Cécile A. Holdban, Premières à éclairer la nuit

Faire parler quinze femmes poètes du XXe siècle dans des lettres (imaginaires) adressées à des êtres chers : un projet original et surtout ambitieux que l’autrice, poète et peintre, Cécile A. Holdban a réalisé dans un livre qui nous fait traverser les plus grands drames du siècle passé.

« Elles furent les témoins des grands drames qui sont les marqueurs du XXe siècle », souligne d’emblée Cécile A. Holdan. Le nazisme pour les Allemandes Nelly Sachs et Gertrud Kolmar. Le stalinisme pour la Russe Anna Akhmatova. L’Apartheid pour la Sud-Africaine Ingrid Jonker. Le fondamentalisme islamisme (toujours d’actualité) pour l’Iranienne Forough Farroghzad … « Ce qui leur est commun » , ajoute Cécile A. Holdban, « c’est le besoin de transcender la vie par les mots, de ne pas accepter l’insupportable, de braver les habitudes, de porter le poids du destin.»

Mais pourquoi cet intérêt de l’autrice de ce livre pour ces femmes au destin souvent tragique (près de la moitié d’entre elles se suicideront) ? C’est « parce que ces poétesses ont été traversées par cet histoire dont j’ai hérité une part de mes grands-parents, que leur œuvre résonne en moi », explique Cécile A. Holdban (évoquant notamment une grand-mère maternelle née dans l’Autriche-Hongrie du siècle dernier).

Cécile A. Holdban, Premières à éclairer la nuit, Arléa, 240 pages, 21 euros.

Pour autant, en choisissant ces femmes écrivains, il ne s’agissait pas, pour elle, de faire un livre à connotation féministe. « Ce serait réducteur de parler d’une poésie féminine », convient-elle, même si le titre du livre, Premières à éclairer la nuit, entend bien souligner le rôle éminent joué par les femmes en ces périodes troublées.

Il ne s’agit pas non plus, ici, d’une biographie de ces femmes poètes, mais de récits de 8 à 10 pages, où « chacune de ces voix s’adresse, à la première personne du singulier, à un être cher ». L’Autrichienne Ingeborg Bachman s’adresse à Paul Celan, l’Américaine Sylvia Plath à son mari le poète anglais Ted Hughes, Nelly Sachs à Selma Lägerlof, la Russe Marina Tsvetaieva à sa sœur cadette, la Finlandaise Edith Södergran également à sa sœur…

L’originalité du texte de Cécile A. Holdban est d’avoir incorporé dans son récit des passages en italique qui sont extraits des poèmes, journaux ou correspondances de ces quinze femmes. Ainsi quand l’Allemande Gertrud Kolmar s’adresse à sa sœur Hilde Wenzel, on peut lire : « Les persécutions dont nous étions victimes semblaient ne pas devoir connaître de fin (…) Je me disais : je vais mourir comme meurent la plupart, le râteau passera au travers de cette vie et mettra mon nom en copeaux dans la glèbe ». Quand l’Italienne Antonia Pozzi évoque son amour de la montagne à son ami Tullio Gadenz, poète et alpiniste, on peut lire : « Je me suis toujours représenté le paradis de Dante comme un refuge de montagne. Ici il est impossible de mourir. J’y ai connu les premiers émois de ma chair, dans une communion presque érotique avec la nature ». Et Cécile A. Holdban ajoute, en italique, ces mots recueillis dans l’œuvre de Pozzi. « Aujourd’hui, je me cambre nue dans la pureté du bain blanc, et je me cambrerai nue demain sur un lit, si quelqu’un me prend »

Tout est l’avenant dans ce livre en faisant cohabiter habilement des lettres imaginaires (mais fondées sur l’histoire) avec des textes authentiques de ces femmes poètes. Cécile A. Holdban nous révèle, par le fait même, sa profonde connaissance de la littérature féminine du XXe siècle. Elle éclaire pour nous le chemin qui a conduit ces femmes à l’écriture de poèmes pour pointer du doigt des drames absolus, mais aussi pour témoigner de leur amour et de la beauté du monde.

Présentation de l’auteur

Cécile A. Holdban

Elle est peintre et écrivain, lauréate du prix Yvan Goll (2017) et du prix Calliope du Cénacle Européen (2017), est également traductrice et coéditrice de la Revue Ce qui reste, une revue en ligne de littérature et d’art contemporains. Elle anime une chronique littéraire sur Aligre FM radio.

Elle pratique peinture et écriture en les faisant dialoguer : les liens et transmissions entre les différentes formes d’arts sont au cœur de son travail. Son univers de création se fonde sur ces rapports synesthésiques. Il s’enrichit de l’observation et de l’imaginaire de la nature, entre paysage visible et invisible, d’une écoute et d’une attention au vivant, aux contes et mythes.

Elle collabore par ses peintures,  poèmes, traductions et articles à de nombreuses revues, anthologies et ouvrages collectifs variés. Elle aime aussi s’associer à d’autres créateurs ou écrivains dans des publications, revues et livres d’artistes. Elle a fait l’objet de deux expositions personnelles en France et participe régulièrement à des expositions collectives et des festivals, et anime régulièrement des masterclasses et ateliers de création, d’écriture et expression plastique.

Cécile A. Holdban

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Derniers ouvrages publiés

Premières à éclairer la nuit, récit, Arléa, janvier 2024

Toutes ces choses qui font craquer la nuit, textes et peintures, Exopotamie, 2023

Osselets, dessins et poèmes, Le Cadran Ligné, Saint- Clément, 2023

Kaléidoscope, 173 poètes contemporains mis en image pendant le confinement, l’Atelier des Noyers, Dijon, 2023

Jacques Bibonne, une vie en peinture (collectif, texte de contribution au catalogue ) éditions Le temps qu’il fait, Bordeaux,  2023

Pierres et berceaux, dessin et poèmes, Potentille, Nevers, 2021.

Toucher terre, Arfuyen, Paris, 2018

Silence, photographies d’Anne Lise Broyer, poème de Cécile A. Holdban, Sous les glycines, Paris, 2016.

Poèmes d’après suivi de La route de sel, Arfuyen, Paris, 2016.

Quelques traductions :

John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais, édition traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, Poésis, 2021

Howard Mc Cord, Poèmes Chamaniques, édition établie, traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, La Part Commune, 2021

Virginia Woolf, Le Paradis est une lecture continue, traduction et présentation de Cécile A. Holdban, La Part Commune, Rennes, 2019.

Virginia Woolf, Ainsi parlait – Thus Spoke, dits et maximes de vie choisis, traduits de l’anglais et présentés par Cécile A. Holdban, édition bilingue, Arfuyen, Paris, 2019.

Sándor Weöres, Filles, nuages et papillons (Lányok, lepkék, fellegek), poèmes choisis et traduits du hongrois par Cécile A. Holdban, Érès Po&Psy, Toulouse, 2019.

Dezső Kosztolányi, Venise, traduction du hongrois et préface de Cécile A. Holdban, Cambourakis, Paris, 2017.

Attila József, Le Mendiant de la beauté, Le Temps des Cerises, Paris, 2014, poèmes traduits du hongrois par Francis Combes, Cécile A. Holdban et Georges Kassai.

DÉCOUVRIR

Site de la Revue Ce qui reste – Journal quotidien de son travail de peintre sur Instagram

Mail : mcguichard@outlook.com

Autres lectures

Un nid dans les ronces de Cécile A.Holdban

     Voici un recueil de haïkus, mais pas seulement de haïkus. Les tercets de Cécile A.Holdban sont fidèles à l’esprit et aux règles du fameux genre poétique japonais mais s’en échappent aussi [...]

Cécile A. Holdban : Toucher terre

La poésie de Cécile A. Holdban touche à l’intime mais demeure en permanence auréolée d’une forme de mystère. La poète creuse l’énigme de la vie.  « Il restait une fleur/sur terre/pour l’éclairer », écrit Cécile A. [...]

Cécile A. Holdban, Kaléidoscope, Tapis de chiffons

 Kaléidoscope, un « Tapis de chiffons » pour temps de pandémie « Une polyphonie visuelle et écrite ». C’est ainsi que Cécile A. Holdban définit le beau petit livre publié par les éditions de l’Atelier des Noyers, [...]

Cécile A. Holdban, Premières à éclairer la nuit

Faire parler quinze femmes poètes du XXe siècle dans des lettres (imaginaires) adressées à des êtres chers : un projet original et surtout ambitieux que l’autrice, poète et peintre, Cécile A. Holdban a réalisé [...]




Cécile A.Holdban, Toutes ces choses qui font craquer la nuit

  L’art du bref. Cécile A.Holdban nous le démontre à nouveau en publiant pas moins de 208 haîkus et tercets qu’elle accompagne de ses propres peintures. L’artiste et poète fait état, dans ce nouveau livre, du fruit de ses travaux lors d’une résidence littéraire et artistique en Ardèche.

Cécile A.Holdban a plusieurs cordes à son arc. Poète, peintre, traductrice (hongrois, anglais…), elle « écripeint », comme elle le dit elle-même, dans des livres ou des revues. A propos d’un de ses premiers recueils (Un nid dans les ronces, La Part Commune), on avait noté « la tendresse vigilante qu’elle portait aux paysages et à ceux qu’elle porte en elle ».

 Nous voici, à nouveau, de plain-pied dans cette approche sensorielle du monde. Cécile A.Holdban empoigne le réel avec à la fois l’exigence et la simplicité qui sied aux poètes authentiques. Ce réel, c’est d’abord une nature dans laquelle elle plonge sans retenue. Fidèle en cela aux principes fondateurs du haïku, elle touche du doigt le monde qui vit autour d’elle en jetant son dévolu sur tout ce qui bouge au bord du chemin, souvent le plus insignifiant. « Une joie discrète/savoir nommer/les herbes du sentier », écrit-elle. « Jour après jour/je vois s’arrondir/la pomme reinette ».

Attentive à ces instants de déambulation vécus dans la campagne ardéchoise, elle peut aussi écrire : « Depuis le vieux pont/jusqu’à la chèvrerie/la piste des crottes ». Car Cécile A.Holdban n’écrit pas de n’importe où. Son texte porte la marque du terroir qui l’accueille. Voici, sous sa plume, les châtaigniers, les cèpes et les girolles, le chêne-vert ou la marjolaine. « Aube violette/trois prunes blettes/sur le chemin ». Et que dire de tous ces oiseaux qui lui tiennent compagnie, qu’elle nomme ou qu’elle peint avec gourmandise. Pic-épeiche, Rouge-queue, sittelle, geai, buse : ils traversent ses pages d’un coup d’aile et ses haïkus en gardent la trace. « Le toc-toc du pivert/m’offre les portes/d’un pays d’arbres »

Cécile A.Holdban, Toutes ces choses qui font craquer la nuit, Exopotamie Editions, 105 pages, 17 euros.

Du haïku on peut même glisser en douceur vers la pensée ou l’aphorisme. « Prendre ce qui vient/laisser le reste au vent/vivre comme un arbre ». Et sans doute penchée sur ces ruisseaux qui irriguent les collines ardéchoises, elle écrit : « Les souvenirs ricochent/plus longuement que les galets », tandis qu’à la fin d’une journée qu’on imagine riche en cueillettes de toutes sortes, elle écrit ces mots à haute valeur émotionnelle : « Dans un bouquet/l’enfance de ma mère/et celle de mes enfants ».  De bout en bout, on sent l’artiste-peintre qu’elle est s’efforcer de  rester fidèle à ce que ses yeux ont vu. « Chercher longtemps/la nuance exacte/de l’ombre d’un pétale ». Ce  souci de la justesse et de l’exactitude qui la caractérise.

Présentation de l’auteur

Cécile A. Holdban

Elle est peintre et écrivain, lauréate du prix Yvan Goll (2017) et du prix Calliope du Cénacle Européen (2017), est également traductrice et coéditrice de la Revue Ce qui reste, une revue en ligne de littérature et d’art contemporains. Elle anime une chronique littéraire sur Aligre FM radio.

Elle pratique peinture et écriture en les faisant dialoguer : les liens et transmissions entre les différentes formes d’arts sont au cœur de son travail. Son univers de création se fonde sur ces rapports synesthésiques. Il s’enrichit de l’observation et de l’imaginaire de la nature, entre paysage visible et invisible, d’une écoute et d’une attention au vivant, aux contes et mythes.

Elle collabore par ses peintures,  poèmes, traductions et articles à de nombreuses revues, anthologies et ouvrages collectifs variés. Elle aime aussi s’associer à d’autres créateurs ou écrivains dans des publications, revues et livres d’artistes. Elle a fait l’objet de deux expositions personnelles en France et participe régulièrement à des expositions collectives et des festivals, et anime régulièrement des masterclasses et ateliers de création, d’écriture et expression plastique.

Cécile A. Holdban

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Derniers ouvrages publiés

Premières à éclairer la nuit, récit, Arléa, janvier 2024

Toutes ces choses qui font craquer la nuit, textes et peintures, Exopotamie, 2023

Osselets, dessins et poèmes, Le Cadran Ligné, Saint- Clément, 2023

Kaléidoscope, 173 poètes contemporains mis en image pendant le confinement, l’Atelier des Noyers, Dijon, 2023

Jacques Bibonne, une vie en peinture (collectif, texte de contribution au catalogue ) éditions Le temps qu’il fait, Bordeaux,  2023

Pierres et berceaux, dessin et poèmes, Potentille, Nevers, 2021.

Toucher terre, Arfuyen, Paris, 2018

Silence, photographies d’Anne Lise Broyer, poème de Cécile A. Holdban, Sous les glycines, Paris, 2016.

Poèmes d’après suivi de La route de sel, Arfuyen, Paris, 2016.

Quelques traductions :

John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais, édition traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, Poésis, 2021

Howard Mc Cord, Poèmes Chamaniques, édition établie, traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, La Part Commune, 2021

Virginia Woolf, Le Paradis est une lecture continue, traduction et présentation de Cécile A. Holdban, La Part Commune, Rennes, 2019.

Virginia Woolf, Ainsi parlait – Thus Spoke, dits et maximes de vie choisis, traduits de l’anglais et présentés par Cécile A. Holdban, édition bilingue, Arfuyen, Paris, 2019.

Sándor Weöres, Filles, nuages et papillons (Lányok, lepkék, fellegek), poèmes choisis et traduits du hongrois par Cécile A. Holdban, Érès Po&Psy, Toulouse, 2019.

Dezső Kosztolányi, Venise, traduction du hongrois et préface de Cécile A. Holdban, Cambourakis, Paris, 2017.

Attila József, Le Mendiant de la beauté, Le Temps des Cerises, Paris, 2014, poèmes traduits du hongrois par Francis Combes, Cécile A. Holdban et Georges Kassai.

DÉCOUVRIR

Site de la Revue Ce qui reste – Journal quotidien de son travail de peintre sur Instagram

Mail : mcguichard@outlook.com

Autres lectures

Un nid dans les ronces de Cécile A.Holdban

     Voici un recueil de haïkus, mais pas seulement de haïkus. Les tercets de Cécile A.Holdban sont fidèles à l’esprit et aux règles du fameux genre poétique japonais mais s’en échappent aussi [...]

Cécile A. Holdban : Toucher terre

La poésie de Cécile A. Holdban touche à l’intime mais demeure en permanence auréolée d’une forme de mystère. La poète creuse l’énigme de la vie.  « Il restait une fleur/sur terre/pour l’éclairer », écrit Cécile A. [...]

Cécile A. Holdban, Kaléidoscope, Tapis de chiffons

 Kaléidoscope, un « Tapis de chiffons » pour temps de pandémie « Une polyphonie visuelle et écrite ». C’est ainsi que Cécile A. Holdban définit le beau petit livre publié par les éditions de l’Atelier des Noyers, [...]

Cécile A. Holdban, Premières à éclairer la nuit

Faire parler quinze femmes poètes du XXe siècle dans des lettres (imaginaires) adressées à des êtres chers : un projet original et surtout ambitieux que l’autrice, poète et peintre, Cécile A. Holdban a réalisé [...]




Cécile A. Holdban, extraits inédits de Toucher terre

Les certitudes nous maintiennent sur un socle précaire, flammes debout que bientôt les feuilles recouvrent, amenuisent, étouffent. Nous restons sans appui sur la terre nue, glacée, au seuil du vertige et de l’obscurité.

Notre seul viatique : l’espérance secrète du printemps.

 

 

 

Les migrateurs

Novembre noir, novembre gris
poème sans ciel sans ailes sans bruit
la rue se noie la rue est sombre
le vent tourne dans les manteaux
les visages gommés par la pluie

(en toi indivisible je reconnais
)

on dit que la joie
compose dans sa lumière franche
de trop faibles poèmes

(je ne peux taire le chant
qui le matin monte à ma gorge
)

on dit que la joie
est un leurre pour les oiseaux
que la vérité se situe
dans des zones entre gel et ombre
dans l’opacité de la rue

(je te sais, et je suis la source
comme la source
)

Novembre noir, novembre gris,
dans l’aube humide sur les ruelles
j’ai vu la joie ordonnant sa clarté
vers ce vol lointain que ton regard suivait.

 

 

 

Templum

les augures déchiffrent le vol des oiseaux dans un carré donné de ciel.
baguette de coudrier, bois de cerf, trompette de cuivre
tracent dans les airs l’angle d’une vision inaccessible

Sois l’espace entier, la fenêtre où voir est sans limite
l’horizon : on le mesure à ce qui tremble
par delà les lignes possibles. Le temple est transparent

 

 

 

Hirondelle

fends et strie le ciel de l’arc de tes ailes
présage, pulsation, boomerang
ailes noires, cœur rouge, ventre blanc
emporte dans la nue les couleurs du conte
et reviens, plumes empennées d’orage
de foudre, illuminer la nuit

 

 

 

Vivre c’est
entendre cette musique qui s’élève
parfois avec la douleur

Vénus annonçant la nuit

nos mains

(comme un pressentiment
             le mouvement suspendu)

sont tendres
et disent en se retirant :

grâce soit rendue à nos os de flûte
par qui la musique fut ailée.

Présentation de l’auteur

Cécile A. Holdban

Elle est peintre et écrivain, lauréate du prix Yvan Goll (2017) et du prix Calliope du Cénacle Européen (2017), est également traductrice et coéditrice de la Revue Ce qui reste, une revue en ligne de littérature et d’art contemporains. Elle anime une chronique littéraire sur Aligre FM radio.

Elle pratique peinture et écriture en les faisant dialoguer : les liens et transmissions entre les différentes formes d’arts sont au cœur de son travail. Son univers de création se fonde sur ces rapports synesthésiques. Il s’enrichit de l’observation et de l’imaginaire de la nature, entre paysage visible et invisible, d’une écoute et d’une attention au vivant, aux contes et mythes.

Elle collabore par ses peintures,  poèmes, traductions et articles à de nombreuses revues, anthologies et ouvrages collectifs variés. Elle aime aussi s’associer à d’autres créateurs ou écrivains dans des publications, revues et livres d’artistes. Elle a fait l’objet de deux expositions personnelles en France et participe régulièrement à des expositions collectives et des festivals, et anime régulièrement des masterclasses et ateliers de création, d’écriture et expression plastique.

Cécile A. Holdban

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Derniers ouvrages publiés

Premières à éclairer la nuit, récit, Arléa, janvier 2024

Toutes ces choses qui font craquer la nuit, textes et peintures, Exopotamie, 2023

Osselets, dessins et poèmes, Le Cadran Ligné, Saint- Clément, 2023

Kaléidoscope, 173 poètes contemporains mis en image pendant le confinement, l’Atelier des Noyers, Dijon, 2023

Jacques Bibonne, une vie en peinture (collectif, texte de contribution au catalogue ) éditions Le temps qu’il fait, Bordeaux,  2023

Pierres et berceaux, dessin et poèmes, Potentille, Nevers, 2021.

Toucher terre, Arfuyen, Paris, 2018

Silence, photographies d’Anne Lise Broyer, poème de Cécile A. Holdban, Sous les glycines, Paris, 2016.

Poèmes d’après suivi de La route de sel, Arfuyen, Paris, 2016.

Quelques traductions :

John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais, édition traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, Poésis, 2021

Howard Mc Cord, Poèmes Chamaniques, édition établie, traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, La Part Commune, 2021

Virginia Woolf, Le Paradis est une lecture continue, traduction et présentation de Cécile A. Holdban, La Part Commune, Rennes, 2019.

Virginia Woolf, Ainsi parlait – Thus Spoke, dits et maximes de vie choisis, traduits de l’anglais et présentés par Cécile A. Holdban, édition bilingue, Arfuyen, Paris, 2019.

Sándor Weöres, Filles, nuages et papillons (Lányok, lepkék, fellegek), poèmes choisis et traduits du hongrois par Cécile A. Holdban, Érès Po&Psy, Toulouse, 2019.

Dezső Kosztolányi, Venise, traduction du hongrois et préface de Cécile A. Holdban, Cambourakis, Paris, 2017.

Attila József, Le Mendiant de la beauté, Le Temps des Cerises, Paris, 2014, poèmes traduits du hongrois par Francis Combes, Cécile A. Holdban et Georges Kassai.

DÉCOUVRIR

Site de la Revue Ce qui reste – Journal quotidien de son travail de peintre sur Instagram

Mail : mcguichard@outlook.com

Autres lectures

Un nid dans les ronces de Cécile A.Holdban

     Voici un recueil de haïkus, mais pas seulement de haïkus. Les tercets de Cécile A.Holdban sont fidèles à l’esprit et aux règles du fameux genre poétique japonais mais s’en échappent aussi [...]

Cécile A. Holdban : Toucher terre

La poésie de Cécile A. Holdban touche à l’intime mais demeure en permanence auréolée d’une forme de mystère. La poète creuse l’énigme de la vie.  « Il restait une fleur/sur terre/pour l’éclairer », écrit Cécile A. [...]

Cécile A. Holdban, Kaléidoscope, Tapis de chiffons

 Kaléidoscope, un « Tapis de chiffons » pour temps de pandémie « Une polyphonie visuelle et écrite ». C’est ainsi que Cécile A. Holdban définit le beau petit livre publié par les éditions de l’Atelier des Noyers, [...]

Cécile A. Holdban, Premières à éclairer la nuit

Faire parler quinze femmes poètes du XXe siècle dans des lettres (imaginaires) adressées à des êtres chers : un projet original et surtout ambitieux que l’autrice, poète et peintre, Cécile A. Holdban a réalisé [...]




Cécile A. Holdban, Kaléidoscope, Tapis de chiffons

 Kaléidoscope, un « Tapis de chiffons » pour temps de pandémie

« Une polyphonie visuelle et écrite ». C’est ainsi que Cécile A. Holdban définit le beau petit livre publié par les éditions de l’Atelier des Noyers, qui restitue son projet en collaboration avec 172 poètes. Elle les avait contactés lors de la pandémie, au moment du confinement lors du printemps 2020, leur proposant de lui livrer un simple vers de poésie (sur ce moment particulier) qu’elle se chargerait ensuite d’illustrer à sa manière. Aujourd’hui nous avons entre les mains un superbe objet/livre où s’exprime tout le talent d’artiste et de poète de Cécile A. Holdban.

Le défi n’était pas mince. Cécile A. Holdban avait pris le parti d’illustrer chaque vers sur un support pour le moins original : un sachet de thé. S’inspirant du titre d’un livre du Hongrois Sándor Weöres (Tapis de chiffons), elle a d’abord envisagé un projet collectif qui pourrait  prendre corps  sur une grande surface (en assemblant les sachets de thé sur un drap) puis, deux ans plus tard, le projet a pris forme dans un petit livre au format à l’italienne où sont repris, page par page, chaque vers et chaque illustration correspondante.

Variant les technique picturales – aquarelles, crayons, pastels, encres, acryliques – recourant aussi bien à des motifs abstraits que figuratifs, l’artiste nous propose aujourd’hui ce merveilleux Kaléidoscope de « temps de détresse » (comme le dirait Hölderlin). « Chacun est libre d’y entreprendre son propre cheminement. Ce kaléidoscope est aussi un labyrinthe », note Cécile A. Holdban.

Cécile A. Holdban, Kaléidoscope, Tapis de chiffons, L’Atelier des Noyers, 20 euros.

« Il appartient à chacun de tisser son propre fil d’Ariane ». Une chose est sûre : le monde confiné vibre sous son pinceau et sous la plume des poètes. On pourrait dire, reprenant le titre d’un livre de Jean Pierre Nedelec, que « Le monde était plein de couleurs » durant cette pandémie. Paradoxe de cette période grise et terne, souvent douloureusement vécue mais qui a aussi permis de se réapproprier autrement le monde. A commencer par le silence qui trouve ici un écho chez de nombreux poètes. « Les mots gonflés de silence comme une sève explosive », écrit Françoise Ascal. « Parfois, j’ai envie de dire oui au silence, alors j’écris », affirme pour sa part Isabelle Alentour.

Ecrire. Dieu sait si le confinement a encouragé cette pratique (on pense notamment à La baie vitrée de Yvon Le Men aux éditions Bruno Doucey). « Le matin, je tire de l’écriture la preuve que je vis », énonce Frédérique Germanaud. « J’écris pour soustraire un peu de feu à l’orage », confie Lionel Gerin. Et puis il y a les oiseaux dont on redécouvre le chant. « Ma fenêtre, un passereau/une passerelle » (Jean-François Agostini). « Et dans la haie, le vol endormi des alouettes »(Bertrand Runtz). La pandémie limitant les déplacements, on redécouvre les bienfaits du jardin « dans l’odeur de la menthe » (Christian Bulting) ou ceux de la nature qui explose avec « Pâques à l’extrême d’un bourgeon » (Françoise Matthey).

Les 172 poètes réunis par Cécile A. Holdban (par ordre alphabétique) sont majoritairement français, mais ils peuvent aussi être belges, hongrois, italiens, québécois, suisses ou américains… Poètes connus ou méconnus, réunis avec bonheur dans ce Kaléidoscope. Il y a  là Denise Desautels, Jean Rouaud, Gérard Pfister, Jos Roy, Thierry Gillybœuf, Valérie Rouzeau, Yves Prié, Jean-Claude Caër, Howard McCord, Christian Viguié, François Rannou, Alain Kervern, Cécile Guivarch, Jean Lavoué, Laure Morali, Angèle Paoli, Béatrice Marchal, Estelle Fenzy… Voilà quelques noms (bien connus) relevés parmi d’autres. Sans oublier Cécile A. Holdban, elle-même poète. « Les gouttes seraient l’alphabet pour écrire l’arc-en-ciel », écrit-elle.

Présentation de l’auteur

Cécile A. Holdban

Elle est peintre et écrivain, lauréate du prix Yvan Goll (2017) et du prix Calliope du Cénacle Européen (2017), est également traductrice et coéditrice de la Revue Ce qui reste, une revue en ligne de littérature et d’art contemporains. Elle anime une chronique littéraire sur Aligre FM radio.

Elle pratique peinture et écriture en les faisant dialoguer : les liens et transmissions entre les différentes formes d’arts sont au cœur de son travail. Son univers de création se fonde sur ces rapports synesthésiques. Il s’enrichit de l’observation et de l’imaginaire de la nature, entre paysage visible et invisible, d’une écoute et d’une attention au vivant, aux contes et mythes.

Elle collabore par ses peintures,  poèmes, traductions et articles à de nombreuses revues, anthologies et ouvrages collectifs variés. Elle aime aussi s’associer à d’autres créateurs ou écrivains dans des publications, revues et livres d’artistes. Elle a fait l’objet de deux expositions personnelles en France et participe régulièrement à des expositions collectives et des festivals, et anime régulièrement des masterclasses et ateliers de création, d’écriture et expression plastique.

Cécile A. Holdban

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Derniers ouvrages publiés

Premières à éclairer la nuit, récit, Arléa, janvier 2024

Toutes ces choses qui font craquer la nuit, textes et peintures, Exopotamie, 2023

Osselets, dessins et poèmes, Le Cadran Ligné, Saint- Clément, 2023

Kaléidoscope, 173 poètes contemporains mis en image pendant le confinement, l’Atelier des Noyers, Dijon, 2023

Jacques Bibonne, une vie en peinture (collectif, texte de contribution au catalogue ) éditions Le temps qu’il fait, Bordeaux,  2023

Pierres et berceaux, dessin et poèmes, Potentille, Nevers, 2021.

Toucher terre, Arfuyen, Paris, 2018

Silence, photographies d’Anne Lise Broyer, poème de Cécile A. Holdban, Sous les glycines, Paris, 2016.

Poèmes d’après suivi de La route de sel, Arfuyen, Paris, 2016.

Quelques traductions :

John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais, édition traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, Poésis, 2021

Howard Mc Cord, Poèmes Chamaniques, édition établie, traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, La Part Commune, 2021

Virginia Woolf, Le Paradis est une lecture continue, traduction et présentation de Cécile A. Holdban, La Part Commune, Rennes, 2019.

Virginia Woolf, Ainsi parlait – Thus Spoke, dits et maximes de vie choisis, traduits de l’anglais et présentés par Cécile A. Holdban, édition bilingue, Arfuyen, Paris, 2019.

Sándor Weöres, Filles, nuages et papillons (Lányok, lepkék, fellegek), poèmes choisis et traduits du hongrois par Cécile A. Holdban, Érès Po&Psy, Toulouse, 2019.

Dezső Kosztolányi, Venise, traduction du hongrois et préface de Cécile A. Holdban, Cambourakis, Paris, 2017.

Attila József, Le Mendiant de la beauté, Le Temps des Cerises, Paris, 2014, poèmes traduits du hongrois par Francis Combes, Cécile A. Holdban et Georges Kassai.

DÉCOUVRIR

Site de la Revue Ce qui reste – Journal quotidien de son travail de peintre sur Instagram

Mail : mcguichard@outlook.com

Autres lectures

Un nid dans les ronces de Cécile A.Holdban

     Voici un recueil de haïkus, mais pas seulement de haïkus. Les tercets de Cécile A.Holdban sont fidèles à l’esprit et aux règles du fameux genre poétique japonais mais s’en échappent aussi [...]

Cécile A. Holdban : Toucher terre

La poésie de Cécile A. Holdban touche à l’intime mais demeure en permanence auréolée d’une forme de mystère. La poète creuse l’énigme de la vie.  « Il restait une fleur/sur terre/pour l’éclairer », écrit Cécile A. [...]

Cécile A. Holdban, Kaléidoscope, Tapis de chiffons

 Kaléidoscope, un « Tapis de chiffons » pour temps de pandémie « Une polyphonie visuelle et écrite ». C’est ainsi que Cécile A. Holdban définit le beau petit livre publié par les éditions de l’Atelier des Noyers, [...]

Cécile A. Holdban, Premières à éclairer la nuit

Faire parler quinze femmes poètes du XXe siècle dans des lettres (imaginaires) adressées à des êtres chers : un projet original et surtout ambitieux que l’autrice, poète et peintre, Cécile A. Holdban a réalisé [...]




Cécile A. Holdban : Toucher terre

La poésie de Cécile A. Holdban touche à l’intime mais demeure en permanence auréolée d’une forme de mystère. La poète creuse l’énigme de la vie.  « Il restait une fleur/sur terre/pour l’éclairer », écrit Cécile A. Holdban, comme en écho à ces mots de Philippe Jaccottet : « Prends cette fleur pour t’éclairer dans la traversée des jours ».  Mais si l’écriture de l’auteure a parfois des accointances avec celle du grand poète français, son univers poétique la rattache plutôt à une veine d’écrivains anglo-américains qui lui sont chers (Kathleen Raine, Sylvia Plath…) et, encore plus, à ces auteurs des ex-pays de l’Est, notamment hongrois, pour lesquels elle éprouve une affection (littéraire) particulière.

 

Cécile A. Holdban, Toucher terreArfuyen, 115 pages, 14 euros.

Pas étonnant : Cécile A. Holdban est d’origine hongroise et mène à la fois un travail d’écrivain et de traductrice d’ouvrages publiés en hongrois ou en anglais. Elle introduit d’ailleurs, volontiers, dans ses propres recueils, des textes d’auteurs qu’elle traduit et qu’elle aime particulièrement. C’est encore le cas, dans son nouveau livre. Elle y publie notamment des poèmes de Sandor Weöres (1913-1989), considéré comme l’un des plus grands poètes hongrois, de Janos Pilinszki (1921-1981), poète et dramaturge également hongrois, mais aussi des Américains Howard Mc Cord ou Linda Pastan.

A propos de ce nouveau livre de Cécile A. Holdban, son éditeur affirme qu’il « impose avec une sûreté et une délicatesse infinie un monde troublant et magnifique, peuplé d’obscures menaces et des grâces envoûtantes ».   Les obscures menaces sont là quand « l’aube s’efface », et « la lune rouille », quand « les arbres au loin noircissent»  ou quand « le corps est bien là », mais que « le cœur se fige ». Les grâces envoûtantes, elles, s’arc-boutent à « notre seule viatique : l’espérance secrète du printemps ».  La poète peut alors s’émerveiller et noter que « les yeux rubis des groseilles ouvrent des milliers de paupières » et se mettre à l’écoute de « la respiration palpitante de la pluie mêlant le sang des fleurs à la terre ».

Entre les « menaces » et les « grâces », il y a cette « obstination à chercher/l’étincelle, la part/manquante ».  Car Cécile A. Holdban nous dit avoir « plongé dans le monde avec emportement ». C’est cette énergie vitale (native) qui continue à l’animer. Elle est demeurée « la fillette qui s’élance » en quête de « cette violence joyeuse, cette libération dans le jaillissement de certaines sources » . Car, s’il y a « l’hiver du monde », il y a aussi cette femme qu’elle est (et que l’amour éclaire) dont le « corps déborde » et dont la « tête chante ».

 




Un éditeur et ses auteurs : les Éditions Arfuyen, avec NOVALIS, Marie-Claire BANCQUART, Cécile A. HOLDBAN.

Coup d'oeil sur deux collections des éditions Arfuyen : la collection Ainsi parlait et Les Cahiers d'Arfuyen. Dans la première vient de paraître un volume consacré à Novalis, dans la seconde, deux recueils de poèmes, l'un  dû à Marie-Claire Bancquart, l'autre à Cécile A Holdban…

 

*

 

Ainsi parlait Novalis (choix de Jean et Marie Moncelon)

Novalis : sa vie est une légende, il est mort à 29 ans, en pleine jeunesse. Je ne l'ai jamais lu mais je l'ai découvert dans les œuvres de Pierre Garnier qui, fin connaisseur de la littérature allemande, ne manquait pas de se référer aux grains de pollen ou à la fleur bleue tant dans sa poésie spatiale que dans ses poèmes linéaires. La publication de "Ainsi parlait Novalis" (en édition bilingue) est une bonne occasion de (re)lire ce poète et philosophe pour le découvrir dans toute sa complexité. Il faut affirmer d'emblée que le concept de fleur bleue n'a rien à voir avec la bluette qu'il est devenu de nos jours mais serait plutôt l'articulation de la réalité et de la symbolique, pour dire les choses vite. Il faut donc remercier les auteurs d'avoir accordé la préférence aux fragments philosophiques (et non aux poèmes) qui expriment parfaitement la volonté de transformer pratiquement le monde. Il n'est donc pas étonnant que le philosophe marxiste Georg Lukacs lui ait consacré un essai, "Novalis et la philosophie romantique de la vie" dont j'extrais cette citation : "… il interrogeait la vie et c'est la mort qui lui a répondu". Mais il ne faut pas simplifier la pensée de Novalis car, finalement, ce que dit ce dernier quand il affirme que "le monde doit être romantisé" (p 31), c'est la prééminence de la contradiction.

Mais si Novalis semble avoir retenu la leçon de Boileau, dans son Art Poétique ("Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. / Et les mots pour le dire arrivent aisément"), ici il dit "L'expression juste rend l'idée claire. Dès que l'on possède les noms exacts, on a les idées. Expression transparente, directrice" (p 37). Je relève aussi le volontarisme de Novalis : "La vie doit être non un roman qui nous est donné, mais un roman que nous faisons nous-mêmes" (p 41). Certes, c'est la présentation d'une pensée en fragments qui rend possible ma lecture : je ne retiens d'un fragment que ce qui me parle, en bien ou en mal ; mais Novalis semble avoir répondu d'avance à ma remarque (cf p 47/2)… Je ne suis pas un fanatique du rejet de ce que je lis mais force m'est de constater que ce choix de fragments ne me convient pas… Ou que j'ai été marqué plus que je ne le pense par Pierre Garnier et son usage des concepts de Novalis : me sont étrangers ces propos où Novalis parle de Dieu, de philosophie ou d'autre chose... Mais je suis sensible à ce qu'il écrit à propos de l'amour, j'y reconnais même son amour pour Sophie (p 71/1). Sensible aussi à ce qu'il dit des commerçants de son époque (je ne suis pas loin de penser que nos commerçants actuels, quelle que soit leur taille, ne sont que des boutiquiers !). Il y aurait encore à relever chez Novalis le goût du paradoxe, celui de la tautologie… ou encore cette propension qu'il possède à proférer des sentences brèves qui sont de purs joyaux de poésie comme : "L'eau est une flamme mouillée" (p 115/1).

Peut-être finalement faut-il picorer de-ci de-là dans cet ouvrage et aller voir de près ensuite dans les œuvres complètes de Novalis ? Mais en aurai-je le temps ?

 

*

 

 

Marie-Claire Bancquart, "Tracé du vivant"

Quatre suites de poèmes très libres constituent ce recueil. La première ("Toute minute est première") commence par ce vers : "Je ne crois pas au ciel" ; voilà qui est dit. Comme Marie-Claire Bancquart ne croit pas non plus à une écriture de femmes. De fait, dans ces poèmes, elle dit l'adhésion au monde au moment où elle écrit (ce qui fait la simplicité de cette écriture poétique) et ce n'est pas un hasard si la première suite est traversée de chats et de chiens car il me semble qu'ils symbolisent bien la "chasse royale au bonheur" : "Petites fatigues prises en compte / mains sur le pelage du chat / tiède, tiède,".   C'est que malgré (ou grâce à) la maladie rencontrée dans son enfance, Marie-Claire Bancquart goûte au plaisir de vivre : "… je partage avec eux [la chatte, le bourdon] une place sur terre, un instant très bref dans les millénaires". Rien de plus, rien de moins que cette place, que cet instant pour faire le bonheur : surtout pas l'horrible prétention de partager la vie de la chatte ou du bourdon… Dans la deuxième suite, "Le cri peut être tendre, aussi", Marie-Claire Bancquart relève l'éphémère mais pour autant elle n'est pas insensible aux misères de l'univers. C'est qu'elle est attentive à "l'incertitude de la vie" tout en la célébrant : "- L'odeur / et l'idée que / le monde tout entier / restera peut-être ocre clair, été sucré, abeille". Ce peut-être permet à Marie-Claire Bancquart d'éviter la naïveté… La troisième suite, "En célébration du vivant", est paradoxalement la plus sombre car la conscience de la fugacité des choses étreint Marie-Claire Bancquart : "Dans l'extrême nous retrouvons / la soupe d'origine, où tressaillaient vaguement des cellules". Signe que la poésie n'ignore pas les avancées de la science. Enfin, dans la dernière suite, "Au grand lit du monde", éclate à nouveau la conscience de l'humaine finitude. Mais Marie-Claire Bancquart dit les choses sur le mode de l'euphémisme : "Alors je nous sens provisoires". Le ton se fait plus grave mais avec une certaine légèreté : "La vieille femme dit à Phèdre : / Nous aimons l'existence / parce que d'une autre, nul / n'est jamais revenu pour donner nouvelle". Mais, car il y a un mais, le goût de vivre (c'est ce que dit à sa manière le tercet suivant) se mesure aux petits plaisirs de l'existence comme la lumière ou la douceur d'une orange. Et le syncrétisme de l'avant-dernier poème peut se lire comme un chant d'amour ou une leçon de sagesse…

Je parlais plus haut de la simplicité de l'écriture de Marie-Claire Bancquart. Il m'en faut dire quelques mots. Celle-ci sait isoler un adjectif qualificatif (par exemple) pour le mettre en relief : il constitue alors un vers et ce n'est jamais gratuit. Le poème se fait parfois aphorisme, comme à la page 39. La ponctuation est précise et c'est rare en ces temps. La leçon du passé n'est pas oubliée : c'est ainsi qu'on peut lire (p 64) , "Plutôt que d'écrire sur toi / je te silence" : on pense alors à Henri Pichette et c'est bien… "Tracé du vivant" est à lire de toute urgence.

 

*

Cécile A. Holdban, "Poèmes d'après" suivi de "La Route de sel"

Osons une hypothèse : et si Dieu n'était qu'une invention de l'Homme ? Puisque "C'était une période où Dieu se taisait" et que "des langues de haillons captives / se taisent dans la nasse des bouches"… C'est du moins ainsi que je lis, au risque de me tromper,  ces poèmes. Et ce ne sont pas les textes des poètes traduits par Cécile A Holdban qui viendront contredire cette première impression : je lis plutôt dans ce recueil un mysticisme sans dieu, une inquiétude "dans le sombre des rues""quelque chose bondit" qui n'est pas nommé (p 24). Peut-être la clé du livre se trouve-t-elle à la page 34 : Cécile A Holdban écrirait alors une poésie tantôt suave, tantôt sombre pour conjurer le fait d'avoir quitté son pays d'origine et d'être née à l'étranger ? Toute la deuxième suite met en scène "la petite fille". Mais la patience d'exister pourra-t-elle mûrir ? La "Prière aux arbres" (p 51) semble indiquer que Cécile A Holdban est à la recherche de ses racines… Le troisième chapitre de "Poèmes d'après" est un chant d'amour et d'espoir. Cela ne va pas sans une certaine obscurité : "Tu révèles, silence, / l'univers fondé sur tes mains" (p 62). Ce qui n'empêche pas une attention extrême aux mots, à la langue : "Tu es langue en ce paysage, sa langue, son voyage" (p 75) ou "ces mots qui jamais ne te ressemblent" (p 69).

"La Route de sel" est un chant qui s'élève à la gloire d'un pays. On pense bien sûr à la mythique route de la soie mais ici il ne s'agit que (?) de la route de sel qui ouvre la porte à toutes les interprétations possibles. Cécile A Holdban a beaucoup voyagé : je ne sais pas si elle a parcouru la Nouvelle-Zélande mais ce dont je suis sûr, c'est qu'elle dédie "La Route de sel" à Emilia, un hétéronyme. Ce qui montre la complexité de la pensée de Cécile Holdban, une pensée qui bouge sans cesse. Mais, il faut l'avouer : je me heurte à un mur quand je lis Cécile A Holdban ; suis-je un piètre lecteur ? Ne suis-je pas suffisamment réceptif ? Je remarque bien la présence des oiseaux dans ses poèmes mais je ne sais qu'en penser. C'est là la limite de ma lecture et je l'assume. Mais je lirai avec intérêt et curiosité ses prochains recueils...

 

*

 

En librairie, Arfuyen est diffusé par SOFÉDIS et distribué par SODIS. D'autres collections existent qui font d'Arfuyen un éditeur spécialisé dans la spiritualité au sens large, mais pas exclusivement. Si une large place est faite à la création littéraire (et singulièrement à la poésie) cet éditeur, du fait de son implantation à Orbey (68), s'intéresse aussi à l'Alsace et à ce qui s'y écrit…




Cécile A. Holdban, extraits inédits de Toucher terre

Les certitudes nous maintiennent sur un socle précaire, flammes debout que bientôt les feuilles recouvrent, amenuisent, étouffent. Nous restons sans appui sur la terre nue, glacée, au seuil du vertige et de l’obscurité.

Notre seul viatique : l’espérance secrète du printemps.

 

 

 

Les migrateurs

Novembre noir, novembre gris
poème sans ciel sans ailes sans bruit
la rue se noie la rue est sombre
le vent tourne dans les manteaux
les visages gommés par la pluie

(en toi indivisible je reconnais
)

on dit que la joie
compose dans sa lumière franche
de trop faibles poèmes

(je ne peux taire le chant
qui le matin monte à ma gorge
)

on dit que la joie
est un leurre pour les oiseaux
que la vérité se situe
dans des zones entre gel et ombre
dans l’opacité de la rue

(je te sais, et je suis la source
comme la source
)

Novembre noir, novembre gris,
dans l’aube humide sur les ruelles
j’ai vu la joie ordonnant sa clarté
vers ce vol lointain que ton regard suivait.

 

 

 

Templum

les augures déchiffrent le vol des oiseaux dans un carré donné de ciel.
baguette de coudrier, bois de cerf, trompette de cuivre
tracent dans les airs l’angle d’une vision inaccessible

Sois l’espace entier, la fenêtre où voir est sans limite
l’horizon : on le mesure à ce qui tremble
par delà les lignes possibles. Le temple est transparent

 

 

 

Hirondelle

fends et strie le ciel de l’arc de tes ailes
présage, pulsation, boomerang
ailes noires, cœur rouge, ventre blanc
emporte dans la nue les couleurs du conte
et reviens, plumes empennées d’orage
de foudre, illuminer la nuit

 

 

 

Vivre c’est
entendre cette musique qui s’élève
parfois avec la douleur

Vénus annonçant la nuit

nos mains

(comme un pressentiment
             le mouvement suspendu)

sont tendres
et disent en se retirant :

grâce soit rendue à nos os de flûte
par qui la musique fut ailée.

 

Présentation de l’auteur

Cécile A. Holdban

Elle est peintre et écrivain, lauréate du prix Yvan Goll (2017) et du prix Calliope du Cénacle Européen (2017), est également traductrice et coéditrice de la Revue Ce qui reste, une revue en ligne de littérature et d’art contemporains. Elle anime une chronique littéraire sur Aligre FM radio.

Elle pratique peinture et écriture en les faisant dialoguer : les liens et transmissions entre les différentes formes d’arts sont au cœur de son travail. Son univers de création se fonde sur ces rapports synesthésiques. Il s’enrichit de l’observation et de l’imaginaire de la nature, entre paysage visible et invisible, d’une écoute et d’une attention au vivant, aux contes et mythes.

Elle collabore par ses peintures,  poèmes, traductions et articles à de nombreuses revues, anthologies et ouvrages collectifs variés. Elle aime aussi s’associer à d’autres créateurs ou écrivains dans des publications, revues et livres d’artistes. Elle a fait l’objet de deux expositions personnelles en France et participe régulièrement à des expositions collectives et des festivals, et anime régulièrement des masterclasses et ateliers de création, d’écriture et expression plastique.

Cécile A. Holdban

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Derniers ouvrages publiés

Premières à éclairer la nuit, récit, Arléa, janvier 2024

Toutes ces choses qui font craquer la nuit, textes et peintures, Exopotamie, 2023

Osselets, dessins et poèmes, Le Cadran Ligné, Saint- Clément, 2023

Kaléidoscope, 173 poètes contemporains mis en image pendant le confinement, l’Atelier des Noyers, Dijon, 2023

Jacques Bibonne, une vie en peinture (collectif, texte de contribution au catalogue ) éditions Le temps qu’il fait, Bordeaux,  2023

Pierres et berceaux, dessin et poèmes, Potentille, Nevers, 2021.

Toucher terre, Arfuyen, Paris, 2018

Silence, photographies d’Anne Lise Broyer, poème de Cécile A. Holdban, Sous les glycines, Paris, 2016.

Poèmes d’après suivi de La route de sel, Arfuyen, Paris, 2016.

Quelques traductions :

John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais, édition traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, Poésis, 2021

Howard Mc Cord, Poèmes Chamaniques, édition établie, traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, La Part Commune, 2021

Virginia Woolf, Le Paradis est une lecture continue, traduction et présentation de Cécile A. Holdban, La Part Commune, Rennes, 2019.

Virginia Woolf, Ainsi parlait – Thus Spoke, dits et maximes de vie choisis, traduits de l’anglais et présentés par Cécile A. Holdban, édition bilingue, Arfuyen, Paris, 2019.

Sándor Weöres, Filles, nuages et papillons (Lányok, lepkék, fellegek), poèmes choisis et traduits du hongrois par Cécile A. Holdban, Érès Po&Psy, Toulouse, 2019.

Dezső Kosztolányi, Venise, traduction du hongrois et préface de Cécile A. Holdban, Cambourakis, Paris, 2017.

Attila József, Le Mendiant de la beauté, Le Temps des Cerises, Paris, 2014, poèmes traduits du hongrois par Francis Combes, Cécile A. Holdban et Georges Kassai.

DÉCOUVRIR

Site de la Revue Ce qui reste – Journal quotidien de son travail de peintre sur Instagram

Mail : mcguichard@outlook.com

Autres lectures

Un nid dans les ronces de Cécile A.Holdban

     Voici un recueil de haïkus, mais pas seulement de haïkus. Les tercets de Cécile A.Holdban sont fidèles à l’esprit et aux règles du fameux genre poétique japonais mais s’en échappent aussi [...]

Cécile A. Holdban : Toucher terre

La poésie de Cécile A. Holdban touche à l’intime mais demeure en permanence auréolée d’une forme de mystère. La poète creuse l’énigme de la vie.  « Il restait une fleur/sur terre/pour l’éclairer », écrit Cécile A. [...]

Cécile A. Holdban, Kaléidoscope, Tapis de chiffons

 Kaléidoscope, un « Tapis de chiffons » pour temps de pandémie « Une polyphonie visuelle et écrite ». C’est ainsi que Cécile A. Holdban définit le beau petit livre publié par les éditions de l’Atelier des Noyers, [...]

Cécile A. Holdban, Premières à éclairer la nuit

Faire parler quinze femmes poètes du XXe siècle dans des lettres (imaginaires) adressées à des êtres chers : un projet original et surtout ambitieux que l’autrice, poète et peintre, Cécile A. Holdban a réalisé [...]




Fil de Lecture de Pierre Tanguy : Cécile HOLDBAN, Alain KERVERN, Gilles BAUDRY

 

 

 

Cécile A. HOLDBAN : « Poèmes d’après »

 

 

      Ce n’est pas courant qu’un auteur rédige lui-même la postface de son livre. C’est pourtant le cas avec Cécile A.Holdban et on lui sait gré de l’avoir fait pour expliciter la démarche qui est la sienne dans ces Poèmes d’après. Car elle nous dit avec justesse – et modestie – que « la voix qui s’exprime » n’est pas « uniquement » sa voix, « mais plutôt le son, aussi ténu qu’un fil, émergeant d’un chant collectif provenant des origines, dont le rythme, la tonalité, la couleur lui sont pourtant propres, mais se mêlent à un chœur de poètes dont la parole m’est parvenue mieux que celle des autres ».

      On comprend mieux, ainsi, qu’elle ait incorporé dans son livre des poèmes de certains de ses auteurs fétiches : le Hongrois Sandor Weöres, Edith Södergan, Janet Frame, Anna Akhmatova… Sans parler de la dédicace de quelques poèmes à des auteurs comme Philippe Jaccottet, Lorand Gaspar…

      Des poèmes de Cécile A.Holdban, l’éditeur note « l’ambiance surréelle et fortement colorée ». Il y a aussi cette volonté, comme elle le dit elle-même, de traduire « l’indicible » d’où, en définitive, « surgit une vérité que l’on souhaite à la fois intime et universelle ». Dans ce contexte, explique-t-elle encore, « la poésie devient un exercice quotidien d’attention portée aux signes qui surgissent ».

      Voici donc, sous sa plume, « les Vêpres des nuages » ou « les cierges des marronniers ». Son « seul trésor », dit-elle, « le duvet d’une grive/un pétale froissé/des feuilles de menthe des berges/des cailloux à l’éclat précis ». Il y a, de bout en bout, une sensibilité aux saisons (comme dans les haïkus qu’elle affectionne) et aux teintes changeantes des paysages, à la nature en général. « Quel poème est plus beau que le silence des arbres ? »

      Mais les temps actuels créent un voile. A moins qu’il ne s’agisse d’un retour des temps obscurs du siècle dernier. Parle-t-elle d’hier ou d’aujourd’hui en introduisant son livre par ces vers : « C’était une période où Dieu se taisait/quelle main rassemblera/les fragments laissés à la nuit ? ».

      L’écriture de Cécile A.Holdban témoigne de cette opacité, souvent inquiétante, du réel. Témoigne aussi de cette énigme du mal et de la souffrance. Mais aussi de l’amour. « Nos mains avides/convoitent la caresse/des plumes, la douceur/le chant pur des oiseaux ». Le poète est là – veilleur – pour « recueillir/au flanc percé de la lune/toute la lumière possible/le printemps arrive ». Poète aux aguets, sous des cieux souvent sombres. « Je ne cesse de penser aux signes que j’ai vus/étincelles de lumière sur une route déserte ».

 

*

 

 

 

Alain KERVERN et « la cloche de Gion »1

 

 

    Le Breton Alain Kervern est insatiable. Spécialiste renommé du haïku au niveau international, traducteur du Grand Almanach poétique japonais (5 tomes aux éditions Folle Avoine), récent auteur d’une Histoire du haïku (Skol Vreizh), voici qu’il nous livre un nouvel ouvrage sur l’évolution du haïku, en particulier dans ses rapports avec le contenu du Grand Almanach. Ce dernier fixe et définit les mots de saison2 à utiliser dans un haïku. C’est l’une des caractéristiques majeures formelles de ce genre littéraire si particulier (trois vers, une césure…) et aujourd’hui très pratiqué à travers le monde.

      Pour autant, Alain Kervern ne nous propose pas un livre technique ou de spécialiste. Il éclairera tous ceux qui sont désireux d’en savoir un peu plus sur « le plus petit poème du monde ».

    Tout commence par une plongée dans la pensée extrême-orientale (chinoise et japonaise) avec sa « perception du réel, parcellaire, oblique, par petites touches » car « l’univers est trop inconsistant, trop insaisissable pour être enclos dans un poème ». Cette « instabilité » et cette « inconstance » signent « l’attention particulière au passage des saisons ». Alain Kervern rappelle, à ce propos, la fameuse phrase de Bashô : « La lumière qui se dégage des choses, il faut la fixer dans les mots avant qu’elle ne s’éteigne ». Et de souligner que Bashô était fortement « imprégné de la pensée taoïste » dans sa manière « d’épouser entièrement le grand mouvement naturel du cosmos ». La contemplation inlassable de la nature conduit ainsi à y trouver « les signes de la précarité universelle », comme l’avait déjà souligné le poète Saïgyô au 12e siècle.

      Le mot de saison a donc toute son importance. Mais s’il signe « l’éphémère glissement discret d’une saison à l’autre » (dont L’Almanach poétique en est en quelque sorte le comptable), il est aussi le révélateur d’un « temps culturel ». Le mot de saison dit plus que les saisons, souligne Alain Kervern. Il dit le pays où l’on vit, ses mœurs, ses coutumes, ses références, son histoire…

      Bien que toujours assidûment utilisé par les adeptes du haïku néo-classique, le mot de saison subit depuis plusieurs années des évolutions (ne serait-ce que par l’adoption, il y a plus de cent ans, du système calendaire solaire par les Japonais, modifiant par le fait même les dates d’entrée dans chaque saison). Mais, plus encore, il y a l’internationalisation du haïku qui provoque certains glissements significatifs.

    Aux mots de saison, explique Alain Kervern, peuvent se substituer des « mots-clefs non saisonniers » (montagne, ciel, rocher, océan…). Cette évolution - parmi d’autres – a été entérinée par le premier symposium international du haïku contemporain, le 11 juillet 1999 à Tokyo, qui fait « exploser la poétique corsetée du genre » et que confirmera la Déclaration de Matsuyama, en septembre de la même année. « Chaque culture doit innover en trouvant dans sa propre langue l’harmonie des sons et le rythme qui la structurent ». La fameuse règle des « 5 syllabes, 7 syllabes, 5 syllabes », caractérisant le tercet, n’est donc plus une ardente obligation. Place au haïku « libre » comme on le dit des vers « libres.

      C’est tout cela que nous raconte Alain Kervern. N’oubliant jamais de nous rappeler le riche apport à la poésie d’un genre littéraire aux moyens pourtant pauvres. Le haïku peut notamment nous dire le monde extérieur perçu de l’intérieur de soi. Et, mine de rien, « créer un langage à forte charge émotionnelle », comme l’analyse Oka Makoto, un des fins connaisseurs de la poésie classique japonaise et que cite Alain Kervern.

 

--------------------------

Notes :

 

1 - Ce titre fait référence à deux vers d’un cycle épique du 13e sècle : « Le son de la cloche du monastère de Gion/résonne de l’impermanence de toute chose ».

2 - A titre d’exemple, le mot « neige » singularise l’hiver, le mot « cerisier en fleurs » le printemps, le mot « coucou » l’été, le mot « lune » l’automne.

 

 

*

 

 

 

Gilles BAUDRY : « Sous l’aile du jour »

 

 

      De quoi peut bien nous parler un moine poète ? Tout simplement de son bonheur d’être au monde, des jours qui passent, des saisons, de ses amis de passage, de ses lectures, mais aussi de la disparition d’êtres chers. Il y a tout cela dans le nouveau recueil de Gilles Baudry, le huitième qu’il publie aux éditions Rougerie dans cette même fabrication artisanale si caractéristique (prévoir, en effet, un coupe-papier). « Tant de beauté/Comment s’habituer/A en faire un ordinaire », écrit le moine poète, jamais rassasié des merveilles qui bordent le monastère de Landévennec où il vit. Des mots qui renvoient aussi à cet « Ordinaire invisible », titre d’un de ses premiers recueils.

      Gilles Baudry se nourrit sans doute de la prière, du chant et de la vie communautaire au cœur de son abbaye bénédictine du bout du bout du monde. Mais il n’en finit pas, aussi, de se pencher sur les textes des auteurs aimés: Christian Bobin, Lorand Gaspar, Emilie Dickinson, Lydie Dattas, Anne Perrier, Hélène Cadou… A cette dernière, il rend hommage à l’occasion de son décès en 2014 : « Trouverons-nous assez de sève/Pour irriguer la gratitude/Incoercible des sanglots ? ». S’adressant à Anne Perrier (Grand prix national de poésie en 2012), il écrit : « Amie, combien je vous sais gré/D’avoir inscrit le nom des arbres/Au patrimoine des saisons humaines ». Une allusion au livre de l’écrivain et poète vaudoise, publié en 1989 sous le titre Les noms de l’arbre.

      Des écrivains accompagnent Gilles Baudry, mais aussi le gotha de la peinture: Manessier et ses « bleus profonds », Bonnard, Morandi, Giacometti, Klee… « Le peintre seul a le secret/De l’alchimie de l’humaine lumière/Et du pollen de l’avenir », souligne le poète.

      Cela n’empêche pas « les heures disgracieuses » où il n’y a « rien d’autre à faire/Que de prendre son âme/A bras-le-corps ». Cela n’empêche pas, non plus, l’irruption de la mort dans ses plus redoutables atours, quand elle atteint la fratrie ou, encore plus, quand c’est une mère qui s’éloigne. « Tu aimais tant les roses et le rosaire/Qu’en toi le ciel/Semblait avoir élu domicile ». Quel plus bel hommage rendre à une maman aujourd’hui si « intensément absente », à cette mère « d’avant l’alphabet de nos pas ».

      Gilles Baudry peut ainsi parler de la mort parce qu’il accueille la vie dans sa plénitude. Il s’agit, dit-il, de « Se tenir là/Avec l’étoile grelottante de son cœur/Posée sur le silence/D’immensité/Plus immobile que l’attente la plus pure ». Oui, plus que jamais, demeure le veilleur.

 

 

*

 

 

 

Denis HEUDRE et sa traversée des saisons

 

 

      Traverser les saisons. Comme ne pas rappeler l’intérêt porté à ce thème par de nombreux auteurs. « Traversant le monde, comme une chair, comme une fleur, cueillant les sons, les odeurs aux branches, aux buissons, et les cailloux, semés, collés aux chaussures », écrit le bigouden René Le Corre dans un livre précisément nommé Les saisons (La Part Commune, 2011). Il y évoque ces « éclats d’instants pris sur la ronde des saisons ». Aujourd’hui le rennais Denis Heudré nous propose sa propre traversée en une série de courts textes comme autant de tableaux de genre. Il y mêle des sensations (« un troupeau éparpille en brume son haleine blanche ») et des réflexions qui peuvent prendre la forme d’aphorismes (« La nature sait ce qu’elle doit à la lumière/jamais on ne l’entendra en dire du mal »).

      Sur ses pas traversons donc les saisons pour y cueillir quelques perles. Printemps : « La campagne dégrafe son corsage blanc ». Eté : « La pierre se prépare aux pieds nus et les digitales aux libellules ». Automne : « Le vent dégueule ses morts dans les recoins ». Hiver : « Aucune chute de soleil n’est attendue pourtant la nature perd la raison ».

      Dans une introduction à ce très beau recueil, l’écrivain Bernard Berrou évoque « la voix singulière » de Denis Heudré, « le rythme discontinu, le frémissement de son phrasé, l’intensité de ses incertitudes ». On peut ajouter (et Bernard Berrou le souligne aussi) que l’auteur écrit une poésie « accessible », ce qui n’empêche pas le mystère, l’énigme à creuser.

      Cette proximité avec la nature et cette intégration dans le cosmos sont, à coup sûr, le creuset d’une approche méditative de la vie. Toujours à l’affût, Denis Heudré traque les signaux apportés par les plantes, les fleurs, les bêtes, le vent, le ciel. « La terre est de mèche avec toutes nos émotions », note-t-il dans une forme de conclusion/réflexion à son recueil.

      Il y a chez lui, foncièrement, un acquiescement au monde même si la vie – il le sait bien - nous prend parfois à rebrousse-poil.

 

*

 

 

 




Cécile A. Holdban, Une simple voix

 

Une simple voix
et tout se déplie
change
sur le chemin barbare
cours incliné du vent

– la face de la lune
devenue noire

sa trace
dénoue
montagnes
crêtes et sillons
plonge la laine ardente des volcans
dans la fraîcheur des sources
les clairières humides
l’éclosion des fleurs

– la suivre

ma raison glisse
plus loin encore

– ne pas se durcir
rester tendre, légère
comme les feuilles sur la roche

emprunter les ruisseaux
denses, mouvants de l’air
caresser la chair rude des cimes

– plus haut

traverser
les vitres claires du ciel
gravir -dernières lueurs
la mort scintillante
des étoiles.

Présentation de l’auteur

Cécile A. Holdban

Elle est peintre et écrivain, lauréate du prix Yvan Goll (2017) et du prix Calliope du Cénacle Européen (2017), est également traductrice et coéditrice de la Revue Ce qui reste, une revue en ligne de littérature et d’art contemporains. Elle anime une chronique littéraire sur Aligre FM radio.

Elle pratique peinture et écriture en les faisant dialoguer : les liens et transmissions entre les différentes formes d’arts sont au cœur de son travail. Son univers de création se fonde sur ces rapports synesthésiques. Il s’enrichit de l’observation et de l’imaginaire de la nature, entre paysage visible et invisible, d’une écoute et d’une attention au vivant, aux contes et mythes.

Elle collabore par ses peintures,  poèmes, traductions et articles à de nombreuses revues, anthologies et ouvrages collectifs variés. Elle aime aussi s’associer à d’autres créateurs ou écrivains dans des publications, revues et livres d’artistes. Elle a fait l’objet de deux expositions personnelles en France et participe régulièrement à des expositions collectives et des festivals, et anime régulièrement des masterclasses et ateliers de création, d’écriture et expression plastique.

Cécile A. Holdban

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Derniers ouvrages publiés

Premières à éclairer la nuit, récit, Arléa, janvier 2024

Toutes ces choses qui font craquer la nuit, textes et peintures, Exopotamie, 2023

Osselets, dessins et poèmes, Le Cadran Ligné, Saint- Clément, 2023

Kaléidoscope, 173 poètes contemporains mis en image pendant le confinement, l’Atelier des Noyers, Dijon, 2023

Jacques Bibonne, une vie en peinture (collectif, texte de contribution au catalogue ) éditions Le temps qu’il fait, Bordeaux,  2023

Pierres et berceaux, dessin et poèmes, Potentille, Nevers, 2021.

Toucher terre, Arfuyen, Paris, 2018

Silence, photographies d’Anne Lise Broyer, poème de Cécile A. Holdban, Sous les glycines, Paris, 2016.

Poèmes d’après suivi de La route de sel, Arfuyen, Paris, 2016.

Quelques traductions :

John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais, édition traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, Poésis, 2021

Howard Mc Cord, Poèmes Chamaniques, édition établie, traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, La Part Commune, 2021

Virginia Woolf, Le Paradis est une lecture continue, traduction et présentation de Cécile A. Holdban, La Part Commune, Rennes, 2019.

Virginia Woolf, Ainsi parlait – Thus Spoke, dits et maximes de vie choisis, traduits de l’anglais et présentés par Cécile A. Holdban, édition bilingue, Arfuyen, Paris, 2019.

Sándor Weöres, Filles, nuages et papillons (Lányok, lepkék, fellegek), poèmes choisis et traduits du hongrois par Cécile A. Holdban, Érès Po&Psy, Toulouse, 2019.

Dezső Kosztolányi, Venise, traduction du hongrois et préface de Cécile A. Holdban, Cambourakis, Paris, 2017.

Attila József, Le Mendiant de la beauté, Le Temps des Cerises, Paris, 2014, poèmes traduits du hongrois par Francis Combes, Cécile A. Holdban et Georges Kassai.

DÉCOUVRIR

Site de la Revue Ce qui reste – Journal quotidien de son travail de peintre sur Instagram

Mail : mcguichard@outlook.com

Autres lectures

Un nid dans les ronces de Cécile A.Holdban

     Voici un recueil de haïkus, mais pas seulement de haïkus. Les tercets de Cécile A.Holdban sont fidèles à l’esprit et aux règles du fameux genre poétique japonais mais s’en échappent aussi [...]

Cécile A. Holdban : Toucher terre

La poésie de Cécile A. Holdban touche à l’intime mais demeure en permanence auréolée d’une forme de mystère. La poète creuse l’énigme de la vie.  « Il restait une fleur/sur terre/pour l’éclairer », écrit Cécile A. [...]

Cécile A. Holdban, Kaléidoscope, Tapis de chiffons

 Kaléidoscope, un « Tapis de chiffons » pour temps de pandémie « Une polyphonie visuelle et écrite ». C’est ainsi que Cécile A. Holdban définit le beau petit livre publié par les éditions de l’Atelier des Noyers, [...]

Cécile A. Holdban, Premières à éclairer la nuit

Faire parler quinze femmes poètes du XXe siècle dans des lettres (imaginaires) adressées à des êtres chers : un projet original et surtout ambitieux que l’autrice, poète et peintre, Cécile A. Holdban a réalisé [...]




Cécile A. Holdban, Partir en silence

 

Partir en silence
comme les morts
s’oublient

au loin
une mère porte un étranger
et pleure
assise
en son propre sein
il se retourne
la traverse
se loge en elle à nouveau
serpent
avide de chaleur.

Et vous,
enfants de l’instant
accueillez contre
un mur de chair
les mains, les yeux
les pas silencieux
le reflet vide du temps
pour
descendre dans
la vie

Présentation de l’auteur

Cécile A. Holdban

Elle est peintre et écrivain, lauréate du prix Yvan Goll (2017) et du prix Calliope du Cénacle Européen (2017), est également traductrice et coéditrice de la Revue Ce qui reste, une revue en ligne de littérature et d’art contemporains. Elle anime une chronique littéraire sur Aligre FM radio.

Elle pratique peinture et écriture en les faisant dialoguer : les liens et transmissions entre les différentes formes d’arts sont au cœur de son travail. Son univers de création se fonde sur ces rapports synesthésiques. Il s’enrichit de l’observation et de l’imaginaire de la nature, entre paysage visible et invisible, d’une écoute et d’une attention au vivant, aux contes et mythes.

Elle collabore par ses peintures,  poèmes, traductions et articles à de nombreuses revues, anthologies et ouvrages collectifs variés. Elle aime aussi s’associer à d’autres créateurs ou écrivains dans des publications, revues et livres d’artistes. Elle a fait l’objet de deux expositions personnelles en France et participe régulièrement à des expositions collectives et des festivals, et anime régulièrement des masterclasses et ateliers de création, d’écriture et expression plastique.

Cécile A. Holdban

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Derniers ouvrages publiés

Premières à éclairer la nuit, récit, Arléa, janvier 2024

Toutes ces choses qui font craquer la nuit, textes et peintures, Exopotamie, 2023

Osselets, dessins et poèmes, Le Cadran Ligné, Saint- Clément, 2023

Kaléidoscope, 173 poètes contemporains mis en image pendant le confinement, l’Atelier des Noyers, Dijon, 2023

Jacques Bibonne, une vie en peinture (collectif, texte de contribution au catalogue ) éditions Le temps qu’il fait, Bordeaux,  2023

Pierres et berceaux, dessin et poèmes, Potentille, Nevers, 2021.

Toucher terre, Arfuyen, Paris, 2018

Silence, photographies d’Anne Lise Broyer, poème de Cécile A. Holdban, Sous les glycines, Paris, 2016.

Poèmes d’après suivi de La route de sel, Arfuyen, Paris, 2016.

Quelques traductions :

John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais, édition traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, Poésis, 2021

Howard Mc Cord, Poèmes Chamaniques, édition établie, traduite et annotée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillyboeuf, La Part Commune, 2021

Virginia Woolf, Le Paradis est une lecture continue, traduction et présentation de Cécile A. Holdban, La Part Commune, Rennes, 2019.

Virginia Woolf, Ainsi parlait – Thus Spoke, dits et maximes de vie choisis, traduits de l’anglais et présentés par Cécile A. Holdban, édition bilingue, Arfuyen, Paris, 2019.

Sándor Weöres, Filles, nuages et papillons (Lányok, lepkék, fellegek), poèmes choisis et traduits du hongrois par Cécile A. Holdban, Érès Po&Psy, Toulouse, 2019.

Dezső Kosztolányi, Venise, traduction du hongrois et préface de Cécile A. Holdban, Cambourakis, Paris, 2017.

Attila József, Le Mendiant de la beauté, Le Temps des Cerises, Paris, 2014, poèmes traduits du hongrois par Francis Combes, Cécile A. Holdban et Georges Kassai.

DÉCOUVRIR

Site de la Revue Ce qui reste – Journal quotidien de son travail de peintre sur Instagram

Mail : mcguichard@outlook.com

Autres lectures

Un nid dans les ronces de Cécile A.Holdban

     Voici un recueil de haïkus, mais pas seulement de haïkus. Les tercets de Cécile A.Holdban sont fidèles à l’esprit et aux règles du fameux genre poétique japonais mais s’en échappent aussi [...]

Cécile A. Holdban : Toucher terre

La poésie de Cécile A. Holdban touche à l’intime mais demeure en permanence auréolée d’une forme de mystère. La poète creuse l’énigme de la vie.  « Il restait une fleur/sur terre/pour l’éclairer », écrit Cécile A. [...]

Cécile A. Holdban, Kaléidoscope, Tapis de chiffons

 Kaléidoscope, un « Tapis de chiffons » pour temps de pandémie « Une polyphonie visuelle et écrite ». C’est ainsi que Cécile A. Holdban définit le beau petit livre publié par les éditions de l’Atelier des Noyers, [...]

Cécile A. Holdban, Premières à éclairer la nuit

Faire parler quinze femmes poètes du XXe siècle dans des lettres (imaginaires) adressées à des êtres chers : un projet original et surtout ambitieux que l’autrice, poète et peintre, Cécile A. Holdban a réalisé [...]