Philippe Pichon, (entre) presque (et) rien, – Eloge de l’interstice, Fabienne Raphoz, Infini présent

Face à son propre miroir Philippe Pichon devenu poète après romancier  pratique  des moirures coalescentes par la grandeur de l'allusion et  l'ampleur paradoxale de sa vision. Elle  ne débouche pas sur le néant mais, avec discrétion,  sur des gouffres intérieurs. Ils possèdent  par le talent  de l’auteure des tensions dans l'immobilité paradoxale des vérités politiques, religieuses voire poétiques d'où bondit parfois un bal carnavalesque de sardines céphalomorphes et enchevêtrées.

En conséquence, l’auteur appartient à ces créateurs du déchirement qui portent le plein au milieu des vides du logos.  Mais de fait, il met en branle jusqu'au bout cette extinction de diverses pensées. Et un tel livre devient non seulement le palimpseste de la mémoire mais aussi celui du réel. Est donné ici de surcroit la partie visible de l'iceberg des logos.
L'auteur écrit ou parle parce que l'Un (et quel qu’il soit) lui proposé sa danse des mots. Commence alors le bal de maudits aux mots dits sous une forme de « cavatine ». À savoir une écriture à la recherche des mots et de leurs interstices qui veulent anticiper non seulement ce qui arrive ou va arriver là où dans ce livre le conceptuel est physique.
Linéaire et chaotique la structure de cet ouvrage  laisse parfois entrevoir dans le faire ou dans la forme, les signaux faibles d’une révélation qui nous échappe.  L’allusion devient alors un opéra, une ouverture, voire une opération. Savoir ce qu’elle « promet » est la question. La feinte, lyrique parfois, propose  des mots non-dits ou suggérés portées jusqu’à un « Haut les chœurs » pour s’entendre d’une frontière à l’autre dans un rêve d’humains.. Ici le temps compté prend ses ailes avec des Elles, des Ils sans les chamarrer d’uniformes ou maillots.

Philippe Pichon, (entre) presque (et) rien – Eloge de l’interstice, Editions Dutan, Paris,, 2024, 166 p., 18 €.

Ici chacun reste sur l'autoroute où il semble s'égarer mais  non pour fuir ou  suivre une croyance unique. D’où ce discours allusif chasse de gré ou de force la peur ou le pensum au profit de l’audace.
Dès lors s’il fallait Platon pour préparer le signe du Christ (comme disait Saint-Augustin), il faut des termes mais aussi leurs interstices  pour que surgissent des profondeurs cachées pour que s’émet le désir exonéré du liant, compact.  L’  « entre » permet de se hausser  loin des vigilances inutiles. Le sens en sa qualité d'origine est remplacé par une possibilité d’un  Multiple silencieuse face au Un. 
L'interstice reste pour l’auteure le moyen d’allumer  une polyphonie et une absence. Elle permet cette ataraxie dont Spinoza attendait la conversion des désirs et des affections en pensées là où des mots s'affaissent et le vouloir s'efface. En un tel livre n'est plus une simple parole qui agit là où se trahissent des rapports entre  conscience et désirs de l'un vers l'autre. Par leur « entre » les mots contribuent au devenir de la langue où peut se passer que quelque chose arrive en un certain possible des journées enfantées dont parla Rimbaud.

 

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Fabienne Raphoz, « Infini présent »

C’est en son enfance à la campagne que Fabienne Raphoz a découvert oiseaux, insectes et divers petits animaux sauvages. Mais l’auteur connaissait aussi d’un jeu des 7 familles de bêtes. Cela lui est venu le  : « goût pour la taxinomie et les classifications » et le celui des mots « incompréhensibles ».

Mais à ce qui pourrait rester des suites de textes entomologistes  des poèmes construits à partir de l’histoire des insectes comme les siphonaptères ou les grylloblattes « ailés du Permien » et qui « butinent les conifères » avant de disparaître des ères passées.
De telles bestioles jaillissent une nuit de janvier, d’autres sont plus tardifs. Le tout avec plusieurs critères de choix et classement ( avec explications préambules du poème). Mais aussi parfois, avec humour, distance attendrie et du Ronsard compris rendant la vie plus vieille mais plus jeune aussi.
Tout tient parfois avec un éclat de noir  pour  percer l’opaque par charité dressée de tout l’encre des nuits et de la nature. Surgissent des argiles de vieux dieux en rengaines parfois tribales prêts à la résurrection. C’est une question de survie ou de surmourir aux joies de la terre. Les uns surpassant les autres pour outrepasser le seuil par gueules entières, fronts et ventres encore vidés mais parfois en orgues de combat pour envoyer leurs gloires en première ligne.

Fabienne Raphoz, Infini présent, Héros-Limite, 2024, 130 p., 18 €.

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Silvia Majerska sauvée par les roses

Pour qui sait l’ignorance, la rose « obéit : à la lumière, à la chaleur, à l’eau ; trois lois — trois pères. ». Silvia Majerska, nous le rappelle dans ce livre de 12 portraits de plantes semblables et sœurs (d’ailleurs de la poétesse elle-même). Ils font d’elle une songeuse ailée qui « la nuit, rêve abondamment, sans élégance et jusqu’au bout. je sais qu’elle m’observe respirer, je la révolte, »
 
De telles plantes de pareille présence ne peut devenir des absolues absence  si la poétesse les oublie :ce serait alors sa méconnaissance renforcée. D’autant qu’elles sont des échos de sa vie intérieure.
 
Elle ne supporterait par’ leur indifférence : elle est née pour flairer tous leurs parfums, leurs lumières qui investissent   son corps « les deux sens opposés du vertical. ». Lecteurs et lectrices qui ont oublié de les connaître sont vengés par de tels végétaux. Toutefois et de plus Un certificat de leur valeur passé (elle-même vengeance posthume) leur accorde l’amour, l’amitié et nien sûr au tout près  l’âme. L’âme blessée chez la poète comme en tous les autres. Quant aux roses elle restent  autres éternellement blessée, éternellement renaissante et finalement invulnérable. L’invulnérable incurable. Elles nous habillent  plus totalement que la mer n’habille le rivage.
 
Leurs présences est l’état d’être de l’auteure en des contours d’envol. Par leurs têtes découvertes tout coucher de soleil est sans mélancolie. Ses sens glissent là où sur le « terrain planté de guérillas vertes » eElles  restent l’éclat des sources et deviennent des poèmes, immédiatement et pour toujours.

Silvia Majerska, Blancs-seings, Collection Blanche, Gallimard, 2024, 72 p., 12,90 €.

Présentation de l’auteur

Silvia Majerska

Née en 1984 en Slovaquie, Silvia Majerska a suivi des études en lettres et en linguistique à l’Université d’Orléans et à la Sorbonne. Elle enseigne le français langue étrangère à Paris.

Bibliographie 

En tant que poète et traductrice, elle contribue aux revues en France (À Verse, La Traductière, Place de la Sorbonne, Francopolis, Po&sie) et en Slovaquie (Tvorba, Ostium, Vlna). Matin sur le soleil est son premier recueil publié, aux éditions Le Cadran ligné (21/09/2020).

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur

Fabienne Raphoz

Fabienne Raphoz est une poète, essayiste et éditrice. Elle dirige depuis 1996, avec Bertrand Fillaudeau, les éditions José Corti.

Passionnée par le conte populaire de tradition orale, elle crée en 1998 la Collection Merveilleux , qui accueille des collectes du monde entier, ainsi que des textes classiques ou contemporains qui illustrent le genre au sens large.
Dans le cadre de ses recherches universitaires, elle a publié un essai aux éditions Métropolis, Genève, en 1995 : Les Femmes de Barbe-Bleue, une histoire de curieuses et édité une anthologie commentée : Des Belles et des Bêtes, Corti, 2003.

Ornithologue amateur, elle a publié une anthologie commentée où se croisent l'oiseau et le conte populaire : L'Aile bleue des contes, l'oiseau, Corti, 2009
Elle a publié deux recueils poétiques parus aux éditions Héros-Limite. En 2011 paraît "Jeux d'oiseaux dans un ciel vide, augures" aux éditions Héros-Limite, livre de poésie entièrement consacré aux oiseaux et le livre d'artiste "L'Evolution des formes s'étend à toute la couleur" avec des dessins de Ianna Andréadis chez Franck Bordas.

Source : Wikipédia

Bibliographie

  • Les Femmes de Barbe-Bleue, une histoire de curieuses, éditions Métropolis, Genève, 1995
  • Poussière du ciel : un hommage aux derniers ardoisiers des monts d’Arrée (photographies d’Alain-Claude Kerrien), Filigranes, Trézélan, 1997
  • Huit poèmes, Héros-Limite, Genève, 2002
  • Des Belles et des Bêtes, une anthologie de fiancés animaux, José Corti, Paris, 2003.
  • Pendant 1-62 (poèmes), Héros-Limite, Genève, 2005
  • L’Aile bleue des contes: l’oiseau, José Corti, Paris, 2009
  • Jeux d'oiseaux dans un ciel vide, augures, Héros-Limite, Genève, 2011
  • L'Évolution des formes s'étend à toute la couleur avec des dessins de Ianna Andréadis, édition de 15 exemplaires, Franck Bordas2011
  • Terre Sentinelle, Héros-Limite, Genève, 2014
  • Blanche baleine, Héros-Limite, Genève, 2017
  • Parce que l'oiseau, Éditions Corti, Paris, 2018
  • Ce qui reste de nous, Héros-Limite, Genève, 2021
  • La Saison des mousses, Éditions Corti, Paris, 2023
  • Infini présent, l'insecte, Héros-Limite, Genève, 2024

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur

Philippe Pichon

Commandant honoraire de la Police nationale, révélé au grand public avec son Journal d’un flic (Flammarion, 2007), Philippe Pichon mène conjointement une œuvre de « lecteur » (Saint-John Perse, La Maison de Poésie/Plein Chant, 2004) et de poète ([Entre] presque [et] rien, Dutan, 2021 ; Aux basaltes de l’âge, Prolégomènes, 2021 ; L’Éphémère en héritage, Prolégomènes, 2021 ; La joue pas rasée de la solitude, Prolégomènes, 2022). Il est par ailleurs l’auteur de nombreux essais dont Fichier STIC : une mémoire policière sale (Jean-Claude Gawsewitch, 2010) qui a suscité une vive polémique dans la presse nationale.  Après un succès critique, son essai sur le Maudit de Meudon, Le Cas Céline : coupable, mais de quoi ? (Dualpha) a connu une 3eme édition revue et augmentée en 2019. Prix de la biographie de l’Académie des Pays de France. Le flic-poète est également auteur de récits (L’Enfance violée, Flammarion, 2008 ; Le Pain d’ortie, Dutan, rééd. 2020) et de romans (À contre-silence, Noir & Blanc, 2003 ; Un Regard vers le ciel, Éditions de Paris/Max Chaleil, rééd. 2021). L’auteur a été distingué de nombreux prix littéraires. Il a été membre du Jury de l’Académie des Molières 2020 et membre du Jury 2021 des Rimbaud du Cinéma. Sa pièce de théâtre, Seine de crime, a fait l’objet d’une lecture publique, par la Compagnie Fracasse, à Montreuil (93), le 4 décembre 2021, en attente d’être représentée au Festival Off d’Avignon. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages dont, chez Douro, Le ciel ne fait pas l’ombre d’un regard paru en 2022.

Bibliographie 

  • Ombre close, poèmes, préface Yves Duteil, Les Presses Littéraires, 1999. (ISBN 2-9513792-0-X) Prix Albert Boudon-Lashermes de la ville du Puy-en-Velay.
  • Voyage en Tsiganie. Enquête chez les nomades de France, essai, Éditions de Paris / Max Chaleil, 2002. (ISBN 2-84621-022-5)
  • Tout ce qu'un policier n'a pas le droit de dire, Entretien avec Christian Millau, document, JC Lattès, 2002. (ISBN 9782709623919) - non paru
  • À contre-silence, roman, éd. Noir & Blanc, 2003. (ISBN 2-911241-35-5)
  • Un Pays vers le ciel, roman, Dualpha, 2006. (ISBN 2-915461-77-5) Nouvelle édition augmentée sous le titre Un regard vers le ciel, roman, Éditions de Paris / Max Chaleil, 2021. (ISBN 978-2-84621-318-9)
  • Le Pain d'ortie, récit, Dualpha, 2006 ; rééd. Dutan, 2020. (ISBN 2-915461-76-7)
  • Journal d'un flic, essai, Flammarion, 2007. (ISBN 978-2-0806-8899-6)
  • Le Cas Céline, coupable mais de quoi ?, essai, Dualpha, 2007 ; 2e éd. Dualpha, 2008; 3e éd. corrigée et augmentée, Dualpha, 2019. (ISBN 978-2-35374-052-9) Prix de la biographie de l'Académie des Pays de France.
  • L'Enfance violée, récit, Flammarion, 2008. (ISBN 978-2-08-120733-2)
  • Fichier STIC : une mémoire policière sale, avec Frédéric Ocqueteau, essai, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 2010, préface de Me William Bourdon. (ISBN 978-2-35315-090-8)
  • La Route du Rom. Enquête sur une population expulsée, coll. Coup de gueule, document, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 2010. (ISBN 9782350132525) - non paru
  • La Tentation anarchique. Lettre ouverte à Julien Coupat, essai, Jean-Paul Rocher Éditeur, 2010. (ISBN 978-2-917411-38-4)
  • La face cachée de Saint-Tropez. Crimes, arnaques et trahisons, essai, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 2011 (à la suite d'un référé introduit par le ministère de l'Intérieur, cet ouvrage a été interdit de publication). (ISBN 978-2-350-13255-6)
  • Petit manuel de désobéissance citoyenne (Quand l'intérêt général est menacé, devenez lanceur d'alerte), essai, JC Lattès, 2014, en accompagnement de William Bourdon (ISBN 978-2709646208)
  • Les Poudrins de la mémoire - I, poèmes, Dutan, 2020. (ISBN 978-2-38270-006-8)
  • Les Poudrins de la mémoire - II, poèmes, Dutan, 2021. (ISBN 978-2-38270-018-1)
  • [Entre] presque [et] rien, lettres & poèmes, Dutan, 2021. (ISBN 978-2-35374-522-7)
  • Tous nos silences ont leurs secrets (deux volumes), poèmes, Siloë, 2021. (ISBN 978-2-9580683-0-1 et 978-2-9580683-1-8)
  • Aux basaltes de l'âge, fragments, Prolégomènes, 2021. (ISBN 978-2-917584-62-0)
  • L'Éphémère en héritage, fragments, Prolégomènes, 2021. (ISBN 978-2-917584-63-7)
  • La joue pas rasée de la solitude, fragments, Prolégomènes, 2022. (ISBN 978-2-917584-64-4)
  • Entre deux échos de Villon... suivi de ...et dix absinthes de Verlaine, Siloë, 2022. (ISBN 978-2-9580683-2-5 et 978-2-9580683-3-2). Prix Baudelaire (Société des Poètes français, 2024).
  • Le ciel ne fait pas l'ombre d'un regard, fragments, coll. Poésie au présent, Douro, 2022. (ISBN 9782384060603)
  • Un ami de haut bord, récit, coll. La Bleue-Turquin, Douro, 2023. (ISBN 978-2384062218)
  • Cieux défunts, ciels défaits, fragments, coll. La Bleue-Turquin, Douro, préface de James Sacré, illustrations de Jacques Cauda, 2023. (ISBN 978-2-38406-22-87) Prix de la découverte poétique Simone de Carfort (Fondation de France, Paris). Coup de cœur des éditeurs indépendants, l'autre Livre, salon de printemps, Palais de la Femme, Paris.
  • J'ai laissé fuir le soir, fragments, coll. L'îlot, Siloë, présentation de Morgane Lombard, 2023. (ISBN 978-2-9580683-5-6)
  • Tout est trop vaste pour les mots, fragments, coll. L'îlot, Siloë, 2023. (ISBN 978-2-9580683-4-9)
  • Pourquoi la littérature du vagin respire mal (Les daltoniennes de l'écriture inclusive), pamphlet, le Verbe haut, 2023. (ISBN 978-2-4911873-6-1) Prix du Livre Incorrect.

Etudes :

« Saint-John Perse ou l’apostrophe polyphonique de la modernité », in Le Coin de table, no 19, juillet 2004 et no 20, octobre 2004 ; La Maison de Poésie / Plein Chant. (ISSN 1299-4022)

« Pierre-Jean Jouve ou l’exorcisme du temps », in Le Coin de table, no 40, novembre 2009, La Maison de Poésie / Plein Chant. (ISSN 1299-4022)

« Pierre Emmanuel ou la raison ardente », in Le Coin de table, no 42, avril 2010, La Maison de Poésie / Plein Chant. (ISSN 1299-4022)

Poèmes choisis

Autres lectures