Daniel Ziv, Ce n’est rien que des mots sur les Poèmes du vide.

Y a-t-il une manière d’écrire de la poésie ? Y a-t-il un tel cloisonnement générique, que l’on ne puisse pas chevaucher les frontières, démarcations qui, rappelons-le, ne sont pas d’aujourd’hui, puisque notre cher Aristote dans l’antiquité a élaboré ce carcan des règles régissant les attributions formels et thématiques qui ont fait loi  jusqu’au dix-neuvième siècle.

Oui mais enfin, il y a eu des luttes, que l'on songe à la bataille d’Hernani, que l’on songe aux Fleurs du mal, et à la poésie de Rimbaud, que l’on se souvienne de  Marcel Proust publié à compte d’auteur et refusé par André Gide. Que l’on n’oublie pas ces premiers, ces éclaireurs, qui ont jalonné des routes neuves et pour leur époque osées, et qui ont rencontré une incompréhension générale.

Daniel Ziv ne suit ni les précurseurs ni les sentiers balisés. Il est Daniel Ziv. A ce titre il s’est approprié les genres, tous, et les formes et les paradigmes dansent autour de sa liberté. Oui, mais c’est encore plus compliqué que ça. Ou plus simple. Daniel Ziv cherche "rien", ce quelque chose qui ensemence ses appareils tutélaires et son écriture. Ce n’est rien, de ce rien du latin “rem”, qui signifie chose, et qui en ancien français a conservé cette acception. Une acception oubliée pour ce substantif qui en revêtant une nature d'adverbe dans laquelle il est généralement employé s'est vidé du tout pour devenir l'expression du néant. mais le néant n'est rien s'il n'est pas tout.

Daniel Ziv, Ce n'est rien, Z4 éditions,
2019, 201 pages, 14 euros.

Ce Rien qui est quelque chose qui est rien, signe la déambulation du récit des pages de Ce n'est rien, ou plus exactement il en est le fil directeur, une recherche non pas d'unification des contraires, mais un désir de les révéler, de les interroger, pour le moins, de les restituer à l'entendement. Cette exploration des paramètres convenus de nos existence concerne d’abord la vie, le temps, qui est enoncé et mis en œuvre dans sa dimension syncrétique. Le passé et le futur prennent place dans un présent étendu.

 

CHAPITRE PREMIER

Ton passé ; pas important,
votre futur n'est plus. Mon pré-
sent, inexistant. Après les ré-
flexions, des astres t'ont menée à
la possibilité que le fini finissait
infini et l'infini fini, j'ai inventé
une machine à égoutter le temps.
Cette machine, une illusion qui 
avant l'avantage de nous rendre
invisibles. Le long de ce rêve, ap-
pelons-la : machine. Désastre.
Réflexion des astres.

 

Cette "machine à égoutter le temps" est sûrement la Littérature telle qu'inventée par Daniel Ziv. Les titres de chapitres ne laissent aucune place à une identification à un quelconque univers frictionnel. D'ailleurs il n'y a aucune catégorie générique clairement définie sur la couverture. Les personnages et les éléments de la fiction sont sans cesse ramenés à l’écriture, à la fiction elle-même fiction, puisque le réel appréhendé lui-même comme fiction est le cadre et le prétexte d'une vision spéculaire sur sa nature fictive.

 

Acte un

      J'ai viré Véra. Elle 
écrit comme et n'importe
quoi. J'ai beau l'avoir inventée,
elle n'a pas compris ce que je ne 
lui demandais pas.

 

A l’instar de Diderot qui le premier interrogeait les paramètres fictionnels, et dialoguait avec son personnage, Daniel Ziv va fouiller la fabrication des instances narratives. Mais il va plus loin, puisqu’il offre la ficiton d’un réel donné à voir comme une fiction. Dès lors Rien et tout se confondent dans l’écriture, dans sa danse avec le silence suscité par ces polarités juxtaposés et explorés. Mêlant toutes les catégories génériques, et le métalangage du roman, du langage dramatique, les formes, les tons, ce qui lie l'ensemble, si ce n'était le talent de l'auteur, son style reconnaissable entre tous, c'est le rire, ce regard bienveillant et sage posé sur le monde, et qui fait que l'on peut suivre ce narrateur auteur et partager avec lui cette liesse immense que l'on ressent lorsque la conscience guide les perceptions.

De rien au vide, il n’y a qu’un gouffre franchi allègrement par Daniel Ziv, dans Poèmes du vide. Ces poèmes autour du temps, de ce point focal où passé et futur sont entiers dans le présent, jalonne les pages de ce recueil. Mais ici c’est le monde qui sert de toile de fond au poète, les cris du monde qui colorent l’espaces scriptural de rouge sang. Les textes sont accompagnés de dessins de Jacques Cauda, qui bien sûr révèlent et soutiennent l'intensité dramatique des poèmes.

 

La nuit se dérobe, la nuit te viole
ton héroïne oublie des étoiles
glacées dans la terre,
putrifiées.
la nuit t'enveloppe, se caresse
te retient puis s'endort
chacun de tes rêves
est gris uniforme

Des mots qui osent évoquer les barbelés et la guerre. Des mots servis par un lexique sonore, qui heurte parfois mais jamais au hasard, qui déverrouillent les serrures apposée sur l’émotion, vive, humaine, de ce spectacle. Des assonances, des allitérations, des images qui fusent partout. La poésie est dans cette liberté incantatoire et sonore, partout où s’exprime le nombre dans la voix du poète. La poésie est dans les Poèmes du vide, ou alors Ce n’est rien, là, il y a tout de l’univers dévoilé dans le cri unique de l'humanité révélé par ce silence, le poème.

 

 

Daniel Ziv, Poèmes du vide, Z4
éditions, 2017, 97 pages, 12 euros.

C'est sans danger
travail / ferraille des mots abîmés et 
usés.
le train - Auschwitz Buchenwaid
Dachau Birkenau
matin après matin d'autres voisins
juifs, tziganes, communistes
ferraille / pagaille
et tenter de rester nuit après nuit
le même que le jour d'avant.
danger,
pagaille identité numérotée. 
laisse donc,
ces malheureux sont broyés par le vide.
dans le monde des vivants
des amis disaient theâtre, théâtre
la vie n'est pas romantique,
pagaille, ferraille, voies de chemin de
fer,
hurlements,
la nation / le rasoir
je, vous /
je ne pas /
la terreur, tut redeviendra normal
au fond, une chambre à gaz.

Présentation de l’auteur

Daniel Ziv

Daniel Ziv estné à Paris en 1953. C'est un écrivain, poète et éditeur français qui dirige Z4 éditions. 

Poèmes choisis

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