Annie Salager, Pressentiments obstinés…
Quelquefois on rêve
d’un ruisseau au temps de l’enfance
et d’un champ près de lui,
il était tout de poésie
et un ciel nourricier
répandait ses flûtes de lumière
dans la vigueur des feuillages
tandis qu’il caressait l’herbe du ruisseau
Aujourd’hui ou demain sous un ciel
que parfois on veut croire illimité
sans vouloir admettre que
lentement il s’étouffe, menace, et
où la vie peu à peu va vers son extinction,
naîtront peut-être des mots neufs
encore peu audibles pour un chant à venir…
Pour survivre ils auront choisi
d’abandonner la guerre des étoiles
et les conquêtes de l’espace etc.
tant de fuites aveugles en avant
et de fertiliser enfin la musique
et la longue geste du vivant
dans ses prairies et dans ses champs,
quelquefois on rêve à la vie demain
qui pourrait être la vie
si elle en embrassait la poésie
*
Le grand vivant
Partout le feuillage nouveau-né
balbutie au vent qui l’initie aux caresses du ciel
le babil de ses pousses vert tendre
immenses les arbres, enfantines leurs feuilles
les branches où danse un temps sans âge
avaient laissé leur vigueur exploser en bourgeons
et la lumière par-dessus nos têtes
s’était muée en vie qui nous soulève
à notre tour du sol vers plus de jour
là où nous passons le plus souvent sans rien voir,
épris de notre suffisance et aveugles au grand vivant
qu’avec eux nous sommes, en nous croyant
encore d’un autre monde qu’eux …
*
Prier Déesse
Aussi fragile que coquelicots des fossés et des champs
aussi miraculeuse rémanente capricieuse
toi lumière, voilée dans les mots que tu habites
que tu crées et assoiffes d’un désir de beauté
sans cesse renaissant toi née en nous
d’une première larme d’une première joie
habillée de tant d’idéaux que l’histoire
invente défigurés en haines
lumière qui es le véritable être de notre esprit
dans l’air que l’on respire dans le souffle de l’âme,
ne t’éloigne pas de nous petits humains en devenir
qui sentons partout monter les dangers !
*
Tout va changer…
C’est le printemps, tout va sûrement changer
pour nous qui écoutons avec si peu de sagesse
la nature depuis si longtemps
… les forêts de l’Amazonie et tant d’autres,
où les cultures indiennes ont été arasées
avec le plus sauvage et cruel mépris,
ne se sentiront plus déboisées défigurées
par des forces inconnues d’elles
venues de puissants réseaux financiers,
ni tant d’iles aux lagons bleus
noyées par la montée des océans…
Nous avons tant à changer
pour la survie du vivant
que nous continuerons ou
réapprendrons - qui sait ?- à aimer,
par exemple dans les humbles
métamorphoses des abeilles ou à
respirer dans le parfum des lilas blancs,
ça y est c’est le printemps
crois-moi, il faut - et c’est urgent -
je vais, tu vas sûrement changer …
*
Résister pour changer
Liés par notre respiration et notre souffle
à la nature où nos corps perçoivent parfois
l’immense champ de vibrations qu’est le réel,
écoutons-en aussi au fond de nous le silence,
il a créé l’être en nous qui sommes part d’elle
dame Nature, l’avions-nous oublié ?
C’est à partir d’elle encore aujourd’hui,
la mal écoutée, que viendront peu à peu
même en y croyant à peine
des coopérations nouvelles
et fertiles en bien des domaines
avec certain altruisme, qui sait ?
puisque sans lui tout lien s’avère impossible
entre meilleure qualité de vie
et combat du terrestre pour sa survie !
( l’assèchement des eaux et l’infécondité de l’air
qui certes détruiraient d’abord les plus pauvres
étant promis à tous, riches et pauvres )
Ce n’est pas à la science ni à la poésie
mais à notre prétention à tout dominer
du vivant qu’aujourd’hui il faut
que tu apprennes à résister Sapiens vite, vite !
*
L’invisible poème du terrestre
La terre assoiffée souffre
de la violence humaine
qui l’épuise l’assèche aujourd’hui
et l’esprit souffre de
son intelligence inadaptée au vivant
Existe-t-il pourtant
une autre beauté absolue
que la beauté évolutive
du vivant sur terre ?
L’esprit voudrait
se croire plus fort,
mais entend-il
le silence dans la parole
qui est en lui,
créée par lui ?
Toutefois du silence
l’écho chante toujours,
il dure au fond de nous
il est musique et chant dans
l’invisible poème du terrestre
et nous sommes en lui,
écoutons-le nous sommes lui
le chant du vivant et
nous sommes sa terre
*
Notre terre
Elle embrasse la beauté
du vivant tout entière
elle en est le chant profond
et tant nous sommes part de lui,
son chant, nous qui sommes ses yeux
nous qui sommes ses mots
qui sommes elle, la terre - vie,
plus forte que la mort
puisqu’elle alterne
le délitement et l’épanoui,
elle la terre - vie
nous demeure encore,
malgré savoirs et beautés,
encore presque invisible
comme si des millions d’oiseaux,
disparus chaque année,
tant et tant d’animaux faibles ou forts
expulsés d’où ils faisaient vie,
n’étaient pas avec nous une part de la diversité
qui nous semblait pourtant si chère …
*
Jeune animal
Aujourd’hui tu le sais
l’air, ce jardin de vie autour de la terre
à l’image de notre soif d’être
où le bleu ressemble à l’infini du rêve
- mais souvent figure ton besoin de puissance -
l’air n’est plus inépuisable, ni inaltérable,
et puisque tu n’es plus le roi de l’univers
tu découvres qu’il faut grandir et
comprendre pour ta survie la peur
qui t’aveugle, t’étouffe,
et reconnaître qu’il faut changer de vie
Ne remettons plus à demain,
jeune animal fragile de la faune terrestre,
ce qu’il est urgent d’inventer aujourd’hui
*
Partout, un cri de soif
Nous n’avons plus d’autre choix
que de lutter dès aujourd’hui
afin que le chant de la vie
ne devienne pas cri de soif
de la terre épuisée qui l’annonce,
inexorable cri de soif qui dessèche
l’incalculable beauté du vivant
où se crée ce qui nous assemble
Oui jamais depuis les premières cellules
sa beauté n’avait cessé de se créer
la science le sait bien aujourd’hui
sans que nous voulions le comprendre
ni affronter les conséquences
d’une société qui recherche autant
les gaspillages coloriés de liberté
qu’elle accepte de voir celle-ci s’effriter
Malgré les flambées de forêts
où nous commencions juste à admirer
le langage des arbres nos ainés - sans cesser
toutefois de détourner de soi-disant
inutiles cours d’eau au profit
des cultures intensives ni d’assécher
des nappes phréatiques en arguant
de l’urgence pour la consommation -
Malgré ça, que deviendront sous les
fontaines sèches l’éclat de rire des enfants
l’innocence du devenir
la joie des prés que butine l’abeille
sans qui la fécondité du vivant
disparaît, que deviendra le souffle
qui donne à l’esprit de renaitre
comme de la mort nait la vie ?
Devenons ce que nous ne sommes pas
tout à fait, la coccinelle renversée
luttant de tout son corps à carapace
pour se remettre sur ses pattes!
Nous sommes comme elle, minuscules
et si nous ne l’ignorons plus
nous nous sommes découvert au même
moment une puissance qui nous grise …
Ne robotisons pas le bel esprit
que la vie en nous a su inventer
existe-t-il là-bas ailleurs ou nulle part
existe-t-il sur d’autres planètes
une aussi belle phase du vivant
que celle où nous est devenu possible
malgré notre réalité infime
de penser la beauté et de vivre l’amour ?
*
Terra nostra
Ici ou là on épuise des nappes souterraines,
ici ou là des forêts brûlent,
incendies et boues d’inondations entassent
ici ou là la misère des humains par millions
et l’azur au-dessus de tous n’est plus
le pur espace qui semblait infini
Consommer est devenu le fils obscène
de son géniteur spéculer
et vengeance est la fille obscène
de sa vieille génitrice la haine
Ici ou là nous allons sûrement
nous appliquer à chercher comment
l’intelligence et l’esprit sont part eux aussi
de la biodiversité, et pour que l’humain
puisse survivre ici demain
nous allons sûrement leur donner
une vraie place en nous, plus humblement,
avant de tout démolir du vivant, ou non ?
*
Le cri du terrestre
Cri du terrestre, le voilà qui tombe
sur nous jour après nuit,
sur l’évolution du vivant
où s’inventent le temps la vie,
de l’air à l’oiseau, de l’eau à l’esprit
tout est liens choix de liens
adaptations et créations
parfaites et à la fois évolutives
qui sont comme nous parmi eux
l’absolu miracle du vivant
Ce cri, tombé sur nous comme sur tout
le terrestre dont nous cassons partout
l’harmonie avec inconscience et mépris,
du fric en fièvre aux forêts abattues,
saurons-nous entendre ce cri ?
Là-haut voici soudain la lune pâle
dans l’éclat du ciel bleu d’avril
pareille à une illusion d’être, pareille
à un nuage tout là-haut où elle nous apparaît,
comme la terre encore, de beauté revêtue !
* * *
in Le chant du terrestre (à paraître)