Béatrice Libert, Comme un livre ouvert à la croisée des doutes

Une note en postface nous apprend que ce livre s'est construit durant le confinement de la façon suivante : Laurence Toussaint, cloîtrée dans sa maison de campagne et faisant une promenade quotidienne autour d'un étang, envoya une photo à Béatrice Libert qui lui répondit par un poème. Le principe était lancé : une photo suivit auquel un poème fit écho, ainsi de suite jusqu'à constituer un livre d'artistes de 56 images accompagnées de 56 poèmes, publié en 2023.

La seconde édition, courante, nous donne à lire les poèmes, cinq reproductions photographiques seulement figurant à l'intérieur de l'ouvrage (en sus de celle de couverture). Celles-ci signent la présence de l'eau (la promenade autour de l'étang) mais sont aussi un éloge de la lumière et de ses variations.

Le livre est encadré par deux citations de Christian Bobin : « Ce qui ne nous sauve pas immédiatement n'est rien. » en exergue et « L'art de vivre consiste à garder intact le sentiment de la vie et à ne jamais déserter le point d'émerveillement et de sidération qui seul permet à l'âme de voir. » en fin d'ouvrage. Voilà qui pose la tonalité (contemplative, sensorielle, de cheminement intérieur) : Une lumière qui tiendrait le pays / Comme on tiendrait la main d'un poème avec parfois des glissements mystérieux qui font que l'on reste songeur, laissant les vers flotter doucement, les répétant intérieurement : Partir est parfois une phrase si longue / Que certains n'en reviennent jamais.

 Si le poème est légèrement descriptif, évocateur plutôt, il s'accompagne souvent d'une interrogation sur soi, le monde, l'écriture, le sens...

Flambeaux drus d'avril
Promesses de Pâques

Écrire est-ce dédoubler le temps
Ouvrir un cahier d'eau

Faire sentinelle
Au bord du vide

Porter ce vide envahi d'azur
À son sommet d'incandescence ?

Béatrice Libert (poèmes), Laurence Toussaint (photographies), Comme un livre ouvert à la croisée des doutes, Le Taillis Pré éditeur, 2023, 96 pages, 15 €.

Nous voici donc dans un entre-deux : l'évocation du concret et la posture abstraite, intellectuelle et poétique : Debout sur l'aile de l'instant / Quel vertige nous saisit // Alors que la lumière / Joue à la marelle sur un arbre flétri ?

J'ai précisé les circonstances d'écriture de ce livre. Le confinement et ses conséquences sont bien là, en arrière-plan, dans ce poème par exemple :

Ce poids sur notre attente
Cette barrière invisible dans l’œil

Ce cadenas posé sur nos voyages
Cette frontière fermée à tous les horizons

Nous aimons leur donner
L'empire d'un nouveau langage

En levant chacune de ces limites
En nous disant « Le monde c'est toi ! 

C'est alors une attention plus grande portée au monde accessible, au proche : Il nous arrive quelquefois / De regarder ce lent bocage // Comme si c'était la première fois / Comme si nous étions photosensibles et cette acuité renouvelée mène à des associations : Ce n'était pas un paysage / Qui se lisait sur l'étang // C'était un tableau de Magritte / Peint par un nuage qui passait, un regard qui va du dehors au dedans : On jette l'ancre puis on écoute / Les voix qui nous traversent  dans une durée qui se trouve modifiée : Et voici que l'instant / S'est lentement dissous ou encore : La journée a eu lieu on ne sait trop comment / Mais elle a traversé l'immense et le peu // Comme si les heures n'existaient plus / Sinon pour le plaisir des seules horloges

Bien sûr, la nature est omniprésente (rappelons que le prétexte est une promenade autour de l'étang) et elle renvoie à notre incomplétude :

Après les pluies orageuses
Les arbres ont gonflé leur voilure

On se disait qu'ils réagissent mieux
Que nous aux éclats des intempéries

Leur faconde interpelle le ciel
Et la confiance demeure leur viatique

Nous nous avons les bras coupés
Comme par une ombre nostalgique

 J'aimerais conclure par ces trois vers qui, à mon sens, reflètent l'esprit du livre :

Peut-être ne faut-il plus rien dire
Ne rien penser ne rien écrire

Simplement respirer respirer

Présentation de l’auteur




Béatrice Libert, Battre l’immense

Comme le dit l’argumentaire, ce recueil « réunit des pages  écrites par une femme éloignée de l’homme qu’elle aime L’attente et la poésie deviennent sa nourriture spirituelle ». Le poèmes est court, le vers bref (parfois réduit à un seul mot : « L’enchantement », p 12). Cela ne va pas sans conseils quand s’ouvrent le poème et le jour : « Eteignez la lumière/Ouvrez votre visage/Laissez-les éclairer votre nuit » (p 15).

Béatrice Libert, Battre l’immenseEditions de Corlevour, 80 pages, 15 euros. Dans les bonnes librairies.   

Parallèlement, la nuit naît une réflexion sur l’écriture du poème : « … un mot plus un mot/Plus un mot ne fait guère un poème/A peine une lettre d’amour//Juste un télégramme de survie » (p 17). Mais Béatrice Libert ajoute (p 24) : « Du texte inachevé/Lève un nouveau poème//Qu’inachève une langue/Où boîte un corps défait ». Il est vrai que Béatrice Libert se pose de nombreuses questions (p 26). Mais c’est pour mieux apporter des réponses : « Les pierres et les mots remplissent notre vie/Les unes pour la fermer les autres pour l’ouvrir » ou encore « Où le vent malgré sa surdité/Ranime quelquefois un semblant de poésie »  (p 27).   Les mots du poème servent à cicatriser, belle leçon de thérapie ! (p 30). La poésie se fait injonction au lecteur (?), à l’autre qu’aime Béatrice Libert : « Creuse/Dans le poème/Ma vie ! » (p 38). Mais qu’est cette huile essentielle de la miséricorde  (p 41) ? Que vient faire l’âme dans le poème (p 44) ? Que sont ces invisibles versets (p 58) ? J’ai longtemps pensé, en lisant ce recueil, que l’italique employé marquait des citations (mots, vers ou titres), jusqu’à ce que, pages 22 et 47, les inscriptions Pessoa et Louis Aragon  en bas de folio viennent me détromper. Il me faudra attendre la page  70 pour découvrir la raison de cet italique ! C’est un peu tard….

Mais c’est dans ses poèmes d’amour que je préfère Béatrice Libert…

Présentation de l’auteur




Chronique du veilleur (33) : Béatrice Libert

 

 Béatrice Libert vit en Wallonie. Elle a publié pendant 40 années des recueils de poésie, des essais, des nouvelles, des œuvres pour la jeunesse. Ce qui vieillit sur la patience des fruits verts est une anthologie de ses livres de poésie d’une remarquable unité d’inspiration et d’écriture.

Béatrice Libert, Battre l’immense, (Editions de Corlevour), 15 euros

Elle parle elle-même d’une « ascèse douce » à propos de la venue du poème. La formule convient parfaitement à cette œuvre où simplicité, dépouillement et bonté se conjuguent quasi amoureusement. Elle sait capter « la force du jardin fragile » qui prodigue au gré des saisons « un pollen invisible / qui nous défend des barbaries. » N’est-ce pas le pollen même de la poésie qui se répand, pour autant qu’on sache lui laisser place ? Et ce pollen est si chargé de sacré qu’il concourt à une véritable semaison d’espérance.

 

                           Dieu s’était endormi sur la pierre

                         Visage serré contre terre

 

                         Les anges des forêts lui ôtèrent

                         Ses sandales ses habits empesés

 

                         Le posèrent nu ensommeillé

                       Sur la rivière qui partout le porta

 

                        Sans jamais l’éveiller

 

Béatrice Libert, qui sent son cœur « battre l’immense », titre de son dernier livre paru aux éditions de Corlevour, est un poète de l’accueil et de la douce compagnie. Elle reçoit les visites les plus impalpables, comme celles qui s’avèrent les plus ardentes, l’amour étant l’aventure la plus exaltante de toutes, flèche de feu lancée vers l’absolu.

                             Nous sommes

                             Le lieu même

                           De l’Amour

 

                           Son visage

                           Et son vase

                           D’opaline

 

                             Ses mains

                             Et son ciel

                           Sans pluie

 

                           Et ce qui

                           Claudique

                           En nous

 

                           Guérit

 

Béatrice Libert, Ce qui vieillit sur la patience des fruits verts, (Le Taillis Pré), 20 euros

 

Cet Amour absolu est sans doute sa vocation profonde. Il ne cesse de la surprendre et de la ravir. Quelle plus belle illustration que ce poème de «L’inattendue », paru originellement en 2003 dans Le Passant fabuleux ?

 

                             Je suis cette femme à la fontaine

                             Et qui s’accoude à l’été

 

                            A mes doigts

                           Oscille une cruche

 

                           Et deux grains de silence

                           Coulent de ma paume étonnée

 

Ces deux grains que nous recueillons à notre tour, déjà semence de lumière, sont comme une récompense.

 




Fil de lecture de Denis Heudré : Béatrice LIBERT, GUENANE

 

L'Aura du blanc

 

Dans ce rêve aussi, Béatrice Libert, auteure belge, ayant reçu en 2014 le Prix Jean Kobs de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, pour son recueil poétique Écrire comme on part, vient de publier aux éditions Le Taillis Pré L'aura du blanc.

Ce livre, loin de tout ésotérisme auquel le titre pourrait faire penser, met en miroir deux poèmes par page, le tout en sept vers (5+2 puis 4+3). Tout le charme de cet ouvrage est de placer, dans le blanc qui sépare ces deux textes, le halo qui les joint dans l'interrogation du lecteur. Béatrice Libert cherche plutôt à offrir un halo aux mots. Exemple de ce genre de poème-halo :

 

"Les mots où je dormais
Se sont éveillés à ma place
Et la nuit a rangé
Mes songes dans sa poche

 

Il suffirait de quelques branches
En fleurs et nous accomplirions
Le plus pur des voyages"

 

Peut être une clé pour les encres de Motoko Tachikawa qui Illustrent superbement ce beau livre. On ne sait qui influence l'autre entre l'illustration japonisante et écriture haïkisante.

 Hommage donc au blanc, à la poésie blanche : "Tout l'art du poème / Consiste à bien laisser / Monter les blancs en neige". "Les mots / Ont le vertige / Pour amant".

 

"Écrire
Déplier un paysage mental
Calligraphié d'absence
Où chaque mot m'enracine
Un peu plus dans l'humain

 

On passe sa vie à remuer des clefs
Qui n'ouvrent aucune porte"

 

La couleur blanche et son aura. L’aura du blanc qui ouvre le livre "Ouvrir un livre comme on se regarde / Dans le miroir matinal / Non pour se contempler / Mais pour se reconnaître inquiète à l'idée / De s'être trompée d'écorce ou de coeur".

Aura de l'aube "L'aube se déplisse / L'ombre boit son ombre / Et l'odeur des muguets / Donne un corps à la paix”. Grand blanc des "linges de l'aube". Evidemment, la lumière est toujours présente dans les mots de Béatrice Libert : "Au seuil de quel horizon / Poser sa lampe".

 

"La lumière a pris corps
Mailles du désir
Éveil d'oiseaux vifs
Et de lunes nacrées

 

Ne rien faire
Tout recevoir du vide
Et marcher l'aura du blanc"

 

Béatrice Libert évoque aussi son pays de neige parfois, le "Pays blanc replié sur lui-même"

Mais s'il ne faut chercher dans cet ouvrage aucun ésotérisme, l'auteure cherche cependant du côté du mysticisme "Le Dieu que tu cherches / Marche dans la rosée", "L'oiseau son chant d'où le tient-il / Quand l'ange tire de la nuit /  Le pas et la lumière des hommes ?", mais aussi du côté de la magie de la couleur blanche, synthèse de toutes les couleurs. "La couleur est la clef / De l'ombre"

Et ainsi, d'haikus en aphorismes, Béatrice Libert nous offre plus que l'aura du blanc, mais aussi l'écho du silence, à écouter en soi "La source du monde".

 

*

 

 

La Sagesse est toujours en retard

 

Des conseils aux jeunes poètes, il y a eu ceux bien sûr de Rilke, de Swift, de Max Jacob, de Jacques Roubaud aussi avec son lombric, et sûrement beaucoup d'autres. Il y a aussi Bernard Bretonnière avec sa Lettre à un jeune P. et qui pourrait faire mieux que moi la liste des poètes-ayant-écrit-des-conseils-aux-jeunes-poètes. Il y aura désormais aussi Guénane et son dernier ouvrage paru chez Rougerie : La sagesse est toujours en retard.

Je me méfie de ces tentations de dispenser son docte savoir en matière de poésie. Le mieux n'est-il pas pour un jeune poète de ne suivre aucun conseil. "N’écoutez les conseils de personne, sinon le bruit du vent qui passe et nous raconte l'histoire du monde." ce n'était pas un poète qui a dit cela mais un musicien (Debussy) .

Mais Guénane ne tombe pas dans ce travers du maître pouvant être suffisant avec son élève. Pas question pour elle de donner des leçons. Et donc quitte à passer pour un conseilleur de conseiller, je vous propose de découvrir la façon de Guénane de distiller avec légèreté et un grand recul sur ce métier de poète. Car cet ouvrage est d'abord et avant tout un ouvrage de poésie bien avant d'être un recueil de conseils. De la poésie donc du style, et un qui lui est très personnel fait d'images, d'humour et de rythme...

Quelques exemples de ces conseils de Guénane : à propos de la recherche de la finesse et la légèreté : "Mots cramponnés à la page / que n'avez-vous la grâce / des griffures d'oiseaux sur le sable."

A propos de la nécessaire introspection : "sens frémir ton câble intérieur / poète funambule danseur de corde /sur ta ligne de vie nul ne sait / si le balancier dépend du poids de ta peine. / / Voltige n'est pas le contraire de profondeur." Se déshabiller l'âme en nous séparant de toute sagesse "Sous nos dents / sagesse sais-tu comme tu grinces / sous nos semelles / sais-tu combien tu pèses?". Cette sagesse, bloquante aussi "Dur d'avancer avec de la glu sous la luge / et des barbelés dans la gorge."  Garder son enfance comme un trésor " Ne te retire pas de ton passé ... Toute la vie tu vivras avec l'enfance / retrouve-la dans un parfum qui passe / rejoins-la / elle brûle en veilleuse."

La sagesse nous intime de nous écarter du mensonge. Mais les "mensonges ne nuisent pas tous / certains embellissent". Et Guénane de conseiller : "Ne jamais se leurrer aux mensonges de l'autre / mais vautrons-nous dans les nôtres / ils sont actes de foi à la barbe de Freud."

Économiser ses mots pour n'en viser que l'essence : "Éviter d'écrire / la bouche pleine de mots / même si chaque soupir / a son mot à dire". Travailler les mots, ne pas se contenter du premier venu, aller les chercher au plus profond de soi "Écrire / se confiner / déraciner les mots". Jouer avec les mots : "Les marier / pas les épouser / les mots sont infidèles / trop souvent l'un se cache au creux d'un autre." "Saute la rime pas le rythme / les mots ne savent rien du monde / à toi de les nourrir !"

Réfléchir, s'interroger, mais ne pas asséner ses vérités. Il est bon de douter, aussi en poésie : "Dans le point d'interrogation / crains moins la question / que la chute. / La réponse seule souvent / gagne à rester muette."

Et pour terminer sur un dernier petit conseil pour les jeunes poètes : lisez, lisez, lisez Guénane bien sûr mais aussi tous les poètes que vous pouvez découvrir sur internet, dans votre médiathèque, dans une bonne librairie, à la radio, etc. Lisez, lisez toujours et écrivez, écrivez, raturez, écrivez encore et encore...