Erwan Quesnel, La complainte du bipo, extrait
Erwan Quesnel décrit les troubles bipolaires dans un one man show musical tragi-comique. Les délires psychoparanoïdes de cette pathologie mentale sont restitués grâce à un texte morcelé et servi par des dispositifs qui rendent parfaitement compte du mode de fonctionnement cognitif induit par ces troubles (langues multiples, assertions courtes et décousues, syntaxe hachée et déstructurée). Mais c'est la dimension orale, le rythme et la scansion de la mise en œuvre du texte qui permet d'aborder la question des troubles mentaux hors des tabous et de toute stigmatisation.
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La Complainte du bipolaire, première partie
Ik ben gek ! Ich bin verrückt, total verrückt ! Loco, pazzo, fuori di melone ! Et j'éructe !
E triste, pero e la verita ! Un beau jour la raison me quitta.
In francese, si dice : « Monsieur vous souffrez de troubles bipolaires . »
Alors... Suis-je aussi dingue que j'en ai l'air ?
C'est ce que je vais vous conter dans cette conférence, vous livrer quelques morceaux de mes errances.
Quindi... Benvenuto a tutti ! E sopprattuto a tutte le donne, las mujeres, chi sono venute specialmente per me. Lo so, non e facile di stare calma di frente a un monumento de la poesia.
Oggi, aujourd'hui, andiamo a parlare de una cosa molto triste, de una cosa molto difficile, de una cosa che nessuno sa spiegare, d'une chose que personne ne sait expliquer : a malattia mentale... la maladie mentale !
Ach ! Ach ! Ach ! Sie haben Angst ? Vous avez peur ? Fürchten Sie mich ? Me craignez-vous ? Ich bin sehr nett, bleiben Sie ruhig ! Je suis très gentil, vous pouvez rester calme.
Quoi ? Quoi ? Quoi ? Pourquoi pas en allemand ? C'est interdit ? Oui monsieur, le spectateur français exige un spectacle en français. Oui, mais nos ancêtres sont les Gaulois ; donc, logiquement, je dois vous le faire en gaulois. Ah ! Je remets en cause l'identité française. Mais, au fond, qu'est ce que c'est la France si on y réfléchit bien, si on est honnête intellectuellement, si ce n'est un tas d'émigrés africains. Eh oui, l’afrique a gagné la coupe du monde! Euh.. la France. Et les Africains de l'est, Les Teutons, die Germanen nous ont envahis 55 432 fois. Na ja, na ja, na ja, na ja, eh Oui das ist ein grosse Problem : die Arroganz der Franzozen. Un petit peu d'humilité, apprenez l'allemand : Arbeit macht frei, le travail rend libre, pour les incultes que vous êtes, eh oui parfaitement !
Ah mamma mia ! Con questa storia ho dimentichato di presentarmi. Alorra mi chiamo Erwan Quesnel, ex-professeur de Mathématiques et intermittent... de l'hôpital psychiatrique.
Entre parenthèses :
Ne vous inquiétez pas pour mon intermittence,
Les cachets quotidiens assurent ma pitance.
En ik ben erg gellukig om hier te zijn. En ik hoop dat ik een goed explicatie zal geven...
Et je suis très heureux d'être ici et j'espère que je vais vous donner une bonne explication.
Oui, du néerlandais. Vous n'êtes jamais tombé amoureux d'une Hollandaise ?
Vous êtes à Amsterdam : « Où sont les coffee shop? Où sont les coffee shop ? »
Et là, une bicyclette. Achtung ! Achtung ! Achtung ! Bon, je le fais en allemand pour la pédagogie. Je vais mettre de côté pour l'instant les langues exotiques. Attenzione ! Attenzione ! Attenzione ! Mais il est déjà trop tard et c'est l'accident. Vous vous relevez. Et qu'est-ce que vous voyez ? Un mannequin, mot d'origine hollandaise, et on le comprend : de longues jambes, un corps parfait... Eh oui, la bicyclette et voilà, vous êtes amoureux. Cent ans de malheurs !
So let's try in English. Ca, ça doit être à la portée du tout petiti, tout petit, tout petit cervelet que vous avez! Do you know what ? I am happy and .... crazy. So if you want neuroleptics, I have got a lot : Risperdal, Abilify, Xeplion, Solian, Tercian, Haldol, Clopixol, Zyprexa, Xeroquel, Leponex, Quétiapine, Olanzapine.
You will sleep a little bit and you will have a very little... bite !
Ach so Deutsch...
Guten Abend Dames und Herren und herzlich Willkommen zum unsere kleine Specktakel. Ich bitte Sie ihren Handys aus zu schalten. Verstehen sie nicht ? Ihren Handys aus zu schalten. Bon oui, je sais mon portable est pourri mais bon... Pitié pour les handicapés mentaux !
Ah ! Toi, t'es un petit malin, t'as remarqué que mon portable était un faux. Non mais, tu crois sérieusement que je vais te montrer mon Iphone. Je suis un acteur, je suis riche à millions. Donc, vous éteignez votre portable. Schnell ! Schnell ! Das ist ein Befehl ! Sie haben keine Wahl !
Alorra, que coisa e a bipolaridade ? Antiguamente chamado a psychosa maniaco-depressivo, e caracterisado por fase maniaco :
(en chantant et en s'excitant)
Today I m very very very happy,
Heute kan ich alles machen,
Gavariou parousski,
Tchouts tchouts vodka nazdrowie !
Un peu de vodka s'il vous plait !
E la festa ! Sono il campionissimo ! Il piu grande artista del mondo !
Il piu forte ! Il piu bello ! Il piu divertente ! Il piu, il piu, il piu, il piu, il piu, il piu, il piu.... Il piu rigolo.
Quindi, vado a fare un show in 97 lingue... 97 lingue. (en mimant)
Omdat ik spreek erg goed nederland, een erg moeie taal !
Ik weet dat je niet mij begreep, maar het is niet belangrijk !
Chi se ne frega ! Nessuno !
Je sais vous ne comprenez rien mais je m'en bats euh... les coquillettes!
¡ Puedo tambien hablar espanol sin problema ! Me gustan mucho los... neurolepticos. ¡Risperdal, olé ! ¡ Abilify, olé ! ¡ Xeplion, olé!
Ich spreche also Deutsch wie eine spanish Kuh Meuuh ! Une vache espagnole mit... Neuroleptika. Risperdal, sieg Heil! Abilify, sieg Heil ! Xeplion sieg Aïe aïe aïe ! (en mimant la piqûre)
O brazileiro nao tem secreto para mim com .... os neurolepticos !
“Olha que coisa mais linda, Mais cheia de graça. É ela, menina, Que vem e que passa, Num doce balanço, A caminho do mar. » (A Garota do Ipanema, Vinicius de Moraes)
Eh oui, les femmes du Brésil sont si belles, si jolies que... ce ne sont pas des femmes.
Bueno, ecco la mia storia. Décembre 1995.
Ho 17 anni, dieci sete anni e voglio diventare un professore di sport.
Quindi que cosa faccio ? Sport.
Jede Mittwoch und jede Sonntag, Fussball. Mardi et jeudi, course à pied.
Ademas al colegio, 4 oras de deportes: escalada y badminton.
Un dimanche, je fais un cross-country.
Esta muito, muito, muito, muito frio !
Un homme me conseille :
- Ne mets pas ton bonnet, tu vas avoir trop chaud !
No escucho. Mal m'en a pris ! J'ai foiré ma course.
La sera, sono delluso, abbattuto e triste.
Then I want to change my mind.
Pues me voy a la biblioteca. Mi padre tiene todo Victor Hugo. Dus ik neem Cromwell en ik lees het voorwoord... de introductie.
Quoi, quoi ? Vous ne comprenez rien ? Bon, cette fois-ci je laisse vraiment tout tomber, vous n'êtes pas à la hauteur aujourd'hui. D'ailleurs, le serez-vous un jour ? Je vais le faire en français, para los debilos mentalos.
Ah ! Ça vous comprenez. Dès qu'on vous insulte, vous comprenez. Ca ne me surprend pas ça, mais ce n'est pas de l'espagnol, eh... oui !
Donc je suis triste. Je vais à la bibliothèque et je prends Cromwell, une pièce écrite par... Victor Hugo. Ben oui, je l'ai déjà dit. Il n'y a vraiment personne qui suit. Pubblico di mer...ci beaucoup !
Et je lis quoi ? La préface, ben oui de introductie : l'introduction.
C'est une histoire du théâtre. Victor Hugo explique à travers l'histoire du théâtre notre civilisation. C'est un démontage en règle de la règle des trois unités : unité de temps, de lieu et d'action. Bon oui je sais, ces détails sont inutiles et barbants, mais en tant qu'ex-professeur, j'estime qu'il est bon que la culture entre dans nos chères têtes blondes. Cette préface est aussi un hommage aux maîtres : Homère, Molière, Shakespeare... Eric Zemmour. Et une tentative d'expliquer ce que c'est que l'art d'écrire une œuvre.
Le lyrisme de Victor Hugo me subjugue ! Il jongle avec les paraboles, les citations latines et espagnoles. Son esprit de synthèse me souffle. Il semble tout connaître, tout maîtriser... comme Eric Zemmour.
Je prends conscience de ma vacuité. Et je dévore les pages une à une...
Je ne sais rien. Et tout à coup s'offre à moi cet univers infini qu'est le théâtre.
Je termine la préface. 1827, Victor Hugo a 25 ans.
Et moi, j'ai 17 ans et je suis un ignorant complet. J'ai passé mon adolescence plongé dans France Football... Baballe! les jeux vidéo ... Baballe sur télé . Je suis une coquille vide.
Il faut que je réagisse.
Il faut que je sache.
Il faut que je comprenne le génie de cet homme.
Voilà la pièce : 1000 personnages. Un château, la nuit. Un complot, la poésie.
Je veux lire, lire, lire, lire... Il faut pourtant dormir. J'éteins. Je réfléchis. Et je plonge... Je suis estomaqué.
Une massue a ouvert mon cerveau et l'a jeté dans l'eau bouillante de la connaissance pure, du génie créatif. Mes neurones, tirés violemment de leur profond sommeil, sont maintenant en ébullition. C'est un foisonnement, une explosion, une libération !
Qu'est-ce que nous faisons ici ? Quel est le sens, le fondement de toutes chose ?
Qu'est-ce qu'il y a de vrai dans l'univers au-delà du matériel et de l'expérimental ?
Qu'est-ce qu'il reste au bout du bout si on y réfléchit bien ?
Dieu, la religion. Il y a belle lurette que plus personne de sérieux n'y croit. Fables et Fariboles !
La science pure, les mathématiques. Oui, mais c'est une construction mentale de l'homme, une suite de principes et de théorèmes. Sur quoi repose la science si on n'admet plus rien ?
Qu'est-ce qui nous assure que ce qui existe, existe vraiment ? Sur quelle idée se fonder ? Sur quel principe moral ? Sur quoi ? Il n'y a rien qui tienne. Oui mais alors, s'il n'y a rien qui tienne, c'est que ce rien est la seule vérité vraie et que le néant gouverne le monde. Le monde ne marche à rien. Il ne se base sur rien, et tous les principes physiques et moraux ne résistent pas au fameux rien qui explique tout, démontre tout, et sur lequel tout est à construire.
J'ai dix-sept ans, mais je me leurre plus. Je peux désormais avancer. La vie s'ouvre à moi, sur le néant certes, mais elle s'ouvre quand même.
Je suis retourné par la puissance de mon nouveau savoir. Je sais... rien. Je suis le détenteur de la plus grande des connaissances. Je suis au sommet du monde du haut de mon néant !