Annie Wallois, Versets de la marche
Annie Wallois vit à Lille, publiant poèmes et collages dans des revues et donnant des lectures. Elle est l’auteure de plusieurs recueils, seule. ((Du printemps(Éditions du Rewidiage, 1997) ; Les coulisses de l’œil(L’Oursine, 1999) ; Des nuages aux talons(L’Oursine, 2003) ; Hivernales(Éditions du Rewidiage, 2004) ; Sans penser(L’Oursine, 2008) ; Poèmes(Éditions Carambolage, 2008) ; Nuit rebroussée(Éditions Henry, 2011).) ou en collaboration avec Anne Letoré et Dan Ferdinande, ses complices des Dé/mailleuses ((Comme ça, au hasard la nuit(in Comme un terrier dans l’Igloo… dans la dune, 2005) ; T’as peau dire(Les Dé/mailleuses, 2007) ; Un train peut en cacher un autre(Les Dé/mailleuses, 2008) ;Trois fois rien c’est tout(Les Dé/mailleuses, 2009) ; Commises en demeures(Les Dé/mailleuses, 2011) ; À la volée(Les Dé/mailleuses, 2012).))
Les bons livres sur la marche ne manquent pas ((Citons : H.D. Thoreau, De la marche ; Jacques Lacarrière, Chemin faisant ; Jacques Lanzmann, Fou de la marche ; David Le Breton, Marcher : Éloge du chemin ; Bernard Ollivier, Longue marche ; Rebecca Solnit, L’art de marcher ; Yves Paccalet, Le bonheur en marchant ; Christophe Lamoure, Petite philosophie du marcheur ; Frédéric Gros, Marcher, une philosophie ; Emric Fisset, L’ivresse de la marche ; Tomas Espedal, Marcher ; Michel Jourdan et Jacques Vigne, Marcher, méditer ; Cheminer, contempler ; Jean-Yves Leloup, L’assise et la marche)), mais voici un livre de la marche : dans l’exigence propre à la poésie, « les mots quittent l’espace de la pensée ».
Annie Wallois, Versets de la marche, Éditions Henry, 2017. 71 p., 8 €.
L’auteure coule les attentes liées au mot versets dans une forme originale : en haut de chaque double page, un seul mot, suivi d’un paragraphe compact diversement aéré ; à droite, en italiques, quelques vers ou lignes, qui se résorbent dans le blanc. Germe, souffle, écho, silence : ce dispositif accueille d’autant mieux le lecteur qu’un tul’emporte dans son parcours de résonances brassant paysages, sensorialité, mouvements de conscience.
Comme en une quête d’incarnation, les mots d’ouverture énumèrent le corps : « cheville, haleine, sang, sueurs, souffle, talon, gorge, peau, échine, pied, ventre, poumon, pouls, dos, lèvre, visage, tempes, oreilles, genoux, muscles, cœurs, chairs, épaule, jambe, nerfs, artères ». Activé, travaillé, creusé, déverrouillé par l’effort – une des sept sections est nommée « Ahan »–, il se révèle « alambic »et «se remodèle en planète inconnue ».
Le monde en devient d’autant plus réel – intime et énigmatique. Le globe terrestre, en mouvement lui aussi. La saisissante diversité de la lumière, des paysages, des éléments, du vivant – y compris, sous tes pas, « la population des minuscules ». Ton ombre, « le clair-obscur de ton existence ». Toi, « désormais simple caisse de résonance au battement dénudé du temps ».Et l’inconcevable ensemble :
ta vie funambule jusqu’alors tenue dans un halètement
se sent emportée dans la respiration universelle
Il y a aussi les autres. Ceux que convoque une rencontre – « Il en vient de partout / des visages à feuilleter / Derrière un visage croisé » –ou qui surgissent à n’importe quel moment : « un maquis de roches que le regard taille en visages ». Ceux qui ne partagent pas « ton envie de t’affranchir du carcan de te quitter », les foules urbaines, anonymes et mécaniques – « pas un mot ne sort des visages taillés dans le bronze ».Enfin, dans le rêve fondamental de l’unité humaine, « le chœur antique des peuples qui vibre au plus profond »– auquel appartiennent déjà ces exilés, « visages cuivrés dos tatoués d’étoiles », quiinterrogent si puissamment notre époque.
Nicolas Bouvier – il n’est pas le seul - voit dans la marche « un processus de connaissance et d’illumination ((Nicolas Bouvier, Routes et déroutes.))». Annie Wallois nous montre que telle est aussi la poésie, qui nous invite à « chercher le chemin que nul ne connaît ».