Christophe Esnault, Ville ou jouir et autres textes navrants
COMME UN POLAR
Faut pas pousser, pas crier au miracle ! C’est qui ce type qui n’arrive pas à se flinguer en se balançant d’un neuvième étage ? Hein ! c’est qui ? Comment, allo, qui c’est ? Christophe Esnault ne le dit pas dans cette œuvre de fiction écrite avec les tripes.
Le suicidé pas mort, c’est un gars, un type, un mec, une nana, j’sais pas, j’sais plus. Ce qui est sûr, c’est qu’il essaie encore de se suicider en vivant ; ça, faut le faire, faut avoir du ressort avec une patte cassée et un entrain à la Nani Moretti enfourchant son scooter et tournant, tournant autour du pâté de maisons, autour de la scène de crime du suicide raté – le crime de l’écriture répandue. Halte, pas sauter ! Si, il a sauté. En bas, une jambe cassée et la littérature éparpillée, façon puzzle dirait l’autre.
« Je ne vous aime pas » écrit le bonhomme en traversant les nouvelles de cet étrange été, balançant de rage sa semence magique à la gueule du lecteur, et même des éditeurs, les les gentils éditeurs.
Christophe Esnault, Ville ou jouir et autres
textes navrants, éditions Louise Bottu, 2020,
163 pages, 14euros
Bon, le bouquin de Christophe Esnault, l’écrivain pensif, se lit d’une traite. Retour dans le réel – bonjour Clément Rosset –, des rencontres, un chapelet de grenades sexuelles, toutes dégoupillées, l’arrivée de Marie-Madeleine, ou plutôt de Ludivine, un sacré bon coup, une nana à vous remettre d’aplomb un mec qui ne s’aime pas et n’aime personne. Ah, Ludivine…
Ludivine, grâce lui soit rendue, adore le travail du suicidé hâtif qui gribouille des aphorismes dans sa chambre d’hôtel et les colle de nuit sur les murs tristes d’un quartier glauque. Elle veut le suivre entre deux séances de joyeusetés, canard, pattes en l’air, et hop ! entre deux séances. Lui ne veut pas, enfin pas trop.
On colle un premier aphorisme : Les ravages d’un désir d’absolu scient les ombres démentes d’une ville surnuméraire.Pas mal, c’est vache ! Un autre du même tonneau : Les gens sont surnuméraires en général. Celui-là est adorable, le général est vraiment bienvenu. Et cette phrase : La ville sodomise ses catacombes et offre des baisers langoureux à ses plus beaux cadavres. Ouf ! Et tutti quanti. Dans ce travail purement littéraire, le suicidé sans nom s’efface et l’écrivain s’installe.
Et puis, au détour d’une phrase du bouquin, sans crier gare, ce : je suis une petite fille innocente au teint pâle agenouillée dans le train fantôme, interpelle. Ça, c’est pas un aphorisme, ça vous prend aux dix doigts des pieds. Tous les garçons ont une petite fille en eux mais ils ne savent pas quoi en faire. Ça casse, ça fait pschitt… Il est où le bonheur pour la petite fille agenouillée dans la tête du garçon ? Christophe Esnault ne parle pas du bonheur, juste de la déchirure du bonheur, sans dire le mot.
Pour finir, mais rien ne finit jamais, l’auteur tente un ultime essai empathique auprès d’une famille en train de se fracasser dans une bagnole embrassant un mur, famille qu’il n’aime pas, tiens : Vous pouvez encore freiner. Si vous pouviez freiner, il est possible que je puisse vous aimer, par erreur.
Et puis la grâce. Celle d’Anne, l’histoire d’Anna contée par un Antonin qu’on soupçonne être Christophe Esnault : Anne s’est suicidée, c’est la faute à X, une autre femme, celle qui raconte, amoureuse d’Anne, souvent nue avec Anne dans un même lit, mais se refusant à Anne après l’avoir entortillée. X avait une envie folle d’Anne, mais elle disait non. Perverse et criminelle poupée qui disait non. Anne s’est suicidée. X souffre. Tout souffre autour, dedans, seule la mort ne souffre pas.
Un livre chaud comme un marron chaud ; c’est pas seulement de la littérature, c’est au-dessus de ça, c’est l’amour absolu avec un grand A. L’amour à mort page après page, les nouvelles enchâssées formant grattoir. C’est ça Christophe Esnault. Un amoureux total, donc criminel. Mais les crimes de papier…