Denise Boucher, Boîte d’images (extraits)

Comment s’en aller d’elle
comment quitter son lait
comment se défiler
sauter seule à la corde
derrière la maison
sans déchanter pour soi
j’ai une méchante mère
sans courir à la haine
comment rêver partir

...

Publié dans l'anthologie Chant de plein ciel - Voix du Québec

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Présentation de l’auteur

Denise Boucher

Ecrivaine, dramaturge – sa pièce Les fées ont soif, qui fit scandale lors de sa création en 1978, est jouée dans le monde entier - Denise Boucher est avant tout poète. Poète grandeur nature, ainsi la présente le Larousse qui l’a introduite dans son édition 2018. Grandeur nature, à l’image de ce Québec où elle a vu le jour en 1935, du temps où les élites et l’église imposaient leur carcan sur les corps et les esprits. Grandeur nature à l’image de la vie qu’elle étreint à plein bras et dont elle chante dans une langue savoureuse les grands et petits bonheurs, les pertes et les défaites. Poète, Denise Boucher a voulu l’être en toute conscience et lucidité sans jamais se départir de son sens de l’humour et de sa drôlerie. Elle n’a cessé de démonter/dénoncer les rouages de la société patriarcale et tous les conformismes. En 2017, elle a publié Boîte d’images, une anthologie personnelle qui a remporté le grand prix du Festival international de poésie de Trois-Rivières.

 

 

Autres lectures




Denise Boucher, Boîte d’images : Dans le tourbillon de la vie, une fée déféodée en route vers la liberté

Avec Boîte d’images, Denise Boucher nous offre en cadeau une anthologie très personnelle. Elle nous invite à l’ouvrir et à piocher, au hasard, une carte postale, un poème - instantanés d’un moment/sensation/émotion. La poète ne nous facilite pas le travail : pas de date qui serve de repère ; textes anciens, récents et inédits mêlés. Mais n’en est-il pas de même des couches géologiques du temps ?

Se trouve ainsi accentué le sentiment d’une immersion dans un tourbillon de vie, une vie marquée par l’audace et l’expérimentation. L’époque s’y prêtait, il est vrai. Née dans une petite ville du Québec, Denise Boucher avait 20 ans et quelque au début des années 60, époque de la grande remise en cause par les baby-boomers du mode de vie de leurs parents, de leurs valeurs et de celles de la société de consommation.

Denise Boucher, Boîte d’images, l’Hexagone, 2016, 169 pages.

Denise Boucher, Boîte d’images, l’Hexagone, 2016, 169 pages.

Le Québec ne pouvait rester à l’écart du mouvement, d’autant que la société étouffait sous le poids d’un conservatisme renforcé par l’imbrication des pouvoirs politique et religieux((Le clergé, catholique et protestant, contrôlait le système d’enseignement . Et Jean Lesage, Premier ministre du Québec durant la « Révolution tranquille », commença par s’opposer à la création d’un Ministère de l’Education.)). Pour visionner l’invisible/nous naviguions à vue nous voulions/déboulonner les apparences. Entreprise hautement difficile :

Mais les coupes à blanc dans nos mots
nous avaient légué un marmonnage
proche du cent pieds sous terre…

Denise Boucher a non seulement participé à cette révolution culturelle, elle en a été actrice, accélératrice même. Sa pièce Les fées ont soif, créée pour la première fois en 1978, connut un succès foudroyant, à la mesure du scandale provoqué((L’auteure fut poursuivie en justice par les intégristes de l’époque qui réclamaient l’interdiction de la pièce pour cause de blasphème. Ils furent déboutés en appel. « Et la pièce, présentée à nouveau l’année suivante au TNP, entreprendra une tournée québécoise de six mois, à guichets fermés. Elle sera traduite en russe, espagnol, anglais, italien, catalan et sera jouée dans plusieurs théâtres d’Europe, d’Amérique et d’Australie. La traduction américaine sera publiée en 1993, aux Etats-Unis, dans la collection Women’s Theater from the French ». Marie-Nicole Pelletier, Ces femmes qui ont bâti Montréal, Editions du Remue-ménage, 1992, pp. 463-464.)). L’auteure y dénonçait les archétypes à travers lesquels la société patriarcale tente de soumettre les femmes et de les confiner à leur rôle traditionnel : mère, vierge, putain.

Il est difficile de sortir indemne d’un tel évènement. Denise Boucher continua à tracer sa voie comme auteure et comme poète, mue par la conviction du pouvoir des mots, royaume ouvert aux démunis qui réussissent à en franchir le seuil. A la question, Comment êtes-vous devenue écrivain, elle répond : En voulant explorer par moi-même la force des mots pour dire ce que l’on considère comme indicible((« Questionnaire d’auteur : Denise Boucher, Archive pour le mot-clef Denise Boucher », 12 mars 2012 par le Délivré. http://www.librairiemonet.com/blogue/tag/denise-boucher/)).

Indicible : ce qu’il est défendu de dire, ce qui ne peut être dit par le langage usuel. La poésie – lieu par excellence de l’émergence de l’indicible – sera donc pour cette amoureuse de l’amour et de la beauté, toujours révoltée, le terrain de jeu idéal. Le lieu où il est possible de chanter un chant qui rende la vie supportable. La citation, de William Carlos William, figure en exergue de Prélude, en début de l’anthologie.

Ouvrons donc cette Boîte d’images. L’auteure, Shéhérazade moderne, nous raconte dans une langue imagée, riche en trouvailles, souvent cocasse, les péripéties de son voyage au long cours. On y trouve :

La mère, mémoire du commencement, toujours présente

De grandes histoires d’amour, Nous n’avions rien/et n’avions besoin de rien/ nous avions mieux/et le cœur sauvage des choses/…/nous étions deux et nous le savions. D’autres, passagères, légères, Dans le guide des amours/vous portiez cinq étoiles/remplies de gages/d’un enfer supportable

Des batailles épiques, des défaites amoureuses, Je ne viens pas d’où je venais/le crime fut parfait…/Je suis une mémoire atteinte/la quintessence de la lâcheté 

Un érotisme joyeux, Je me taperai un de ces Tarzans/je mettrai ma robe en serpent…, des désirs nés d’un regard bleu par-dessus une écharpe rouge, des souvenirs, mot générique pouvant désigner tout aussi bien un hibou en plastique aux yeux jaunes, legs d’une histoire ancienne, un visage qui la hante ou encore une réminiscence surgissant dans un endroit inattendu (dépôt de l’Armée du Salut) 

Les amis bien sûr, célèbres (Gaston Miron, Marcelle Ferron…) et pas célèbres. Également, une vieille Arabe (assise au soleil, sourit et roule le soleil entre ses dents en or), Aïcha la marocaine, Llorona la mexicaine. Une Anne-Laure de onze ans qui porte un nom à faire des chansons. Le voisinage, un veuf au balcon, sentinelle du village qui ne comprend les paroles de sa femme que longtemps après le décès de celle-ci, un autre qui n’en peut plus d’attendre

Les deuils qui déchirent le cœur, l’âge vécu avec l’élégance de l’humour, la grande négation qui fait son chemin

Nous la suivons ainsi dans ses saisons, de la jeunesse à celle de maintenant où elle joue avec l’idée de retarder le temps, refusant viscéralement - à l’encontre de toute une tradition, orientale comme occidentale - de croire qu’on peut s’en aller bellement, doucement.

Et c’est ainsi que la jeune fille ardente, l’oiseau-moqueur qui voulait enchanter la vie, que Denise Boucher est toujours restée nous raconte sa traversée et son combat pour la liberté.

Ce que j’aimais le plus dans la liberté
ressemblait au temps où
personne n’aurait peur
de l’amour d’avoir peur
de la femme sans ombre…
de la femme sans jour…
de la fiction des contes
où les fées racontent l’envers de nos vies

Boîte d’images, la rencontre d’une grande poète avec son époque, qu’elle prend à bras le corps et dont elle évoque si bien les bonheurs et les maux, en miroir des siens. Une leçon de vie, poétique, qu’il faudrait offrir à toutes les filles et à tous les garçons.