Eric Bouchéty, L’Invention du désordre et autres poèmes
Je flottais les bras nus
Lorsque rêvait encore l’irréparable.
A présent le monde vêle
ses aiguilles incessantes
Et l’importance du soleil
qui sans cesse nous sollicite.
Je ne peux plus dormir dans l’infraction du temps,
Impatient de tenir
la terre imprévue,
Sa part de sel et d’utopie
qui jette avec nous la pluie dans le vent,
Des toquades dans l’été,
Nos hantises dans l’azur.
-Locus amoenus. -
Tu m’as demandé, malgré les aubes,
Comment demeurer sans alarme
Dans les ors du crépuscule,
Comment loger la nuit du doute
jusqu’en pleine lumière.
Il n’était jamais temps d’arriver ;
Il n’est plus l’heure de revenir.
Nous avons tant admiré
Les poètes s’alanguir
En tenant un beau nuage
Qui n’avait soin de l’incertain.
Et le logis sans route glissait sur l’herbe nonchalante.
Mais comment pourrai-je
Te ramener à la maison
sans retour,
Si la découverte des collines
Fait coulisser nos ombres,
Si l’instinct des eaux passe les rivières,
a fait pousser les plantes folles, courir les torrents
Qui stupéfièrent nos projets puis grandirent les trajets ?
Nous ne reviendrons pas parce qu’un radeau dérive
sur les floraisons régulières des vents sans logis,
les savoirs infondés
et le retour promis des cieux.
Iris dans le crâne, voguant pupilles, je questionnais tous les départs,
Tu changeais les correspondances.
Nos silhouettes projetées s’étirent encore dans le soir,
poursuivent la veillée.
Comment connaître sans enfreindre
Les proverbes et le retour promis des cieux ?
- Traits capitaux. -
La tête qui a grandi
vers les cibles du ciel,
Leurs motifs confus en bas-de-ligne
dans l’essor des souhaits
et la cascade des routes,
Parmi les éclaircies diverses,
Enchevêtre au soleil versatile des saisons sans mobile
Un transport tourné vers l’expérience,
Traverse les désirs romancés, le passé des conquêtes
et l’invincible oubli.
Même sans l’île de Pâques des idoles de passage,
Reste une part importante du cœur
Avec laquelle on se montre,
Pour porter en point de mire
des intentions sans dessein.
On voit encore nos songes dans les nuages.
- Ligne de force. -
Quand tu auras, quand j’aurai comme toi plus de saisons
Qu’un vieillard dans le chêne,
Et sur les marches de la Terre,
Plus de veines que le marbre,
goûté plus que nos printemps,
Quand les ruisseaux veineront les marges de tes yeux,
Une eau terreuse encore aux lèvres,
Quand nous aurons vu dans l’os
Plus que l’aïeul sa mort
Et que le bronze de mon front
aura trouvé sa transparence,
Nous ne saurons peut-être rien
Dans l’urgence et les carrousels
Parce que la Terre tourne et que ma main s’est répétée
Sur les fruits réguliers.
Quand tu la multipliais dans le cœur inflexible,
Je voyais mes yeux et la promesse des graines.
Quand l’arbre inquiet ne poussera plus,
Pris dans le ciel superbe avec un fruit inaccompli,
Les poches pleines de moissons,
M’apprendras-tu encore
l’horizon insoluble ?