Dominique Sampiero, Ne dites plus jamais c’est triste

« Ne dites plus jamais / c’est triste / pour dire c’est moche / c’est raté / c’est quoi cette merde / genre tu ferais mieux de faire autre chose / que du triste quoi » : dès la première strophe, le « la » est donné, et c’est à partir de cette note tenue de bout en bout, au fil des vers libres au rythme saccadé, entre rires et larmes, que se déploie la musique d’un silence, tout juste une plainte hésitant entre sourire et sanglot, une émotion à peine contenue en appel à la sensibilité du lecteur, en ostinato poussé ad libitum

Dominique Sampiero semble, dans ce dernier ouvrage, faire une confidence, en aveu de réussite, qui mettrait, une bonne fois pour toutes, la fatalité du sort, échec et mat, dont la note biographique à la fin du recueil résume sa pensée sur la vanité comme sur le bienfondé de telle démarche : « car finalement la vie se joue entre la fureur des larmes et du rire, non ? À quoi bon tirer des plans sur la comète, un jour ou l’autre, toutes les étoiles s’éteindront »

Dès lors le poète ne saurait faire ni l’économie du malheur ni le diktat du bonheur, éprouvant peut-être ce « mal de vivre », pour reprendre la formule de Barbara, qui ne saurait le convier à nier la tristesse ; essuyer les larmes, certes, mais non congédier la tragédie de la vie dont quelques mots mal avisés seraient le présage, quelques maux d’une maladie transmissible, quand on saigne du sens ? « Ne dites plus jamais / c’est triste un poème / parce que vous ne comprenez pas / et qu’il y a le mot / mort douleur blessure / dedans / ces mots qui vous font peur / que vous avez bannis / de vos yeux de vos larmes / des fois on ne sait jamais / c’est contagieux la mort la douleur / ou la blessure / ça s’attrape non ? » 

À chacun de recourir par conséquent aux pouvoirs de l’imagination, à explorer encore les contrées merveilleuses d’un ré-enchantement possible de la vie rendue plus vaste par les yeux qui décillent à la rencontre de l’inattendu ou de l’insoupçonné qui vous foudroie sur place, vous laisse abasourdi, désarmé, à nu, et dont le pitoyable qualificatif de « triste » n’est que le cache-misère d’une réalité plus grande qui vous contient tout entier dans la pitié comme dans la joie !

Dominique Sampiero, Ne dites plus jamais c’est triste, La Boucherie Littéraire, 2020, 12 €.

« Finissez-en justement / avec le c’est triste / qui tombe à plat / ou qui fait mal / dites plutôt c’est grave / c’est profond / c’est tellement vrai / c’est tout moi ça / c’est de la balle / c’est vrai de vrai / c’est magnifique et troublant / envoûtant / délicat / c’est insupportable de beauté ».

Et quand le mot juste, pile, adéquat, est rendu à la démesure des sentiments, c’est jusqu’à l’adjectif trop usité qui se défait du manteau gris, grisâtre, grisaille, pour revêtir les fastes oripeaux de toutes les nuances émotives, rouge passion, bleu espoir ou jaune brûlant, et donner à entrevoir, écho en écho, la résonnance de cette si profonde, si désarmante tristesse, dans un mot-à-mot voisin : « triste d’amour / triste comme Yseult / triste ciel / triste acier / triste éternel / triste sommet / triste étoile / triste infligé / triste défait / Tristan même temps / triste Voie lactée / triste sauvage »

Et de ces variations de tonalités s’échappe comme un message secret, une lettre dans la lettre, l’ouverture du deuxième poème de ce recueil intitulée Manifeste à l’envers, dévoilant les coulisses, l’envers du décor, la généalogie du théâtre intime à ce plaidoyer pour la noblesse des sentiments qui nous relient, nous dépassent, poète et lecteur, possible fraternité humaine, sans fard, sans hypocrisie, révélant de l’enfance à la maturité le vœu farouche de porter haut et la joie, et la peine de ses semblables : « Soyez beau, soyez propre, efficace et joyeux ! Non. Vous avez droit à la tristesse, à la dépression, au deuil, confiez-moi vos peurs vos doutes et tout ce qui vous isole des autres. Mes mots, mes bras sont là pour vous. J’écrirai vos chagrins. »

Présentation de l’auteur

Dominique Sampiero

Dominique Sampiero est né dans l’Avesnois, région de prairie, de forêt, de bocage du Nord de la France, l’hiver où l’abbé Pierre lance son appel pour les sans-logis, quelques jours après la mort de Matisse et le même mois que la démission de Marguerite Duras du Parti Communiste.

Instituteur et directeur en école maternelle à partir de 1970 et pendant une vingtaine d’années, militant des pédagogies Freinet, Montessori, Rudolph Steiner et de la pensée humaniste de Françoise Dolto, il démissionne de l’Education nationale en 2000 pour se consacrer entièrement à l’écriture.

Poète (Prix Ganzo 2014 pour La vie est chaude, éditions Bruno Doucey et pour l’ensemble de son œuvre), romancier (Le rebutant, Gallimard, prix du roman Populiste 2003), auteur de livres jeunesses (P’tite mère, Prix sorcière 2004) mais aussi scénariste (Ça commence aujourd’hui, Prix international de la critique à Berlin, et Holy Lola, deux films réalisés par Bertrand Tavernier) auteur de théâtre (TchatLand / Le bleu est au fond) et réalisateur de courts métrages (La dormeuse / On est méchant avec ceux qu’on aime), il reste profondément attaché à sa région natale et une grande partie de son écriture parle de la lumière des paysages et des vies minuscules en lutte avec leur propre silence et l’oubli.

Son dernier roman Le sentiment de l’inachevé paru en Avril 2016 chez Gallimard est une plongée dans l’enfance à travers laquelle il raconte une histoire d’amour qui laissera une empreinte forte dans son élan vers l’écriture. La petite fille qui a perdu sa langue (Gallimard jeunesse Giboulées. Illustrations Bruno Liance ) a été écrit avec des enfants en difficulté scolaire. Les éditions de la Rumeur Libre ont publié le premier tome de l’ensemble de ses textes poétiques.

Photo de Jacques Van Roy.

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Dominique Sampiero reconvertit l’espace intime de la dissidence !

« CE QUI EST TROP CLAIR en poésie relève d’un défaut technique. »  D’emblée que faut-il entendre ou comprendre par cette apostrophe singulière presque vindicative, lancée volontairement sur la page par l’éminent critique Alain Borer dans sa préface vertigineuse du dernier recueil de Dominique Sampiero intitulé superbement, INVENTAIRE DU VIDE COMME NEIGE ET FLEURS NON REPERTORIEES dont le titre circulaire autant que dynamique laisse entrevoir une nouvelle tonalité dans l’œuvre déjà considérable de l’écrivain-poète.

« CE QUI EST TROP CLAIR » en effet n’exerce pas la fascination, sauf d’une luminosité transcendante mais de toute évidence hypothétique  – et qui laisse entrevoir parfois une véritable fragilité verbale dont l’inspiration est souvent fautive et grandement  fugitive, qui vient corroborer l’idée, (dans un autre sens cette fois-ci) qu’il existe en amont une « poésie au ras des pâquerettes », une fleur pourtant fort jolie et avenante, ce que je confirme d’ailleurs par l’expérience critique, qui est la mienne depuis de nombreuses années. Mais Alain Borer dont on connaît les subtilités linguistiques autant que les tours de passe passe, et qui ne s’attache guère aux présupposés rétablit aussi –là – une part de vérité ! « Dominique Sampiero écrit en état d’ivresse ». Là encore la formule pourrait se révéler accablante si elle n’était pas sous-tendue ou superposée à un imaginaire fécond et fécondé par quelques astres cachés ; magiques ? Pour celles et ceux qui connaissent un tant soit peu l’œuvre de Dominique Sampiero, de nombreux écueils devront être évités. On pourra toujours affirmer que l’œuvre de Sampiero, mais de manière tout de même un peu facile, puise aux confins d’un certain lyrisme tardif tant la valeur ajoutée de la syntaxe poétique, partiellement vécue comme une incursion/conversion, délimite l’idée d’une poésie réfractaire à toute sortes « d’endormissement » et qui n’est nullement « le jeu rédhibitoire », d’une humanité « souillée » par le destin, dont le poète se fait fort depuis des lustres de recouvrir les traces. 

Dominique Sampiero, Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées, Editions Corlevour144pages, 18 euros.

Nul travestissement en vérité, Dominique Sampiero est un poète « cash ». « Il transgresse savamment mais innocemment. Le langage est un vaisseau et le poète son pirate, son pire acte. » (P.8) De quoi en effet tomber à la renverse ! Tant l’intrusion du critique engage à la plus grande prudence de lecture. « Que je sois vivant ou mort, je suis en face d’un réel qui organise mes absences passées et à venir ». (P.9) Je reprendrais cette formule plus tard tant elle me parait essentielle dans la compréhension du présent ouvrage.

Chez Sampiero, vouloir vivre est une contradiction différée !

Ainsi le ton est-il donné, d’un « Homme Habité », qui se fiche pas mal « du vouloir vivre », à l’inverse de courir après une mort qu’il connaît trop bien. Car le poète semble éprouver la vie comme une mort presque certaine ou bien alors d’écrire fortuitement et discrètement que la mort elle-même est plus réelle que la vie. Non qu’il faille croire que toute mort, détruit toutes formes d’illusions secondaires et passagères, mais plutôt qu’elle trouve la vie ridicule parfois et soudainement obsolète, dès lors que l’on côtoie allègrement ses « propres cadavres ambulants ». « Le Réel est une croyance – jusqu’au jour où il cogne ». (P.9) Et lorsqu’il se met à cogner (dur), c’est tout un monde, le monde, qui s’étiole et se fracture... Aussi envers et contre tout, le poète n’est jamais dupe, « son Réel », ne ressemble à aucun autre, il est LUI – et même « si le vaste reste simple » ; pourquoi en serait-il être autrement d’ailleurs ? Nul besoin de clôture factice et inutile afin de trouver le bon refuge à la survie. « L’inachevé respire entre les cailloux d’un repos imaginaire ». (P.13) Belle contradiction une fois de plus, qui se veut à la fois remède et poison, re-commencement et pourrissement. Or Dominique Sampiero a appris a dompter les éléments, au « cœur » d’une sagesse impénétrable, celle qui ne trompe pas sur le sens du monde, probable et improbable, ouvert et fermé, mais jamais vraiment tout-à-fait-amical. Ici on ne se souvient que des cailloux, érigés maladroitement en « pierre tombale », mais méfions-nous là encore de ce qui ressemble à une sombre invitation ! « Ici on se souvient des voyages sous le ciel et du corps archaïque du désir ». (P.15) Car chez LUI, le corps reste un absolu à conquérir ; par le désir alors ? Fut-il volontairement archaïque. Eh bien pas sûr justement ! Pour Sampiero, le désir n’est pas nécessairement une juste révélation de l’entendement Hégélien, oserais-je dire, mais plutôt le contraire admissible d’un faux consentement « qui se pose sur les mains ». A ce stade on pourra toujours penser que « Par ce ralenti de l’invisible et du cri, le ciel et la boue se marouflent l’un contre l’autre puis, médités à l’envers, se souvient de quelque chose sans arriver à le nommer ». (‘P19), car si l’approche encombrée de l’Autre ne semble pas très loin, les références sont nombreuses dans ce recueil de la présence humaine même intelligemment camouflée, le dehors dans le dedans semble vouloir faire exception. « Le chant est resté figé sur place, ahuri de lucidité.» (P.20) et plus loin encore, « J’ai vécu un mot qui a crevé mon espace d’un trou noir. Que je sois vivant ou mort, je suis en face d’un réel qui organise mes absences passées et à venir ». (P.21) On peut alors considérer sans guère de contre-sens que le fameux trou noir considère le Réel comme une accidentation intentionnelle de la pensée toujours solitaire et sans pour autant prétendre à une vacuité magistrale, Ainsi il semble presque évident, « qu’une brèche dans l’écart se fissure pour apparaître ».  Nous y sommes arrivés finalement ! « La fissure », est bien le « lieu de la mémoire » du poète – mais un tiers lieu.  Une friche qui ne demande qu’à être habitée, réhabilitée sans contrainte. Les espaces naturels ont besoin d’une grande liberté pour exprimer leurs désaccords.  « Figure insoupçonnée, invérifiable, dont nous sommes harcelés par l’intuition ». (P.25) Et cette intuition là n’a rien de vraiment solvable, car elle agit en surimpression. Elle, ne fait que glisser lentement, afin de donner naissance au risque. Et la réponse est donnée de manière presque brutale, « Quel démon mal foutu nous fait croire que les cailloux de l’invisible nous lapident à chaque fois que nous doutons ? » (P.26) 

Toute grâce même révélée demeure abstraite et insondable !

Et Sampiero, connaît bien tous ces démons, il en a fait l’inventaire laborieux tout au long de son œuvre, à tel point que l’on peut croire naïvement que le poète ne doute de plus rien comme « une grâce du psaume blanc » (P.27)  écrit-il comme une sorte d’avertissement et de pleine certitude. Qu’est-ce donc que cette grâce là, dont le sens originel n’est pas complètement révélé et encore moins en adéquation avec le ciel ? La grâce pour Sampiero est un artéfact ou tout bonnement une vitre sans tain, « sans rédemption ». « Mettre debout un champ ne prouve rien d’autre que le passage qu’il ouvre dans son format », (P.28) « On l’éventre jusqu’au suintement, on attend de voir perler le goutte à goutte de l’instant » (P.29). Ou bien encore, « En lacérant le papier, on se libère de tous les livres écrits en trop »  (P.29) - un sacrifice en quelque sorte « sans le regard de Dieu ». Ici la conscience s’avère fulgurante, car elle finit par cogner dur dans l’imaginaire du poète. Elle ne le lâche pas ! Le poète devient la proie de sa propre hantise compulsive et rongeuse de l’intérieur comme de l’extérieur, il peut à peine la nommer, encore moins la dissoudre dans l’oubli. « Comme d’une phrase capable de nous guérir de la carnation » (P.30), « ce tutoiement en forme de miroir, vers l’inconnu, cette deuxième peau que l’infini a déposée ici pour nous, en attendant d’en savoir plus définitivement » (P.34). Comme « une grâce réfractaire aux évangiles » (P.34). Sampiero lui n’a jamais connu la grâce, elle ne lui a jamais été promise ou accordée, au même titre que ce tutoiement presque indicible, dans lequel le poète aimerait se réconforter, ou du-moins se conforter un peu face au monde qui lui échappe encore et encore ! Un monde qui parfois prend l’apparence de la traitrise, car il n’a rien à offrir de clairement apparent, « Ni ange, ni dieu, juste une couleur cherchant un centre, le révélant à l’intérieur de celui qui la scrute. » (P.35). Or cette couleur, n’est pas clairement donnée, elle fait défaut à l’adhérence du poète à son monde, une couleur finalement qui se cherche dans un trou noir, sans être capable à un moment donné de la quête d’exprimer « sa pleine puissance », car de l’existant, elle ne sait rien d’autre que « la sortie du corps avant le corps » (P.37), le  corps impossible à expulser, qui va du dehors au-dedans et du dedans au dehors, presque inconsciemment ; rivé à toute forme d’enfermement.

Cette fois-ci le tour est joué presque malencontreusement !

Aussi toute la complexité du présent recueil vient du fait qu’il ne révèle rien d’autre qu’un existant inachevé, que le poète a lui-même souhaité pour se dédouaner de son ivresse perpétuelle et inassouvie. Une drôle  de mise en scène de l’inconscient poétique, où la métaphore joue inévitablement un double jeu. Une métaphore presque sournoise, qui a elle-même choisi son format, sans se soucier du réceptacle. « Si nous. Si seuls » (P.40) affirme encore le poète qui a fini par renoncer. « Nous sommes infirmes, et infinis. Nous boitons entre le néant et le ciel, le monstre et le saint, la flaque et l’étoile » (P.41). Or le boiteux, n’est-il celui pas cet être maudit dans le monde d’avant et dans celui  d ‘après, et qui porte en lui le revers de l’existence malchanceuse, comme un sombre artifice, auquel le poète ne peut pas donner de nom. Et même si l’œuvre nous épuise et nous façonne » (P.42) nous permet –elle finalement de rester debout, dans la plus « élégante  dignité » ? On peut en effet en douter….

Présentation de l’auteur

Dominique Sampiero

Dominique Sampiero est né dans l’Avesnois, région de prairie, de forêt, de bocage du Nord de la France, l’hiver où l’abbé Pierre lance son appel pour les sans-logis, quelques jours après la mort de Matisse et le même mois que la démission de Marguerite Duras du Parti Communiste.

Instituteur et directeur en école maternelle à partir de 1970 et pendant une vingtaine d’années, militant des pédagogies Freinet, Montessori, Rudolph Steiner et de la pensée humaniste de Françoise Dolto, il démissionne de l’Education nationale en 2000 pour se consacrer entièrement à l’écriture.

Poète (Prix Ganzo 2014 pour La vie est chaude, éditions Bruno Doucey et pour l’ensemble de son œuvre), romancier (Le rebutant, Gallimard, prix du roman Populiste 2003), auteur de livres jeunesses (P’tite mère, Prix sorcière 2004) mais aussi scénariste (Ça commence aujourd’hui, Prix international de la critique à Berlin, et Holy Lola, deux films réalisés par Bertrand Tavernier) auteur de théâtre (TchatLand / Le bleu est au fond) et réalisateur de courts métrages (La dormeuse / On est méchant avec ceux qu’on aime), il reste profondément attaché à sa région natale et une grande partie de son écriture parle de la lumière des paysages et des vies minuscules en lutte avec leur propre silence et l’oubli.

Son dernier roman Le sentiment de l’inachevé paru en Avril 2016 chez Gallimard est une plongée dans l’enfance à travers laquelle il raconte une histoire d’amour qui laissera une empreinte forte dans son élan vers l’écriture. La petite fille qui a perdu sa langue (Gallimard jeunesse Giboulées. Illustrations Bruno Liance ) a été écrit avec des enfants en difficulté scolaire. Les éditions de la Rumeur Libre ont publié le premier tome de l’ensemble de ses textes poétiques.

Photo de Jacques Van Roy.

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Dominique Sampiero, Le Bruit de la page blanche, inédits

J’use doucement l’amour
en frottant ma peau au papier
pour passer de l’autre côté
ouvrir les portes cachées
dans les plis du silence

Je n’éteins pas
Je m’enfouis

Ma parenté tourne la tête
aux alphabets

J’attends la décision des lampes
des flammes d’encre

Et ce que l’on prend pour un rêve
ou un cauchemar
c’est ce départ

 

Ceux que j’aime arrivent
à m’extraire

Ruines de l’air
glissées sous la lymphe
cachée des livres

C’est ici l’ailleurs
que l’on a toujours craint
dans le ventre de la nuit

Je gagne ma vie en transvasant
le sable pur des phrases
dans ce blanc de poche du néant
je gagne mon souffle de langue

à chaque mot
je perds mes yeux
dans mes veines

 

L’arbre du papier
pense à ma place

pas de preuve, aucune
ni sur la mort
ni sur l’infini

Juste un entassement de brindilles

la brindille des yeux, celle du corps
la brindille de l’âme
celle du silence

et un tas d’autres innommables
cueillies du bout des doigts
mot à mot, assis sur la paille morte
des chaises

 

Puis un grand feu
un grand vent bousculent
la chair de ces écorces

À chaque plein chaque délié
la cendre invite
sa part d’ombre et d’ortie
cachée dans la volonté grise
des ténèbres

L’air fredonne
des présences insoupçonnées
en les projetant dans le vide
de la page blanche

Nous craignons cette légèreté
qui attend notre corps
au détour d’un silence

 

Ne sachant plus où aller
ni ou finira le nuage de nos gestes
on supplie le poème d’écarter
les branches de l’ombre
au passage d’une phrase

On se faufile entre les herbes hautes
du mouvement d’écrire
on survit

On consent au mouvement d’ouverture
où tout se renverse à mains nues

À l’espérance, je préfère
le doux sentiment de la chute

Dans chaque mot, tombe
un peu de cet amour qui prend la forme
de ce qu’il regarde

Je ne vous oublie pas
j’apprends à

 

En dispersant le souffle
sous la peau blanche de l’ici
la danse des images
confie la volonté de nos atomes
à l’expérience crue de la matière

Chacune des phrases
soulève la sensorialité de la chair

Qu’allons-nous devenir 
s’éteint doucement dans le cerveau du poème
qui pense la mort à notre place
nous soulageant
de son bourdonnement d’abeille

Les mots se souviennent que leur étoile
est une crémation consentie

 

Les jours passent sans griffer la mémoire
usant le regard de l’intérieur
photo jaunie fondue à même le salpêtre des murs

sac de mots rempli d’abeilles, de courants d’air aussi
purs que le bruit des  pages qu’on  tourne,  on   ferme
les yeux en bouclant les sources pour monter  le blanc
du silence en neige sous  les paupières, perdu de vivre
à reculons, soudain le ciel  se balance par la fenêtre en
criant sur la pleine lune des murs, la table invente des
abimes  et  frôle  le  dédoublement  où  s’invente  une
issue

 

On ne se souvient pas de tous les murmures On se 
retrouve planté dans la vague des essences, le coude 
encombré  de  randonnées  d’épaules, les  mains se 
frottant à l’inhabité Le ciel a soif Il dévore à tour de 
bras les corps abandonnés à leur fin de vie, dispersant 
le dernier souffle dans l’indifférence des étoiles Quel 
charnier ! Parfois  il  surprend les  vivants  debout 
descendus boire à la rivière ou embrassant un enfant 
Il les foudroie et plie leur présence  en quatre  pour 
l’emporter sous son bras Impossible d’imaginer cette 
armée  de  visages tapis  dans le  néant depuis  que 
l’homme existe Quelle couleur, quelle forme a pris le 
vide sur les parois des absents ? Où irai-je, où iras-tu 
dans ce dernier apaisement qui ne consent jamais à 
nous parler de lui, affamé de garder son secret dans 
nos fêlures ?

 

Le carnaval de la mort sépare le clos de l’ouvert
grimaçant d’infini et de sang mêlés Impossible de
clore les yeux de tous ces dieux endormis dans les
rêves  des  hommes  dès  qu’une  fourmi se met à
soulever des montagnes on supplie l’ordre sacré de
nous inventer une fin douce raisonnable une sorte
d’issue à  ce  cul de sac  de l’ici Toute  une  vie pour
apprendre un jour à renoncer à la vie C’est donc cela
Dieu et sa folie de nous garder rien que pour lui

 

J’ai tout dit des tanins de noix vertes sous ma peau Le
brou sombre des mouches  s’égosille  dans l’air  Ça
tourne en rond dans la cassure Chèque cadeau de la
vie, on est en ristourne  à chaque seconde avant qu’on
nous  passe  au pilon  Que  la terre ou  le  feu nous
désengrange  de  l’ici ! Comme un vieux sac jeté dans
le puits ! Serre dans tes bras l’enfant, ta femme, l’air
frais des oiseaux, embrase ! Une  impasse est un
chemin bouclé sur le néant

 

La ligne de flottaison de vivre descend avec la nuit le
long des haies vives rougies de baies et de blessures
plus profond qu’une mémoire dans son coma On
s’encanaille avec les bâtons des pleins et des déliés
dressant les mots entre eux à nous mordre le sang
pour avancer La peau appréhende le corail blessant
des  phrases  quand  nos  mains  saignent  sur les
métaphores  Tout  au fond de l’océan vide de l’ici
alternent broches et chasubles de la beauté

 

Une lumière sans bord crève les yeux des arbres
L’herbe tantôt bleue tantôt ocre tient tête De l’infini
flotte dans les pupilles pour rafraîchir Il fait chaud
fœtal De ventre  et  d’immersion  De mou dorsal Ça
suffit d’engranger Les chats mangent de l’herbe et se
purgent du diable Je tiens entre les doigts un morceau
du monde d’encre mauve Les orties fissurent Le ciel
se tient à carreau dans la fournaise, blanc comme le
cul des morts

Des solitudes sans oreille frôlent ma vie, des mains
de verre et aussi des corps privés de fruit je n’ose rien
faire rien dire seulement ouvrir mes yeux comme des
portes  recueillir  le  froid  glacial  des  absences le
réchauffer contre moi j’invente de quoi tenir hors du
troupeau un peu  d’herbe  pousse  dans mes cahiers
j’entretiens vaguement  ce jardin  où s’ébauchent les
ombres qui m’habillent je sais me fondre dans l’injure
des arbres lancés contre le ciel je vide les armoires de
leur credo à la place je plie mes fenêtres comme des
mouchoirs derrière la vitre tout un peuple d’images
déchire le papier pour en faire des oiseaux

 

Impatience des mains à retrouver le velouté la peau
du  carnet se  glissant  sous  le  dos des  phrases Le
paysage est une stupeur posée derrière le silence du
ciel sa grisaille respire par-dessus les briques les tuiles
c’est à peine  perceptible  À force de  démêler tous les
liens qui me tenaient serré confondu au mouvement
de la vie et des choses il me reste entre les doigts la
corde lisse d’une pensée sans obstacle

 

 

C’est un jardin sans  clôture  Une  mémoire  posée à
plat devant mes mains L’impression que tout est là à
attendre  de   naître  sans  contour  dispersé  dans le
souffle    du  papier   Je  voudrais   trouver  des  mots
simples raconter quelque chose de ce personnage qui
m’attend  derrière chaque  page du  carnet  caché au
fond de mon silence comme au fond d’un puits

 

On écrit pour ouvrir les yeux Se sentir vivant dans les
gestes et  les  pensées  en  marche  vers  la  prairie où
dormir nous fera éclore, un jour dans cette puissance
du paysage que  nous recouvrons des excréments de
nos désirs

 

Photo de couverture © Antoine LnP.

Présentation de l’auteur

Dominique Sampiero

Dominique Sampiero est né dans l’Avesnois, région de prairie, de forêt, de bocage du Nord de la France, l’hiver où l’abbé Pierre lance son appel pour les sans-logis, quelques jours après la mort de Matisse et le même mois que la démission de Marguerite Duras du Parti Communiste.

Instituteur et directeur en école maternelle à partir de 1970 et pendant une vingtaine d’années, militant des pédagogies Freinet, Montessori, Rudolph Steiner et de la pensée humaniste de Françoise Dolto, il démissionne de l’Education nationale en 2000 pour se consacrer entièrement à l’écriture.

Poète (Prix Ganzo 2014 pour La vie est chaude, éditions Bruno Doucey et pour l’ensemble de son œuvre), romancier (Le rebutant, Gallimard, prix du roman Populiste 2003), auteur de livres jeunesses (P’tite mère, Prix sorcière 2004) mais aussi scénariste (Ça commence aujourd’hui, Prix international de la critique à Berlin, et Holy Lola, deux films réalisés par Bertrand Tavernier) auteur de théâtre (TchatLand / Le bleu est au fond) et réalisateur de courts métrages (La dormeuse / On est méchant avec ceux qu’on aime), il reste profondément attaché à sa région natale et une grande partie de son écriture parle de la lumière des paysages et des vies minuscules en lutte avec leur propre silence et l’oubli.

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Photo de Jacques Van Roy.

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Le verre, on voit à travers, au point de ne plus le voir, tant il est immergé dans le quotidien. Matériau banal, usuel, utile, sa transparence se double d'invisibilité. Pourtant, on peut  voir [...]




Dominique Sampiero : Lettre de verre est le poème

Le verre, on voit à travers, au point de ne plus le voir, tant il est immergé dans le quotidien. Matériau banal, usuel, utile, sa transparence se double d'invisibilité. Pourtant, on peut  voir dans cette présence qui n'occulte pas le monde mais au contraire le révèle, le dévoile, laisse transparaître des contours perçus à travers ce prisme révélateur, une analogie avec le poème. D'ailleurs, il est certain qu'on écrit les poèmes avec des lettres de verre. Entre déliés et arrêtes, entre aplats translucides et arrondis de couleurs, une architecture du silence ouvre sur toutes les combinatoires du sens, qui apparaissent et disparaissent dans ce jeu d'ombre et de lumière. Lettre de verre est le poème, celui de Dominique Sampiero, qui a porté  et réalisé l'anthologie Le Désir de la lettre née de cette rencontre avec le designer Jean-Baptiste Sibertin-Blanc à qui l'on doit ces Lettres de verre1, et le Musverre, Musée du verre de la région du Nord. Il a répondu à nos questions, en toute transparence.

Pouvez-vous nous parler de ce projet du Musée du verre ? Comment est-il né et comment sa réalisation a-t-elle été possible ?
Voilà plus de trente ans que je m’intéresse à ce musée implanté dans l’Avesnois, à Sars Poteries, entre Avenes-sur-Helpe et Maubeuge (à une heure en voiture de Lille et de Bruxelles) et à cette mémoire des maitres verriers. Il me semblait intéressant de confronter l’onirisme du verre à l’onirisme de l’écriture poétique.

La Vie rêvée du verre, performance lecture, contrebasse portée par Dominique Sampiero et Pierre Badaroux.

J’ai connu personnellement son fondateur, le prêtre sécularisé Louis Mériaux, et il me semblait que cet homme engagé dans son projet aurait aimé associer la poésie. Il m’intimidait trop et je n’ai pas osé lui proposer de son vivant.
Un jour, dans les années 60, Louis boit chez une de ses paroissiennes dans un verre de vin dont le pied est un verre à goutte. Il s’étonne de la symétrie de cet objet étrange et s’interroge. La femme, petite fille de maître verrier, lui répond : « C’est un bousillé ! Les maitres verriers de l’atelier de Sars-Poteries avaient le droit de gâcher, de « bousiller » du verre pour eux pendant la pause-déjeuner pour s’entrainer ».

Ils ont fait de cette permission un moment de création et d’affrontement entre leurs savoir-faire. C’est à celui qui inventerait le plus bel objet. Joignant la parole aux actes, cette dame grimpe au grenier et descend un carton plein : encriers revanche, coupe à fruits, lampes, canne de verre… Louis Mériaux découvre une collection hallucinante d’objets colorés d’une grande beauté et inventivité, entre l’art naïf et l’art brut, inclassable en fait.

 

Dans l’enthousiasme de sa trouvaille, il crée une association, collecte un nombre importants de ces réalisations et décide de rouvrir d’anciens ateliers pour des démonstrations de soufflage avec d’anciens verriers en retraite. Il va plus loin. Après un symposium sur le verre réunissant des artistes du monde entier dans ce minuscule village de l’Avesnois ( 1486 habitants ), il obtient du Conseil Général une bourse permettant de mettre en résidence un artiste du verre pendant un an.

Jean-Baptiste Sibertin-Blanc, Lettres de verre, une éclipse de l'objet, Bernard Chauveau, 2021, 20 €.

C’est ainsi que va se créer une collection contemporaine d’œuvres en verre, unique en Europe. Au début, installé dans une ancienne maison de maître, le musée va se déplacer dans une nouvelle bâtisse construite en pierre bleue et que vous pouvez visiter aussi virtuellement sur son blog et sa page FaceBook, le MusVerre.

Lette "L", Le Désir de la lettre, anthologie dirigée par
Dominique Sampiero et Jean-Baptiste Sibertin-Blanc,
Bernard Chauveau, 2021, 10 €. © Karine Faby.

Lettre "N", Le Désir de la lettre, anthologie dirigée par
Dominique Sampiero et Jean-Baptiste Sibertin-Blanc,
Bernard Chauveau, 2021, 10 €. © Karine Faby.

Comment est venue cette idée de réaliser des lettres de verre, et une anthologie, pour accompagner l’ouverture de ce lieu ?
On a confié au designer Jean-Baptiste Sibertin-Blanc le projet de résidence 2020 et la création, sous le titre « l’éclipse de l’objet », d’un alphabet de verre. Eléonore Peretti, la nouvelle directrice du MusVerre a eu l’idée de m’associer à la rédaction du catalogue et l’a proposé au designer qui a accepté. J’ai donc suivi JBSB pendant un an à travers toute la France dans les ateliers des maitres verriers pour faire leurs portraits. Il s’agissait dans cette réalisation de mettre en œuvre les quatre techniques fondamentales du verre : le soufflage, le bombage, le chalumeau et la cire perdue. Et d’en parler dans les pages du catalogue.
M’est venue l’idée d’une anthologie poétique comme un cadeau à faire aux visiteurs de cette exposition et à l’équipe du musée. Les poètes que j’ai invités ont reçu 10 exemplaires en droits d’auteur et ont joué le jeu avec talent et générosité. L’ensemble a été publié en co édition avec le MusVerre et Bernard Chauveau éditeur.
Il me semble évident de faire un parallèle entre les souffleurs de mots et les souffleurs de verre. Souffleurs d’images, de sens, d’un rapport de diffraction au silence, à la lumière. Je suis convaincu que les poètes et écrivains ont quelque chose à apporter à la vie de ce musée en croisant leurs regards, leurs lectures.
Parlez-nous de votre région, le Nord, et de ce que peut apporter un tel endroit à la vie et à l’économie locales ?

Le Désir de la lettre, anthologie dirigée par Dominique Sampiero et Jean-Baptiste
Sibertin-Blanc, Bernard Chauveau, 2021, 10 €.

Pour le Nord, je ne sais pas, mais pour l’Avesnois, qui est au Nord du Nord, à quelques pas de la frontière belge, et dont l’économie jadis tournait autour de la poterie, du tissage et du soufflage de verre, oui, il y a un enjeu extraordinaire à associer tourisme et culture.

Lettre "E", Le Désir de la lettre, anthologie dirigée par
Dominique Sampiero et Jean-Baptiste Sibertin-Blanc,
Bernard Chauveau, 2021, 10 €. © Karine Faby.

Lettre "Y", Le Désir de la lettre, anthologie dirigée par
Dominique Sampiero et Jean-Baptiste Sibertin-Blanc,
Bernard Chauveau, 2021, 10 €. © Karine Faby.

Dans ce paysage de bocages et de haies vives, ardoises, briques et pierres bleues, il y a des endroits chargés d’histoire (naissance du premier Mai avec la fusillade de Fourmies) à condition de ne pas s’enfermer non plus dans une nostalgie passéiste. La question est de dynamiser cette vie rurale et de développer des projets de résidences d’artistes pour refaire le lien entre ruralité et culture. Il y a du pain sur la planche pour les vingt années à venir.
Est-ce que la matière du quotidien tient une grande place dans votre poésie ?
Le quotidien est le point d’ancrage et de menace du poème. Tout pourrait recouvrir, endormir, ensevelir, anéantir, étouffer, scléroser, bâillonner l’acte d’écriture dans une région où si peu de gens lisent et s’intéressent à l’art ou à la littérature.
Mais justement le poème est une sorte de levier. En marchant ici, entre les horizons qui ont inspiré tellement de peintres flamands par des occlusions de lumières, des jeux d’apparition, de disparition, on revit une sorte de quête initiatique : quand je marche et que mon regard se love dans un cercle de plusieurs kilomètres, je fais l’expérience charnelle du centre.
L’autre visage du quotidien s’illustre à travers les caractères et les visages des gens d’ici. J’ai fait plusieurs portraits de ces vies minuscules comme l’écrivait Pierre Michon, parce que j’y trouve justement une rupture avec le quotidien. Certains de ces êtres sont des personnages de fiction dans leur vie de tous les jours. Il se dégage une violence poétique brute de leur rapport au monde qui me fascine. Leur sensibilité ne trouve pas les mots ni leurs émotions mais leurs actes oui. Il y a chez certains d’entre eux et dans leur rapport à la terre ou à leurs voisins, plus de poésie enfouie que dans tous les livres du monde. C’est comme un texte silencieux à déchiffrer au quotidien dans leur vie de taiseux. Une sorte d’histoire enfouie à côté de la Grande Histoire dont le poème tente parfois l’esquisse.

La vie rêvée du verre, performance lecture - contrebasse portée par Dominique Sampiero et Pierre Badaroux.

Pensez-vous que l’on puisse affirmer qu’il existe des choses banales ? L’écriture ne révèle-t-elle pas la magie en chaque chose ?
Banal, étymologiquement, signifie : qui appartient au seigneur et dont l’usage est imposé à ses sujets moyennent redevance… La réponse est donc dans la question. Oui, nous sommes tous dans cette banalité qui nous aliène au travail, à l’argent, aux droits et devoirs de la démocratie…
De plus en plus, avec les catastrophes et révoltes de ces vingt dernières années, regardez comment la colère des gilets jaunes a été cassée, violentée, j’ai la sensation d’appartenir aux maîtres de notre époque, c’est-à-dire, la classe politique. Et que je dois payer le prix fort pour m’en libérer. Mon écho à moi, c’est le poème.

Dominique Sampiero, Je suis un paysage.

L’écriture ne révèle aucune magie mais au contraire libère de toutes les illusions et magies aliénantes. C’est le réel absolu de cette libération. Celui qui écrit ne s’appartient plus, n’appartient pas à lui-même, ni à aucune bannière. Il s’en remet au flux de la langue et d’une pensée à laquelle, à chaque ligne, il assiste à l’apparition.
Le JE est un autre de Rimbaud est une expérience qui humanise et déshumanise en même temps. C’est l’expérience d’une solitude dont l’essence même est de m’inventer infiniment « autre et avec », « dans et en dehors du temps », de descendre dans le noyau pour remonter dans la chute des contours, en accueil, en empathie avec tout ce qui n’est pas moi et pourtant me fonde.

Brut de poésie, avec Dominique Sampiero. Hommage au poète Ghérasim Luca TOI TU, long déferlement amoureux de Dominique Sampiero fait partie d'un spectacle musical avec Henri et Sébastien Texier (Réveiller les vivants) poétique à la fois par son jazz et par son verbe. Jacques Bonaffé.

Note

  1. Jean-Baptiste Sibertin-Blanc est le créateur de cet alphabet de verre. Son livre, Lettres de verre, une éclipse de l'objet, paru aux éditions Bernard Chauveau, a été réalisé lors d'une résidence au MusVerre, où il a développé un projet réunissant verre et écriture, espace et architecture. Il est accompagné de textes de Jean-Baptiste Sibertin-Blanc, de l'artiste verrier Antoine Leperlier, du philosophe Jean-Luc Nancy, du typographe et directeur de l'Atelier national de recherche typographique Thomas Huot-Marchand, de l'écrivain Dominique Sampiero et de portraits de verriers.

 

Présentation de l’auteur

Dominique Sampiero

Dominique Sampiero est né dans l’Avesnois, région de prairie, de forêt, de bocage du Nord de la France, l’hiver où l’abbé Pierre lance son appel pour les sans-logis, quelques jours après la mort de Matisse et le même mois que la démission de Marguerite Duras du Parti Communiste.

Instituteur et directeur en école maternelle à partir de 1970 et pendant une vingtaine d’années, militant des pédagogies Freinet, Montessori, Rudolph Steiner et de la pensée humaniste de Françoise Dolto, il démissionne de l’Education nationale en 2000 pour se consacrer entièrement à l’écriture.

Poète (Prix Ganzo 2014 pour La vie est chaude, éditions Bruno Doucey et pour l’ensemble de son œuvre), romancier (Le rebutant, Gallimard, prix du roman Populiste 2003), auteur de livres jeunesses (P’tite mère, Prix sorcière 2004) mais aussi scénariste (Ça commence aujourd’hui, Prix international de la critique à Berlin, et Holy Lola, deux films réalisés par Bertrand Tavernier) auteur de théâtre (TchatLand / Le bleu est au fond) et réalisateur de courts métrages (La dormeuse / On est méchant avec ceux qu’on aime), il reste profondément attaché à sa région natale et une grande partie de son écriture parle de la lumière des paysages et des vies minuscules en lutte avec leur propre silence et l’oubli.

Son dernier roman Le sentiment de l’inachevé paru en Avril 2016 chez Gallimard est une plongée dans l’enfance à travers laquelle il raconte une histoire d’amour qui laissera une empreinte forte dans son élan vers l’écriture. La petite fille qui a perdu sa langue (Gallimard jeunesse Giboulées. Illustrations Bruno Liance ) a été écrit avec des enfants en difficulté scolaire. Les éditions de la Rumeur Libre ont publié le premier tome de l’ensemble de ses textes poétiques.

Photo de Jacques Van Roy.

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Dominique Sampiero & Joël Leick, L’Autre moitié de ton corps

La poésie, qu'est-ce que c'est ? Certains semblent le savoir, qui la font alors disparaître  comme l'innocence sous le poids accablant des certitudes. Parce que la poésie est ce qui s'échappe, est ce qui reste hors de toute parole. Alors comment évoquer ce recueil de Dominique Sampiero, L'autre moitié de ton corps ? Je ne sais pas. C'est La Poésie qui est là dans ces quelques pages si denses, abouties parce que jamais ailleurs que là, dans  l'immanence jaillissante  des mots avec les mots. Rares sont les poètes.

Arbre, juste avant d'être moi dans le feuillage de mes veines, quel langage as-tu appris, debout entre ciel et terre, de quelle mémoire as-tu dévoré les oiseaux posés sur toi, puis les mains, le cœur du voyageur, de quel élan entre l'ici et le lointain t'es-tu gorgé, donnant au mouvement de tes branches un direction vers la lumière qui toujours se retire ?

 

Dominique Sampiero & Joël Leick, L'Autre moitié de ton corps, Al Manar, Poésie, 2019, 67 pages, 16 euros.

Livre poème en prose, celui de l'homme face à l'immensité d'exister. Livre du voyage intérieur, de l'accueil de ce qui traverse la peau, l'âme, dans l'entièreté de la posture d'être humain. L'écriture ondule comme un son cosmique, un chant de la forêt, là où tout recommence sans jamais cesser.

L'arbre est une présence retrouvée entre le nuage et l'ombre de la montagne. Ses larmes attachent le ciel et la terre par des lianes aux longs cils bruns couverts de nuit et de promesses. Ses larmes attachent le ciel pour qu'il ne dévore pas la terre. Dans son écorce on entend crisser la sève des prophéties, des grincements de légendes, des prières imprononçables. Dans son écorce on meurt et on guérit. On traverse toutes les parois de toutes nos peurs. On comprend que la vie et la mort se touchent dans l'imprononçable de leurs racines.

Là dans le corps, dans le souffle, dans le feuillage où tout s'attache et se délite, est le poète. Sa matière est celle-ci, et celle du poème, confondues dans le tracé des lignes de ce livre qu'accompagnent des collages de Joël Leick. Ce texte écrit en novembre 2016 "à la Réunion entre Saint-Pierre, Saint-Denis, La Rivière, Saint Leu, Saint Philippe, L'entre Deux et Cialos" est un instant d'infini présent qui se dévoile peu à peu comme un papier japonais plongé dans l'eau, grâce à l'écriture.

Ce n'est plus moi qui écrit ces phrases posées comme des amulettes sur le gouffre de vivre. Aucune diversion n'est possible. Ce qui remue dans le texte comprend ce que voudrait dire la lumière.

Dans la case où le poète s'éveille, se réveille, laisse les images le traverser, comme un nom qui s'efface au profit d'une disparition dans la texture de l'arbre, dans le bleu qui entoure l'île, le velouté du sable, la femme, les gouffres et les aspérités, le tout insécable de ce qui se présente plus loin que la conscience, sur cette île qui est la pays de la femme aimée,  le poème s'écrit, constitué de cette mosaïque qu'est la matière de la vie, de toute vie.

Puis mes pieds mangent les traces d'une femme sur le sable, j'enfonce mes orteils sur les siens, j'appuie ma voûte sur le creux de son passage, le mouvement de sa chair remonte doucement le long de mes jambes, de mes muscles, dévore mon sang, mes nerfs, elle me possède et je mange cet anima mot à mot, ma vie crève alors comme un abcès, j'entre dans le royaume lumineux de l'île, mon âme est une noix de coco tombée dans la chair blanche du livre.

A la rencontre entre la moitié du corps qui regarde et celle qui est absorbée par exister, là est le poème.

D'autres vérités accourent dans cette union mentale, charnelle et ce n'est pas moi qui parle, mais le fruit de cette rencontre.

Mais de quelles vérités s'agit-il ? Certainement de celles dont on ne peut pas parler, mais que seule la poésie peut tenter de laisser affleurer, la rencontre entre soi et l'autre moitié de son corps, qui est le monde,  l'union du visage et de son effacement, parce qu'il porte alors celui de l'arbre, de l'île, de la femme aimée à qui est dédicacé ce recueil, du sable, de la lumière.

L'extase cherche la langue natale des entrailles pour nous apprendre à traverser.

C'est de l'autre moitié de notre corps que vient le silence, l'évasion dans le regard, puis à travers, jusqu'à l'incorporation du monde. Là est le ferment du poème. Rares sont les poètes. Ce livre est ceci,  le témoignage d'un chemin parcouru entre soi et le monde, vers la poésie, et vers aimer, qui n'est rien d'autre que ceci. 

Présentation de l’auteur

Dominique Sampiero

Dominique Sampiero est né dans l’Avesnois, région de prairie, de forêt, de bocage du Nord de la France, l’hiver où l’abbé Pierre lance son appel pour les sans-logis, quelques jours après la mort de Matisse et le même mois que la démission de Marguerite Duras du Parti Communiste.

Instituteur et directeur en école maternelle à partir de 1970 et pendant une vingtaine d’années, militant des pédagogies Freinet, Montessori, Rudolph Steiner et de la pensée humaniste de Françoise Dolto, il démissionne de l’Education nationale en 2000 pour se consacrer entièrement à l’écriture.

Poète (Prix Ganzo 2014 pour La vie est chaude, éditions Bruno Doucey et pour l’ensemble de son œuvre), romancier (Le rebutant, Gallimard, prix du roman Populiste 2003), auteur de livres jeunesses (P’tite mère, Prix sorcière 2004) mais aussi scénariste (Ça commence aujourd’hui, Prix international de la critique à Berlin, et Holy Lola, deux films réalisés par Bertrand Tavernier) auteur de théâtre (TchatLand / Le bleu est au fond) et réalisateur de courts métrages (La dormeuse / On est méchant avec ceux qu’on aime), il reste profondément attaché à sa région natale et une grande partie de son écriture parle de la lumière des paysages et des vies minuscules en lutte avec leur propre silence et l’oubli.

Son dernier roman Le sentiment de l’inachevé paru en Avril 2016 chez Gallimard est une plongée dans l’enfance à travers laquelle il raconte une histoire d’amour qui laissera une empreinte forte dans son élan vers l’écriture. La petite fille qui a perdu sa langue (Gallimard jeunesse Giboulées. Illustrations Bruno Liance ) a été écrit avec des enfants en difficulté scolaire. Les éditions de la Rumeur Libre ont publié le premier tome de l’ensemble de ses textes poétiques.

Photo de Jacques Van Roy.

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Une anthologie qui regroupe, dans l’ordre chronologique, les premiers écrits de Dominique Sampiero. Le volume 1, déjà très épais, laisse entrevoir l’importance de la production du poète. Son œuvre est remarquable en terme [...]

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Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit, extraits, et poèmes inédits

 

Où vont les robes le nuit, extraits

 

 

Un matin, j'ai ouvert les portes de la maison
et j'ai invité le nuage le plus animal à entrer. Puis
j'ai décroché ta petite robe noire de son cintre de 
bois clair dans l'armoire cirée où dorment encore
toutes tes enveloppes.

 

∗∗∗∗

 

 

Mais un matin
le manque m'a chuchoté
cette porcelaine
d'une phrase

Si tu laisses la robe
dans le lit d'herbe de ton jardin
elle va germer
et les contours du paysage
lui dessineront
des seins
des hanches

le manque de l'homme
que tu as été.

 

∗∗∗∗

 

 

 

 

 

 

J'ai attendu sous la coque nocturne du bateau de
cendre, là où on avait tant navigué, là où la houle
de nos caresses griffe encore la poussière de cette
fièvre noire, épaisse comme le néant sous le lit, j'ai
attendu que ton corps me murmure, me supplie de 
te serrer dans mes bras.

 

∗∗∗∗

 

 

Où vont les robes la nuit
quand les femmes
les déposent en offrande
à leur chaise ?

Où va l'âme des femmes
endormie dans le cri de l'herbe

 

∗∗∗∗

 

 

Un jour les phrases rejoignent exactement ce 
qu'elles ont appris à dire. C'est ce que ta main a
rendu à la mienne en la serrant très fort.

 

 

 

Basse résolution

Présentation de l’auteur

Dominique Sampiero

Dominique Sampiero est né dans l’Avesnois, région de prairie, de forêt, de bocage du Nord de la France, l’hiver où l’abbé Pierre lance son appel pour les sans-logis, quelques jours après la mort de Matisse et le même mois que la démission de Marguerite Duras du Parti Communiste.

Instituteur et directeur en école maternelle à partir de 1970 et pendant une vingtaine d’années, militant des pédagogies Freinet, Montessori, Rudolph Steiner et de la pensée humaniste de Françoise Dolto, il démissionne de l’Education nationale en 2000 pour se consacrer entièrement à l’écriture.

Poète (Prix Ganzo 2014 pour La vie est chaude, éditions Bruno Doucey et pour l’ensemble de son œuvre), romancier (Le rebutant, Gallimard, prix du roman Populiste 2003), auteur de livres jeunesses (P’tite mère, Prix sorcière 2004) mais aussi scénariste (Ça commence aujourd’hui, Prix international de la critique à Berlin, et Holy Lola, deux films réalisés par Bertrand Tavernier) auteur de théâtre (TchatLand / Le bleu est au fond) et réalisateur de courts métrages (La dormeuse / On est méchant avec ceux qu’on aime), il reste profondément attaché à sa région natale et une grande partie de son écriture parle de la lumière des paysages et des vies minuscules en lutte avec leur propre silence et l’oubli.

Son dernier roman Le sentiment de l’inachevé paru en Avril 2016 chez Gallimard est une plongée dans l’enfance à travers laquelle il raconte une histoire d’amour qui laissera une empreinte forte dans son élan vers l’écriture. La petite fille qui a perdu sa langue (Gallimard jeunesse Giboulées. Illustrations Bruno Liance ) a été écrit avec des enfants en difficulté scolaire. Les éditions de la Rumeur Libre ont publié le premier tome de l’ensemble de ses textes poétiques.

Photo de Jacques Van Roy.

Autres lectures

Rencontre avec un poète : Dominique Sampiero

Une  bibliographie impressionnante, tant en terme de volume, que pour la diversité de catégories génériques pratiquées. Dominique Sampiero ose, il explore, il façonne des mots, des phrases, tel un sculpteur la pierre, matériau [...]

Les Oeuvres poétiques de Dominique Sampiero

Une anthologie qui regroupe, dans l’ordre chronologique, les premiers écrits de Dominique Sampiero. Le volume 1, déjà très épais, laisse entrevoir l’importance de la production du poète. Son œuvre est remarquable en terme [...]

Dominique Sampiero : Lettre de verre est le poème

Le verre, on voit à travers, au point de ne plus le voir, tant il est immergé dans le quotidien. Matériau banal, usuel, utile, sa transparence se double d'invisibilité. Pourtant, on peut  voir [...]




Les Oeuvres poétiques de Dominique Sampiero

Une anthologie qui regroupe, dans l’ordre chronologique, les premiers écrits de Dominique Sampiero. Le volume 1, déjà très épais, laisse entrevoir l’importance de la production du poète. Son œuvre est remarquable en terme de volume et de qualité. Avant même la lecture, nous apercevons l’évolution de son écriture. Elle est perceptible grâce à l’occupation de l’espace scriptural. D’une forme versifiée à la prose, il est aisé d’imaginer un changement de catégorie générique. Certes, Dominique Sampiero a multiplié les investigations dans ce domaine, puisqu’en plus de la poésie il s’est livré à l’écriture romanesque et dramatique.

Dominique Sampiero, Oeuvres poétiques,
Tome I,
La Rumeur libre,2016, 413 pages, 22 €

En conclure qu’il a renoncé à la poésie lorsqu’il aborde d’autres formes serait aisé, mais il n’en est rien ! Son écriture, toujours d’une égale puissance, tisse une toile multidimensionnelle. Le signe, toujours soumis à un travail époustouflant, est immanquablement vecteur d’images, d’allégories, de métaphores, qui offrent au texte une portée poétique, quelle que soit son appartenance à un genre ou à un autre.

Les premières publications de Dominique Sampiero sont des recueils de poèmes. Une versification libre et un jeu avec l’espace de la page, une syntaxe peu bousculée, un lexique courant, la juxtaposition des mots, l’envol in medias res d’une restitution presque onirique du réel… autant de dispositifs qui offrent au poème un fort pouvoir évocatoire. Le lecteur est invité à voir à travers le regard d’un énonciateur qui lui livre une lecture sensible de son quotidien, sans pourtant céder à un lyrisme anecdotique. Le poète se fait plutôt vecteur d’une expression archétypale des éléments qui constituent le monde, les sentiments et l’existence. Ici plus que jamais, il devient le « voyant », celui qui perce les contours du tangible pour en restituer l’âme.

 

au fond du regard, la main frôle

c'est le chant, l'étoile
le météore
la pupille bleue de l'espace
          cristal dilaté

nos doigts
se chargent de patience
avec l'amour

à la cime du jeu
le rêve est une aile d'oiseau

 

Et si Dominique Sampiero produit une poésie qui porte le langage hors des limites de sa fonction référentielle, ce travail demeure intact dans les poèmes en prose auquel il rend toute sa puissance, et dans ses romans. Pourtant grande est la gageure. il s’agit en effet de maintenir la fiction en état de marche, donc de permettre à la langue de conserver une fonction référentielle. Et bien fonction référentielle il y a dans les romans de Dominique Sampiero, poésie aussi ! Il nous mène dans des univers inédits, et saisi l’immanence en toute chose, en tout être…

 

Ce matin la lumière est réduite en fumée, en brumes, et se frotte à la vitre pour entrer. Rien de mon corps ne veut d'elle. Toutes mes cloisons la repoussent.
Que puis-je répondre à e refus dont je ne sais rien ?
C'est une sorte d'absence, un ange de plâtre dont la blancheur inonde ma vue, la brouille, la vide de tout amour. Le ciel verse en moi son infini et ses doutes. Je lui tiens tête. Je le mâche et cherche l'angle où je vais le cracher, au bord de la page.

 

N’oublions pas, enfin, de rendre à l’auteur cet hommage de reconnaître qu’il a toujours défriché des chemins neufs, armé de poésie, qu’il essaime aussi dans une écriture dramatique inédite, et dans ses productions pour enfants, qu’il sensibilise, de fait, au travail de la langue.

Si Dominique Sampiero est poète ? Il l’était, l’est et le restera, avec ceci de remarquable qu’il tente, en véritable créateur, d’ouvrir de nouvelles voies. Pour preuve s'il en fallait un extrait inédit de Le goût de la nuit.

 

 

 

Le goût de la nuit

 

 

                              365 nuits sur
                              la table de nuit

 

 

                                ( 1 )

C’est bien ici la nuit

Un livre de racines

Qu’on brûle de son vivant

Les yeux ouverts

 

Quand elle se creuse

La nuit devient étang

Cauchemar d’écluse

Péniche aveugle

 

Nous sommes Nuit

À la naissance

Pour alléger la chair

De ses rêves de fontaine

 

                              ( 4 )

La nuit traîne entre les mots

Et c’est ici

 

La nuit dans un sac

Jeté sous le lit

Se venge d’une dérive

Au fond du lac

 

Nuit après Nuit

Rien d’autre

Apprendre à partir

 

La nuit effraie l’oiseau

Quand elle dort

Sous le ciel

 

                              ( 8 )

Nuit où tout craque

Même les os

Laisse la chair te quitter

 

La nuit n’a encore rien dit

De sa fatigue

Des miroirs et des mensonges

 

La nuit insatiable

Renonce à se taire

Dans les mains avides

 

La nuit prend le goût

Du vent

Dans les ruines

 

 

                              ( 12 )

Nuit muselée

Tu dors

Au bord du vide

Et le vide, dans tes yeux

 

La nuit se retire

Du jour

Pour laisser passer

Le temps sans contour

 

Nuit après nuit

Le manque ricoche

Entre paupières

 

 

                               ( 15 )

Nuit qui se perd

Donne un cri

À mon ombre

 

La nuit se dresse

De tout son ventre

Contre un arbre mort

Les pupilles mangées

D’étoiles

 

La nuit

N’écoute plus

Le silence qui la troue

De présence

 

 




Rencontre avec un poète : Dominique Sampiero

Une  bibliographie impressionnante, tant en terme de volume, que pour la diversité de catégories génériques pratiquées. Dominique Sampiero ose, il explore, il façonne des mots, des phrases, tel un sculpteur la pierre, matériau dense et abrupt dont il fait émerger des univers. Auteur de recueils poétiques, de romans, de nouvelles, de récits, d'essais, de textes dramatiques, de scénarios, de littérature de jeunesse, de livres d'artistes, réalisateur de courts métrages, on serait tenté de le classer parmi les écrivains iconoclastes. 

Photo d'Antoine Gallardo.

Il n'en est rien. Poète, avant tout, Dominique Sampiero explore les genres et le travail de l'image. Il offre à la parole poétique ces multiples supports. Et comment ? Et bien parce qu'il porte ce regard spéculaire et créatif sur le monde, et en restitue la substance, quel que soit le vecteur d'expression mis en oeuvre. Il répond à nos questions.

La poésie, pour vous, qu'est-ce que c'est ?
La poésie m’est arrivée dans une solitude sous forme d’une parole à moi-même pour me sentir vivant. Dans l’enfance régnait une sorte de loi du silence autant à l’école qu’à la maison. Il fallait apprendre. Et se taire. On nous demandait de façon implicite de se laisser mourir sagement dans le désir des adultes. On exigeait de nous, sans concession, l’obéissance et le respect du monde. Les classes surchargées ne permettaient pas d’envisager l’enfant comme une personne. Ni de lui donner la parole. Il fallait vaincre l’illettrisme et sortir les enfants de leur culture ouvrière. Dans ma famille d’origine modeste, on me réclamait plutôt des gestes participatifs et du savoir-faire. L’économie familiale se resserrait sur une solidarité de la survie. Je respectais totalement cette exigence car j’admirais le combat de mes parents pour nous donner de quoi manger, vivre normalement et pouvoir faire des études. Ils avaient plusieurs petits boulots en plus d’un métier principal (Conducteur de train pour mon père et nourrice d’accueil pour ma mère) pour arrondir les fins de mois. Au vu de leur engagement et de leur lutte quotidienne, leur sens du devoir à nous rendre la vie agréable (Nous étions 6 enfants), il eut été impensable de ne pas les respecter. Ni même de contester leur personnalité ou leurs actes. Impensable également d’exprimer des manques puisqu’ils me donnaient tout ce qu’ils pouvaient. J’avais peu d’amis, peu de temps pour moi, je me sentais étranger au monde et pourtant intégré, puisque sans vraiment le vouloir, je réussissais facilement à l’école, mais sans beaucoup de plaisir. Mon esprit de curiosité et mes lectures secrètes me donnaient souvent une longueur d’avance sur les enseignements. Je ne me sentais pas complètement vivant et comme en dehors de mon corps, de ma présence. Je ne vivais pas cette étrangeté comme une faiblesse mais comme une différence. J’ai très vite pris l’habitude de coucher les questions que je n’osais pas poser aux adultes, sur la mort, l’angoisse du vide, les pulsions de désir… et de nombreux sujets qui tourmentent la pré-adolescence, dès l’âge de 12 ans dans un carnet que j’ai perdu ensuite à l’âge adulte. J’ai mis en place d’instinct et sans en connaître la raison, une sorte de dialectique avec l’invisible. Car je ne m’adressais pas à Dieu ni à une instance supérieure. Tout simplement, je parlais à la page blanche. À moi-même à travers la page blanche. À cet autre en moi. Je l’interrogeais. Je scrutais son silence. Comme la surface des étangs où je passais de longues heures à faire semblant de pêcher. Comme le feuillage des arbres pris parfois d’une immobilité hypnotique. Comme le mouvement de la lumière dans le ciel du Nord. La page blanche me répondait sous forme de phrases qui s’imposaient à moi, dans une sorte de claire audience où se mélangeaient mes contemplations, les bruissements du paysage devenu une personne, pas pour répondre à mes questions, mais pour les contenir de mots, d’images, et plus tard, de métaphores tenant lieu d’enveloppes à mes épreuves. J’apprenais à me laisser contenir par le langage, sa part d’infini et sa singularité aussi. Je n’ai jamais su à l’époque que j’entrais en poésie. J’en ai pris à peine conscience aujourd’hui, à chaque aller-retour entre la page blanche et ma vie. On ne déclame pas « être entré » en poésie. On se le murmure discrètement, pour accepter, pour se pardonner de toutes les absences que l’on va faire subir aux autres. Je suis entré en poésie comme on dit parce que je n’avais pas le choix. J’ai ouvert une porte qui m’ouvrait enfin un espace où me recueillir, m’accueillir. J’étais fasciné par deux grandes figures qui ne me confiaient peu de choses de leur existence: ma grand-mère (la mère de mon père), femme majestueuse et silencieuse, toujours assise à la fenêtre et dont j’ai fait le portait dans un texte qui s’intitule : à quoi rêve l’ombre qui me ressemble. Et mon père, qui dès la plus tendre enfance, m’a offert des livres à chaque anniversaire et bonne note en classe, en guise de baisers et de manifestation de sa tendresse. J’ai inventé dans le silence de ces deux êtres une écriture justement pour parler de leur silence, saisir et décrire l’intensité de leur présence dans ce silence, comme s’ils me donnaient tout en se taisant, avec un accès au sentiment du Tout peut-être, et une reconnaissance de cette empathie qu’ils ont ouverts en moi, avec eux, avec le monde. Il n’y avait pas de mot pour nous dire notre amour. Ce que les autres ont appelé poème, quand j’ai commencé à partager, à faire lire mes notes, alors que je n’étais pas conscient d’écrire de la poésie justement, était ce mouvement pour mettre en forme l’indicible de leur présence à mes côtés. Choisir de se taire pour écrire, ce n’est plus subir un silence imposé, au contraire, c’est écarteler le silence pour le faire avouer. Avouer quoi ? Je ne sais pas. Le réel ?

 

Vous écrivez de la poésie pour aller au-delà du silence, au-delà d’une réalité qui nous est donnée dans son immédiateté. Dépasser la parole pour mieux nommer, fonction toute paternelle, que vous transcendez alors, emboitant le pas de votre père, qui a nommé le monde dans le silence, par livre interposé. Est-ce pour cette raison que vous explorez toutes les catégories génériques, dans une prose éminemment poétique ? Pour inventer le monde, à votre tour, parler en vous taisant, en fouillant le silence, pour  découvrir un verbe créateur ?
Je ne vais pas au-delà du silence, non, au-delà de rien non plus, au contraire, je rentre dans la coquille du silence qui finalement n’a pas de paroi. Et qui est peut-être aussi la coquille de l’ici. De l’ici maintenant, comme on dit. Écrire est d’abord une expérience charnelle, doucement voluptueuse, puis convulsive, et enfin physique du silence. Je suis assis dans mon silence. Immobile. Centré. À part le glissement de la plume sur le papier ou le cliquetis des touches, les bruits autour qui tout doucement se fondent, disparaissent, rien, il y a un effacement du monde, et du corps. Et encore une fois, j’écris, tout simplement, c’est un mouvement intime, un besoin de mouvement, j’ai besoin de me sentir en mouvement dans mes pensées, mes émotions et de voir ce mouvement se déplier.

 

Photo de Jacques Van Roy.

C’est plus proche de la danse ou de la marche dans un espace vaste, mi terrestre, mi aérien, entre terre et ciel finalement. Le ciel du plafond et la terre de la page blanche. Mais derrière le plafond et derrière la page blanche : du ciel, du ciel, de l’infini qui n’en finit pas de me cerner, en haut, en bas, devant, et sur les côtés. Cet éveil des sens au « toucher » de l’infini me met en mouvement dans ma conscience. Un mouvement dans l’immobile, si vous voulez. Si je me disais, allez, je vais écrire de la poésie aujourd’hui, et bien comment dire, ce serait foutu. Je préfère penser, je vais essayer, j’ai bien dit essayer, de me laisser emporter, fluidifier, ruisseler. Je préfère également parler d’immanence plutôt que de transcendance et penser qu’il y a un avant et un après la page d’écriture. Je ne me sens ni meilleur ni pire, je me sens-là, présent, et finalement, oui, peut-être quand même, heureux d’être-là. Je dois l’admettre, après la page d’écriture, le geste, le mouvement, je me sens capable de vivre, d’aimer, d’être heureux. C’est étrange non ? Et ceci doit arriver en me dérobant aux autres, cruel dilemme, je suis capable d’être avec eux après m’être dérobé à eux. Pour me consacrer à quoi ? Je ne sais pas. À quoi ai-je passé des dizaines d’heures devant la page ? À une exploration de l’infini par le langage ? L’infini de la conscience emboîté dans l’infini du langage ? Ou l’inverse. Si je ne le fais pas, je me sens à l’étroit dans ma vie, dans mon corps. Je n’ai pas le choix. Comme je me sentais à l’étroit dans mon enfance. Dans la chambre où je dormais avec mes trois frères. C’est pareil. Ce sentiment d’étouffer dans le prévu, le prévisible et ce que l’on a calculé pour nous, pour moi. J’ai l’impression, en écrivant d’explorer du vide qui se remplit à chaque seconde, de quoi ? De ce qui traverse le vivant ? J’ai l’impression d’assister à une genèse permanente du réel, se fécondant devant mes yeux, par mes mots, et à travers les mots qui me traversent. Oui, et beaucoup d’autres avant moi l’ont écrit, l’écriture poétique me donne accès au réel, non pas aux apparences et à la superficialité du réel. Nous vivons là-dedans la moitié du temps, quand nous ne sommes pas créatifs, mais créer son état de conscience à s’ouvrir et non pas à subir, ça peut se faire en jardinant, en marchant dans la campagne, en repeignant un mur, du moment que l’on est tout entier dans son acte, et non pas fragmenté, morcelé, stagnant dans une sorte de coma que l’on prend pour la vie. Le réel, ce n’est pas seulement ce que l’on voit. Ce que l’on entend. C’est ce qui surgit constamment à l’intérieur des formes, dans le visible ou pas. Je ne dépasse pas l’immédiateté comme vous l’écrivez au début de votre question, au contraire, j’y entre, je la pénètre. Et je fais l’expérience inouïe du réel.
Dans un deuxième temps, il y a la trace. Une trace écrite de ce qui s’est passé. Que l’on signe ou pas. Que l’on choisit d’inscrire ou pas dans un travail poétique. De recherche poétique. Il faut laisser passer du temps. Prendre ses distances. Vient le sentiment étrange de lire son texte comme écrit par un autre. Je deviens lecteur d’un texte que j’accepte ou pas, en le corrigeant ou pas. À qui je m’adresse quand j’écris ? Il y a un destinataire mais aussi un mystère du destinataire. C’est comme si j’écrivais et, en les relisant à voix haute, comme si j’envoyais ces lettres à quelqu’un qui est plus que moi, aux confins de mes parois. Là où quelque chose s’appelle l’âme, puis l’esprit. Mais à quoi bon les nommer âme, esprit, mots trop chargés de religions et de spiritualité pour moi. Il y a un mouvement organique dans l’écriture poétique si on accepte d’inclure les sens, la sensorialité dans cet organique. Et l’esprit, comme un sixième sens. Finalement, nous n’avons qu’une expérience sensorielle du monde. J’ai inventé un mot pour ça : l’autre corps. Il y a le corps contracté de la vie quotidienne, et le corps dilaté de l’écriture. Mais c’est toujours du corps, même invisible. Le langage donne forme à ce corps invisible et particulièrement, l’écriture poétique.
Le problème c’est qu’un jour, à force de consentir, de se laisser aller à la joie de publier des livres, nous arrive un lecteur, un vrai, en pleine face. La rencontre est parfois douloureuse. Mes premiers lecteurs, mes parents, s’affolaient de « ne rien comprendre «  à mes pseudo-poèmes ». J’aurais pu passer outre mais j’ai gardé cette inquiétude au cœur de ma recherche. Comment m’adresser à eux, en gardant mon identité profonde et le sens de ma quête poétique. J’ai repris, inconsciemment, à mon usage, une parole que ma mère prononçait souvent: « Tu te rends compte, ton père sait jardiner, réparer un robinet, peindre, faire du plâtre sur un mur, élever des lapins, des poules, et même repasser ses pantalons…  il a des mains en or ! » Moi je voyais les mains pleines de charbon de mon père quand il rentrait du travail, les dernières années des locomotives à vapeur, et je pensais à ses mains en or.
En réaction à ma déception, j’ai donc exploré des formes d’écriture pour essayer de réconcilier ma poésie avec différents types de lecteurs, des enfants, des gens modestes, les voisins dans mon village (qui savent vaguement que je suis écrivain mais qui n’ont lu aucun de mes livres, peu importe d’ailleurs), et puis ça s’est fait comme ça. Peut-être parce que l’enfant en moi rêvait aussi d’avoir des mains en or. Finalement à quoi bon écrire si c’est pour se retrouver dans une solitude crasse et se couper du monde.
Finalement, tout ça n’est qu’une tentative maladroite d’explication. Sait-on jamais ce qui nous a influencés ? Plutôt un faisceau de réactions, non ? Je pense aussi que dès l’enfance, je suis animé par un sentiment de curiosité et d’exploration. J’explore les douves de ma ville natale, les livres, le corps des filles, les émotions des autres, le silence de ma grand-mère, les angoisses hypocondriaques de ma mère… mais d’autre part, je suis cloué dans mon village et, dans ma condition ouvrière, on voyage peu, on n’a pas les moyens, et on ne m’éduque pas pour ça. Il faut rester-là et se battre, résister. Partir, c’est fuir, se gaspiller. Rester, c’est grandir. C’est donc l’écriture et dans des genres les plus variés qui me permettra cette prise de risque du voyage dans l’infini des formes. Je ne l’ai pas décidé. Ça s’est imposé à moi dans des rencontres et j’ai dit oui à cette aventure. On me le reproche parfois, dans le dos. Il n’est pas poète, il écrit des romans. Il n’est pas romancier, il écrit du théâtre. Il n’est pas auteur de théâtre, il écrit des livres pour enfants. Il n’est pas auteur jeunesse, il écrit des scénarios. J’en souffre. Tant pis.
 

Dominique Sampiero, Le
Sentiment
 de l'inachevé,

Gallimard, collection Haute
enfance, 2016, 184 pages,
17 € 50.

Ne pensez-vous pas qu’il est réducteur de définir une catégorie générique en ne considérant que des critères formels…? La prose peut être dramatique ou ludique, poétique aussi, car la poésie peut s’immiscer dans une prose même fictionnelle, dés lors que le langage déploie une pluralité de sens, une épaisseur, opère un glissement sémantique…
Je pense qu’il existe une façon de catégoriser qui est finalement une façon d’exclure. De prendre le pouvoir en définissant ses propres critères d’une pseudo excellence. En affirmant, voire en criant haut et fort, ce qu’est « la bonne » ou la « mauvaise » poésie. Foutaises. Beaucoup de chapelles en poésie. Beaucoup de petits monarques qui prennent le pouvoir. Beaucoup de fous furieux acharnés à faire table rase. Peu de fraternité. Et pourtant elle existe chez certains.

 

Des petits André Breton en herbe rallient ou excommunient. Se prennent pour des papes de l’écriture poétique. Je me sens étranger à ce racisme littéraire. J’essaie toujours de percevoir dans une écriture, la part d’entêtement, d’obstination, ce qui est en mouvement en elle. J’essaie d’entendre ce qui est en germe ou affirmé. Ce qui est moderne ou en écho au passé. Je refuse de décourager celui ou celle qui m’envoie un manuscrit. J’essaie d’ouvrir des pistes humblement au lieu de les renier. Et d’admettre la nouveauté d’une voix quand je la perçois. Même si elle est différente de mes engagements. Ces dix dernières années, par exemple, la commission Poésie du CNL a pris cette direction violente de défense de chapelle et de mise en valeur d’une seule forme d’écriture. C’est lamentable. J’ai fait partie, sous la présidence d’André Velter, et pendant trois années de cette commission dans les années 2002. Nous nous faisions un point d’honneur de reconnaître et d’aider tous les courants, toutes les mouvances poétiques, sans exception, de n’en privilégier aucune. Et pour conclure cette question, il faut remarquer qu’une nouvelle génération de poète se met en scène aujourd’hui, dans des performances qui croisent le théâtre, la vidéo, la danse… et l’écriture poétique. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais ça s’affirme. Je trouve ça excitant. Je me régale à entendre des poètes comme Nicolas Vargas, Samantha Barendson, Patrick Dubost, Marie Ginet… et beaucoup d’autres ! Ce sont les poètes de demain et ils ouvrent de nouveaux espaces.
Et peut-être est-ce ce « risque d’opacité » inhérent  au poème, ce « on ne comprend rien » énoncé par vos parents, qui a fait que vous avez écrit de la prose, du théâtre, aussi… Pour pouvoir toucher tous les publics ? Est-ce là une posture politique ?
Il y a un titre qui m’a profondément marqué, titre d’un essai écrit Jean-Pierre Siméon : La Poésie sauvera le monde. J’ai repris cette conviction à mon compte. L’engagement dans l’écriture poétique est pour moi absolument lié à un processus de transformation de soi. Et du monde. C’est ce que je répète dans mes ateliers d’écriture avec des enfants ou des adultes : l’écriture est un levier puissant de bouleversement de l’espace social. Il change les regards, reconnecte chacun au mouvement de ses émotions. La poésie est contagieuse. Il y a un ralentissement du temps, une pesanteur et une gravité retrouvées dans la lecture ou l’écoute d’un poème. On sort du corps quotidien, étroit, serré sur-lui-même, tendu par l’aliénation de la consommation et de la production, vers un corps plus ample, plus libre, plus conscient, réveillant en lui ses capacités de résilience et d’empathie.
Le poème se situe entre révolution et méditation, il est plus qu’une prière, c’est un acte sur le réel et ce que l’on ne sait pas, ce que l’on ne voit pas du réel, apparaît, scintille puis tombe en poussière dans le temps qui passe.
Par ma recherche d’écriture, j’ai ouvert, élargi mon espace social d’échanges et de rencontres. J’ai l’impression d’avoir trouvé une place. Sentiment que je ne vivais pas quand j’étais enseignant, écrasé par le poids de la structure verticale, Education Nationale. La poésie en nous mettant au monde à chaque poème nous révèle cette part d’infini qui nous accueille à chaque mot, à chaque silence, dans la conscience. Le langage nous parle d’une éternité dont notre esprit ne sait rien dire, il la rend supportable dans le poème. Peut-être que la poésie nous apprend un peu à vivre, un peu à mourir, non ?