Béatrice Pailler, Peau d’Enfance, extraits

Bestiaire

Enfin, je l’ai vu,
Là, au recul du temps,
Ni fille ni garçon.

Sous de vieux jours,
Sous de vieux pleurs,
Dans une niche creusée,
Il était là, 
Rond de chagrin,
Ni fille ni garçon.

La paix le couvrait mieux que l’oubli.
Repoussant le tombereau des heures, 
Mon regard essuya le chagrin.
Eut-il froid ?
Eut-il peur ?
L’enfant s’éveilla.
Dépliant ses membres,
Il consentit à être,
Ni fille ni garçon.
L’enfant avait :
Tête d’oiseau,
Yeux de loup
Qui, sans paupière,
Brillaient glauques.
À son front bossué perçait l’avenir.
Des larmiers de vin baignaient sa face,
Déposant à ses joues de douces humeurs.
Il secoua la tête.
Ploya le marbre de son col.
Ouvrit son bec sur un silence.
Pendant qu’il riait en carpe,
De sa bouche
Des bêtes tombèrent,
Mates sur son poil,
À sa poitrine et son ventre.

Je regardais l’enfant.
Mes yeux s’usaient à son visage.

Alors, il se leva.
De son corps, pleurèrent carabes et lucanes.
Une salamandre claviculaire chuta.
Un couple de serpents se coula,
L’un à sa gorge l’autre à ses reins,

Son flanc de loutre luisait huilé de blanc.
Une humanité incongrue
Par  jeu ornait son buste ;
Deux mains y soupiraient d’aise.
Dans la fourrure qui le vêtait,
Les vermisseaux de ses doigts se tordaient.
Paumes ouvertes,
Il m’invita.

J’entrai dans son rêve,
Lui connaissait tout du mien.
Par mon âme,
Il s’envola.

….

          Sous la veilleuse des persiennes,
          Rayé de lune,
          L’enfant dort.

         Plus loin que le jour n’a su le faire,
         Le sommeil l’emporte.
         Près de lui, tête à tête,
         Il a gardé l’album étrange. 

        Je suis la chambre.
        Je suis le lit.
        L’enfant dort.
        Il est ma nuit.

       Enfin, 
       Sur le seuil,
       Ils sont venus
       Fauves buvant à nos berges. 

 

Brousse

          Passe la pluie,
          Sèche le temps

 

 Les branches ploient
Sous l’eau des fruits.
L’été s’y noie.

Le chaume crisse
Plus rien de vert.
De blanc et de rouge
Le pré, tendu,
Chiffonne ses reliefs.
Près des corps gris de  soif,
L’herbe tète un semblant d’ombre.

L’été croît,
L’eau s’y cache.
Sous les branches
La soif.
Feu de brousse :
Le verger blanc d’odeurs.
La lumière tremble
L’enfant la trouble.
Mirage d’été,
Je tremble sur l’air.

Loin des corps gris de soif,
Dans l’été troublé
Le pré s’invente.

          Aux pas des géants
          La brousse se grise.
          L’herbe  tète le vent.

 

Bouteille

          Fétu barque sur mer d’été,
          Craque en paille
          L’herbe têtue.

Ciel carrelé,
La terrasse sue.
L’été tombe en masse.

Sous l’auvent,
Il  y a le temps :
Son grain immobile.
Il y a l’été :
Son cri blanc.  
L’enfant insulaire
Façonne le cri,
Trace au blanc,
Du jaune, du bleu.

Ombre de verre,
Fillette parmi ses sœurs,
Les déjà vides,
Les presque bues,
Elle attend.
Là sur la cire de l’été,
Près des guêpes ivres,
Elle attend,
Glacée d’hier,
Et s’embue.

Petite à ma main,
Pleine à demi,
Col d’écume
Sentant l’amer,
Je l’ai choisie.
De demi pleine la voilà vide.
Guêpe,  je dérive.
Au naufrage,
Suis navire.
Enfant blond,
Moussu d’or,
Robinson est mon île.

Sous l’œil glauque des  culs,
L’été à dessin s’embouteille :
Haillon blanc en habit verre.

Petite à ma main,
Je l’ai choisie.

Sur l’été, je la jette.

 

Baignol & Farjon

          La pluie pose ses leurres.
          Mouches au vivier des lumières.

Bris-ciel
Chaque goutte
Lucides à ma main,
Usent le réel
Polissent mes yeux.

De l’arc
La  couleur

La lumière
Mord
Au blanc

Voleur d’espace,
Les crayons maraudent.

 

Brouillon

          Soleil en sueur
          Et l’heure écrite 
          Tire la langue

Brou d’encre
Sur blanc marbre
La feuille a du caractère.

Aux lignages,
Se pêche en gros :
La mer à outrance,
Un fretin de lettres.

 La plume gratte,
Chalut.
La plume bave,
Filets.

Mots dérivant,
La page
Drosse au bleu,
Brouillonne
Ses pleins.

          Délit d’encre
          L’heure crisse
          Suante :
          Brou solaire
          Sur peau d’enfance

 

 

Présentation de l’auteur

Béatrice Pailler

Je suis rémoise (née en 1966) et j’ai exercé à Reims pendant vingt ans le métier de libraire. Je me consacre maintenant à l’écriture, en alternant prose et poésie, et uniquement à celle-ci, mais dans la diversité des échanges et rencontres.

Mon écriture prend sens dans la langue. Je m’en imprègne et la transforme, la travaille, pour façonner mon langage poétique. Mon but est d’approcher de ce que j’appelle « la poétique du monde » qui est pour moi indissociable de la création et de la lumière. C’est pourquoi, je les place toutes les deux au centre de mon écriture. C’est la lumière intrinsèque de la création que je cherche à faire partager. La création, tel un ailleurs où les éléments sont omniprésents air/terre/feu /eau, où la respiration/le souffle du végétal et de l’animal s’animent. J’instaure des passerelles entre homme et animal : l’animal dans l’homme et vice versa. Je puise dans l’ensemble de la création : de nature ou humaine. Le corps est présent, avec le geste et le mouvement ainsi que sentiments et interrogations du vivre. La lumière est là et l’ombre l’accompagne. Ombre qui n’est pas moins belle, juste différente : une lumière qui ne se dit pas, qui ne se dit plus.

Je tente d’exprimer ce qui m’habite par le biais d’une écriture qui n’est pas sans violence. Une écriture de contraste et de rupture ; sensuelle, elle fait appel à tous les sens et invoque le charnel pour mieux interroger l’infini.

Recueils parus à ce jour :

 SACRE, mai 2019, aux Éditions Racine & Icare.
Goûte L’Eau, nov.2018, avec six encres de Claude Jacquesson aux Éditions de la revue A L’INDEX collection Les Plaquettes. 
ALBEDO, mars 2018, Aux Éditions Encres Vives. 
Mouvements, Panta Rhei,  Poésie en voyage 4èmetrimestre 2017 aux Éditions La Porte. 
 Jadis un ailleurs, recueil réunissant : L’heure métisse et Motifs /collection Poètes des Cinq Continents / sep.2016, aux Éditions L’Harmattan. 

 

Livres d’Artiste

Participation aux livres d’artiste de Maria Desmée, expositions mars-avril 2019 & 2020 à Amiens, bibliothèque Aragon et à Saint Germain en Laye.

 Par ailleurs, je participe aux revues Souffles, Traversées, Décharge, Les Amis de L’Ardenne, À L’INDEX, Lichen, le Capital des mots,  ARPA, Haies Vives, Écrit(s) du Nord et Poésie première et Les hommes sans épaules...

 

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