Antoine Arsan et son « éloge du haïku »

Encore un essai sur le haïku, direz-vous ? Le genre poétique n’en finit pas, en effet, de susciter commentaires et appréciations de toute nature.

Avec le livre d’Antoine Arsan, publié dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard, on aborde le haiku par le biais « civilisationnel », comme l’a déjà fait le Brestois Alain Kervern dans son Histoire du haïku (éditions Skol Vreizh) et dans La cloche de Gion (éditions Folle avoine).

Antoine Arsan, pour sa part, souligne la rupture entre l’époque d’Edo (qui commence vers 1600) et les temps qui ont suivi l’ère Meiji (1868-1912). Chaque période a sa façon à elle d’appréhender le haïku. Dans la première, selon l’auteur, le haïku participe profondément de la culture japonaise notamment dans sa dimension spirituelle (même si on ne peut le réduire à cela). Dans la seconde, le haïku s’ouvre au monde, s’ouvre au « je » : le poète devient véritablement le témoin des troubles de son temps, ce que n’étaient pas les ermites ou les moines pérégrins de l’époque d’Edo. Du fonds de la pivoine/sort l’abeille/a contre-cœur », écrit Bashô au 17e siècle. Tandis qu’au 20e siècle, un haïjin japonais peut écrire :

  Dans un coin de mon ventre
il y a le ciel
de Pearl Harbour.

Rien de trop, éloge du haïku, Antoine Arsan, Gallimard, 95 pages, 11 euros.

Rien de trop, éloge du haïku, Antoine Arsan, Gallimard, 95 pages, 11 euros.

Antoine Arsan détaille, bien sûr, dans son livre tout ce qui fait le charme du haïku : son grain, son timbre, sa tonalité si particulière, sa capacité à cultiver l’intériorité, le lâcher prise, sa sensibilité au cycle inaltérable des saisons, son humour, parfois sa trivialité, son art de la divagation et à faire « vivre l’éternité en restant terre à terre ». Tout cela été développé par de nombreux essayistes mais il sait l’exprimer avec beaucoup de talent.

La poésie occidentale est-elle «  haïku-compatible » (permettez ce tic de langage contemporain) ? Difficilement, estime l’auteur, eu égard à « l’écart des cultures » du moins quand il s’agit du haïku classique.

Nous vivons dans une civilisation née d’un Dieu créateur où l’homme se perçoit comme un achèvement des espèces et se flatte de s’être détaché de la nature, ce vieux foyer de paganisme, avant de l’avoir dominée », estime Antoine Arsan.

Au Japon, où la Création ne signifie rien, la nature est sacrée depuis les origines.

Il n’y a que de rares exceptions en Occident. L’auteur souligne en particulier ces « collines, sources, bois sacrés » qui participaient de la civilisation des Celtes. Sur un autre registre, il rappelle que chez nous « le poète change l’ordre établi, on attend de lui un nouveau regard sur le monde alors que le haïku s’inscrit dans le quotidien sans relever de l’historicité ».

Ce profond fossé culturel amène Antoine Arsan amène à considérer que le poème court peut être cet « avatar du haïku » parce que « plus accessible, moins ambitieux que le haïku, il est à, la fois école de légèreté et apprentissage permanent, long cheminement qui permet l’errance du regard jusqu’à rencontrer le caillou blanc ». Et il cite à tire d’exemple ce poème court d’Octavio Paz :

Crépuscule
l’oiseau sur la clôture
un contemporain.

Cet « éloge du haïku » maintient donc surtout le haïku dans le terreau qui l’a vu naître, ceci en dépit d’un constat que l’on peut faire aujourd’hui : la mondialisation galopante de ce genre poétique.