Davide Napoli, Les Ombres du vide
L'encre. Les encres, les dessins, les poèmes, se croisent et s'entrecroisent dans les recueils de Davide Napoli, se dispersent et se rassemblent, se tracent et s'effacent, se trouvent et s'annihilent, de manière itérative. Mais surtout, tout cherche ce point de rencontre où le trait sera la lettre et où le tracé des figures deviendra le discours témoignant de la possible invention d'un langage global.
C'est dans ce recueil que l'évidence de cette démarche d'une cohérence absolue apparait. Dans Les Ombres du vide, les poèmes offrent un cadre aux encres, d'autant plus efficient que l'ensemble formé par la totalité des poèmes opère grâce à la régularité structurelle permise par le dispositif mis en œuvre. L'anaphore organise le passage d'un texte à l'autre car chaque poème commence par "Comme si de loin", et le nombre récurrent de vers, quatre, ainsi que l'emploi des italiques systématisé dans les deux derniers vers, rythment le recueil, et accompagnent les dessins qui, eux aussi, mettent à jour cette posture itérative, celle de l'œuvre, celle de l'artiste, qui appellent dans cette circularité celle du monde, dans ce balancement celui d'avant la vie, lorsque le mouvement de la marche maternelle berçait le silence.
comme si de loin
la poussière des voix
entre les vibrations des anneaux
symphonie des branches d'eau
Davide Napoli, Les Ombres du vide, éditions unicité, collection Le metteur en signe, 2021, 56 pages, 13 €.
Les phrases nominales qui clôturent les poèmes ouvrent sur les encres, dessins où apparaissent l'ébauche d'un visage, toujours le même, présence fantomatique redondante, perdue dans ce magma de traits qui encerclent la représentation inachevée de l'être. Cette isotopie graphique rejoint l'isométrie des poèmes et ancrent/encrent l'enchâssement de ces deux polarités artistiques dans un enchaînement virtuellement infini. Tout recommence sans être ni pareil ni différent.
comme si de loin
un chemin de l'inimaginable
images sans voix
gestes sans langue.
Alors que se passe-t-il entre l'encre et les encres ? Il n'y a pas de dialogisme, pas plus que de commentaire, il n'y a pas d'illustration ni de reprise, pas de discours et encore moins de désir d'établir un cadre référentiel. Le rythme est celui d'une globalité où le mots cherche le trait et où les tracés écrivent. L'ensemble s'interpénètre là où les mots ont cessé de vouloir dire et où la représentation ouvre sur un espace inédit, celui d'une quatrième dimension sémantique, qui serait celle d'un langage global qui au-delà du langage et de la représentation ouvrirait à un espace symbolique. Davide Napoli n'écrit pas, et ne dessine pas non plus, il fraie des passages vers les universaux que nous portons tous, vers la manne archétypale enfermée dans nos inconscients, qui sait que nous sommes un. Un est le trait, signe unifié dans le tracé des lettres comme dans l'espace des représentations, qui retrouvent dans le rythme incandescent de ce recueil leur nature intrinsèque de vecteur vers un syncrétisme sémantique, artistique, et humain.
comme si de loin
poursuite d'un signe
une fois à manquer pour la énième fois
le pas irréversible du silence