Anna Malihon, Poèmes
Traduction traduction d'Ella Yevtushenko
Sans-abri
Notre maison est
un bateau abattu
qui continue à ramper sur la terre desséchée
comme un gros coléoptère confus
il remue les rames
fouettant la crème du brouillard
Et nous, nous habitions dans une ancienne machine à écrire
les braves bâtards de la grand-mère Cyrillique
le sang encore chaud sur nos pierres tombales
se souvient du style d’auteur
Et nous, nous étions des papillons célestes
vivant dans une cloche d’église
mais les sons noirs ont frappé
nous dispersant en cendres
Maintenant nous sommes
devant la porte rouge cerise
de l’église Saint-Paul-Saint-Louis
Et l’horloge du soleil nous fouille avec ses tentacules
Geneviève fait des bateaux à partir de demandes d’asile
les laisse descendre la Sequana
les lettres gonflent d’une moisissure lilas
Elle termine un appel important et hoche la tête
- Laissez-les entrer
***
Quel oiseau es-tu ?
Les yeux en sapphire. La poitrine en soie.
Toi, l’étoile de cartes postales, la reine de timbres…
Pourquoi restes-tu là, sur la ville assiégée, sans partir ?
Qui te prendra ? Ils ne sont que des êtres humains
habitués aux pinsons et aux canaris intérieurs.
Chantes-tu pour les nôtres ? Ou bien pour les autres ?
Quels enfants protèges-tu discrètement des pattes sales maraudeuses ?
Petit oiseau, étoile, sorcière verte,
regarde, la fumée recouvre ta maison…
Sur la carte déchirée une goutte de sang résonne.
Oiseau, chante. Lorsque les nuages noires s’écument,
que s’étend le fil, se répand le son,
que la lune se précipite au-dessus du jardin,
que les corbeaux lui apportent l’automne blessé sur leurs ailes,
ta chanson coule le long des flèches d’églises.
Tu n’as rien dans ton petit bec que des sons bleus
dont tu as hérité comme des malédictions.
Les humains ont pris ta gloire, ton amour, ta fortune,
ô oiseau voyant, – alors tu ne les laisses pas dormir,
incapable d’ailleurs de réveiller aucun d’eux.
Voici ton renard apprivoisé et ta rose,
voici tes forêts denses et le treillis des jours calmes…
Qu’attends-tu d’eux ? Ce sont des morts,
laisse-les dans leurs guerres parallèles, leurs rêves et leurs films.
Aime toi-même et dure jusqu’à l’été, dure
jusqu'aux premières convulsions pour ce pays déchiré.
Ne reviens pas… ils ont leurs propres lois.
Mais l’oiseau s’envole au-dessus des terrils,
laissant tomber dans la nuit une plume émeraude
***
Cette forêt sur la ligne de défense
plus de noir que de vert
plus de sibilantes que de voyelles
Les âmes allongées de couleuvres suspendues aux branches nues
comme des points d’interrogation
la mousse attaque et avale les bêtes
un oiseau tremble entre les détonations
telle un ton chaud
Quelqu’un parle aux arbres
en silence
comme des femmes solitaires parlent aux pots de fleurs
et quelqu’un d’autre met des bandages sur l’herbe brûlée
Tout devient jaune et solide comme du bois
les sols sableux se fracturent
comme des biscuits
Mais les serpents sauvés font des nœuds sur les fissures
afin que nous venions au moins encore une fois et fassions l’amour
comme des bêtes sauvages
de sorte que les aiguilles de pins collent à notre peau
ainsi que les lourdes pivoines des nuages en haut
Cette forêt sur la ligne de défense oh cette forêt infernale
si peu de vert