Benoit Jeantet, Trois poèmes pour tourner autour du noyau noir

Équeutage

 

Pas d’endroit plus doux,
tu disais, dans la vie,
que l’équeutage des haricots,
aperçu de l’autre coté du miroir,
seize ans-un léopard derrière la vitre,
lorsque tu n’es encore
qu’une enfant perdue
qui survit de chasse et de pêche,
une enfant avec ces yeux
qui ont aimé les œufs durs,
échappée à coups de lattes
de ses terres grasses
et des jupes de quelque arrière-tante
où un accident de laboratoire
pouvait toujours se produire,
et d’ailleurs tu revois souvent
sa petite bouche vernie,
ses lèvres qui se gercent
sur un début de surdité
qui n’était là que pour entretenir
la légende…

 

Mégot

 

Non-non et non, ah non,
je ne fumerai pas ton mégot de matinée,
au motif soudain de cette obligation
qui m’est faite,
de composer avec la douleur.
Je préfère, et de loin,
perdre mon temps
avec la chinoise dont le souvenir
vit encore
sur notre baie vitrée…
Ses yeux experts en mélancolie
et cette façon de s’accrocher
aux bras de ce gamin.
Et quelques plumes tentaient de s’enfuir
d’un anorak
traversé par plus d’une ville.
Et tout autour circulait une odeur étrange,
tourmentée…
Le temps que je te console
dans un grand foulard bleu marine,
les araignées ont dû les engloutir,
faute de mots audacieux,
sous des kilomètres de toiles...

 

Montagnes

 

Ce matin, alors, les montagnes
sont descendues jusqu’à ma porte,
et cette vue offrait,
une fois encore,
la preuve du désir fascinant
qu’a toujours eu cette bonne vieille mélancolie
de me fondre dessus,
comme ça, au moment où on ne l’attendrait plus…
Toujours les mêmes fantômes. Toujours…
Et même ici où je me croyais tranquille,
des chats qui avaient survécu
depuis mon enfance,
auprès de tous ces feux d’autrefois,
se sont mis à me miauler après.
«Où t’étais donc passé? Oh mais putain, qu’est-ce que t’as foutu?»
Toujours les mêmes décisions sinistres. Toujours…
Et même là, où je pensais pouvoir éliminer
tout ce que j’avais écrit de sale et de moche,
juste en fermant les yeux, la laideur au fond des poches,
j’ai compris qu’il faudrait que le vent souffle tempête
pour chasser la brume qui me recouvrait le cerveau…

 

 

Présentation de l’auteur

Benoit Jeantet

Je n’ai pas toujours été ce que je suis. Au commencement, alors, je suis né. Je suis né un 15 novembre et c’était en 1970. Ce jour-là, il pleuvait et la terre était lourde. Aujourd’hui, les choses sont un peu différentes.

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