Didier Ayres, Sphère, Anne Sexton, Folie, fureur et ferveur, œuvres poétiques 1972–1975

Didier Ayres et la  poésie de l’espace

Certains poètes cherchent pour se croire géniaux  un ciel rougeoyant comme un mur et ses lichens morves d’azur,  voire que sais-je. Mais ce n’est pas forcément en  se réveillant un matin après des rêves agités qu’on devient poète ni d’ailleurs monstrueux insecte.

Didier Ayres fait bien plus. Il relève plus que la tête de la poésie. Son  écriture n’est  jamais cloisonné en arceaux rigides, elle ne sert jamais de couverture ni de prête à penser dans l’effet de surface et mots reçus .Le domaine de sa « sphère » tient de la métamorphose. Pour preuve « Les felouques qui sont-elles / L’énigme des cours d’eau ? ». Voici ce que la poésie ouvre.
Elle se dilate de l’enfance en « melancolia » souvent dans  l’angoisse et le nocturne mais se produit d’un texte à l’autre l’union du ciel et de la lune. Cette sphère essaime en « boules bien rondes » fisait déjà Beckett  sur un tel livre. Elles serpentent parfois jusqu’au vide sans limites. Mais dans tous les cas par la hauteur de l’imaginaire et des mots.
Didier Ayres acquiert ainsi une des voix les plus personnelles de la poésie néo-surréaliste mais au service de l’existence plus qu’a l’imagerie.  Car nous le suivons ici pendant des années et des années, toute la vie s’il le faut, jusqu’au moment où il réussit à la dévorer même si le malheur existe. Mais il faut tenir.  Et le plus étrange, c’est que personne n’a jamais pu l’apercevoir, si ce n’est parfois la future victime ou quelqu’un de sa famille.
Ainsi un lézard ne dort  jamais sur cette sphère. Mais le langage remplace aux méditations  la voix de la mémoire. Elle peut à l’angoisse couper la route. Pour embrasser la sphère des tels poèmes n’ont pas besoin de héros mais un chant sous requiem en fragments. Ils sont beaux et justes.  

Didier Ayres, Sphère, Editions La rumeur Libre, 2025, 128 p., 18 €.

Surgissent la destinée ailée (parfois déplumée) et l’équation circulaire. Le poète navigue dans une nouvelle poésie spatiale qui structure la nacre de la vie et la ligne de vie de  de celui qui fut arôme, abandon, dérobade. Preuve que dans un tel poète tout est bon.

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Anne Sexton et la poésie de l'extrême 

En une suite de cadrages, de décadrages et de superpositions d’images la poétesse renonce à toute ornementation. Elle tranche dans le vif : toutes les filles sont pour elle les descendantes de Marie et du Christ mais les quitte car trop placé « dans le derrière de dieu » et même si des « fossoyeurs attendent» c

Tous ces « chants » imprécateurs sont des opéras, des opérations, des ouvertures.  L’auteur propose des prises complexes où le sacré se mêle à la sensualité, le divin au charnel. Une nouvelle fois elle devient monteuse  et compositrice d’un nouvel ordre et d’une autre beauté radicale et sans maquillages.
Cet ensemble de textess devient kaléidoscopique. Exit les « belles de nuit » et la première d’entre elle : la Vierge. Mais cette dernière ne touche pas seulement à l’indicible et à la prière. Le  rite dont elle fait l’objet s’ouvre à un tapage certain et à des démonstrations plus intempestives que cultuelles.
L’« essence » mystique passe par la petite porte au profit de la reprise en main du corps féminin. Si bien que la dimension abstraite du mythe sort de l’inéluctable. Car la poésie devient un art qui crache sur le silence où les femmes furent cloués comme  des Christ féminisés.
Anne Sexton est la créatrice de l’indicible et de rites quotidiens ou sous forme de paraboles face aux prédateurs et leurs tapages. Cette dernière partie de l’œuvre touche l’inéluctable et inacceptable écoulement du temps dans sa continuité que son abstraction semblerait devoir.
Son approche tient au fait qu’elle n’admet pas d’autres commentaires que les siens là où elle invente diverses montées des circonstances quifondent l’essence du féminin en soulignant un principe de séparation et de distance.  Et son dialogue est particulier. Le mâle fort en leurres, criailleries est voué au mutisme.
Tout reste fascinant, fort, violent pour répondre à « Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi les femmes étaient si silencieuses ? ». Ici elles ne seront plus marquées d’une façon indélébile.

Anne Sexton, Folie, fureur et ferveur, œuvres poétiques 1972-1975,Trans­for­ma­tions, trad. de l’anglais (US) Sabine Huynh, édi­tions des femmes — Antoi­nette Fouque, Paris, 2024, 268 p. ,  22 €.

Les dernières œuvres poétiques d’Anne Sexton surpassent en puissance ses recueils antérieurs. Ceux-ci étaient déja incandescents voire osés mais ici jaillissent soudain l’obscène et le sacré, l’urine et Dieu, bref le feu, le feu, le feu (que écrit-elle « les hommes cachent ».
Accentuant « Tu vis ou tu meurs, Oeuvres Poétiques 1960-1969 » parues dans la même maison d’éditions, dans ces accomplissements terminaux  se retrouvent l’âme et le corps toumentés de celle qui resta longtemps l’oubliée de la poésie américaine du XXème siècle mais qu’elle modernisa à sa façon, loin des dogmes et des chapelles.
 
Le fond reste plus sauvage que les textes d’avant. La forme poétique déplace les lignes en vers ou se mixent voluptueux et sarcastique dans ce qui tient d’une sagacité et de la violence. Anne Sexton se fait au besoin sorcière des sorcières et sour­cière du féminin. Elle  renouvelle la vision des femmes à travers  ce que la poétesse connut avec délice ou terreur : la famille, le désir et la sexualité.
 
Anne Sexton offre et réaffirme un nouveau contenu, en marge des conventions  de la morale des USA en trouvant un malin plaisir à renverser un patriarcat qui nourrissait l’esclavage de négresses blanches et oies de la même couleur  prêtes à se livrer corps et âme au pre­mier prince venu.
L'acte poétique se veut intime et dévoile des secrets (proche du silence) comme la permanence du dur désir non de durer mais de vivre en existence plénière en fixant un instantanée renvoyait forcément au passé et au deuil tout en créant des sortes de parabole : un chien montant vers Dieu descend vers les hommes qui brulèrent Jeanne ou autres sorcière de Salem et d’ailleurs. Elle ne cesse de vouloir rattraper quelque chose qui semblait désespéré, foutu d'avance.
Une telle créatrice farde cependant le goût pour sa trajectoire. Elle retrouve les racines des traitements sordides du masculin. Et dès qu’elle commença à écrire, elle sentit une trajectoire classique de littérature. Plus qu’une Viginia Woolf ou qu’une Sylvia Plath, elle écrit nota ses intuitions, constations et rêves dans une sorte de « Furor » contre les constrictions ou contritions.

Présentation de l’auteur

Anne Sexton

Anne Sexton (née Anne Gray Harvey ; 9 novembre 1928 - 4 octobre 1974) était une poétesse américaine connue pour ses vers très personnels et confessionnels. Elle a remporté le prix Pulitzer de poésie en 1967 pour son livre Live or Die.

© Crédits photos Elsa Dorfman

Bibliographie

Recueils poétiques

  • To Bedlam and Part Way Back (1960)
  • All My Pretty Ones (1962)
  • Live or Die (1966)
  • Love Poems (1969)
  • Transformations (1971)
  • The Book of Folly (1972)
  • The Death Notebooks (1974)

Œuvres posthumes

  • The Awful Rowing Towards God (1975)
  • 45 Mercy Street (1976)
  • Words for Dr. Y. (1978)

Traductions françaises

  • Tu vis ou tu meurs, Œuvres poétiques (1960-1969), Éditions des femmes, 2022 (Live or Die), trad. Sabine Huynh, 400 p.
    Préface de Patricia Godi. Ce recueil contient les traductions des quatre premiers recueils d'Anne Sexton : To Bedlam and Part Way Back, All My Pretty Ones, Live or Die et Love Poems.
  • Transformations, Éditions Des femmes, 2023 (Transformations), trad. Sabine Huynh, 120 p. 
  • Folie, fureur et ferveur, Œuvres poétiques (1972-1975), Éditions Des femmes, 2025 (The Book of Folly), trad. Sabine Huynh, 272 p.
    Ce recueil contient les traductions de trois recueils d'Anne Sexton : The Book of Folly, The Death Notebooks et The Awful Rowing Towards God.

Distinctions

Anne Sexton accumule au fil de sa carrière plusieurs honneurs : elle est faite membre de la Royal Society of Literature ainsi que de la Bread Loaf Writers' Conference (1959). Elle devient aussi la première femme membre de la fraternité Phi Beta Kappa d'Harvard. En 1967, elle remporte le Shelley Memorial Award, ainsi que le prix Pulitzer de la poésie pour son recueil Live or Die (Tu vis ou tu meurs), paru en 1966.

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur




Didier Ayres, Sommeils

 

... un souffle autour de rien. Un vol de Dieu. Un vent.

 

 

La nuit mortelle est un grand papillon d'ombre
comme la coupe de ton absinthe
en cette haute fenêtre cruciforme.

*

J'ai donc l'hiver pour camarade
un chien de verre où descendent les divinités.

*

Est-ce la caille ivre
que j'ai jeté trois fois dans la nuit salée
ce sanglot de fer qui va en moi comme un orage
où nous fûmes le myosotis
au milieu du printemps et de la mort
alouettes qui prennent les feux
comme ce cerf dans le feuillage oblique
et parmi les grands glaieuls bruns du soir ?

*

Tu appartiens à l'âge bizarre des soleils
aux peupliers de charbon et d'éthanol
dont on boit le vin vert et le chagrin.

*

Pluies et voûtes des oiseaux
première jonquille de tes yeux
le baiser marial de ton baiser
j'ai coupé la chasuble vermillon du matin
ainsi que trois rossignols
où brûle la chambre nue de mes mains.

*

Tu es chaude comme la mer
le printemps qui se précipite en vainqueur.

*

Fleurs de noir cristal
ta poitrine est une épine et un coquelicot de pierre
où nous allâmes magnétiques
pour boire les eaux de la tristesse
comme deux enfants de métal
parmi les bateaux d'herbes hautes des torrents.

*

J'avais le coeur battu hier dans notre sommeil
comme si deux gerfauts avaient dansé au milieu des incendies
et ma prière ce fut toi et ta chevelure
le manteau de parme et la guitare.

*

C'est nuit contre nuit que nous nous sommes trouvés
fraternels dans les lits de fougères
plus brûlés que notre dieu
et fatigués ainsi que l'hiver.

*

Et j'ai connu la gloire des ciels noirs
infinis et comme frappés des épithètes
ainsi que trois flocons et les édelweiss de tes yeux
un grand navire enténébré et brutal
dans nos mains communes.

*

Puis le soleil a pris l'obscurité
dans le lit et les citronniers
par l'absorption de l'absinthe et du sel
car mourir n'est rien sinon une valse jaune
et toi aussi dans la flamme.

*

As-tu vu l'enfer et sa blancheur
comme nous étions dans les vaisseaux
par ce séjour de folle avoine
et le vent coupable de notre orgueil ?

*

Quelle mélancolie avons-nous des âges de midi
où sont les douleurs mystiques
dans le grand occident du ciel ?

*

Nous marchions dans les brûlures
une vive nuit de verre
comme si nous perdions la double inquiétude de notre étoile
une robe opiacée où nous buvions l'angoisse
et le gouvernement indivisible de cet amour.

*

Notre esprit comme un camélia sombre et morbide
partagé en soi dans la maison de noces
est le seul refuge où la nuit ne tombe pas
ni le mystère de l'incandescence et du repos.

*

J'ai notre insomnie
une petite aiguille de vitre
où sont les pensées inverses
et les trois énigmes du jour.

*

Nomme encore le mitan inquiet qui est notre demeure
parce que nous venons comme ensemble et désunis.

26 mars 2013
 

Présentation de l’auteur