Đặng Thân, une voix poétique vietnamienne remarquable
Đặng Thân est un poète vietnamien important. Le magazine Poets & Writers Magazine écrit « Dang est admiré pour sa prose caractéristique et son style rebelle ». Alors que le WORD Magazine déclare, “Đặng Thân est l’un des auteurs de la nouvelle école vietnamienne les plus acclamés. En écrivant tout, des “hetero-novels” aux poèmes allitératifs calligraphiés sur rouleau, il a réussi à rester sur le devant du débat sur la littérature post-Doi Moi.”
Ses travaux publiés dans des genres variés « ont créé le tournant le plus important dans le style écrit de la littérature vietnamienne. » (Prof. Dr. Critic La Khac Hoa).
Đặng Thân est le pionnier des allitérations en vietnamien et d’un nouveau style poétique et idéologique appelé “phạc-nhiên”. « Đặng Thân utilise avec succès un langage de connotation et d’humour noir pour traiter de vrais problèmes. Il a créé son propre style poétique, le “phạc-nhiên” et a capturé toute une musicalité dans un langage naturel qui démontre un talent insurpassable » (Xiang Yang, géant de la littérature taiwanaise).
En 2020, il a obtenu 3 prix littéraires prestigieux : Naji Naaman Literary Prize, Premio Il Meleto di Guido Gozzano 2020, and Panorama Global Award 2020.
Son recueil bilingue de poèmes OM [Other Moments] – en français AUM [Autres Moments] – sorti en septembre 2019 aux Etats-Unis, est à ce titre remarquable. Cet ouvrage qui a déjà été traduit en plusieurs langues dont l’allemand, le bengali, le chinois, l’espagnol, le grec et l’italien. Une traduction française de qualité a récemment été effectuée.
Avec OM, Dang est devenu le premier auteur vietnamien dont les poèmes ont été exposés et conservés au World Museum of Poetry (Piccolo Museo della Poesia) – Piacenza, Italy, seul musée de la poésie au monde.
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Extraits de la version française de AUM
AUM, OM (sanskrit; en devanagari: ॐ) est une syllabe sanskrite que l'on retrouve dans plusieurs religions: l'hindouisme et ses yogas, le bouddhisme, le jaïnisme, le sikhisme, et le brahmanisme. On la nomme aussi udgitha ou pranava mantra (« mantra primordial », le mot prāṇa signifiant également « vibration vitale »). D’un point de vue hindouiste, cette syllabe représente le son originel, primordial, à partir duquel l'Univers se serait structuré.
AUM est composé de Moments du matin et de Moments du soir.
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Maman
Maman, mes larmes coulent
A chaque fois que du côté du ciel ton ombre apparaît
Je me rappelle la sueur qui de ton corps perlait
Sous le soleil, sous la pluie, jusqu’à ce que mon cœur s’écroule
Solitaire et harassante, alourdie d’enfants, endettée d’un mari
Laborieuse, fière et provocante, d’une beauté insaisissable
Et qui s’est écoulée toujours, fleuve rouge, fleuve bleu, à l’infini.
L’eau est trouble, la maison pauvre mais tout est paisible
Les heures sont limpides alors, aucune n’adhère à la toile.
Quand bien même mes larmes s’écouleraient sans fin, inaudibles
Elles ne sauraient être comparées à cette sueur quotidienne !
La sueur abondante de ma mère, qui comme un voile
Incessamment s’écoule et coule encore… à l’aube de ta cinquantaine.
1989
Choc des racines
Rappelez-vous
le temps où
les poils
des jambes
étaient
de chaume
Comment se fait-il
qu’ils soient maintenant
buissons ?
Pourquoi poussent-ils
encore
après avoir été
épilés
Ouïlle !
Oh, notez !
Assis, un gourou oriental réfléchissait
Aux racines de l’univers.
La réponse lui vint lorsque, involontairement,
Il arracha un poil de sa jambe.
Alors son chant s’éleva, puis il partagea ce vers :
Le Tout sort du Rien
Composant un couple éternel.
A qui sont ces yeux ?
Je n’osais tenter tes yeux
Mais ne pouvais en détacher les miens
Quand les tiens ont étincelé j’ai tremblé
Devant moi
Une rose céleste.
Mon cœur émit un râle assourdi
Tout comme ceux aujourd’hui… clos à jamais !1
Comptine de bain
La poussière s’élève le sable s’envole
Qui donc resterait alors immaculé
Et qui saurait m’interdire
D’exhaler mon odeur
Alors que déjà lavé
Je sors, enfin propre…
De grâce ne vous vantez
Avec vos ailes non souillées
Alors que vos crânes glougloutent
D’un trop plein de pus de boutons
De grâce ne faites point l’arrogant
Et ne me jugez ici trop malin
Moi qui, ma vie durant, ai manqué de bain
Transe multidimensionnelle
Comme en une transe hypnotique ma conscience
disparaît. Je suis calme, détendu, et ouvert aux suggestions. Sans opium ni héroïne. Mais le
stress de la vie moderne me vide l’esprit. Trop
de tout n’est jamais bon pour tous. Oh non, il
se trouve que les effets néfastes me font du
bien. Je vois ma vie antérieure comme celle d’un
prince arabe entouré d’esclaves. C’est bien ainsi
que je suis devenu l’esclave immense de cette
saleté de monde entier, dans une chaîne sans fin
de cause à effet. Oh cette chaîne, qu’elle soit d’or
ou de fer nous devons à tout prix la briser. Mais comment ? "Vous devriez vous servir de la chaîne
en or pour vous délivrer de l’autre", murmure un
Esprit sorti de nulle part. Ah oui, l’or. Quand
j’étais Prince, j’avais tout, mais à présent me
voilà encore enchaîné. Bon Dieu ! J’ai découvert
que la Vérité n’émerge que si l’on demeure
le Soi le plus véritable.
Venez heureux, allez heureux2
Venez à moi
Mes compagnons du monde
Partagez la paix tandis que croît sa valeur éternelle
Dividendes
Venez dans la joie
Surmontez ce qui peut l’être
Surmontez à votre façon
Difficulté, pauvreté, discrimination, ou violences
Comme si elles avaient toujours existé
Montrez vos mains et nous pourrons nous embrasser
Nous embrasser pour chasser les souillures
De l’injustice, des guerres et de l’hypocrisie
Nous embrasser pour réchauffer tous les cœurs qui aspirent à battre en liberté
Une étreinte pour partager votre pouvoir d’aimer
Pour montrer notre nature la plus véritable
Le monde est trop vaste, notre monde pacifique est exigu
Venez ensemble
Renforcez notre force spirituelle
Raffermissez notre juste cause
Rencontrez le mal
Encagez les démons
Encouragez les sans-privilèges
Engagez-vous pour la justice
Pour toi et moi
Sans cela la vie n’est pas la vie
Venez avec moi
Nous sommes humains
Et ce n’est que lorsque nous nous saurons humains
que nous pourrons aller, heureux
Saison du Têt au Vietnam
le premier mois lunaire arrive
avec le marché Vieng aux outils de métal
les palanches se balançant sur le chemin des pagodes
se souhaitant une récolte fructueuse
jouant des coudes pour entrer dans les temples
rêvant de tonnerre d’applaudissement
allumant des baguettes d’encens
le printemps arrive
comme il était prévu
lanternes allumées
les cœurs
se laissant porter par la joie
comme enivrés
dans les airs
le drapeau de la fête poétique
appelant à des vacances d’un mois
de bétel sur le plateau et de vin dans la jarre
dans un ciel-et-terre immense et obscur
oh moi
pourquoi, au milieu de tout ceci,
effrayé
par le tambour,
ébranlé
par la cymbale en forme de lune
brillante pour montrer son amour tranquillement lumineux
vive comme une flèche
Une robe de moine volète
tandis que la fumée
se propage
des offrandes de papier votif
pour exaucer un vœu
un rêve évadé de nulle part
waouh, un trio
un orchestre d’hommes du ciel et de la terre
sourit toujours
composant un bouquet de fleurs fraîches et de fruits d’une profonde douceur
le temps galope par la fenêtre
en toute hâte Apollon peint des rayons de soleil
un bateau d’amour prend la mer
on entend un chant d’amour
venu de loin
au sein de l’infini
La première vague de la nouvelle année
Je vois la première goutte de rosée
Perler au creux de la feuille
Que forme ta paupière, l’œil embué en deuil
Des victimes du tsunami que le créateur
Dans un moment d’inattention a engendré
J’ai entendu la première chanson née des profondeurs
De ton cœur qui est venue mourir à la pointe de ta langue
Elle résonne et repousse le pouvoir de
L’obscurité à la veille de cette nouvelle année
Je ressens le combat ahurissant, qui change chacune
De mes cellules et qui au plus profond se répercute dans
Le premier vol que j’ai choisi
Et qui me mène vers une authentique vie
1/1/2005
Constipé pendant 7 jours
Une trille de 7 notes
"Sans silence, il n'y aurait pas de musique."
- ADAM ZAGAJEWSKI
Dès l'aube, il commence les cours et reste
7 heures à l’école.
Les mots d'or de la noble bouche résonnent Loin de trois mille mondes. Oh, la nature humaine est
Intrinsèquement bonne.
Donnez-moi un levier assez long
Et un point d'appui sur lequel
le placer, et je déplacerai le
Monde. 7 couleurs de l'arc-en-ciel
sont frivoles. Naturel
N’est plus à présent qu'un mot dépassé.
Moderne est interminable-
ment fou. Liberté é-
galité fraternité.
Et puis quoi ? La ré-
volution transgenre dans des terres embrumées.
La bienveillance a été brutalement tirée
En avant par des maîtres/gourous.
Les esclaves/disciples ont dit, c'est
La lutte finale. Des milliers
D’années de sang ont empoisonné
L'Histoire. Quelle odeur de
Vivants. Grands. Immortels.
La vie reste la même. Les 7
Sages ont encore du fun–ds. Le G-
7 prend la main
En raison d'une violation.
Tai-chi imperturbable
Oh merci à toi musique rituelle. Comme
Toujours 7 notes de haut
Et de bas ont encore besoin d'un silence.
A son retour, il est frappé de co-
lique. Son ventre gémit de
douleur. Il n'a pas senti
de musique dans son ventre
Depuis 7 jours. Il rêve que
ses intestins se transforment en
rivières empaillées, tueuses
de constipation.
Il se dirige vers un
WC. Une heure. Puis une
Autre. Il se sent écrasé
De souffrance toute la nuit alors même
Qu'il est en bonne forme. Sou-
dain, le frein est desserré.
La musique abdominale
S'écoule abruptement. Une douleur
comme s’il était opéré.
7 notes s'emboîtent en une longue
Rangée d'une centaine d'écoles de
Pensée. Mais ne trouve pas longtemps
le silence espéré. La voix
abdominale semble haletante,
à bout de souffle, en vol stationnaire
Au-dessus de sa tête. Silence, je t’ai
Longtemps attendu.
Pour te conférer le titre de "Seigneur
Des sons".
Des décennies de temps difficiles
"Boum boum" était le bruit des milliers de bombes à l'époque de ma naissance
"Criiiiiii criiiiii" était la berceuse des fusées qui m’emprisonnaient
Rumeur sourde des cadavres en marche
soufflés par le spectre de la guerre
On a vu ces médailles glorifiées sur l’herbe fanée des uniformes dans une cadence sans vie
Ces suites de vers spontanées viennent d'être composées entre deux pôles :
le Vietnam et l'Amérique
L'entre-deux était trempé de sang encore taché
sur les arbres
rizières
et même les rêves
Sur les bateaux chargés de réfugiés fuyant leur patrie dans une profonde, profonde douleur
Une blessure persistante qui fait souffrir la moitié du globe
et une partie orageuse du siècle
Forme des nappes de sang sur le Pacifique les jours d'El Niño
et dans le tsunami de l'Océan Indien
Laissant en arrière âmes stupides, ressentiment et méchanceté envieuse
Tandis que le smog de l'Agent orange se mêle à la fumée azurée émanant des cuisines en fin d'après-midi
Les chiffres de Giao Chỉ3, moitié Việt Cộng4 et moitié Việt Kiều5, risquent leur vie
en marchant sur
les ponts historiques putrides
Les semis de riz poussent encore sur des chaumes décomposés
On nourrit encore des fantômes qui chantent
Et nous-mêmes mourons chaque jour pour vivre
Đặng Thân : Où est la modernité ?
Notes
- Note de l'auteur : J’ai composé le poème "A qui sont ces yeux ?" après de longues nuits de détresse insomniaque, tourmenté par la beauté, le magnétisme et la fragilité de l’amour et des êtres aimés déjà aux cieux; le personnage que je tutoie les incarne dans leur totalité.
- Inspiré par le salut islandais : "Viens heureux" pour « bonjour », « Va heureux » pour « au revoir ».
- Giao Chi : l’un des noms anciens du Vietnam.
- Viêt Cong : les communistes vietnamiens.
- Viêt Kiêu : les Vietnamiens d’outre-mer.
- Rappel du 30 avril 1975, jour où la guerre du Vietnam a pris fin.