il a créée et conservée au Pratt Institute), ainsi qu'une nouvelle littérature mondiale et une nouvelle épopée littéraire.

Parsa a dirigé des conférences, des ateliers et des playhops plus traditionnels sur la poétique d'avant-garde, des projets d'innovation littéraire/artistique, et une réflexion sur la praxis de l'éducation critique et le design culturel dans des musées et des organisations du monde entier, notamment en Norvège, au Mexique, en France, au Brésil, en Inde et en Espagne. En tant que conférencier et éducateur au Musée d'art moderne, il a développé et dirigé des programmes, des projets et des expériences d'apprentissage pour un large éventail de publics, notamment les partenariats communautaires, Wider Angles, Double Exposures et l'expérience éducative singulière (EES) intitulée 1913 : That Year This Time - un cours multidisciplinaire qui s'est déroulé pendant douze heures dans les galeries et les salles de classe du MoMA. Il a également conçu et créé le programme PinG (Poets in the Galleries) au Queens Museum en 2007, le programme Rooftop Roars & Riverside R.

Avec des collègues, des étudiants et des amis, il a lancé ces dernières années le BookPub et le Translation Innovation Ensemble, entre autres initiatives, tout en menant des actions et des changements d'avant-garde dans les musées et l'enseignement supérieur à différents niveaux. Il dirige et orchestre également sa propre troupe trans/néo disciplinaire et littéraire/artistique/performative, The Elastic Circus of the Revolution.

Il travaille actuellement sur plusieurs séries et suites, dont La Pentalogia del Delirio, The Micro-Epic Decalogy et ¡ôwhatarevolution ! une suite projetée de onze pièces explorant, interrogeant et analysant la "révolution" politique par le biais de divers supports, langages, stratégies et discours. Il a été artiste en résidence au Musée d'art moderne de Bologne en juin 2015 et juin 2016, où il a travaillé avec un groupe de participants sur les cantos d'ÉPÏKÂNÕVÀ, son épopée littéraire polylingue en cours.

Les collaborations curatoriales, les performances, les pièces conceptuelles et les subversions de Parsa, ainsi que les projets photographiques, participatifs et d'exposition ont eu lieu dans un grand nombre de galeries, d'espaces publics et d'environnements. Dans l'ensemble et au fil des ans, ses livres, ses œuvres littéraires transgressives, ses fusions artistiques et ses interventions et perturbations néo-disciplinaires ont ébloui et déconcerté, enchanté et énervé, attiré les louanges et le mépris, et crevé les ballons de nombreux empereurs. Il a également opéré et s'est engagé dans divers théâtres artistiques, culturels et politiques sous plusieurs pseudonymes.

Poèmes choisis

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