Charlotte Delforges, Chapelles – Entre rêves et réel

    J'écris dans des chapelles de pierre et de chair où poser mon regard et écouter. Dans
ces lieux de calme et d'impassibilité la vie semble se réfugier et se laisser écrire, contourner,
entre rêves et réel.

    J'écris pour tenter de distinguer ce qu'une présence absente à elle-même ne peut
révéler : les songes éveillés de l'intériorité et cette perception approfondie de la réalité que l'on
appelle parfois le réel.

    Alors dans l’inouï de l'instant et au-delà de l'absurdité qui nous inonde jaillit une
source nouvelle prête à étancher la soif en moi du poème.

    Ces textes sont comme des herbes gorgées de cette eau souterraine entre visions
oniriques et épiphanies quotidiennes, des petites proses à la voix de poème.

    Les sujets en sont divers, plus ou moins imbibés de nuit ou de lumière. Glanés au fil
d'une écoute attentive, ils cherchent à évoquer la limpidité d'une certaine beauté méditative.

Chapelle intérieure

 

    Au flanc de la grotte incluse lézarde le lierre blanc du premier mutisme. Il porte des
grappes de sang divin qui mûrissent hors du temps et leur jus de lumière perle en résonant.
C'est ici que ce tient le silence. Ici, la semence est invisible, tout croît d'une balle d'ange à la
main radieuse.

    La prière baigne ce lieu de paix où l'oiseau jette un cri muet qui touche l'âme comme
s'il chantait.

    La pierre est tendre et claire de grain, sa chair est meuble à l'esprit sain. C'est à son
souffle que s'abreuve l'antre et sa matière s'émeut sous cette brise ardente.

    Au fond de cette grotte première, un mystère étincelle, c'est la source dont s'éclaire
cette nuit vibrante. Des roses de flamme sanglantes écartèlent leurs pétales pour empourprer
le brasier d'un baiser de vestale. Leur carnation s'enflamme à ce foyer silencieux, diaphane,
dont la chaleur est visible pour mon âme seule.

 

    Dans mon cœur, les mailles subtiles d'un filet d'or percalisé de visions plus que réelles
s'étend sous le soleil.

Aube

 

    Je me souviens, j'avais dans la bouche tout un fouillis de roses blanches qui s'ouvraient
en moi, et ma parole gelait avec l'aube.

    Sur le rougeoiement encore limpide s'apposait les doigts blêmes de mes visions.

    La lumière hésitait à se lever devant l'aumône consumée de mon silence.

    Ma chair livide prenait sa couleur à la gloire purpurine d'un jour aussi vierge que les
origines.

Résurgence

 

    Dans la gorge de la nuit, une émeute de rêves s’engouffre par l'artère écarlate du
songe. Profusion de vie qui bat contre la membrane obscurcie de l'âme. Nuée pâle bousculant
les astres comme une armée levée au cœur de la tempête. Ruée qui rompt mes veines, saignée
de fantômes et de fer.

    La reine des roses au ciel coagulé salue mon retour d'un claquement bleu de pétales.

    Dans l'éther enfin ouvert, jaillit de ma bouche le glaive de l'aube à la lame régurgitée.
Ma tête rejetée en arrière, je crache un sang d'étoiles dans une strangulation de lumière.

Après-midi d'été

 

    Les yeux mi-clos, je plonge dans le bourdonnement du cosmos, noir comme l'insecte,
blanc comme l'éblouissement. Deux nuances pour faire sourdre l'essence de la vision,
l'incandescence de la vibration. Sur ma rétine les ombres se fondent au zénith, mes yeux mi-
clos dénudent les antonymes. La lumière est crue, je sombre.

    Le brasier immole mes sens. Dans cette chaude accalmie l'incendie calcine ma chair et
blanchit mes os. Ma craie s'effrite contre les panoramas obstrués des mirages balnéaires. Des
particules de cendre surexposées s'envolent vers la mer. Dans l’éparpillement, mon corps
s'imprime en négatif. Je vis l’envers du décor. Je me focalise... je m'évapore, la crémation
s'opère.

    Je ferme les yeux et c'est l’éclipse. Le disque de mes paupières recouvre le
ravissement qui s'évanouit. Illuminée du dedans j'entends les chants de transe des barbares de
basalte couverts d'ivoire. Je touche l’albâtre des dunes sous la vasque des nuits d'ébène.
J'entrevois des plages aux pieds des volcans qui crissent de nacre sous le pas du vent.

    Noir, blanc, noir, blanc...

Ici

 

… Et je reviens toujours ici...

 

    Là, dans ce lieu apocryphe où les choses irradient, tangibles comme le battement de
mon pouls, non pas sous mes yeux mais dedans brillant de la fusion retrouvée, de l'instant qui
se dilate jusqu'à l'éternité.

    Et je tire le fil tortueux de ma pensée pour que sa courbe se hiératise et qu'à sa
rectitude réponde chaque ligne pure du monde.

    Alors, je peux lire dans le réel comme dans des hiéroglyphes familiers. Mon cœur
seul, attentif et neuf, est ma pierre de rosette. A mon oreille s'écoule l'encre fleurie du
mystère.

 

    Ici, dans ce lieu utopique, le vert de la feuille éclate avec la ferveur guerrière du métal.
Sa chlorophylle coagule comme le sang du temps contemplant sa joie de n'être.

    Là, le cri de l'hirondelle s'est perdu et bourdonne longtemps après dans la maille fine
du vent, à l'aube du réveil, au soir approchant.

    Ici, sous l’œil d'une rose trémière qui me regarde marcher, les traits rentrés dans ses
plis de vestale, le chemin passe sans s'étonner.

    Ici, la mort surgie a la magnificence à peine voilée d'un soleil de printemps dont le
glaive salue notre folie.

    Ici, l'amour malade nous déchire mais son parfum est plus puissant que le bruit, et son
ivresse désespère la nuit.

    Là, dans l'eau lumineuse aux squames d'étoiles, des pensées marécageuses mouillent la
coque d'une barque dans la nasse du temps.

    Ici, la lettre est le cœur du dieu errant qui nous cherche sur la page, le signe de tous les
présages et de tous les saisissements.

    Ici...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Charlotte Delforges

Charlotte Delforges est animatrice en ateliers d’écriture et art-thérapeute par l’écrit dans la Région Nantaise.

Après ses études en Lettres Modernes à la Faculté de Nantes, elle travaille dans le social auprès d’enfants autistes et d’adultes déficients intellectuels avant de se former en animation d’ateliers d’écriture et en art-thérapie.

Pétrie de littérature classique et de musique, elle écrit des poèmes depuis le plus jeune âge et a déjà publié quelques poèmes aux Éditions Amalthée en 2013. À travers sa poésie, elle cherche avant tout à exprimer ce qu’elle perçoit de la beauté du monde et de son intériorité.

 Chapelles - entre rêves et réel est son premier recueil.

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