Cécile Coulon, Noir volcan

Suite à l’événement littéraire que fut l'édition de son premier recueil de poésie, Les Ronces, Cécile Coulon prolonge l'aventure avec la publication de son second ouvrage chez Le Castor Astral, Noir volcan, dont l'image énigmatique s'avère le vœu de l'auteur que chacun vive au pied de son propre volcan, dans la douce puissance d’un chez soi : « J'ai écrit ces poèmes pour que chaque lecteur puisse trouver son noir volcan, et s'y sentir chez lui. »

Les textes qu'elle y a rassemblés sont autant de notes prises sur les routes, « dans les wagons, les chambres d'hôtel, au comptoir des buffets des gares, partout où le besoin, et l'envie, de revenir chez soi surgit. » Dès lors, dans l'écrin du quotidien se niche la merveille de l'instant saisi, entre vers libres méditatifs et trame de la narration, dont la pensée se fait tour à tour contemplative et instigatrice d'une quête de sens au fil des départs et des ruptures, des liaisons et des affinités, des habitudes et des événements...

L'une des formules les plus incisives, en aphorisme ou haïku, résume toute l'humilité et toute la portée de ce geste de l'écriture qu'elle renouvelle au fur et à mesure des périples et des épreuves de l'existence : « Je me cache derrière mes poèmes / parce qu'ils sont plus forts / que moi. »

Cécile Coulon, Noir volcan, 
Le Castor Astral.

Cette force retrouvée dans les traces laissées par de tels mots, ne dévie jamais en violence, et se révèle toujours éloge de la douceur, un des thèmes principaux de ce livre, dont le poème « Abîmer la douceur » résume le propos dans une question ouverte : « Comment faire pour cesser, une bonne fois pour toutes, d'abîmer la douceur ? »

Dès lors, son intention d'écrivain demeure celle de garder ce regard bienveillant sur les êtres et les choses, sur le cours de la vie tout simplement, en les nimbant de tendresse, jusque dans la brièveté du passage de la narratrice auprès des autres, pour que sa présence se fasse toujours éclat fugace d’un moment de bonheur généreux, avant de se replier enfin dans la solitude réparatrice de sa nuit : « Je ne reste pas longtemps / pour que vous gardiez de moi une image agréable, / pour que chaque parole prononcée ne soit pas perdue, / pour que vous n'ayez pas la possibilité / de trouver sur mon visage une expression de douleur ou d'agacement, / votre présence ne me fait pas mal et j'aime les gestes tendres / simplement il m'arrive d'avoir besoin d'une nuit / sans étoiles et d'un jour sans déclarations. »

Cette délicatesse de la volonté, toujours ouverte sur les siens, les amours, les amis, les lecteurs, dans cette juste distance trouvée entre absence et présence, ce juste milieu atteint entre élan des gestes et réception du visage de l'autre, l'image du « noir volcan » en figure le lieu-axiome, endroit emblématique d'un espace protecteur rendu possible, ici et maintenant, pour chacun... Ainsi, la personnalité du poète se fait sismographe des éruptions envisageables de la montagne endormie, le plus souvent contenues mais qui signifient une émotion partagée, une colère souveraine pour les nobles causes de l'humanité commune : « Tandis que tu siffles tes souvenirs comme des chiens fidèles, / les rassemblant dans ta mémoire pour battre / une dernière campagne, / tandis que tu fais la liste des moyens à ta portée / pour me trouer les ailes le plus rapidement possible / et ainsi laisser une trace de ta déception, de ta profonde / et brûlante / déception, / tandis que tu bats les cartes pour une ultime partie, / je gronde. »

L'image de la fournaise d'un tel volcan devient alors à la fois colère salutaire et puissance suave, toute à la faveur des humbles, des fragiles, des démunis, dont il convient de préserver cette dignité, cette bonté, cette « gentillesse » constitutives qui ne doivent pas rester des termes galvaudés mais les signes d'une éthique qui nous dépasse : « Nous devrions cesser de penser que cette gentillesse / – ce n'est pas un gros mot, « gentil » - / n'est pas une tare contemporaine. / Ce n'est pas forcément pour être accepté, / pour qu'on vous invite à dîner, à danser, pour ne pas être seul. / Cette gentillesse est un jouet qu'on peut lancer / contre les murs, / qu'on peut tordre dans tous les sens, / qu'on peut faire et défaire, et brutalement jeter par terre, / pour voir par magie les morceaux éparpillés / se rassembler d'eux-mêmes. »

Vigueur d'une morale pourtant vouée à notre fragilité fondatrice, dont le locus amoenus réinventé, ce lieu agréable, comme la région de Clermont-Ferrand dont est originaire Cécile Coulon, s'éprouve comme l'endroit tout de force et d’affection mêlées que la beauté du mont révélé magnifie : « Naître ici c'est venir au monde / avec un autre monde dans la poitrine : / chacun porte en lui son volcan, / chacun se couche la nuit dans un cratère, / chacun jette un œil sur la reine noire / au milieu de cette île où la mer fragmentée en lacs bleus de nuit / fait des guirlandes d'eau magique aux branches des vieux puys. » Géographie de l'intime dont le sésame reste ce trait affirmatif de la phrase ultime : « Ce qui compte, c'est la douceur. »

Présentation de l’auteur

Cécile Coulon

Cécile Coulon est une romancière et poète française.

Poèmes choisis

Autres lectures

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Cécile Coulon, Seyhmus Dagtekin et Roland Reutenauer

Trois auteurs, trois âges, trois styles et pourtant des points communs. Des ponts et des ronces, mais surtout la poésie dans les mots.

 

Les ronces de Cécile Coulon

Cécile Coulon est la plus jeune de ces trois poètes. Elle publie Les ronces au Castor Astral. Bien que le titre ne le laisse pas penser, cet ouvrage est bien un appel à " vivre dans les hautes lumières ".

Poèmes écrits sur plusieurs années, Cécile Coulon revient sur son passé avec sans doute quelques " ronces ", " Ma force c'est d'avoir enfoncé mon poing sanglant/dans la gorge du passé ", " On se remet de tout/mais jamais/à l'endroit ".

Mais ce recueil est aussi un chant d'amour "ce visage endormi que tes yeux éclaboussent/de ce bleu si profond où la nuit/je ramasse/ce qu'il faut de trajet de tes lèvres à ma bouche/pour pouvoir le matin s'arrêter/se suspendre au bord/du temps qui passe/comme deux grands oiseaux/alourdis par la pluie/font sécher au soleil/leurs plumes d'oreillers".

Cécile Coulon, Les Ronces, Le Castor Astral 2018, 240 pages, 14€

C'est la fièvre qui parle/avec ses lèvres crevées d'avoir aussi soif/qu'un chien mourant sous une marche d'escalier/avec son corps brisé en travers des draps trempés/ces plaintes tranchées par des larmes brûlantes/nous n'avons plus l'habitude d'avoir mal/cette nuit, mon amour/c'est la fièvre qui parle ".

je cesserai d'écrire des poèmes le jour où l'on cessera/de considérer/les hommes sincères/comme des hommes malades/en attendant la rivière continue/elle/la pluie continue/elle/demain matin les ronces vont griffer les renards dans les bois/le ciel ce grand poumon sauvage a jeté ses filets/sur les hommes tout en bas/seul le bruit de la terre arrive depuis la fenêtre ouverte ".

Avec une poésie narrative, parsemée de quelques anaphores, Cécile Coulon situe ses poèmes, assez souvent, dans les paysages d'Auvergne et de la Drôme mais aussi du Vanuatu.

Le style de Cécile Coulon est une écriture qui donne envie de dire je t'aime autrement avec plus de lumière et d'herbe sauvage. Lisez cet ouvrage magnifique, vous regarderez le quotidien autrement.

 

Juste un pont sans feu de Seyhmus Dagtekin

Les éditions du Castor Astral viennent de rééditer Juste un pont sans feu qui avait reçu en 2007 les prestigieux prix Mallarmé et le prix Théophile-Gautier. Ce fut le 5ème ouvrage de Seyhmus Dagtekin édité par le Castor Astral, et de nombreux autres suivirent dans la fidélité des mots et des combats.

Il y aura quelques ronces, mais les choses finiront par s'arranger." C'est une vision optimiste que propose Seyhmus Dagtekin. Il tente de relier l'humain par le pont des mots que chacun emprunte à sa manière. Avec un regard bienveillant sur l'humanité " Comment exister dans le regard de l'autre, comment faire exister l'autre dans mon regard ?  ".

Seyhmus Dagtekin, Juste un pont sans feu, Le Castor Astral 2018, 10€

Dans un style foisonnant, Dagtekin déploie tout un lyrisme très personnel dans son travail sur le langage poétique " La langue s'éloigne comme une poche qui se vide ". " Je chanterai et m'éloignerai de tout ce qui est langue pour m'approcher du mot que tu n'auras pas à prononcer ". Et par moment, ce lyrisme se mélange à un surréalisme transfiguré que l'auteur revisite à sa façon. " Je sais que tu ne sors pas de mes mots. Que tu n'es pas chargée que de mes minuscules. Que tes doigts ne sont pas tirés que par mes majuscules/Pas de pointillés. Pas de lignes/Que le vert de tes yeux/Mais je suis tombé dans le suaire de mes becs/Bon repas/Bon trépas/Entre chien et louve/Elle s'y terre et y démasque ses oreilles/Par des trèfles à quatre feuilles/Elle y perce la mâchoire des sédentaires ".

On trouve également dans ce recueil un peu de mélancolie "A défaut de douceur, ne nous restera-t-il que mélancolie ? ". " Bien sûr, l'on tient la main de l'autre pour éviter de trouver la sienne dans le vide. Pour ne pas ouvrir un cimetière à côté d'un lit. Parce qu'à chacun ses hantises, à chacun ses cauchemars qui lui dévorent le jour. " Une forme d'inquiétude face à l'avenir " Sait-on de quelle tare surgira l'avenir ? ". Et puis aussi une belle invitation à l'intégration dans notre pays : " Vas-y, bouge-toi dans ce pays des clos/Face à la variété de tes douleurs/Qui passent  sous les ponts bordant les collines/Boisées d'arbres et de couleurs/Vas-y boulange ta pâte/Boulange ton pays d'orangers avec ce pays de collines  ".

Cette réédition, onze ans plus tard, prouve que le talent de Dagtekin récompensé par les prix Mallarmé et Théophile Gautier s'est confirmé. Quel que soit votre chemin, empruntez ce pont sans feu, allez vers le style de cet auteur kurde qui mélange à merveille sa double culture.

Le portail dans les ronces de Roland Reutenauer

Quant à Roland Reutenauer, il publie Le portail dans les ronces chez Rougerie (lui aussi une belle fidélité à noter) .

Cet ouvrage, avec la lucidité liée à l'âge " avec ses années nombreuses ", est comme un chemin vers " le portail dans les ronces ". Cette mort, ce seuil à franchir, ce " pont fatidique ", quand il s'agit "de poser/ses lèvres une dernière fois/sur la paupière du jour ". Reutenauer est attentif aux moindres détails qui lui parviennent du monde (les avis de décès ou la profanation de tombes juives) mais aussi de la nature " Coupé une branche basse du bouleau/la sève tombe goutte à goutte/et scintille au soleil de mars // il applique un pansement sur le moignon/car toute la sève il faudra/pour faire les feuilles une nouvelle fois // on ne pourra pas dire/qu'il a attenté à la vie de son bouleau ".

 

Roland Reutenauer, Le Portail dans les ronces, Rougerie 2018, 12€

Un chemin de vie donc, au contact de la nature et des mots pour dire la vie et la nature, avec pour l'accompagner les mots de Goethe, Héraclite, Mallarmé, Rutebeuf, Trakl. Toujours motivé par l'invention du langage " Il se sent pressé/d'écrire encore quelques motssans les obscurcir // de la langue apprise/il voudrait garder les premiers/qui conjuguent le mieux/présence et perte".  "Il trébuche sur les poncif/et les vieilles phrases/à l'approche du grand portail // il tient à hisser du profond/une parole de son âge/c'est comme si le jamais entendu/le jamais lu dédaignaient de s'immiscer ".

Reutenauer, même s'il n'utilise pas le je et privilégie la troisième personne, " déroule le fil de son enfance " et revoit ses grands-parents. " Le soir, il trie quelques souvenirs/et s'ils n'en garde que les plaisants/les autres dévastent sa nuit ". " Il souhaite fort la paix intérieure/il la sait hors d'atteinte ".

Son portail dans les ronces reste toujours ouvert à l'émotion et la nostalgie " Jusqu'à la dernière goutte / il pressera la nostalgie // il relève la tête et voudrait s'engager/léger les poches vides sur le sentier des chèvres/qui mène à l'herbe courte aux rares fleurs/avant de s'effacer dans le bleu et le froid ".

La poésie comme pont par-dessus les ronces. Lisez ces trois auteurs.