Béatrice Machet, Rafales

Au cours de ses récents voyages aux Etats-Unis, Béatrice Machet a effectué six marches sur les plages du lac Michigan, dont quatre au nord de Chicago et deux à l’est de Chicago. Elle a commencé son parcours en début d’hiver sur Forest Park Beach, située à environ 70 kms au nord de Chicago, puis elle est remontée jusqu’à l’Illinois Beach State Park, et redescendue vers le sud par Waukegan North Beach, dans l’Etat d‘Illinois.

Puis elle a parcouru « cinquante kilomètres à pied le long du lac Michigan ces derniers jours » (74), arpentant West Beach et Portage Beach à l’extrême sud du lac Michigan, à 70 kms à l’est de Chicago, dans l’Etat d’Indiana. Elle a terminé son sixième et dernier périple à la fin de l’hiver, de retour dans l’Illinois, sur Lighthouse Beach qui est située au nord d’Evanston, dans la grande banlieue nord de Chicago (cette sixième plage est difficile à trouver dans le livre car sa page de titre manque). Béatrice Machet chante ces six plages en 55 poèmes en prose et en vers libres entre lesquels s’intercalent neuf textes sans titres, la plupart servant d’introduction à chaque partie.

Ces six plages forment le territoire de la tribu Potawatomi/Neshabek, Première Nation qui, avec les Chippewa, Odawa, Algonquin, Saulteaux, Nipissing et Mississauga formaient la nation Annishinaabeg. Avant l’arrivée des Européens, cette nation du grand nordchevauchait les Grands Lacs de Montréal à Détroit, couvrant presque tout l’Etat de Michigan et la moitié nord des Etats de Wisconsin, Minnesota, et North Dakota, puis le Saskatchewan et la majeure partie de l’Ontario. La région qui s’étend de Saskatoon à Montréal couvre environ 3,000 kms de longueur sur 1,400 kms de hauteur, avec un centre important dans le nord du Minnesota. Ce territoire est bien connu grâce aux œuvres de Gerald Vizenor qui a en dressé une carte poétique très précise dans son recueil Almost Ashore.

Béatrice Machet. Rafales. Paris : Editions Lanskine, 2024. 92 p. ISBN 9 782359 631265. 15 Euros.

On ne peut pénétrer dans la culture des Natifs sans se situer vis-à-vis des quatre points cardinaux qui leur donnent une relation géopoétique avec la terre. Ainsi Béatrice Machet évoque-t-elle les quatre vents cardinaux dans un superbe poème chiastique, « Rafale 49 » (76) :

Vent.

                        Chinook.

                                             Squamish.

                                                                 Williwaw.

                                                                                                Souverain de

                                               l’espace entre ciel et terre entre ciel et

                                                                                                                mer.

                                                                                   Aquilon.

                                                           Auster.

                                   Eurus.

            Zéphir.

Les compagnons à travers

                                   l’espace.

En regard des quatre vents français cardinaux qui ont leur origine dans la mythologie grecque et romaine, il n’y a que trois vents natifs. Si le chinook correspond au zéphyr en étant un vent d’ouest chaud et humide venu du Pacifique, le squamish est un vent du nord glacial qui souffle de l’Arctique vers la Colombie britannique et le williwaw est un vent d’est froid et violent qui descend des montagnes et souffle du détroit de Magellan jusqu’au Groenland. Les deux vents froids définissent le climat dans lequel Béatrice Machet a effectué ses périples hivernaux sur les bords du lac Michigan. Elle souligne l’importance de l’ordre quaternaire dans « Rafale No. 40, » citant les rythmes des saisons, des ordres d’existence, espèces animales, et races humaines, dans les niveaux de rêves et les opérations de l’esprit, les étapes de l’existence humaine, les circuits à suivre, les arbres de vie « plantés aux quatre coins » avec « la cérémonie. . . jouée en quatre actes » (64). La créativité poétique prolonge ainsi la pensée native à son diapason, ouvrant des possibilités infinies.

Comment ne pas être sensible à l’appel de ces grands vents venus de très loin, porteurs de traditions immémoriales ? Ils font désapprendre, voir et sentir différemment. Ils forcent la poète à se dépouiller de ses habitudes. Se perdre. Marcher à l’infini pour se vider, pour faire silence. Epouser le vent. Devenir une avec la nature, les arbres qui cassent sous la glace, les oiseaux. Se recueillir en elle-même. Voir le temps « reculer au fur et à mesure que je marche » (29). C’est seulement alors que le vent sauvage et libre qui dans la froideur et la blancheur d’un hiver de neige et de glace ne porte ni senteur ni couleur, s’équilibre entre force vive et force ravageuse. Être au bord du lac, c’est comprendre qu’il est « une part du ciel comme il est part terrestre d’une danse nuptiale jouée en noir et blanc » (66).

Tantôt la poète se laisse posséder par l’anglais, tantôt c’est la langue potawatomi qui nous introduit au cœur de ses promenades. Rafales est un livre trilingue, chaque langue étant une référence culturelle étagée. Partant du français, sa langue maternelle et poétique, Béatrice Machet utilise des expressions américaines qui indiquent sa familiarité avec un monde anglophone remarquable par sa brièveté linguistique de bâtisseur d’empire. Les mots potawatomi sont soit répétés en français dans le poème, soit cités dans un glossaire difficile à découvrir et dont la position en fin de volume force une relecture, une reprise de contact en profondeur avec la culture native figée en résistance contre la langue américaine du devenir.

Chaque plage a un sujet différent. Forest Park Beach décrit l’environnement géographique, le terrain, la température, et l’expérience de la marche. Illinois Beach State Park ajoute la rencontre avec un gardien natif. À Waukegan North Beach, l’inscription « Notre langue native est comme une seconde peau et fait tellement partie de nous que nous résistons à l’idée de la voir changer constamment » [ma traduction] donne cours à un examen des noms de lieux issus des langues natives. Milwaukee (Millioki, Milleioki, lieu de rassemblement près de l’eau), Wausaukee (de « wassa, » lieu lointain, nordique), Pewaukee, Packwaukee, Waukegan, Waupaca (ville blanche). Suivent, dans cette partie qui est la plus longue du volume, la description de coutumes natives comme la récolte du riz sauvage, puis une description de la marche épuisante qui met la poète en état de quasi-hallucination où le « heave heave heave » dont elle s’encourage fait écho au «hey heya heyo» des Natifs cité en page 34. West Beach et Portage Beach étaient des centres importants de « portage » (mot français adopté par les trappeurs et bûcherons du grand nord) qui indique l’importante activité commerciale entre les natifs avant et après l’arrivée des Européens. Le vers « Qui s’en ira vers le golfe de Mexico à travers l’Illinois River » du poème « Rafale No. 36 « (58) fait référence à l’activité des Natifs entre le lac Michigan et le fleuve Mississippi, au commerce des Indiens des grandes plaines entre le Canada et le Golfe du Mexique (dont la poète respecte l’orthographe mexicaine), puis au commerce des Européens après leur arrivée dans le Nouveau Monde.

« Rafale No. 36, » contient encore deux mots essentiels cités en anglais, « keep safe » et « keepsake. ». Le verbe et le nom, unis dans un cercle parfait. Car, dit Beatrice Machet, l’important est de « garder en sécurité » un « objet de mémoire. »  Plus qu’un souvenir et moins qu’un trésor. Un objet chargé d’un poids sentimental, d’un poids de mémoire, garant de survivance. Message central qu’elle nous apporte de ses pérégrinations hivernales. Le livre atterrit sur deux pieds en bouclant cette longue danse avec le vent. La légende de Shawondasee, le vent du sud, nous révèle non seulement le quatrième vent natif, mais l’humour printanier qui le fait tomber amoureux d’une belle blonde étendue sur une prairie. Ayant attendu trop longtemps avant de se déclarer, il découvre que la belle blonde est devenue une vieille femme aux cheveux blancs duveteux – Shawondasee était amoureux. . . d’un pissenlit. Le point d’orgue de cette brève légende remet en suspens le magnifique canto de Béatrice Machet qui continue à nous interpeller longtemps après que nous ayons refermé son livre.

Présentation de l’auteur

Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, traductrice des auteurs Indiens d’Amérique du nord. Performe, donne des récitals poétiques en collaboration avec des danseurs, compositeurs et musiciens. Publiée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Unity, 2015) Pour les traductions : L’Attente (cartographie Cherokee), ASM Press (Trickster Clan, anthologie, 24 poètes Indiens)… Elle est membre du collectif de poètes sonores et performatifs Ecrits - Studio. Par ailleurs elle réalise et anime chaque deuxième vendredi du mois une émission de 40 minutes sur les ondes de radio Agora à Grasse.

Autres lectures

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Le Bruit des mots n°4 : Regrd sur la Poésie Nativ American — Entretien avec Béatrice Machet

Le Bruit des mots n° 4 à l'Atelier Matresleva, le 24 mars 2024, avec Béatrice Machet et Carole Mesrobian.




Béatrice Machet, Tourner, Petit précis de rotation

Tourner, Petit précis de rotation, titre du livre de Béatrice Machet, est une allusion au Précis de décomposition de Cioran, précise la quatrième de couverture.  Mouvements, courbes et cercles, traversent en effet chacune de ses pages au fil d’une impressionnante exploration. L’infinitif du verbe tourner y revient tel un leitmotiv figurant un centre irradiant dans les coins et les recoins de la vie et du vivant, sous toutes ses formes.

Il n’est pas de facette du mot, quel que soit le domaine, qui ne soit ici tournée et retournée. Visions de spirales d’étoiles enroulées au faîte de la nuit. Vols d’oiseaux essaimés dans la nuée. Mât sacré du soleil où s’accroche le regard. Film de la pensée qui se déroule en notre for intérieur. Navigation des mers poursuivie tout autour de la terre entre deux pôles. Retours très loin à l’aube d’un passé que l’on visite à rebours. Jusqu’au tour des machines avec lesquelles on fraise on façonne du lisse. Car tourner renvoie aussi au mouvement des poulies et des roues. Tourner, ce sont également de vertigineux slaloms, ou encore les orbites, où se mettent astres et satellites.

Tourner le dos, dit Béatrice Machet, adossant l’humain à la mer, comme le lieu où s’originent les êtres et les choses, présence elle-même d’une infinie mouvance, auprès de l’irrépressible élan qui nous porte, les mains jusqu’au sang.  Ici, on l’a compris, les paysages ne se laissent jamais figer dans ce qui serait l’abstraction d’une simple figure. Ils volent en éclats, pris au scalpel de l’écriture, qui défait, découpe et décortique, jusqu’à la substantifique moelle. Le lecteur est lui-même happé dans sa chair vive par des mots qui scrutent sans répit, et saisissent à l’intérieur de leurs mailles, sensations et significations, décomposent l’instant, entre diastole et systole, diffracté dans les interstices des pulsations du monde. Sens dessus-dessous la tête. Et le voyage se poursuit, cercle tracé, virage pris aux confins d’une géométrie circulaire qui se découpe en filigrane derrière nos existences en ce monde. Elle s’esquisse, se dérobe, réapparaît, semblable puis autre, au fil de mots qui sont autant de chemins tournés et détournés pour la rejoindre, elle et ce qu’elle recouvre d’une face cachée. L’espace ouvre à la terre un envers possible.

Béatrice Machet, Tourner, Petit précis de rotation, Tarmac éditions, 70 pages, 15 euros.

Tourner. Autour des langues et entre. Parcourir d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, le colimaçon par où remonter les étages de Babel.  Car Les langues encerclent le monde. Et en explorer les infinies girations, c’est tenter de lever les myriades de voiles qui enveloppent sa rotondité.

Béatrice Machet, fine connaisseuse des nombreux poètes amérindiens qu’elle a traduits en français, a-t-elle cherché à faire écho avec les roues et les cercles de vie si présents dans ces cultures ? Quoi qu’il en soit, la quête qu’elle poursuit dans ce livre ramène le lecteur au cœur de la vie et à ses battements primordiaux. Son écriture s’incarne dans la multiplicité des registres du vivant, depuis le plus concret, comme celui d’une simple baratte à beurre, jusqu’au mythe d’Orphée, jouant pour Eurydice. En lisant Tourner, Petit précis de rotation, on se rappelle aussi que l’écriture de Béatrice Machet a pris naissance dans sa pratique de la danse. C’est son rythme qu’elle convoque avec ses arabesques, ses sauts et ses glissés, jusqu’à accomplir une éblouissante fusion.

Une expérience de l’évaporation puis de la condensation. Les bonnes intentions distillées redescendues en pluie. Fine. Pénétrante qui vrille la réalité. Du verbe désirer.  / Cela fera-t-il présence ?  Un livre à lire et à relire, dans le chatoiement des reflets et des ombres qui s’y déploient.

Présentation de l’auteur

Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, traductrice des auteurs Indiens d’Amérique du nord. Performe, donne des récitals poétiques en collaboration avec des danseurs, compositeurs et musiciens. Publiée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Unity, 2015) Pour les traductions : L’Attente (cartographie Cherokee), ASM Press (Trickster Clan, anthologie, 24 poètes Indiens)… Elle est membre du collectif de poètes sonores et performatifs Ecrits - Studio. Par ailleurs elle réalise et anime chaque deuxième vendredi du mois une émission de 40 minutes sur les ondes de radio Agora à Grasse.

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Béatrice Machet, BEST IF USED BY, et autres poèmes

Une série de poèmes publiés en août 2013.

∗∗∗

Mind you

here you are

kernel-hearted

 

bran germ and endosperm

 

by all means by whole means health benefits

 

 

antioxydants and vitamins sound great against breakdowns

 

 

broken pea and tree nuts unequal halves

 

unequalled sorrows heartrooted uprooted minerals

brown rice syrup in the eyes molasses turning evaporated cane juice

 

down the cheeks nervous drizzle chilly weather

to keep fresh

fold inner bag over and push down to level of

cereal

original

organicaly grown

 

saturday sounds like saturated

fatty acids and radicals

recommend that you up-date

bonds at room temperature

single or double it makes a big difference

solid melting to liquid

point-less sugar

 

continue beating

mixture must be slightly lump-ish .... liebe Dich

 

I loved you kernel-hearted

 

best if used

before breakfast.

 

 

 

A consommer avant ....

 

 

Imagine

tu es là

le coeur au complet

le son le germe et l'endosperme

 

tous les moyens tout signifie des bénéfices pour la santé

 

antioxydants et vitamines seront parfaits contre la déprime

 

cassées noisettes et branches  noix   moitiés inégales

 

chagrins inégalés dans le coeur enracinés minéraux déracinés

sirop brun dans les yeux molasse devenue jus de canne évaporé

 

traces le long des joues bruine nerveuse temps maussade

pour la conservation

replier le rabat supérieur par dessus le sac et pousser

jusqu'au niveau des

céréales

authentiquement

biologiques

 

 

samedi jour de Saturne ça sonne saturé

acides gras et radicaux

conseillaient une mise à jour

des liaisons à température ambiante

simples ou doubles c'est une différence énorme

solide fondu au liquide

conclue à une diminution des glucides

 

continue de battre

le mélange doit être légèrement épais-si je crois

je t'aimais coeurcomplet

 

 

meilleur si consommé avant

le petit déjeuner 

on a shelf
a lonely vase
in it
a lonely flower

a solo sorry love
wobbling
a slow evening

a loss
what else could it be

a self less loved

woebegone
a Penelope
musk-scented white rose
sending vowels to ask

who sells vows
who solves owes

I just don't know                     I just wove

14 février, Saint-Valentin, bouquet de mots

sur une étagère
un vase esseulé

dedans
une fleur solitaire

solo branlant
d'amour désemparé
dans la lenteur du soir
une perte sinon
quoi d'autre
un soi moins aimé

vieillissante
une Pénélope
blanche rose musquée
lance ses senteurs
pour demander

qui vend les voeux
qui solde les dettes

je n'en sais rien                  je ne fais que tisser

He says black and white are death
so the sun never shines when he shots

he says the colored ones are always taken with/
under overcast skies
in order the colours are silenced are
muted by all kind of greys
he says
Germany is this land where photographs speak for him
he says black people against blue and red and yellow walls appear
as burnt
he says
a cap on his head is the only artefact he needs
to work successfuly

the more he speaks the more growing is
her thumbprint on his camera
the only thing she would give
a round of life
a web symbol of a plain reservation's spider-woman

a last flash
a last shot
of memories

once upon a time there was a shield
it was a spidershield
her great grandfather's personnal flag
her great grandmother's vision
beyond its appearance you find the deepest being the
warrior's meditation
- the woman's love so close to the sun at dawn
when its beams are spread abroad from the horizon
look at it
the sun is drawing a web
and the shield is the sun and the web as well as long as his lungs draw breath

years later
she saw him on a TV program
an international cultural channel
he was the well-known photographer
and foreboding foreshadowing was the shield on the screen
her spider's work her woman's love spread abroad from the horizon

look at it

BOUCLIER sacré

Il dit noir et blanc sont la mort
donc le soleil ne brille jamais quand il photographie
il dit les gens de couleur sont toujours pris avec/ sous
des ciels couverts
de telle sorte que les teintes soient réduites au silence
par toutes sortes de gris
il dit
l’Allemagne est le pays où les clichés parlent pour lui
il dit les personnes à la peau noire contre un mur bleu ou rouge ou jaune paraissent
brûlés
il dit
une casquette sur la tête c'est tout ce dont j'ai besoin
pour bien travailler

le plus il parle le plus
ses empreintes digitales sur l'appareil
s'incrustent la seule chose qu'elle puisse lui donner
un anneau de vie
un symbole réticulé de la femme-araignée sur une réserve indienne

un dernier flash
une dernière prise

il était une fois un bouclier
représentant une toile d'araignée
c'était la bannière personnelle de son grand-père
la vision de sa grand-mère
au delà de son apparence vous y trouviez la méditation la plus profonde
l'être profond du guerrier
à savoir l'amour d'une femme complice du soleil de l'aube
quand ses rayons s'etalent généreusement sur l'horizon
regardez
le soleil dessine une toile
et le bouclier est le soleil et la toile aussi bien
aussi longtemps que les poumons du guerrier respireront

Des années plus tard
elle le vit à la télévision
un programme international
il était devenu un célèbre photographe
et son pressentiment au premier plan envahissait l'écran
le bouclier son œuvre de femme son amour distribué généreusement
au delà de l'horizon

regardez

Here she is

had she always been there

occupying the same room ....

The only way to see her

is eyes wide open going to water

when things are about to blur

run your arm through her body

feel her

so hot

not solid

torrents of days torrents of nights

that never wanted to be flesh

physical world in her spirit

is just pulsing-colors-beating-sounds constantly running

a noumenal voice in a near phenomenon

substantial is not the word but slight touch

tender fog leaning on white sheets

she's not inert

she’s strong

her will won't flinch

a volcano's inside her

torrents

deluging you in her glance

rains drumming against your skin to make you understand

she will be in

a steam

of thoughts and feelings

you won't forget

ANOREXIA

Et la voici ...

a-t-elle toujours été là

dans cette même pièce ....

La seule façon de la voir : yeux grands ouverts

au bord des larmes

dans le flou débutant

des choses

                       enfoncez votre bras dans son corps

ressentez sa chaleur

brûlante

déjà fluide

des torrents de jours et de nuits

qui n'ont jamais désiré être chair

le monde physique dans son esprit pulse des couleurs

des sons battants sans cesse traversent

une voix nouménale pour un presque phénomène

substantiel n'est pas le mot mais touche légère

tendre brouillard penché sur des draps blancs

elle n'est pas inerte

elle est forte

sa volonté ne flanchera pas

un volcan en elle

dans son regard des torrents

vous inondent

des pluies tambourinant contre votre peau

vous font comprendre

qu'elle sera jet de vapeur

un courant de pensées

de sentiments

que vous n'oublierez pas

Présentation de l’auteur

Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, traductrice des auteurs Indiens d’Amérique du nord. Performe, donne des récitals poétiques en collaboration avec des danseurs, compositeurs et musiciens. Publiée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Unity, 2015) Pour les traductions : L’Attente (cartographie Cherokee), ASM Press (Trickster Clan, anthologie, 24 poètes Indiens)… Elle est membre du collectif de poètes sonores et performatifs Ecrits - Studio. Par ailleurs elle réalise et anime chaque deuxième vendredi du mois une émission de 40 minutes sur les ondes de radio Agora à Grasse.

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Béatrice Machet, Tirage(s) de Tête(s)

Il est des livres qui ont besoin d’être apprivoisés et qu’on laisse volontiers murir dans les chais pour pouvoir, parfois beaucoup plus tard (ou jamais), parler de leur robe, de leur couleur… Le livre de Béatrice Machet, au contraire doit être enfourché avec fougue sur un coup de tête.

La première idée peut être d’aller chercher un sens, au titre pour commencer : tirage, est-ce le fait de tirer pour dégommer comme à la fête foraine, d’allonger, ou celui de déplacer pour déclencher un mécanisme, probablement un peu des deux à moins que ce ne soit carrément autre chose. Chez Béatrice Machet, le poème nous oblige à nous positionner autrement, à accepter le déséquilibre. La multiplication des néologismes nous fait entrer de plain-pied dans un univers singulier.

Si vous avez une idée derrière la tête, mieux vaut la laisser au vestiaire sinon vous serez plumé, et le bec et la tête, alouette… Pour Béatrice, il faut que ça chante et pour ça, y’a du plexus dans l’air. Il faut aussi que ça s’agence, se connecte, même si les liens sont lâches. Elle est là pour retendre. Il faut que ça frictionne, que les mots-silex fassent fuser dans la tête – cette fois, celle du lecteur – des lueurs, des images, sens dessus-dessous.

 

Béatrice Machet, Tirage(s) de Tête(s), Edition Les Lieux-Dits (les cahiers du Loup bleu) - 2019.

 

                                  ça pulse aux tempes______tambouriné le 
questionnement tout le temps recyclé

                                                                                                          essoré à 1800 tours
                                minute 

 

Si  vous pensez avoir attrapé le fil de la pelote, la vitesse de l’écriture vous fait sortir de vos gonds. Raté ! Béatrice Machet avoue d’ailleurs en fin de recueil que la première partie a été écrite « spontanément ». Il faut suivre… mais chacun peut, à condition de renoncer aux « pourquoi », trouver dans cette construction verbale qui tourne en orbite dans la  tête de l’auteure, trouver donc, analogies à sa taille et convergence des consciences. De toute façon, il est clair qu’il n’y a plus de question à la réponse que vous exigez.

Écriture, lecture, dans un vertige communicatif. Tu crois que ce que je crois, c’est ce qu’elle croit… ou voulu dire ? C’est une drôle de géographie qui s’immisce dans le discours et l’humain s’y débat sachant que

 

contre les vampires insatiables une couronne
un bonnet        un chapeau      une capuche : C’est top
frivolité le couvre-chef
                           mais                ne dit-on pas que la 
dignité se mesure au port de tête…
                          À tue---- comme
martel dans l’air sous mon crâne sa chambre
d’échos sent le brûlé               par de quoi s’étonner

 

L’histoire qui n’en est pas une dit peut-être aussi ce qui se passe dans la tête de l’auteure mais est-ce bien elle    

 

cette linotte bien faite qui veut du vide
n’a pu fermer la tête de la nuit

 

Cette première partie intitulée « Entre » : 16 petits objets scriptés autour du mot-prétexte « tête », à décrypter, ou pas, sans attendre. Le temps est court.

 

***

 

Béatrice Machet nous dit ensuite que la deuxième partie du recueil a été écrite après la visite dans l’atelier de la sculptrice Dominique Assoignon-Coenen. « Headquake » (formé d’après le mot earthquake qui veut dire tremblement de terre en anglais), tout en conservant le prétexte de tête, intègre l’impact de cette rencontre.

Qui connaît Béatrice Machet, pourrait presque dire que ça commence comme un autoportrait, puis rapidement des images s’imposent et introduisent le travail de la sculptrice :

 

Au rabot à la lime
raclement d’ombres concentrées avant
d’exploser au cœur de la nuit dans la tête les
ombres qui ont des mains jusqu’au sang et
des poignets à échanger

 

Qui connaît l’œuvre de cette artiste, peut comprendre que sa très grande humanité ne pouvait qu’entrer en résonnance étroite avec celle de Béatrice.

 

***

 

Mais attardons nous pour finir sur la phrase d’Herman Melville qui se trouve en exergue et que nous avons passée un peu vite pour nous jeter dans les poèmes. N’éclaire-t-elle pas la direction « universelle » de cette course ? Les questions « raisonnables » ne s’arrêtent-elles pas au seuil, à l’inconnu de la mort ? La conscience se débat en essayant, et c’est tout le propos du livre, de poser, avec philosophie ou ironie, les bonnes questions sur la vie.

À lire, sans prise de tête.

 

Présentation de l’auteur

Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, traductrice des auteurs Indiens d’Amérique du nord. Performe, donne des récitals poétiques en collaboration avec des danseurs, compositeurs et musiciens. Publiée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Unity, 2015) Pour les traductions : L’Attente (cartographie Cherokee), ASM Press (Trickster Clan, anthologie, 24 poètes Indiens)… Elle est membre du collectif de poètes sonores et performatifs Ecrits - Studio. Par ailleurs elle réalise et anime chaque deuxième vendredi du mois une émission de 40 minutes sur les ondes de radio Agora à Grasse.

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Tourner, Petit précis de rotation, titre du livre de Béatrice Machet, est une allusion au Précis de décomposition de Cioran, précise la quatrième de couverture.  Mouvements, courbes et cercles, traversent en effet chacune [...]

Béatrice Machet, Rafales

Au cours de ses récents voyages aux Etats-Unis, Béatrice Machet a effectué six marches sur les plages du lac Michigan, dont quatre au nord de Chicago et deux à l’est de Chicago. Elle [...]