Denis Heudré, Une couverture noire (extraits), et autres poèmes

Des poèmes publiés en 2015...

les chevaux s'emparaient des fenêtres
et les jetaient au fossé

dans la maison
une femme de quelques nues
n’avaient plus que ses livres pour pleurer

la vie renaîtrait sûrement
de la parole et tout près

***

pardon
pulsation

il ne faut pas laisser
un rythme sans surveillance

dans mon cerveau hurleur
s’évapore une naissance

l'amour une onde en soi
 

***

poème d'outre incantation

arbitrer les silences
en tracés de langage

mouvements monologues
en sous-absence

inter-prétention du savoir
des âmes

écrire
est terre
vierge

***

et l'Homme
se sent plus petit
chairs en friche
en lit desséché
chemins rebroussés
et paroles en l'air

ne lui est acquis
pas même le jour
que cette peau de paille
qui s'enflamme
à peine étreinte
et qu'il abandonnera
                                         un jour

***

prend bien soin de tes semelles
il ne faudrait pas revenir
avec un pas égaré

les fossés ont des oreilles
et tu ne saurais
y échouer tes rêves
 

Un ensemble de poèmes confiés à Recours au poème en septembre 2013.

trahi par l'eau d'une berceuse
un enfant se replie
dans son regard
cache-cache
dans le bâti du dedans

souffre-souffre
la fable enfantine
 

 

ce temps de chien qui pue éparpille ses épines autour du monde
eux n'ont pas de chaussures et leurs dents brillent
on les voit de télévisions en visions télépathiques
j’ai froid au flanc de tous ces mots
en dégoulinant de mondes

une averse encore vivante m'attrape par le gris
pour se déjouer de ma jeunesse

 

instants bâtis d'envies mal en dérive insufflent les nuages de nos tourments
bonheurs repliés en lassitude à la révolte
j'aurais voulu de grandes eaux improbables
pour tarir le cri collé à ma chaussure
des velours des corps des sentiments

le jour avance avec un caillou dans son nuage
le cœur avant l'orage
 

 

instants bâtis de tous ces soupirs solubles dans les rêves
trop bête pour le grand écart trop grand pour la fable enfantine
j'aurais voulu l'univers tout débraillé
construire des remparts contre les dieux
machicoulis des humanismes contre les flèches-imprécations

le temps ne bouge que de quelques fleurs dans la bagnole
quelques saisons dans l'ignorance
 

Présentation de l’auteur




Denis HEUDRE : Sèmes Semés

 

Denis Heudré et sa traversée des saisons
 

Traverser les saisons. Comme ne pas rappeler l’intérêt porté à ce thème par de nombreux auteurs. « Traversant le monde, comme une chair, comme une fleur, cueillant les sons, les odeurs aux branches, aux buissons, et les cailloux, semés, collés aux chaussures », écrit le bigouden René Le Corre dans un livre précisément nommé Les saisons (La Part Commune, 2011). Il y évoque ces « éclats d’instants pris sur la ronde des saisons ». Aujourd’hui le rennais Denis Heudré nous propose sa propre traversée en une série de courts textes comme autant de tableaux de genre. Il y mêle des sensations (« un troupeau éparpille en brume son haleine blanche ») et des réflexions qui peuvent prendre la forme d’aphorismes (« La nature sait ce qu’elle doit à la lumière/jamais on ne l’entendra en dire du mal »).

 

Sur ses pas traversons donc les saisons pour y cueillir quelques perles. Printemps : « La campagne dégrafe son corsage blanc ». Eté : « La pierre se prépare aux pieds nus et les digitales aux libellules ». Automne : « Le vent dégueule ses morts dans les recoins ». Hiver : « Aucune chute de soleil n’est attendue pourtant la nature perd la raison ».

 

Dans une introduction à ce très beau recueil, l’écrivain Bernard Berrou évoque « la voix singulière » de Denis Heudré, « le rythme discontinu, le frémissement de son phrasé, l’intensité de ses incertitudes ». On peut ajouter (et Bernard Berrou le souligne aussi) que l’auteur écrit une poésie « accessible », ce qui n’empêche pas le mystère, l’énigme à creuser.

 

Cette proximité avec la nature et cette intégration dans le cosmos sont, à coup sûr, le creuset d’une approche méditative de la vie. Toujours à l’affût, Denis Heudré traque les signaux apportés par les plantes, les fleurs, les bêtes, le vent, le ciel. « La terre est de mèche avec toutes nos émotions », note-t-il dans une forme de conclusion/réflexion à son recueil.

Il y a chez lui, foncièrement, un acquiescement au monde même si la vie – il le sait bien - nous prend parfois à rebrousse-poil.