Benoît Reiss, Un dédale de ciels
Les aïeuls de Benoît Reiss ont vécu sous un « dédale de ciels ». L’auteur raconte ici poétiquement leurs vies, celles d’hommes et de femmes qui ont vu poindre « les incendies à l’horizon ». Saga d’une communauté juive abordée dans une série de tableaux où le réalisme côtoie volontiers l’imaginaire et même une forme de fantastique.
Dans le très beau livre de Benoît Reiss, il est question de père et de mère, de grand-père et de grand-mère, mais aussi de mères de grand-mère ou de grand-père… Le poète remonte allègrement les branches de son arbre généalogique. Il parle de ses « aïeuls taiseux », de « corps légers couverts de rides enfantines », d’ancêtres « absorbés de sagesse » qui « nomment une à une les étoiles », des « ombres longues/dans l’été blet et immobile », des « femmes victorieuses » (ses arrière-grands-mères), de « mains couronnées de veines » (les grandes-tantes)…
Benoît Reiss dit avec des mots de poète (et quels mots si merveilleusement empreints de tendresse !) ce que Aaron Appelfeld a dit si magnifiquement dans Mon père et ma mère (éditions L’Olivier, 2020). Chez les deux auteurs, le même amour de la lignée, de l’ancrage dans les traditions ou dans l’histoire que des mots en hébreu ou yddish perpétuent ici comme autant de balises sur des destinées rudement mises à l’épreuve. Voici les shomrim (veilleurs). Voici les Schlemazel (malchanceux). Des lieux sont aussi évoqués furtivement où des aïeux ont vécu ou passé : Buxières-les-mines, le cimetière central de Vienne, le camp de Gûrs, les bords du Danube…
Car ce monde que Benoît Reiss restitue avec tant de bonheur, après duquel il a tant appris, voit des nuages noirs s’amonceler à l’horizon. « Nous marchons près des baraques sous les poings du soleil ». Le poète (né en 1976) s’imagine aux côtés de ce grand-père qui ne lui répond pas mais qui d’un geste « congédie dieu ».
Benoît Reiss, Un dédale de ciels, Arfuyen, 2022, 13 €.
Destin tragique d’hommes et de femmes condamnés à porter « des valises fatiguées/à moitié vides au bout de leurs bras » et qui « fuient les aboiements », car, « par décret », ces ancêtres « n’ont plus de biens ». Ainsi, écrit- il, l’on ne compte plus toutes ces « familles envolées dans le courant du ciel ».
Mais il y aura les Justes à qui Benoît Reiss dédie son livre, eux qui ont sauvé ses grands-parents. Et puis, il restera ces images fortes qui marqueront à jamais le jeune Benoît : la leçon de vie apprise d’une grand-mère près de laquelle il est accroupi et qu’il découvre, une autre fois, « adossée au silence », lavant « son linge de corps ». Et que dire de cet aïeul dont le travail « consiste à couper les ongles des morts » mais qui raconte que « bien sûrs les ongles des morts continuent de pousser ». Merveilleux ! Oui, un livre merveilleux !