Brigitte Maillard, L’Au-delà du monde

Dans ce recueil intitulé, L’au-delà du monde,  Brigitte Maillard interroge cette tension permanente entre le réel et son envers et en définitive entre la vie et la mort dont toute existence porte la déchirure à la fois éblouissante et tragique. Ce texte envoûtant et profond se propose donc d’aller « au-delà », dans cette zone frontière entre le visible et l’invisible que la poésie, selon sa propre définition, ne cesse d’interroger :

Au-delà du monde
Il y a quelque chose de grave et d’inattendu dans la
Vie.
Il y a un lieu dans le monde, certains diraient une utopie, où il n’y a pas….C’est un au-delà du monde.
Un fruit au cœur de l’arbre.  (p.5)

Brigitte Maillard L'Au delà du monde, Librairie Galerie Racine septembre 2017, 15 €

Brigitte Maillard, L'Au delà du monde, Librairie Galerie Racine septembre 2017, 15 €

En explorant ainsi la limite, on se situe « au bord de l’univers » en un étrange voyage où se dévoile une autre dimension de la réalité :

où il n’y a pas de forme, de son, de parfum de goût, de toucher ni d’éléments, dit Le Sûtra du Cœur. Un autre monde se dévoile. Avec le temps se dégage la réalité des représentations illusoires. La lutte est souvent rude contre la présence extravagante du Monde. C’est un renversement complet qui nous attend. (p.6)

Ainsi délestés de tout leurre par l’épreuve du temps, seule en nous demeure la pure sensation d’exister que scandent inlassablement quelques phrases épurées dont l’économie de moyens ne vise qu’à atteindre l’essentiel :

Ne plus vivre la vie
Mais la vie devenir.  (p.9)

Comme une terre inconnue, cet au-delà du monde reste bien sûr impossible à appréhender puisqu’il ne peut s’atteindre qu’au prix de notre propre disparition. Cet échec toutefois est aussi un vecteur d’éblouissement qui nous porte à aimer la vie davantage encore à travers son éphémère fragilité :

De cette grâce familière
Ne veux-tu pas tenir le monde
Jusqu’à plus soif
Jusqu’à plus rien (p.10)

Ainsi perdus au milieu de nulle part, il s’agit de faire danser la beauté et d’accepter que « la réalité ne soit qu’un masque pour le devenir » avec pour seule boussole cette aspiration permanente à la lumière :

Revenons au soleil
A la joie de l’éclair
Au passé furtif
Du boulevard
Des rêves. (p.37)

Si tout n’est qu’adieu et perte, il y a là cependant matière à créer « un gai savoir » porteur d’un brin de légèreté et d’ironie :

Vivre le temps d’un fruit (p.39)

Ainsi pour Brigitte Maillard, le but ultime de toute poésie est de se heurter à cet impossible Réel « tracé par les lignes » qui parcourent sans répit ce fil ténu « au bout du rien » où douceur et douleur ne font plus qu’un. En définitive cet arrière-monde parce qu’il demeure celé nous renvoie toujours  à « l’ici », seul territoire que la parole parvient à parcourir :

J’ai cherché des langages pour
Entendre le monde, m’entretenir avec lui. (p.46)

Le poète n’est plus alors qu’un simple témoin qui porte la soif d’une inatteignable transcendance. Mais cet échec même, cette fracture est ce qui nourrit l’écriture poétique dont ce texte constitue un vibrant hommage où se devine la richesse de tout un cheminement intérieur.  En sa forme, il mélange harmonieusement réflexion, aphorismes, citations et même si certaines formulations sont beaucoup plus saisissantes que d’autres, il contient de très belles et saisissantes fulgurances. L’originalité de la construction, en ses ruptures de style, crée une sorte de vertige qui nous conduit progressivement vers une sorte d’épure à travers laquelle filtre cependant l’espoir d’une clarté soudaine :

Bientôt je serai dans la lumière
Pour créer le jour. (p.29)

Ce très beau recueil, nous conduit donc à cheminer vers l’inconnu, cette œuvre de toute une vie, que nous parcourons dans les pas de l’auteur jusqu’au seuil infranchissable de cet Au-delà du monde :

Je ne suis que limites tracées par des lignes
Qui suivent le cours des choses. Ligne de vie, de
Rêve ancien, qui me relie au dessin du monde.
Jusqu’à la limite singulière, au bord du monde : là
Est un visage où se dévoile la ligne imaginaire : Au-
Delà du monde.




Grenier du Bel Amour (7)

 

En chemin… A propos de Brigitte Maillard

 C’est entendu : le soleil nous éclaire et nous réchauffe (le soleil de ce monde, le soleil fait de matière et d’atomes).
  Mais n’y a-t-il un soleil  au delà de ce seul soleil visible, un soleil qui nous entoure de sa ténébreuse lumière, un soleil  « sur-réel » qui serait le guide de nos âmes en ce monde imparfait ?

  Bien sûr, on connaissait déjà le « soleil noir de la mélancolie » dont nous avait déjà tant entretenu, dans son sentiment intime d’être un desdichado, un poète comme Gérard de Nerval – et dont l’appréhension court aussi bien dans de nombreuses pages des Filles du feu que dans Sylvie, pour finir en apothéose dans l’ultime inspiration d’Aurelia.

   N’existe-t-il pas, néanmoins – et encore plus profondément – un autre soleil, dont la noirceur intrinsèque serait due à un trop-plein de lumière (une telle lumière qu’elle aveuglerait nos yeux), un soleil dont l’absence serait la preuve la plus tangible de son irrémessible présence à nos cœurs et à nos mains adorantes ?

   Il me semble (me trompé-je ?) que c’est de ce soleil que nous entretient Brigitte Maillard dans le recueil poétique qu’elle vient de faire paraître,  et que, lorsqu’elle note presque tout de suite (dès la deuxième page précisément) : « tu vois il a disparu/ il ne reste que l’horizon », elle se trouve extraordinairement proche de ce Père de Cappadoce qu’était Grégoire de Nysse quand, dans ses Homélies sur le Cantique des cantiques, il explique que nous allons de « commencement en commencement par des commencements sans fin », et que nous nous approchons ainsi d’un horizon qui, pourtant, se dérobe sans fin.

   Comment comprendre autrement telle notation si proche du Grain de Sénevé de maître Eckhart ou de la parole du « Bienheureux » à Arjuna, dans la Bhagvad-Gita, sur « Cela » qui, à la vérité, ne se trouverait ni près ni loin : « Je suis un peu perdue/ ici-bas n’est pas ici et ailleurs/ ici » ?

   Bien sûr, ces vers se poursuivent par l’évocation de la mort, mais s’agit-il de la même mort à laquelle nous sommes habitués ? Lorsque Brigitte Maillard  écrit par exemple, s’adressant à elle : « décore mon jardin/ de tes mains si douces », pour continuer peu après par : «  éternité/ tu devances ma vie ! », comment ne pas entendre que c’est avec le suprême  mystère qu’elle s’entretient de la sorte ?

   Et dès lors, cet Amour dont ne veut se déprendre l’auteur (mais plutôt, sans cesse et sans cesse, rechercher son essence jusque dans les recoins de la vie), peut révéler son visage sans figure discernable : « je crie l’amour unique/ la flambée de violence/ la courroie qui se brise/ et la corde qui m’attache// fleur au soleil levé je crie/ la chute de l’homme dans les dimensions de dieu »…

   C’est le moment, en effet, où elle peut bien relever que, « Poète sans histoire, au bord du gouffre, la tête renversée je touche au ciel. »  et qu’ « il a fallu mourir// (plus de mille fois par jour/ à la morsure du loup)// pour que naisse le jour/ que la vie se  retrouve/ sans que rêve l’amour ».

    Et si le vrai soleil, dans notre vie comme elle est – et dans cette part d’éternité dont nous sommes aussi constitués – c’était cela : un soleil d’après le soleil, une telle sombre lumière dont nous désespérons de pouvoir jamais l’exprimer – et si son adoration consistait à se taire pour d’autant mieux le révérer dans sa source de bienfaits et son pouvoir de transmutation ?

   « naît alors/ un vrai visage/ sans second plan/ avec Amour///sur le vent de la pierre et des ombres/ sur le verbe fruit/ sur ce qui est là// (demeure le silence)

Présentation de l’auteur




C’est autre chose qui se réserve le droit d’exister

 

C'est autre chose qui se réserve le droit d'exister
Autre chose
Un détail entre le sommeil et la vie
Une once de fleur de prairie
Qui se dévoile sous la langue

 

 

extrait  de La simple évidence de la beauté Ed Atlantica  2011
 

Présentation de l’auteur




Plonger dans la nuit noire

 

Plonger dans la nuit noire
enveloppée de désir
au loin un ciel en feu
au coeur un chant d'étoiles

Plonger dans la nuit noire
y laisser tout son corps
et surgir des limites
inondée de lumière

 

 

extrait  de La simple évidence de la beauté Ed Atlantica  2011
 

Présentation de l’auteur




l’expatrié

 

Bancal, hirsute
Il avance
Appuyé sur les mythes
La peau dorée par le soleil
Le cœur qui tape
Il a tout donné à la peur de dieu
Son nom est un voile
Il avance dans le silence
L’expatrié
Seul entre deux mimosas
Deux fleurs de pavot
Il avance
Tantôt vif tantôt effacé
L’air le pousse dans le vent
Et renverse ses certitudes
Dans la marge
Il a noté quelques souvenirs
Sur lesquels il s’appuie pour marcher

 

extrait de La simple évidence de la beauté Ed Atlantica  2011
 

Présentation de l’auteur