Denis Tellier, T’as qu’à te taire et autres poèmes
T'as qu'à te taire
Sur la rambarde, j'attaque la rouille avec mes ongles.
Des pensées traversent mon pardessus et buttent sur ma croix du mérite.
T'as qu'à te taire...
D'avoir autant mérité, je retiens mon souffle et la buée.
Il pleut sur la plage de Berck, elle est déserte.
T'as qu'à te taire...
Croix du mérite.
Je vois mes jambes qui dépassent de la poubelle en plastique.
T'as qu'à te taire...
Croix du mérite.
Louise mon amour...
Je n'aimais plus Louise de Vilmorin,
c'était une bêcheuse.
Elle s'était moquée de moi,
en effeuillant un chrysanthème,
sur le chemin de son domaine ;
son indélicatesse,
une vraie semeuse d'embûches,
bref, un amour incertain.
Ses robes fleuries, si jolies,
ses cotillons, ses allusions
qui se frottaient,
tel des paquets de vieilles graines périmées.
Son odeur d'étuve et de petits pois séchés.
Je la détestais quand elle passait,
nonchalante comme une brouette
chargée de plantes.
Je m'en griffais les doigts ; seul
au milieu des plates -bandes.
Picardie
Vous souvenez-vous ma tendre amie de cette journée ou nous échangeâmes des mots
sur la société anglaise du XVII siècle à nos jours.
Nous étions vous et moi en terre Picarde aux moments des labours.
Nous buttions parfois sur des vieilles taupinières le long de ces chemins et dans ses
détours.
Jonchées sur le sol ça et là, il y avait des betteraves sucrières hachées, amochées,
tailladées, rognées tour à tour.
Et puis des habitations austères ou vivaient des ménages de mulots à 4 dents en cet
alentour.
De bien pauvres familles dont les enfants chialaient plein de crottes blanches aux
derrières et ceci pendant tout le jour.
Vous souvenez-vous ma tendre amie, nous adoucissions cette misère en fendant l'air par
des gestes aux agréables arabesques et des paroles portées, délicates comme du
velours.
Les berlines de l'ancien K.G.B
Au sud-ouest de Vladivostok après avoir passé Poluostrov Tobizina, il n'a plus rien à
part une végétation jaune de graminées en cette saison dépourvue de graines. Elle va en
se couchant en ondulant parfois à mi-pente vers la mer d'Okhotsk, là ou des nuages
noirs trempent leurs bouts de nez.
Dans ce paysage étrange serpente un chemin étroit, une piste défoncée empruntée par
une dizaine d'hommes qui reviennent à pièds une fois la semaine en parlant haut et fort.
C'est là qu'ils balancent d'une petite falaise dans un bruit de ferraille en les poussant, des
grosses bagnoles noires délavées dont les phares et les carreaux sont pétés.