Denis Langlois, Le voyage de Nerval
En Orient, plusieurs fois, Gérard a cru la retrouver. En Égypte, au Liban… C’est parce qu’il l’avait perdue qu’il était parti en voyage. N’a-t-il pas tout dit dans son poème Artémis :
La Treizième revient… C’est encor la première
Et c’est toujours la seule, ou c’est le seul moment
Peu de temps auparavant, alors que tout était fini avec Jenny, l’actrice, son impossible grand amour, après s’être ruiné pour elle, il avait cru la retrouver au ciel, suivant son étoile, nu dans les rues – ce qui l’avait conduit à séjourner chez le docteur Blanche, psychiatre.
Séjournant pour un temps au Liban, Denis Langlois recherche les traces de Gérard de Nerval, en vain. Les collines boisées, les jardins de Beyrouth ont été bétonnés. Il n’y a que les guerres pour continuer encore. Et les livres pour retrouver le poète : dans le Voyage en Orient, 945 pages, de quoi occuper notre auteur…
Ainsi s’instaure un dialogue par delà la mort et les siècles entre Langlois et Nerval – ce qui n’aurait étonné en rien notre Gérard. Ou, plutôt qu’un dialogue, une adresse où se mêlent reproches et admiration. Denis suit Gérard du Caire à Constantinople.
Denis Langlois, Le Voyage de Nerval, La Déviation, 2021, 232 pages, 18 €.
Ton voyage en Orient, lui dit Langlois en substance, tu l’as trouvé dans les livres que tu as pillés autant que sur le terrain, on ne saura jamais départager ce qui fut vrai, vécu, de ce que tu as compilé… mais du moment qu’on a l’ivresse, n’est-ce pas, et tu la cultives jusqu’à plus soif, du moment que le public lit avec avidité ton voyage dans la Revue des deux mondes et que tu touches quelques droits d’auteur…
En connaisseur, Denis Langlois décrit les péripéties éditoriales de Nerval, de son retour à Paris en 1844 à sa mort en 1855. Elles ne sont pas tout à fait les mêmes que celles vécues par notre auteur, mais non plus tout à fait autres… au XIXème siècle, c’est le théâtre et les feuilletons qui font vivre son auteur. Plus ou moins. Par nécessité, Gérard est devenu prosateur, il néglige ses poèmes. Alors qu’en douze sonnets de Chimères, pas un de plus, celui qui écrivit « je suis l’autre » au bas de son portrait, bien avant Rimbaud, marqua à jamais la poésie.
Ainsi, Denis suit Gérard de sa trente-troisième à sa quarante-septième année, de 1841 à 1855, ave tendresse et lucidité. Il nous livre sur sa vie bien des détails passés inaperçus. Pas d’effusion dithyrambique mais un beau respect pour le collègue… et pour la vérité !
Sa fin, Gérard l’avait signifiée par avance, dans Artémis toujours :
Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement :
C’est la Mort – ou la Morte… Ô délice ! ô tourment !
Il n’avait pas connu sa mère, son corps disparu quelque part en terre allemande, sans même laisser une photographie... Allait-il la retrouver ? La tête couverte de son chapeau, plutôt haut de forme, il fut un pendu bien respectable, rue de la Vieille-Lanterne.