Claire Massart, L’aveu des nuits, suivi par Le calendrier oublié

Délicates touches de pensées en aveu dans le ventre des nuits, sur le flanc tremblé des coteaux diurnes, « enpente », dès l’aube jusqu’aux crépuscules, blotties entre le chien et loup des « couleurs d’éclipse » du ciel,  au bois dormant ou quelquefois à claire-voie des bosquets obscurs dressés à ciel ouvert dans le plein vent des saisons, il arrive que des présences se lèvent ou disparaissent, qu’un lièvre, qu’une perdrix, que des hérons, qu’un merle, télescopent les pensées-parasites, les pensées- pirates, « scies des cigales, troubles derviches », les « enfants-pensées », toujours dans l’arrière-cœur de soi, « arpèges, au fond de la besace »…

Le livre de poésie de Claire Massart est tout empreint de fine sensibilité et de saveurs, venues de guets sensibles à l’écoute du monde et de ses habitants, de la nature jusqu’au réveil de tous les sens, à l’affût des « fleurs minuscules comme nos vies », jusqu’à l’entrevue « des valises  du ciel ». L’œil affûté, ici, écoute, et l’oreille regarde. Le dedans /le dehors correspondent dans des rebonds, des retours et des ressacs délicatement accordés.

Quarante-six poèmes, écrits du 15 octobre 2014 pour le premier au 5 décembre 2016 pour le dernier, ponctués par plusieurs « Série Nuit », composent la première partie du recueil. Le titre d’emblée interroge : s’agit-il d’un aveu émis par, ou durant, les nuits, et quel est cet aveu ?

Claire Massart, L’aveu des nuits suivi par Le calendrier oublié, éditions des Vanneaux, coll. L’Ombellie, 2017, 90 p., 15 €.

Le complément du nom renvoie-t-il à l’atmosphère universelle des recueillements nocturnes, ou renvoie-t-il à des réflexions solitaires émises et reçues dans le noir par une vie individuelle sur un parcours personnel ? Qui, autrement dit, déroule le film-poème par le ruban magnétique des mots écrits ? Qui et quoi se penche sur l’arbre interne de Soi pour donner corps à la nuit, l’enrober d’une parole-poème, par le charroi du temps, par le cours des saisons, au fil du temps d’une vie dont nous sommes les « Chercheurs d’or » ?

 

Charroyer
Pousser ou tirer, souvent les deux
Sur une pente raide
Ne pas dévisser
Dans ce pas de forçat
Tamiser, ressasser
À tant affûter l’œil
Déceler
L’inquiétante silhouette
D’une route de soi

 Et soudain, ma main attrape au bond
La pépite que mon rêve lui envoie
 

 

 

Le « doute » exerce sa vigie, dans le dénuement fertile de soi où se chercher. Une quête existentielle, sur le bord d’un effroi aux échos pascalien, déroule dans L’aveu des nuits sa route aux chemins pluriels tirés vers le haut mystérieux par les haleurs du poème, au long de la rivière de vivre.

 

Pas amères, les rides de la mer qu’une dune a vues.
L’œil cherche le pertuis et nous offre son doute :
Une balafre sur le temps,
Une danse imprécise et gaie, un ajonc offert et refusé.

 Le silence naît à la jonction -un fil- de deux immensités.
Une question muette.
Une imparable réponse.

 Commence alors la précieuse errance : lieu du dénuement. 

 

 

                           Doute de mer

 

Le silence, - où plonge la haute nuit ; sa fissure, par où s’infiltre le froid ; sa transparence, accessible par l’arrêt du « train de pensées bavardes », - colmate-t-il les brèches, la fracture du Vivre ? Les visages inscrits dans les plafonds, tendus sur la toile infinie des nuits, le passage des oiseaux-souvenirs comptés comme « les courbatures des draps », revisités avec « le temps et nous (qui) nous entretuons », -tous ces instants, où l’être sort de son lit, seront-ils digue de secours suffisante tandis  qu’ « au matin, on pose les pieds sur un tapis de douilles » ?

 

On devient fou, folle du bizutage de la vie.
Pourtant parfois, la main douce de l’amour vient lisser la folie,
du front vers l’arrière, pour peigner les pensées hirsutes. 

 

La nuit en poème sériel enroule ses secrets dans son nom, et l’aveu de ses insomnies se murmure dans le creux du silence « sur la crête de l’ému ». Parfois « nue » et « démunie », parfois « lacérée », « clandestine », « À rebours », urbaine, rêvée, les nuits portent nos yeux, cachent les cernes des regrets, refont nos bagages, mis à jour, -« ligne de flottaison de notre monde »…

Les nuits s’entrouvrent aux clairières ravivées du jour, s’entrecoupent de bouquets d’envol de couleurs cosmiques, où la vie reprend pied, lorsque « la rivière est hors d’elle ». En pente nous allons, partons dérouler de nos pas alertes l’ébrouement de la vie :

 

Des traces sur la pente du temps :
Nos yeux au pas de charge
Un visage dans une main en coupe
Le torticolis des troncs
Le ballonnement du gui sur les peupliers
Une colère suspendue

 Et si eu lieu d’attendre
On était rapté par le vert vif d’une prairie
On oubliait la saison et qui l’on est
On oubliait l’attente et le voyage ?
Et si on finissait par oublier l’oubli… 

 

 

                           En pente

 

La vie, dans l’aveu des nuits, jaillit peut-être là, depuis la source jusqu’aux résurgences d’une mémoire oublieuse délicieusement ravie (« raptée ») – « nous déprendre de nos baluchons et nous en coiffer » ; s’arracher le temps d’une Disparition du radeau-tandem d’un autre dans un rêve à part où ranger les rêves -, dans le prisme sidéré d’un regard détaché de l’oubli, délesté, suspendu ? Retenue encore par le fil tendu de la tendresse, où le désir perdure, où notre ombre persiste et signe nos encablures naviguées à l’œil, dérivées à l’aveugle. Oscillant, tanguant-roulant entre trop lourd et grâce (« trouée ») d’éclaircies, où la vie (« peine-ombre », oiseau mort fracassé « contre une vitre qui ne devait pas exister »), « c’est de l’aérien qui cogne ».

Quelques Haïkus libres (2ème partie) suivent L’aveu des nuits, fixant dans l’éclat de leur concision des clichés comme arrêts sur images vibrantes de vie :

 

Hiver avancé
Parc secret, tout mouillé
Le chien court

 

Le calendrier oublié (3ème partie) clôture ce recueil, l’agenda défait pour briguer une éphéméride lointaine (« Cela s’est déjà passé en d’autres temps, en ces temps-là… ») où, même effeuillé, « ajourné », l’espoir « chante hier » dans l’aujourd’hui du Poème, ses lendemains sur le seuil avancé d’un « avenir volant ». Pages mélangées, mois mêlés comme un jeu de cartes avant de le jouer, ce calendrier perpétuel rejoue les scènes d’un « joyeux désordre », celui l’est la mémoire…