Un Sicilien très français : Andrea Genovese

Andrea Genovese est originaire de Messine, mais vit depuis 1981 en France. Poète, romancier, dramaturge, critique littéraire, d'art et de théâtre, cet auteur dont l'arc est doté de multiples cordes a publié aussi bien en italien qu'en son dialecte sicilien et en français. Il a entamé un cycle poétique, tant en français qu'en italien, intitulé Idylles, dont deux recueils voient le jour dans notre pays cette année aux éditions  Cap de l’Étang : Idylles de Sète et Idylles de Toulouse.

J'avoue d'emblée ma nette préférence pour le premier. Un lyrisme discret traverse le livre, notamment dans la première partie, Flâneries estivales.

Géométrie mouvante
des bassins
dans leur plate splendeur
et truchement d'azur
voiliers enfermés
dans des bouteilles
pour qu'ils n'aillent nulle part
tout en rêvant d'océans




Andrea Genovese, Idylles de Sète, Cap de l’Étang Éditions, 2022, 88 pages, 19 €.




Le recueil évoque la ville, beaucoup le port, les canaux, la mer, les pêcheurs. Il est par ailleurs jalonné de photographies (beaucoup de reproductions de cartes postales anciennes en noir et blanc).

À la porte de l'azur
vibre le mât rouillé
du chalutier
le temps s'effrite dans l'attente
d'un chant de sirène
tandis que le goéland
descend en ronde
vers les écarts de poissons
dispersés à la mer

Sorte de photographie, aussi, le texte, dans une énonciation qui s'approche de la célébration. Avec parfois – réminiscence ou clin d’œil ? – des mots empruntés à des auteurs anciens. Ici, Musset :

 

Pâle étoile du soir / puis Genovese continue avec ses propres mots : énigmatique / à notre alphabet / inattingible

 

On notera l'emploi d'un mot plus rare que « inatteignable ».




La deuxième partie, intitulée Gradation du brisant de Sète, se divise en quatre poèmes : Matin, Midi, Soir, Nuit

On y retrouve les contours du chant : Un mât transperce / l'horizon dans la paresse de la mer. 

Ou encore : Aux aguets dans la dentelle rosée / de l'horizon le vaisseau des souvenirs / dérive au tintement des cordes. / C'est juste un frémissement de harpe / mais il pénètre comme une lame de couteau.  

La troisième partie a pour titre : Erotika Biblion et il ne fait nul doute qu'il réfère à l'ouvrage du même nom de Mirabeau, dont j'extrais ce passage :

Il suit de là et de bien d’autres causes, que je ne prétends point énumérer, que nos passions, ou plutôt nos désirs et nos goûts (car nous n’avons guère de passions), l’emportent, et de beaucoup, sur toute vertu morale. 
Parmi ces désirs, le plus violent sans doute est celui qui porte un sexe vers l’autre.


Andrea Genovese, Idylles de Toulouse, Cap de l’Étang Éditions, 2022, 150 pages, 21 €.




Le texte de Genovese, lui, comporte dix-huit poèmes, dont le titre commence invariablement par Vénus. Par exemple, le premier : 

Vénus du pont-levis

Sort de la gare
les cuisses dorées
et descend joyeuse
vers le canal.

On hume le parfum
des muqueuses
sous la jupe chantante.

Des oiseaux
défont les barrières
les écluses s'ouvrent
arrosant les bateaux.

Douce éclosion
quête rotatoire
d'un poème
sexuellement transmissible.

Femmes observées, femmes rêvées ou du souvenir, sous un angle délibérément luxurieux.

Suit Naufrage dans l'escalier, constitué de cinq poèmes proches de la prose (si ce n'était les retours à la ligne).

L'escalier qui monte du vieux port à la ville haute
raide en quelque point escarpé creusé dans la roche
étale un paysage défini par les couleurs vives
des canaux et de la mer. La plate étendue au large
n'a pas de rides même pas troublées par le passage
d'un cargo minuscule comme un jouet d'enfant.

Ils sont teintés d'une amertume (souvent la chute du poème) :

...D'un coup je m'aperçois
que ma tête tourne que les marches et mes pieds
ont disparu et avec eux la souvenance même
du pourquoi j'ai laissé les mots dérailler ma vie.

Et aussi :

Ni la parole ni la pureté géométrique n'assurent
aucune transcendance. Le grand voyage de l'esprit
demeure une opaque épopée de cellules cérébrales
baignant dans la soupe d'un rituel à jamais fixé.

Un exercice de style comprend le seul poème éponyme, très bref que je reproduis ici :

Poème liminaire volé par un goéland
et laissé tombé du bec en fin de parcours

Touche d'humour puisqu'il se situe à la fin de l'ouvrage, jouxtant une photographie de l'oiseau en question, fréquent à Sète.

Curieusement, le dernier poème (dédié à une certaine Gwenaëlle) est rimé, à quelques exceptions près, proposant quelques vers d'une grande beauté :

Oui je sais que dans le vaste domaine
des songes solitaire est la route
la quête d'un abord souvent vaine
le défi de l'amour une déroute.

                      ∗

La nuit a été chaude et orageuse
traversée de zébrures d'éclairs
où chevauchait la Grande Fileuse
arborant sa faux et sa colère.

                      ∗

Je vois d'un coup surgir le mirage
d'une pluie fine cadeau de la muse.
Qu'importe qu'il n'y ait pas d'équipage.
Ton sourire arc-en-ciel est le but du voyage.

Je conseille donc ce recueil, ce qui n'est pas le cas du suivant et je vais m'en expliquer. Tout d'abord, il y a cette obsession pour le sexe féminin et ce qui s'y rapporte. Non, je ne suis pas prude, mais ces occurrences sont un peu trop nombreuses à mon goût.

Au bord des lèvres / le buisson flambant / abîme néant // Cette mouille de sirène / m'enchaîne / au mât de l'aubaine // Je tombe à genoux / courir de ma bouche / la fleur de sa ruche // Nous enivre / de cyprine écrémée... (page 19), Dans l'ivresse nous avions / goûté à la cyprine dégoulinante (page 28), en effeuillant les pétales d'une vulve grasse juteuse (page 33), les bacchantes furieuses / nous poursuivent avec leurs clitoris (page 44), en soliloque / avec la cyprine / que son utérus / sécrète (page 68), Toutefois un poème se structure autour d'images qui s'échappent l'une de l'autre d'un gouffre qui a la forme d'un énorme sexe de femme. (page71), sa chatte fleurissait (page 72), sur  ton  joli     petit  conin (page83), plaisirs omnivores / joyeusement se consumant dans l'orgie / d'un univers de cyprine (page 104).

Pour ne pas être totalement injuste, quelques rares bons moments de lecture pour moi, ainsi in Sur le chemin de Compostelle I (Haïkus, si on veut) : Sur le vieux pont / une cariatide / galope sans brides ou ce  court poème, Le long des quais : Pluie / visitation du soir / le jour se défile / inaccompli

Mais que dire de ces mots dans La ligne ondulée du Capitole : tu en as marre je le sais de cette Hexagonie / sado-pédophiliaque / dirigée de tout temps par de bonnes femmes / putains royales ou républicaines / mais tu vas te faire accuser de machisme en le disant / et ils font vite à y ajouter l'antisémitisme et l'homophobie / ces espèces de connards châtrés / qui ont encagé la liberté de penser / aux trombones des trois religions monommerdistes / et ces grands coquins de la soi-disant laïcité / qui se grattent le nombril / tandis qu'ils devraient prêcher l'intolérance je te l'accorde / contre toutes ces chiffonnades de Livres Sacrés / que tu gardes dans ton WC prêts à l'usage

Guido Cavalcanti, ami de Dante, poète toscan du XIIIème siècle, fait l'objet de plusieurs textes de la part de Genovese. Ou plus exactement, Mandetta, qui à l'instar de la Beatrix de Dante, serait la muse de Cavalcanti. Genovese part en quête de cette femme que Cavalcanti aurait rencontrée à Toulouse. Les historiographes de la littérature pourraient s'intéresser à ces pages quelque peu austères, y compris dans leur forme poétique.

En conclusion et n'oubliant pas que tout jugement en la matière est subjectif, je dirais qu'Idylles de Toulouse est tout à fait dispensable, ce qui ne doit pas entacher Idylles de Sète dont j'ai dit le bien que j'en pensais.




Présentation de l’auteur

Andrea Genovese

Andrea Genovese est romancier, poète et auteur dramatique. Comme le poète latin Ennius qui connaissait trois langues, le latin, le grec et le dialecte osque, Andrea Genovese a trois cordes à son arc d’écrivain : l’italien, le français et le dialecte sicilien.

Né en 1937 à Messine, en Sicile, il s’installe à Milan en 1960 avant de partir vivre en France au début des années 80. En Italie, il exerce diverses activités politiques et syndicales, dirige un journal d’entreprise, dont l’anticonformisme témoigne d’un grand courage intellectuel, collabore avec différents journaux et revues, notamment le Corriere della Sera, le plus grand quotidien d’Italie, pour lequel il a écrit, ces dernières années, une centaine d’articles sur les expositions des musées français.

Il est engagé aujourd’hui dans un grand cycle narratif dont les trois premiers romans couvrent la période de 1944 à 1958 à Messine : Falce Marina (2006), L’anfiteatro di Nettuno (2007), Lo specchio di Morgana (2010). Le quatrième, en cours d’écriture, retrace les années 1959-60 à Palerme.

© Crédits photos Le Midi Libre.

Bibliographie

Romans

  • Lo specchio di Morgana, Intilla, 2010.
  • L’anfiteatro di Nettuno, Intilla, 2007.
  • Falce marina, Intilla, 2006.
  • L’arcipelago lontano, Pungitopo, 1986.
  • Mezzaluna con falcone e martello, Pungitopo, 1983 (réédition corrigée, 2009).
  • Croissant de lune faucon et marteau, traduction française de Andrea Iacovella, La Rumeur libre, 2011.
  • Dans l'utérus du volcan.

Poésie en italien

  • Nugae delle quattro stagioni, Pungitopo, 1985.
  • Mitosi, Scheiwiller, 1983.
  • Bestidiario, Scheiwiller 1977.
  • Un trenino per David, Edizioni di Sintesi, 1979.
  • Sexantropus e altre poesie preistoriche, Laboratorio delle Arti, 1976.
  • Odissea minima, La Sfera éditrice, 1964.

Poésie en sicilien

  • Schizzi, recueil inédit.
  • Tinnirizzi, Intilla, 1993.
  • Ristrittizzi, Pungitopo, 1986.

Poésie en français

  • Idylles de Messine, TNT, 1987.
  • Les nonnes d’Europe, TNT, 1986.
  • Paladin de France, Fédérop, 1985.
  • Lyonlamer, Verso, 1982.

Théâtre

  • Becquerêves 89, Prix Yves Goutal, collection Thème, Lyon 1990.

Œuvres théâtrales mises en scène

(Certains textes ont été traduits en italien par l’auteur).

  • La Transparence, mise en scène de Roland Chalosse. Théâtre de l’Agora, Lyon (mars 1989).
  • Becquerëves 89, mise en scène d’Angelo Aybar. Salle Paul-Garcin, Lyon (avril 1990). Reprise au Théâtre Maurice-Ravel de Paris (novembre 1990).
  • La Queue de l'oie, mise en scène d’Élisabeth Saint-Blancat. Théâtre des Clochards Célestes, Lyon (juin 1990).
  • La Queue de l’oie, réalisation de Catherine Lemire. Création radiophonique de France Culture (avril 1991).
  • Le Retour de l’espadon, mise en espace de Pierre Bianco. Théâtre des Célestins, Lyon (mai 1991).
  • La Vie de paroisse, mise en scène de Pierre Bianco. Carré 30, Lyon (décembre 1996).
  • Un papillon sur le mur, mise en scène de Jean-Marc Avocat. Carré 30, Lyon (octobre 1997).
  • Schisme, mise en scène de Pierre Bianco. Ciné-Théâtre du Vieux Lyon (janvier 1998).
  • L’Amour des trois oranges, mise en scène d’Alberto Nason. Adaptation d’après Carlo Gozzi, Théâtre des Célestins, Lyon (janvier 1999).
  • Le Déclin du poème, mise en espace de l’auteur. Théâtre des Célestins, Lyon (janvier 1999).
  • L’État d’incestitude, mise en scène de l’auteur. Carré 30, Lyon (janvier 2002).
  • L’Impromptu de Vénissieux, mise en scène de Pierre Bianco. Étoile Royale, Lyon (septembre 2008).
  • Idylle, mise en scène de Giorgio Carpintieri. Étoile Royale, Lyon (novembre 2008).
  • La Coda dell’oca, mise en scène de Gianni Fortunato Pisani. Festival de Taormine, 2008.
  • Il massacro degli Angioini (non représenté).

Poèmes choisis

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