Bhawani Shankar Nial, extraits de Lockdown (confinement)
C'est par l'intermédiaire de la poétesse Emanuela Rizzo, traductrice de Lockdown en italien, que j'ai découvert le recueil du poète Bhawani Shankar Lia, dans l'excellente traduction anglaise de Bankim Mund - à qui l'on doit une préface éclairante, témoignant de la richesse des échanges entre le poète et le traducteur, à l'origine du livre que j'ai lu.
Écrits pendant la longue et douloureuse période de confinement, qui a produit autant d'œuvres qu'ell en a empêché beaucoup d'autres, les poèmes présentés ici dépassent le cadre de la pandémie et de l'affliction personnelle, et aboutissent à une réflexion plus profonde sur le sens de la vie, dans la solitude à laquelle la situation nous a tous maintenus, hors du flux pressé de la vie contemporaine.
Poète, penseur, éditeur, Bhawani Shankar présente donc une trentaine de poèmes en sa langue natale, l’odia - et touchent par leur universalité : la présence d'éléments locaux tels que les rituels à Lord Jagannath et le banian récurrent (la forme dans laquelle le poète souhaite renaître dans un seconde vie possible, issue d'un destin humain trompeur - dans un élan de paganisme qui parcourt toute son écriture profondément mystique) n'ajoute pas une touche d'exotisme à son discours sur la place et l'action de l'homme dans le monde - il ajoute juste leur poids d’humanité.
D'autant plus que ces notations qui ancrent les poèmes dans son expérience s'accompagnent de remarques élargissant le champ de pensée du poète - reliant les expériences religieuses et mystiques aux théories scientifiques plus récentes (à travers, par exemple, le livre d'éthique sur qui étudie son fils, d'où découle une considération sur le « vide »)
C'est notre commune solitude et notre identique quête de sens qui est en jeu : le chemin à parcourir vers notre mort, avec le bagage de mots qui permet d'envisager le terme de manière « humaine » et spirituelle ; Bhawani Shankar Lia nous propose de lire et de suivre sa méditation face aux dangers, et nous invite à nous appuyer sur les livres et les paroles qui nous empêchent de "mourir lentement" dans l'ignorance ou la terreur du chemin.
"Viens" est le titre d'un poème - et cet appel résonne - contre la solitude, l'égoïsme, l'oubli - par l'approfondissement qui permet à notre vide intérieur de se combler, de réfléchir et de donner un sens aux événements qui nous ballottent. Nous ne sommes pas seuls, dans la chaîne des générations, dans notre rapport au principe divin auquel le poète se réfère, ni dans la chaîne humaine des lecteurs de poésie, auxquels les mots peuvent apporter réconfort et réconfort – ici par la lucidité et la foi.
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Toi aussi, tu commences à mourir lentement
Toi aussi tu commences
à mourir lentement
Si tu
Ne lis pas
Les livres de ton époque
N’entends pas
L'appel de la vie
N’exprimes pas franchement
Ce que tu penses de quelqu'un,
Ne te détournes pas
De l'éphémère pour la demeure éternelle,
Et même
si tu ignores
La hiérarchie
De ton clan.
Toi aussi tu commences
à mourir lentement
Si tu
étouffes
ta dignité personnelle,
si tu éteins
L'étincelle de feu
Emanant du coeur
Pour éliminer
tortures et pillages massifs,
si tu ignores
Toute ton énergie
et
ce que te dit ton esprit.
Toi aussi tu commences
à mourir lentement
Si tu méconnais
la voix intérieure
De ton âme,
Omets d’écrire
Le message de ta
propre conscience,
si tu hésites à t’appuyer sur
La continuité de ton
Souffle
inspiration & expiration
Et
Aussi lorsque tu ignores
Le gémissement du peuple
Cruellement torturé.
Toi aussi tu commences
à mourir peu à peu
Si tu ne peux pas
Poursuivre le rêve
Si tu ne peux pas tracer ta route
Vers ton destin
Ou
Te purifier
Dans le premier rayon
Du Soleil levant,
Et
si tu es même
Incapable de transformer
La punition liée au destin
En bénédictions.
Toi aussi tu commences
à mourir lentement
Si tu transmets
La discrimination entre les humains,
Si tu Continues
D’opprimer la nature,
Si tu perpétues
les attentats
À la bombe dans les villes.
Toi aussi tu meurs lentement
Si tu continues
De mentir à
Ton âme et ton esprit,
Si tu pratiques
Le mensonge avec
Tes Amis et parents,
La société et l’État,
la Nature et le cosmos.
*
08 MARS
Une vallée
Voici ce qu’elle est ;
Mère de
De nombreuses civilisations
Et
Leur témoin,
Contemplant une myriade
D’Ascensions et de Chutes
Au long du temps
Fille, belle-fille
Et Mère aussi
Elle est
L’identité
D'une femme totale,
Femme de plénitude,
A l’origine
De l’infinie diversité des contes et légendes
À propos de Superman
Et même
du passé et du futur
Et de tant de désir
Du présent.
*
VIENS
Viens!
Viens sur
Cette route étrange
Ensemble surmontons
Ce long cheminement
Parcouru peu à peu..
Viens
Sur cette route
En compagnie de
Ta
Propre solitude
Ta propre insouciance.
Poursuis la route
Et imprègne ton
Isolement personnel
De ton
Confinement.
Viens!
Ensemble nous
devenons
Compagnons de voyage.
Viens !
Encore
Un peu plus loin
Portant
Nos voix intérieures..
Viens !
De grâce,
ne me rappelle pas
Encore--
Qui suis je ?
Qui es-tu?
Pourquoi suis-je?
Pourquoi es-tu seulement ?'
*
AVANT DE PRONONCER UN MOT
Ami !
Avant
De t’asseoir sous
Le banian
Incline-toi
Devant la myriade de feuilles
Entourant les
Fruits rouges.
Avant d'émietter
Le pain
Incline-toi devant
Le sol qui colle
Aux plants de blé.
Incline-toi devant
La terre fertile
Qui élève et nourrit
La rizière
Avant les rituels
De l'offre de vivres
Au Dieu Jagannath.
Incline-toi devant
Les arbres, rampe
Même devant
Le pied de basilic dans
Ta cour
Tandis que tu respires,
Prosterne-toi devant
Les nuages sombres avant
L’ondée
De la première pluie.
Avant de prononcer
Un mot
Adore le divin
AUM
Demande la permission
De l'utiliser
Pour cette nouvelle aube
Ardemment désirée.
Oui, chers amis !
Voici ce que l’on doit
Payer à l’instant.
Seule une bienveillante gratitude
Émanant
D’Un cœur pur et
Soumis
Peut exécuter les
Lois divines-
Une relation entre
Dieu et l'homme
En l'aimant
Pendant et après sa
Demeure éphémère.
*
L’ESPRIT
L’esprit
Issu de la berge
D’un fleuve
Entre directement
Dans l'océan insondable
Du destin.
L’esprit,
Qui accède, par
la conscience Interne
et externe
porte une promesse
de destin
Et pénètre
les entités corporelles
Des animaux, des oiseaux
Et même celle de
L’Homme -
Etre supérieur éphémère
Et totalement épanoui.
L’esprit
Porteur d’un certain
Potentiel
Esquisse à chaque instant
une réplique
Du processus cyclique
d’illumination
Sur le chemin circulaire du ciel.
L’esprit
qui choisit
Et m’a choisi
Moi
Le temps de ma vallée
Les frontière de
Mon entrée et ma sortie
Et même, éternellement brillant,
Le Royaume de ma conscience
Et
Le patrimoine contenu
Dans mes globes oculaires
Manifestant
Passé comme futur.
Un tel esprit
Érigeant une demeure
Dans mon corps
Depuis des temps immémoriaux
a soigné
la nécessaire régularité des
Programmes et processus
Et
La recherche et le résultat
Vérité et contrevérité
Achèvement et inachèvement
Lumière et obscurité
Émanant
d'eux.