Anne-José Lemonnier, Au clavier des vagues
Le nouveau recueil de Anne-José Lemonnier est une variation en bleu. Après sa belle méditation contenue dans Polyphonie des saisons (éditions Diabase, 2018) autour de la figure d’une grand-mère aimée, la voici de nouveau face à l’immense : un océan qui lui donne le sentiment de vivre, chaque jour, un matin du monde.
La parole d’Anne-José Lemonnier est rare. Son précédent recueil de poésie (Archives de neige, éditions Rougerie) date de 2007. On accueille donc avec d’autant plus de curiosité et de sympathie ce qu’elle a à nous dire sur son propre univers (« Ame ravitaillée/à la table de la beauté »). Car nous sommes, ici, en permanence, dans l’exercice de contemplation scrupuleusement arrimé au passage des saisons. La poétesse sculpte avec des mots toutes les variations saisonnières qu’elle saisit sur la baie au bord de laquelle elle vit. Nous sommes en presqu’île de Crozon, au bout du bout du Finistère, et quelques lieux surgissent au détour des pages : Pentrez, plage de Goulien, Cap de la chèvre, pointe de Dinan, Les Tas de pois…
Anne-José Lemmonier, Au clavier des vagues, éditions Diabase, 92 pages, 12 euros.
Si elle sculpte ses phrases, Anne-José Lemonnier leur donne aussi une couleur. A la manière des peintres, elle rehausse le tableau en jouant sur le bleu. Car de même qu’il y a le bleu de Delft ou le bleu de l’artiste Geneviève Asse (dont elle parle à la fin de son livre), il pourrait y avoir, au niveau de son écriture, la révélation d’un bleu particulier : le « bleu réfléchi des anses », le bleu serein » de la baie, « le bleu translucide ». Et même, sous sa plume, « les chats ont les yeux bleus/pour voir au diapason du ciel et de la mer ». Bleu encore, celui des jacinthes du jardin. Et quand vient l’hiver, « le gel arrime/le bleu/à sa pureté/originelle ».
C’est ce bleu qui lie la poète à une nature dont elle s’abreuve quotidiennement. Nature familière, nature complice, nature consanguine. La voilà, en effet, le printemps venu, qui s’en va « demander/à chaque lieu aimé/comment il a vécu l’hiver/aux hordes sauvages de vent ». Et pour mieux souligner l’amplitude de ces lieux qu’elle arpente fidèlement, elle a ces mots : « Entre le quotidien et l’infini/il y a du bleu et rien d’autre/myosotis et atlantique ».
Face à la mer, saisie par l’amplitude des lieux, Anne-José Lemonnier nous parle d’une « pureté de Genèse », « d’accents bleus et blancs de résurrection », de « quatrain de lumière ». Elle nous laisse entrevoir un paradis dont il importe, comme le disait le poète Novalis, de « réunir les traits épars ».