Bernard Colas, Le Mot de trop et autres poèmes

Le mot
De trop

Il est un mot que je ne comprends pas
On le parle
On en parle
Il est sur toutes les bouches
Tout le monde se le donne
Je ne veux pas le savoir
C’est un mot qui ne va pas à la poursuite des idées
Ce n’est pas un mot qui va à la rencontre de l’autre
Ce n’est pas un mot bon vivant
Il se veut signe de connivence
Mais il est faussement sympathique
Il n’a aucun sens
Alors ne parlons pas de double sens
Mais quel est ce mot ?
Je l’ai oublié

L’homme avance
Il voit sa poussière
Au bord du jour les oiseaux font des nœuds à l’image de leurs nids
Le vent n’a pas ce goût sucré des vents d’été
Les arbres ne font pas mystère de leur âme
Sur la plaine anéantie mille objets oubliés
Il y a des sourires sur les affiches et des femmes prometteuses
A droite comme à gauche des morceaux de temps font des clins d’œil
L’homme qui pousse son corps a du sable dans les yeux
Il est nu
Une horloge hésite puis se décide à sonner
Elle a gardé le code
La ville flasque est presque belle avec ses tours coupées court
L’homme avance
Il glisse sur un reste de nuit
Les flaques ne reflètent pas son visage
Il s’essaie à des mots nouveaux mais sa voix recherche le silence
Alors il cherche un chemin pour taire son histoire
Il n’y aura plus jamais d’enfants dans les maisons

Oiseau voleur

J’ai rêvé d’un oiseau qui volait mes rêves
Dans un souffle essoufflé il parlait
Des mots qui portent au cœur et font rougir
J’étais nu et des maisons murées s’échappaient des états d’âme et quelques paroles en l’air
Un manteau bien trop grand cherchait quelqu’un
Mes poings frappaient le vide et mes pieds jouaient avec mes jambes
Mes mots arrachés de leur nid de ronces n’avaient plus guère de forme mais aucun d’eux ne voulait se changer
Ils se répétaient de peur d’être solitaires
Des gens nageaient sous l’eau une courte éternité et réapparaissaient comme au début de l’histoire
On m’attendait souvent mais c’est moi qui étais devant
Deux croissants de lune s’accouplaient et faisaient des ronds dans l’eau
Leur plaisir faisait plaisir à voir et les enfants n’avaient pas besoin qu’on leur fasse un dessin

Mots en tête

Je souffre de rêves excessifs
Sans nom
Sans verbe
Sans rien
Derrière des murs obtus
La nuit palpable ment
Et je lui mens aussi
Amoureux invisible
Ma peur sans abri
J’avance
Non
Les autres avancent
Je les vois sourire et dire
Ils respirent eux
Confiants en leur Je
J’aimerais tant respirer
Caresser leurs mains
Et vouloir qu’ils m’embrassent
L’indifférence est-elle mal
Qui sait
Je me lèverai demain
Ou plus tard
Avec d’autres mots en tête
Dupe
Abusé
Méchant avec mon sort
Un rai de lumière
Dessinera un trait brûlant sur la dernière page du livre que je ne lirai pas
Ton regard sera lointain
Et avec un peu de Moi
Je suivrai les autres
Heureux d’être comme eux
Dans une maison pleine de miroirs.

Annonce faite à Elle

Nue dans ta robe de peau
Couchée sur la page blanche
Cheveux oubliés
Mots prison
Souffrance délit
Tes mains sur les murs obtus
Paupières gonflées d’absence
Dans ma bouche les mensonges
Finalement nous ne sommes qu’un corps
L’oublier
S’oublier
M’oublier
Tout à coup l’épaisseur du temps
Elle te marche dessus
Demain est autre chose
Les autres ne sont que des dos
En noir et blanc
Leurs pas c’est ton cœur qui bat
Il n’y a que toi
Tu butes sur toi
Tu es pleine de toi
Tu es totalité

Une porte claque
Plus vraie que le monde

Présentation de l’auteur

Bernard Colas

Journaliste du voyage, Bernard Colas a beaucoup parcouru la France et l’Europe. Ses carnets de voyage ont notamment été à la source de certains de ses textes poétiques. Egalement auteur de haikus et d’aphorismes (V. Rougier Editeur), il écrit depuis une quinzaine d’années des poésies (revue Verso) dont certaines portent l’empreinte de nombreux épisodes dépressifs, qu’il compare à une course pour voir clair en lui-même et inventer une vie aimable. Passionné par la poésie de Lydie Dattas, dont il a fait sien un de ses vers : la beauté disparaît au moindre de nos doutes.

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