Claude-Henri Rocquet aux éditions Eoliennes

Les éditions Eolienne, sises à Bastia, ont récemment publié trois gros volumes des œuvres poétiques complètes de Claude-Henri Rocquet1, que Xavier Dandoy de Casabianca m'a fait découvrir.

Disparu en 2016, cet auteur né en 1933 dans les Flandres – racines jamais oubliées qui lui faisaient aussi aimer la peinture de Bosch, Bruegel et Van Gogh, auxquels il consacra des livres - fut une rencontre déterminante pour l'éditeur corse, qui en parle dans un touchant hommage publié sur la revue Le Quartier Latin((http://www.quartierlatin.paris/?presence-de-claude-henri-rocquet)) :

Je n’avais qu’un peu plus de vingt ans et je venais de perdre père et mère quand je l’ai rencontré. D’une culture renversante – humiliante, même –, sa vie entière était orientée vers la création littéraire. Mais laquelle ? Son espace vital, construit autour de son bureau et de ses cahiers, protégés par une lourde muraille de livres, certainement protecteurs et bienveillants, était sa place forte. Au sein de cet espace chargé, sa culture se révélait de nature à renforcer la présence à la réalité, et notamment à la réalité de l’éphémère. De notre éphémère. Le temps est parfois plus mince qu’une vitre.

Enseignant, critique d'art, Claude-Henri Rocquet et l'auteur d'une œuvre prolifique (plus de 40 livres) dont 3 ouvrages consacrés à Lanza del Vasto, auquel il vouait une grande admiration : lycéen à Bordeaux, sa rencontre avec l'auteur venu donner une conférence fut déterminante dans son engagement à ses côtés, durant la guerre d'Algérie, « pour la paix et contre la torture ». Il publiera, en 1981, des entretiens réunis dans « Les Facettes du cristal », suivis d'autres avec le spécialiste de la préhistoire André Leroi-Gourhan (Les Racines du Monde, 1982) , ou l'historien des religions Mircea Eliade (L'Epreuve du labyrinthe, 2006) Le dialogue avec ce dernier2 le conduisit non seulement à réfléchir sur la nature et les métamorphoses du sacré, mais le prépara à la rencontre avec l'église othodoxe, au sein de laquelle il retrouva la foi, avec Anne Fougère, qu'il épousa selon ce rite.

entretien avec Claude-Henri Rocquet, ed. Le Centurion, 1983, 239 p.

Du poète, mais aussi dramaturge et comédien, notamment dans « Oncle Vania » au Théâtre du Nord-Ouest – monté par Jean-Luc Jeener – ou encore lauréat du grand prix catholique de littérature – en 2009. De l'auteur, dans le documentaire Le Jardinier de Babel, tourné en 1993, Xavier Dandoy de Casabianca dit encore :

L’homme était en quelque sorte un artisan continuateur de la Bible, contemporaine, éternelle, sans cesse renouvelée comme une mer, tantôt déchaînée, tantôt d’huile, mais jamais morte. La mer de Dun-kerque, l’église des dunes. Là où il était né.
Là où, aussi, il fût grièvement blessé, à bord d’une embarcation qui le menait à Bruges, par une tempête digne de Jonas.

S’il doutait ce n’était pas de la Bible, mais parfois, d’être allé trop loin, lui. Le Christ dans la pharmacie, Noël du clou… oui mais pourtant, voilà, le Christ pouvait être là, de nos jours. Il la rendait vraie ou bien peut-être, plus précisément, il se laissait relier à Elle. Peut-être un indice sur ce thème, cher, de la transparence. La lumière en transparence.

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documentaire de Xavier Dandoy de Casabianca, Le Jardinier de Babel

Choix de poèmes par Xavier Dandoy de Casablanca

 

Déjà

 

Déjà le rouge a gagné les collines

Déjà l’automne se recueille

Dieu de grâce Dieu de lumière veuille

Que je me tienne dans le feu des vignes

 

Et que je vive encore une saison

Dans la douceur de ma maison

 

 

Village

 

Le village dans la brume

Appareille déjà vers l’hiver.

Brève sera la rougeur des vignes,

Brefs ces jours d’automne où la fumée

S’élève des feux d’herbes dans la vallée.

Prépare-toi donc à t’éveiller la nuit

Près de ton feu qui rêve et va s’éteindre

Si ta main ne le réconforte.

C’est alors que les yeux ouverts

Sur la neige qui vacille à la vitre

Tu t’étonneras d’être encore.

 

 

À l’abri

 

Trouverez-vous le chemin de la maison ? Verrez-vous sa façade ? Reconnaîtrez-vous l’arbre et le jardin ? Nous demeurons dans l’invisible et le village est transparent. Un buisson d’oiseaux le couronne qu’une source à midi revêt de rosée. Ce que vous prendrez peut-être sur le sentier pour une pierre stupide est le seuil de notre loge. Si vraiment vous désirez nous voir, prenez par la sylve, prenez par la sève.

 

 

Le poète quitte son jardin secret

 

Et maintenant que nul n’aura plus soin de vous

Mes arbres et mes herbes folles

Frères et sœurs de sève et de silence

Vivez vivez tenaces contre le rocher

Je vous confie au ciel à sa pluie à ses flammes

Je vous confie à vous-mêmes je vous confie

Au temps et à la terre

Au loin j’écouterai dans la rumeur humaine

Votre sagesse instruire les étoiles

 

 

Enfance

 

L’enclume répondait à la cloche matinale

et la cloche à l’enclume répondait. On entendait

bientôt la plume d’un écolier docile

porter le plomb d’un problème insoluble.

Combien de seaux ? combien de sacs ? de brocs ?

Combien de boisseaux et de pintes ? Combien ?

Combien de collines ? de lacs ? de pintades ?

Et combien d’entrelacs ?

Combien de temps encore me reste-t-il à vivre ?

Combien de fer, de nickel et de cuivre ?

Sur le cahier la tache rouge et la blessure

de l’encre magistrale comme un ruban de livre

de messe ou de prix

te rappelaient le sang qu’il faut qu’on verse

si l’ennemi brise la paix des villages et des sillons

d’ici.

Combien ?

Combien de temps vous reste-t-il à vivre ?

 

 

Portrait

 

Je suis le creux du ruisseau

Son lit rugueux de cailloux

Mais je n’en suis pas la source

Elle naît en lieu plus haut

Plus secret et plus profond.

Si je ne suis qu’ossements

De pierraille que l’insecte

Sec et froid traverse, inspecte,

Ou si l’eau s’empresse et perle

Et parle aux herbes, au merle,

C’est la loi de la saison

Non celle de ma raison.

Ma vertu est patience.

 

 

Avec ce double volume se clôt l'édition de l'œuvre poétique complète aux éditions éoliennes.

Il comprend : Tome 3 (Art poétique) Avant-propos d’Anne Fougère ; Le mineur obstiné, propos de Claude-Henri Rocquet recueillis par Paul Lera ; Art poétique – Dialogue interrompu de Claude-Henri Rocquet & Daniel Cunin ; Art poétique : choix de textes ; Les deux interlocuteurs de Claude-Henri Rocquet : Paul Lera (1933-2009), Daniel Cunin / Tome 4 (Petite nébuleuse) : Petite nébuleuse ; L’arche d’enfance : Les cahiers du déluge ; Sept récitations ; La mère ; Celle qui parle ; L’enfance et la mémoire ; L’enfance de Salomon ; Sept poèmes publiés ici & là. Notes de l’éditeur. Biobibliographie, par A. Fougère. Claude, par X. Dandoy de Casabianca. Postface de l’Œuvre poétique complète, par J-L. Jeener.

 

 

Présentation de l’auteur

Claude-Henri Rocquet

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

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