Claude Minière : L’Année 2.0

Après les comptes / la poésie pour l’histoire héroïque / conquêtes, traversées /
et les histoires domestiques : / beaucoup de chattes, offrandes

Claude Minière, né en 1938, fut d’abord instituteur avant d’exercer diverses missions pour le Ministère de la Culture. Il est l’auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages, roman, essais et surtout poésie.

Son dernier recueil est divisé en quatre parties qu’il présente ainsi : « Durant l’année 2.0 [celle du confinement], j’ai étudié la Mésopotamie, j’ai médité sur le combat du « zéro » et j’ai passé des heures dans le jardin public où les enfants s’étonnent des statues. Puis je suis revenu à la civilisation. J’ai pensé à Orphée ».

Ses brefs poèmes se présentent comme de courtes méditations. Le poète n’est pas né d’hier, il n’écrit pas pour rien dire (Rimbaud), ses aphorismes traduisent autant l’expérience accumulée dans toute une vie (Elles sont sourdes les statues / pas plus que les hommes au front dur) qu’un étonnement toujours là face aux bizarreries de l’existence (le vieil homme sourit sur son banc / il parle avec Jésus). Mais la poésie est d’abord travail et jouissance de la langue et, de ce point de vue, le lecteur est comblé, depuis des envolées à la Perse :

Ce sont des enroulement presque inaudibles / que nous déchiffrons alors que les roues / des chars faisaient grand bruit de chair / et de sang.

Claude Minière, L’Année 2.0 , Paris, Tinbad « Poésie », 2022, 98 p., 15 €.

Jusqu’aux notations les plus énigmatiques :

Les hommes ne s’effraient plus aux solstices, / et pourtant elle tourne / on dit que dans la maladie on ne sent plus rien

Ou la citation humoristique :

Demain à l’aube je partirai / dans une barque comme tu sais

Ses vers sont irréguliers (même si les précédents sont deux ennéasyllabes) mais le poète cultive volontiers la rime :

Le sol a perdu son œil / mauvais si bien / que l’espace est / plus ouvert dés le seuil

Ou plus nettement encore :

le refoulé / le sol à grandes foulées / mais pour l’instant nous sommes ici / en Mésopotamie / à mi-chemin / sans fin / autre version de la résurrection / de l’érection

Il peut tout aussi bien multiplier les allitérations :

Et maintenant j’ouvre la fenêtre, j’aère, / la planète erre c’est l’heure de passer / aux exercices de respiration

Pour tous ceux qui na connaissent pas encore Claude Minière, L’Année 2.0 (dont on appréciera par ailleurs la maquette et la typographies soignées) ne peut que donner envie d’en découvrir davantage, les livres ou, immédiatement accessibles, les petits textes disponibles sur Sitaudis.fr.

Présentation de l’auteur

Claude Minière

Essayiste et poète, Claude Minière est né à Paris le 25 octobre 1938. Enseignant pendant quinze ans dans les École des Beaux-Arts, il est l’auteur d’un « panorama » de la création artistique en France entre 1965 et 1995 (L’art en France 1965-1995, Nouvelles éditions françaises, Paris, 1995). 

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

Claude Minière, Un coup de dés

Ce bref essai consacré à Blaise Pascal est l’occasion, pour l’auteur, de mesurer son rapport à l’écriture — une manière de mourir dans l’Art. Meurt-on par hasard ? Minière joue un coup de dés [...]

Claude Minière : L’Année 2.0

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Claude Minière, Un coup de dés

Ce bref essai consacré à Blaise Pascal est l’occasion, pour l’auteur, de mesurer son rapport à l’écriture — une manière de mourir dans l’Art. Meurt-on par hasard ? Minière joue un coup de dés dans le dos de Mallarmé.

Claude Minière est un traducteur d’Ezra Pound. Il lui a consacré un essai, Pound caractère chinois (l’Infini, Gallimard), qui explore les Cantos, ce texte de feu que Sollers, comme bien d’autres, dont Hemingway, Pleynet, etc., place au centre de ce qui n’a pas de dimension. Ezra Pound est le premier à lire Un coup de dés jamais n’abolira le hasard de Mallarmé à Londres en 1897 : son Cantos est dans la continuité de cette lecture. La filiation est documentée. Et Minière s’invite à la table de jeu.

En effet, « chacune des Pensées émet un coup de dés » écrit Minière à propos de Pascal, reprenant ainsi le dernier vers du poème de Mallarmé, toute pensée émet un coup de dé. Le livre de Minière est bien calé dans ce jeu. Mais il conclut son ouvrage par : « Une main vient se poser doucement sur le front brûlant de Blaise. Ce n’est pas un hasard. » Ainsi la fin ne serait pas un hasard ? Et si la fin n’était pas une fin ? Et si l’œuvre d’art, pour l’écrivain l’écriture élevée dans l’écriture, sauvait de la fin et précipitait la mort dans la vie, brouillant ainsi le jeu ?

Claude Minière, Un coup de dés, Tinbad, Paris, 2019, 58 pages, 11,50 euros.

L’acte d’écrire est une figure géométrique. Blaise Pascal trace ces figures au charbon sur le carrelage de son cabinet de travail et cherche, cherche le point invisible qui est le véritable lieu, le point où tomberont toutes les figures. Les représentations. Comment rendre compte, comment ? En écrivant. En écrivant caché.

Ce que rappelle Minière regardant Pascal, c’est que l’acte d’écrire ne se peut sans dissimulation, qu’il faut tenter l’expérience de la pensée, aux contradictions qu’elle met en jeu (en Jésus-Christ toutes les contradictions sont accordées, rappelle Minière citant Pascal), pour faire advenir ce qui est perdu, insensé. Page blanche, la page 28 du livre : poésie pure, instant pur, vérité comme concept de la seule pensée. Pascal écrit par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point, par la pensée je le comprends. Ainsi il faut écrire sous le manteau, de peur que l’écrit séduisant la pensée échappe : ce que fait Pascal cousant des bouts de papiers dans la doublure de son vêtement, pour s’habiller de la pensée trouvée (sauvée ?). Les fragments, fragments de pensée brassés entre cœur et laine par Pascal, offrent la possibilité de fuir la ligne droite, figure de l’impossible, d’inventer une géométrie du hasard. De refonder l’espérance. Probablement l’espérance… Le point.

On ne peut manquer de VOIR chez Minière, littéralement, l’approche spatiale posée par Pascal, par Mallarmé ensuite, de l’objet littéraire : la page blanche, les espacements différenciés : « Les pensées se suivent et sautent », écrit Minière. De même la pensée écrite. Mallarmé dans Un coup de dés jamais n’abolira le hasard renvoie lui aussi la métrique classique — qu’il aime mais que la réalité brouille —, et fonde une nouvelle métrique faite d’espaces conjugués, d’une nouvelle syntaxe, d’une enflure typographique. Minière note que « l’écrivain préfère répéter dans une variation, que Pascal pratique une méthode de digression sur chaque point qui a rapport à la fin pour la montrer toujours ». Lorsque Pascal écrit sa pensée, il pense son écriture, et si la pensée fuit, il ne tient qu’à connaître son néant. Point de maquillage, « écrire sa pensée est courir légèrement au-dessus du néant ». Mais le silence des espaces infinis est effrayant, et l’écriture sauve en sonnant.

L’ouvrage de Claude Minière brasse récit, biographie, histoire, réflexion personnelle autour de Blaise Pascal, son œuvre ; il porte la marque de feu de l’acte d’écrire. Il s’articule autour d’un bref chapitre qui fixe le prix d’une course au tarif unique (une idée de Pascal pour un transport en commun à Paris au XVIIe siècle), métaphore du prix à payer, identique pour chacun, du passage de la ligne au point (de l’écriture convenue à l’Art pour l’écrivain) ; c’est une bascule dont l’issue est dans un coup de dés. Retenons notre souffle. Le hasard est maître (mètre), le dé roule et découvre le nombre. Si le hasard appartient à la certitude, Claude Minière suggère qu’une main providentielle le guide.