Corinne Tisserand-Simon

Née à Châteauroux en 1959. Elle vit et travaille à Bordeaux. Docteur d'université en Arts du spectacle. Metteur en scène et directrice artistique, elle fonde Les GOUPILS en 1986. Elle a mis en scène une trentaine de pièces.

Spécialiste de BECKETT, son travail a pour objets le corps, la voix et l’émotion. Sa pratique l’a conduite à collaborer avec des plasticiens, des musiciens et des chanteurs.

Écrivain, elle écrit du théâtre et de la poésie

Moïra ou les Enfants du Désert, théâtre (Éd. ETGSO, vol 5, 2007)
Petit Cri Cherche Petit Corps, théâtre (Éd. ETGSO, vol 12, 2011)

Elle participe régulièrement à des ouvrages collectifs (Atelier de Poésie de Cognac, Moulin de Poésie, Saintes)

elle a publié deux livres,

Poétique du Petit Corps, 2001, poésie
Petite Musique du Corps, 2003, poésie




Poèmes

EN FACE

 

 

 

Murs  translucides
Boites empilées
Trou noir le jour
Soleils ébréchés
De mes soirées                           

La vie défile

ET MOI JE ME TAIS

Tapie dans l’ombre, en face
Assise dans la pénombre

JE REGARDE

Ça s’illumine
Ça et là
À droite
À gauche
En haut
En bas

Simultanément
Alternativement

Ça raconte
L’histoire des ombres
La nuit

Les ombres
Petites grandes

Noires  raides
Souples voluptueuses

Ombre unique
Fenêtre unique

Deux ombres
Une fenêtre

JE RESTE SEULE
IMMOBILE
JE ME TAIS ET JE REGARDE

Une ombre marche vers la droite
Elle se déplace
S’arrête
Pivote sur sa gauche
Ouvre la baie vitrée
Sort sur le balcon

L’ombre a délaissé
La lumière
Son corps naît dans la nuit

Le temps passe

JE REGARDE

Un instant floue
L’image surgit
Nette tranchante

Une femme sourit
Et me dit :

BONSOIR

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

INONDATION

 

 

 

L’eau ruisselle sur les pans de la nuit
Elle rôde autour de la lune
Spectre glacé revenu d’entre les morts

L’eau s’infiltre dans les murs de ma chambre
Elle décolore mes rêves
Imbibe mes mots
Et renie ma vie

L’eau dessine des étoiles sur le plancher de ma chambre
Elle danse avec mes souvenirs
L’eau balaye les temps du monde

Elle détrempe nos corps ensommeillés
Elle s’insinue dans nos baisers
Elle est le froid de l’été
Le murmure incessant d’un oubli

L’eau glisse le long de nos bras
Le long de nos jambes
L’eau dissout nos bouches
Dissèque nos yeux
Enlace nos bras
Noie nos mains

Elle ruine nos larmes
Et renie nos prières

L’eau s’évapore au petit matin
Nous n’y pouvons rien

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

LA BOMBE

 

 

 

L’enfant ne peut pas dormir
La bombe est tombée près de sa maison
L’enfant hurle
Il n’entend plus rien
Ne voit plus rien
Seul couché dans le noir

Maintenant il habite le grand silence
Ni père ni mère
Ni frère ni sœur
Pas même le cri d’un oiseau
La nuit s’est emparée de lui
La lune s’est teintée  de noir

Son corps est là
Accueillant les larmes du ciel
Ivre des cris de la terre

Lui ne pleure pas ne crie pas
Il fait tout noir dehors

La nuit se fait linceul 

Le blanc de l’absence
Nul cri
Nul




Sommeil à Gaza

 

Fados, je dormirai comme on dort alors que les avions bombardent
Et que l’air se déchire
Comme de la chair vive
Je rêverai donc de trahisons
Comme on rêve en dormant... alors que les avions bombardent

A midi, je me réveillerai pour interroger la radio - comme tout le monde :
Y a-t-il une trêve ? Combien de morts ?

Mais la tragédie, Fados,
C’est qu’il y a deux catégories de personnes :
Celles qui jettent leurs souffrances et leurs péchés au milieu des chemins pour s’endormir
Et celles qui rassemblent leurs souffrances et leurs péchés en forme de croix qu’elles portent dans les rues de Babel, Gaza et Beyrouth
En criant : Encore !
Encore !

Il y a deux ans, j’étais dans les rues de la banlieue sud de Beyrouth à traîner une croix de la taille des immeubles
Mais aujourd’hui, qui soulage de sa croix un dos fatigué à Jérusalem ?

La terre : trois clous
Et la miséricorde : une matraque
Frappe, Dieu
Frappe avec les avions
Encore !

 

 

Extrait de Je me lèverai un jour, anthologie poétique
établie et traduite de l’arabe (Palestine) par Antoine Jockey