DOC(K)S, la Revue : Entretien avec François M.

C’est en 1976 que DOC(K)S paraît pour la première fois, orchestrée par Julien Blaine qui en assume la direction et l’édition jusqu’en 1989.  Julien Blaine choisit de transmettre la publication de DOC(K)S et propose la direction et responsabilité éditoriale en 1990 à Akenaton (P. Castellin, J. Torregrossa) groupe de poètes basés à Ajaccio et engagé depuis le milieu des années 1980 dans une démarche intermedia. Depuis le décès de P. Castellin  en octobre 2021, François M. du collectif Poésie is not dead en reprend la destinée avec son acolyte Xavier Dandoy de Casabianca des éditions Eoliennes basées à Bastia. Il a accepté de répondre à nos questions. 

François, peux-tu évoquer la revue Doc(k)s ? Sa date, et la raison de sa création ? Sa vocation ?
Doc(k)s est une revue unique et singulière dans l’univers de la Poésie Contemporaine. C’est un laboratoire expérimental des langages poétiques. Elle est aujourd’hui la plus ancienne et la dernière revue internationale de poésie vivante qui mixe les différentes formes de Poésies Expérimentales : Poésies Concrète, Visuelle, Sonore, Action/Performance et Numérique. Doc(k)s se situe auprès des Avant-Gardes du XXième siècle (Futurisme, Dadaïsme, Surréalisme, Situationnisme, Lettrisme, Fluxus, etc).

Créée à Marseille par le poète Julien Blaine en 1976, elle s’ancre dans le territoire Corse depuis plus de 30 ans avec la reprise à Ajaccio par le groupe intermédia Akenaton (Philippe Castellin et Jean Torregrosa) en 1990 et, désormais depuis 2022, à Bastia par les Editions Eoliennes en collaboration avec le collectif Poésie is not dead basé à Paris.

François Massut, "apothicaire et herboriste de Poêsies Expérimentales", nous présente le collectif protéiforme Poésie is not dead, l'histoire de la revue de langages poétiques Doc(k)s, et la soirée po(l)étique qui les réunit au Générateur le samedi 25 novembre 2023 : DOC(K)S NEVER DIES. Un rendez-vous aux multiples formats où alterneront poésies vivantes, performances, lectures-actions. Une occasion pour Poésie is not dead de présenter le premier numéro de la 5ème série de la revue Doc(k)s, revue dédiée aux langages poétiques. Avec les Poètes-Artistes : Julien Blaine (créateur de la revue), Joël Hubaut, Aziyadé Baudoin-Talec, SNG Natacha Guiller, Yoann Sarrat, Martin Bakero. Poésie is definitely not dead ! Musique : DJ Reine - Disto Wow

Tu as repris cette revue. Comment et pourquoi ?
Je connaissais bien Philippe et Jean que j’avais rencontrés il y a plusieurs années à Ajaccio et que j’avais invités à plusieurs événements à Paris et à Charleville-Mézières notamment pour une rétrospective de Doc(k)s en 2018 au Musée Arthur Rimbaud. J’avais aussi participé à plusieurs numéros de la revue alors que je ne publie quasiment rien de mon travail personnel mais l’univers de Doc(k)s dans l’écosystème poétique m’a tout de suite plu.
Après le décès de Philippe Castellin en octobre 2021, la question de la continuité de Doc(k)s s’est posée.  Il y a des propositions qu’on ne peut pas refuser. Jean et Julien m’ont proposé de les rejoindre en février 2022 à Ventabren chez Julien et c’est à l’occasion de ce week-end qu’ils m’ont fait cette proposition. J’ai accepté tout de suite en leur mentionnant que je souhaitais travailler en duo et j’ai tout de suite penser à Xavier Dandoy de Casabianca, poète visuel mais aussi éditeur en Corse qui a créé la maison d’éditions Eoliennes basée à Bastia. Il était fondamental que la revue reste ancrée en Corse et de pouvoir travailler en duo. On est plus intelligent collectivement que seul.

Comptes-tu continuer sur la même ligne éditoriale ? Qu’y aurait-il de nouveau ?
Oui dans la continuité tout y apportant des innovations. L’aspect international est fondamental et qu’il faut continuer à développer, tout en découvrant les nouvelles voies/voix de la poésie tant en France qu’à l’étranger.  Ce mix entre les poètes/poétesses d’ici et d’ailleurs est une vraie richesse.
Nous voulons continuer aussi avec Xavier l’aspect intermédia / multimédia en intégrant désormais une carte USB (les anciens numéros avaient un DVD et CD depuis le milieu des années 90, Doc(k)s a été la première revue internationale et est la seule revue aujourd’hui au monde qui intègre ce support physique multimédia) pour les œuvres de poésie sonore, poèmes numériques, poèmes actions / performatifs et vidéos-poèmes.
Il y aura toujours une partie « Open » où nous recevons les recherches / expérimentations en cours ainsi qu’un dossier dédié à un « mouvement » ou « groupe » ou à « un pays » de poètes / poétesses contemporains ou uniquement à une poétesse / poète. Pour l’édition 2024, nous avons une partie « Open », un dossier dédié au mouvement international « Language is a virus » qui s’est développé durant la crise de la Covid 19, et un dossier spécial Akenaton. En 2025, je sais déjà qu’il y aura un dossier spécial autour de l’œuvre de Michèle Métail et un autre dédié à un poète étranger.
Enfin, Xavier a souhaité, et je trouve que c’est une excellente idée, d’ajouter une section dédiée à la typographie également, ce qui est une nouveauté dans la vie de Doc(k)s qui fêtera ses 50 ans en 2026 !!!!

Que penses-tu du paysage des périodiques aujourd’hui ?
Le paysage est très actif, et je suis toujours surpris aujourd’hui de l’énergie et de la vitalité des revues de poésie.
Les partisans des causes perdues sont les vrais invincibles.
Comment sont-elles distribuées, et d’ailleurs le sont-elles ? N’est-ce pas trop difficile de perdurer ?
Elles sont distribuées via des abonnements mais également lors d’événements spécialisés : salon de la revue (Paris, Marseille), Marchés de la poésie (Paris, Bruxelles, Lille) et de soirées ad hoc dans des librairies ou autres espaces officiels ou alternatifs.
C’est très difficile de perdurer pour des raisons économiques, Doc(k)s par exemple n’est plus soutenu par le CNL alors que réaliser une revue en 2024 de 500 pages en couleurs avec un support physique (carte USB) est un réel défi et une folie mais c’est une nécessité.
L’autre complexité est de garder son énergie car cela en prend beaucoup.

Présentation de l’auteur

François M.

François M. est né et a grandi en Rimbaldie. Il a fondé en 2007 le concept/collectif polymorphe et protéiforme Poésie is not dead , qui se veut être un rhizome entre la poésie et les autres arts, qu’on pourrait dénommer MétaPoésie. Ce concept et collectif sont influencés par les mouvements et les poètes des "poésies expérimentales"(poésie sonore, poésie action, poésie visuelle, poésie-performance et poésie numérique), ainsi que des mouvements d’avant-garde :  dadaïsme, lettrisme, situationnisme et Fluxus.

L’essence des actions entreprises par Poésie is not dead est de « dé-livrer » le poème des espaces institutionnels et/ou alternatifs où il est généralement « enfermé » (rayons des bibliothèques, musées, squats, librairies, etc.) à l’attention souvent d’un public « averti ». Il tente de vaporiser, de percoler et de polliniser le poème dans l’espace public via différents médiums (installations éphémères et pérennes : bancs-poèmes et chaises-poèmes au jardin du Palais Royal par exemple, lectures-performances de poètes sonores et de musiciens expérimentaux dans la rue, road-trips de poésie-action avec la Rimbaumobile, etc.).  Ce collectif est intervenu principalement en Europe et en Amérique du Nord.

Poésie is not dead s'inscrit dans la continuité du poète Bernard Heidsieck pour qui :

« A quoi bon le poème, tout court, s’il ne contribue pas tant soit peu (…) à oxygéner, brûler, irradier, ce qu’il touche ou doit toucher et tente d’atteindre ? », « ce n'est pas le public habituel de la poésie avec ses applaudissements de politesse », que Poésie is not dead souhaite atteindre mais faire réagir « un auditoire non averti, non préparé. C'est ainsi, dans cette situation de risque et de fraîcheur, en fait, que la poésie, toujours, devrait se communiquer. Funambule et présente, malgré tout ! »

La position poétique de Poésie is not dead s'inscrit dans les courants de "l'art pour tous" développé par les artistes Gilbert and George et du "théâtre élitaire pour tous" d'Antoine Vitez

La problématique de Poésie is not dead est alors de : comment créer, diffuser et donner accès à la poésie, qui plus est de la poésie contemporaine, dans l’espace public pour un auditoire non initié ? Comment tenter d’y arriver dans un espace urbain saturé de technologies visant à capter notre attention et rythmé par des flux quotidiens chronométrés et répétitifs ?

Cette démarche de « contre-flux » s’inscrit dans la dérive situationniste telle que Guy Debord la conçoit. Susciter un regroupement, un agencement, un ralliement des passants, qui soient une incision, une distorsion, une rupture et in fine une parenthèse poétique dans leurs courses routinières.

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

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Poésie is not dead : Réanimation poétique jusqu’à nouvel ordre ! Entretien avec François M.

François M. est le créateur du collectif Poésie is not dead, fondé en 2007, qui est défini comme « un concept et un collectif polymorphe et protéiforme qui se veut être un rhizome entre la poésie contemporaine et les autres arts ». Poésie is not dead propose des actions autour de la poésie pour la « dé-livrer » des espaces institutionnels, où elle est très souvent « enfermée », et réservée à un public restreint, choisi. Les actions menées par ce collectif visent donc à porter le poème dans des espaces du quotidien, pour toucher un public non averti. François M.  a accepté de nous dire comment il apporte la poésie dans l'espace public, et surtout pourquoi, qu’est-ce qui a motivé sa démarche, et qu’est-ce qui fait que depuis des années il continue.

François M., qu’est-ce que Poésie is not dead ?
Poésie is not dead est un collectif, un espace de rencontre qui n’est pas le fait d'une personne ou d'un groupe, comme on a pu voir par le passé avec les mouvements d’ »Avant-Gardes » comme les Lettristes, les Dadaïstes, les Situationnistes, etc. C'est un groupe qui se modifie selon l'objectif que l'on souhaite donner à une création A ce titre, je m’inscris dans la notion d’Intermédia développé par Dick Higgins, co-fondateur de Fluxus et à la suite de mes amis du groupe Akenaton (Philippe Castellin et Jean Torregrosa). Les personnes qui sont alors susceptibles de le mener à bien varient. Pour une création donnée avec un point central/initial le « poème/poème », je m’entoure de « spécialistes », des poètes contemporains, des comédiens, des sculpteurs, des musiciens expérimentaux, dont la présence répond à l’œuvre que je souhaite créer… Donc, à ce titre, Poésie is not dead est un collectif, un « passe partout » dans des territoires du langage poétique à explorer. Je suis « un artiste d’artistes » comme disait Robert Filliou.

Quand ce collectif est né en 2007, je me suis rendu compte que nous étions enfermés dans des chapelles. Quand j'allais à des lectures de poésie j'avais l'impression d'être dans un petit milieu. Les gens se connaissaient, c'était sympathique par ailleurs, mais je ne me reconnaissais pas dans ces rencontres, dans cette manière de créer et de diffuser la « poésie ». J’ai été amené à évoquer cette question avec plusieurs jeunes éditeurs, notamment  à l'époque des amis qui géraient feu les éditions « Le Grand Incendie » et qui publiaient une revue qui s'appelait Pyro.

La Rimbaudmobile au Festival du Général Instin (6 juin 2014).

Autour de ces éditeurs et de ces jeunes poètes il y avait aussi des musiciens expérimentaux, des vidéastes. Nous avons alors créé ensemble avec Christophe Acker, Anne-Sophie Terrillon et Jean-Marc Wadel (T.V.La.S.Un.Or.) et Thomas Fernier (deux vidéastes et musiciens expérimentaux/improvisateurs et moi qui était un peu comme un « chef d'orchestre ») « Poésie is not dead ».
Il y a dans cette volonté « de sortir du cadre » une forte influence de nos goûts musicaux et artistiques imprégnés par le Rock, Punk et Post Punk. Nous invitions à l’époque des poètes pour diffuser de la poésie dans des lieux très divers, des lieux institutionnels ou pas. Nous avons commencé dans ma ville d'origine qui est Charleville-Mézières, au Musée Rimbaud, et à la médiathèque Voyelles. Puis, vivant à Paris, j’ai continué à développer des choses dans la capitale tout en continuant sur Charleville, puisque ma famille y vit toujours. J’ai ensuite étendu mes actions en dehors de Paris, et même de la France : à Marseille, à Bruxelles, et au Québec avec lequel j’ai un lien tout particulier. J’y ai fait une partie de mes études, mais j’y ai aussi rencontré le poète Jean-Paul Daoust. C’est lui qui m’a suggéré de créer un festival à Charleville-Mézières. C'était en 2006. En rentrant de Montréal je l’ai fait. Ce Festival intitulé « Les Ailleurs » a été l’occasion de créer des lectures performées de poésie contemporaine accompagnées de ces deux musiciens expérimentaux, et de créer et projeter des vidéos expérimentales pendant ces lectures. Les poètes rentraient dans cet univers assez « lynchéen » et ça crée une symbiose entre les différents arts. Nous avons vécu des moments  exceptionnels où nous avons pu susciter une très forte émotion autour de la poésie.

L'espace public est pour moi fondamental, j'ai toujours voulu sortir la poésie des institutions (officielles et alternatives). J'ai travaillé avec le Musée Rimbaud, avec qui je travaille toujours d’ailleurs (j’ai fait récemment une exposition de poétesses intermédia  autour de leur travail de poésies visuelle, action et sonore). A Paris, beaucoup de lieux comme la Bibliothèque Historique de la ville de Paris, La Galerie Satellite, Les Voûtes, des squats, et d’autres, me permettent de montrer, de faire écouter et d’offrir la poésie au public…

"Les confidents" : inauguration des 20 chaises-poèmes du jardin du Palais-Royal, 4 mars 2016.

Tu investis donc les espaces publics avec la poésie, que ce soit avec des images ou avec du son ? Quel type d’événement organises-tu ? Tu parlais des projections de poésie sur les murs de Paris pendant le confinement ? Mais quels autres types de manifestations organises-tu ?
J'ai la chance d'habiter un atelier en rez-de-chaussée avec en face un grand mur blanc. Pendant les confinements, tous les soirs, je projetais de la poésie contemporaine sur ce mur, donc tous les voisins regardaient. C’était un rendez-vous de quelques minutes à 19h56.
Nous avons également créé des œuvres plastiques écrites avec le sculpteur et ami québécois Michel Goulet, les chaises et bancs poèmes du jardin du Palais Royal qui sont là en permanence et permettent d’ancrer le poème dans l'espace public... Des poèmes sont inscrits sur le dossier des bancs-poèmes ou des chaises-poèmes, installés dans le jardin du Palais-Royal. Pour les bancs-poèmes, qui sont fixés au sol, nous avons inauguré à cette occasion deux allées que nous avons nommées l’allée « Cocteau », ou « Colette ».  Su cr chacun des banc il y a en recto un poème ou une citation de Cocteau  ou de Colette  et en verso une vers d’un poète/poétesse moderne. Chacun de ces poètes propose au public des univers bien particuliers/singuliers (de Bernard Heidsieck à Paul Celan dans l’allée Cocteau et de Marceline Desbordes-Valmore à Danielle Collobert dans l'allée Colette) qu’il est important de donner à voir et à entendre à un public non averti. En effet, dans le dispositif des chaises-poèmes en vis-à-vis rappellent les fameux confidents où on s'assoit à deux , propose en plus des vers gravés sur le dossier, un boîtier sonore central avec un sytème technologique de pointe permet de brancher des écouteurs et entendre de la poésie que nous changeons régulièrement. Donc à la fois de « poésie sonore » et à la fois de la « poésie visuelle ».
Je fais également aussi beaucoup de « poèmes peints » dans l’espace public avec des citations de poètes (John Giorno, Tristan Tzara, Rimbaud, etc.), avec une typographie qui est proche d'un artiste que j'aime beaucoup, qui est Jacques Villeglé.  Je suis assez proche de son fameux alphabet sociologique que j'ai retravaillé personnellement pour écrire des citations de poèmes que j’ai inscrits sur les murs, sur les rideaux de fer des magasins, sur le macadam  (avec la création d’une marelle poétique)! Ces inscriptions sont semi-permanentes car la mairie de Paris ne les efface pas toujours !!!!
Sans oublier la Rimbaudmobile créée il y a plus de 10 ans. C'est une voiture, une Citroën ami 8 de 1972 que j'ai récupérée dans le village de la ferme de la famille Rimbaud (à Riche), là où il écrit Une saison en enfer. Il y avait là cette voiture qui pourrissait sous une grange. Je l’ai achetée puis je l'ai faite réparer. 

Rimbaud Live(s) : Ma Bohème, "les cahiers de Douai", sur Disorder de Joy Division, Vidéo filmée à l'occasion des courts métrages "Les Cahiers de Douai". Idée du scénario et "comédien" : François M pour Poêsie is not dead Vidéo et Montage : Johann Kruzina Production : Smac Freddy Pannecocke Musique : Joy Division / Disorder Vêtements customisés Rimbaud et Poêsie is not dead par le street Artist Pedrô! et la brodeuse Anna La Fontaine. 2021.

J’ai installé sur le toit de cette Rimbaud mobile un mégaphone destiné initialement aux pompiers. Nous avons pu faire des road trips de poésie-action, nous avons diffusé de la poésie avec ce mégaphone qui porte à 3 km. Ensuite nous nous arrêtions pour faire une performance sur une place publique. J'espère reprendre ces actions prochainement parce que c’est très drôle ça touche énormément les gens ! Ils ouvrent les magasins, les portes, sont surpris !
Et qu'est-ce que ça fait d'offrir ainsi de la poésie aux gens qui passent, quel est l’effet produit ?
Petit, je n’ai pas eu la chance moi d'avoir accès à la poésie, aux livres… C'est un peu une revanche. Quand on prend le métro ou le train, et dans la rue, on constate que les gens sont absorbés par l’écran de leur téléphone.  L'idée c'est de les interpeler, de créer ce fameux « contre-flux » des situationnistes : les gens sont pris par leur quotidien, rythmé par le fameux « métro-boulot-dodo » (qui est un poème à l'origine). L'idée c'est de créer « une parenthèse poétique » dans ce cet espace qui nous enferme, et qui nous empêche de réfléchir, de voir la beauté du quotidien. Alors quand vous projetez un poème sur un mur les gens s'arrêtent. Ils sont complètement surpris, et même si ça ne peut pas toucher tout le monde, ça touche tout de même un large public. « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » disait Filliou.

Exposition Elle(s) : Poétesses Intermédia en France de 1959 à 2023, présentation des oeuvres exposées au Musée Arthur Rimbaud du 21 octobre au 27 Novembre 2022. AVEC : SUZANNE BERNARD, ILSE GARNIER, COZETTE DE CHARMOY, FRANCOISE MAIREY, AUDE JESSEMIN, MICHÈLE MÉTAIL, ESTHER FERRER, MAGGY MAURITZ, LILIANE GIRAUDON, CÉCILE RICHARD, CHIARA MULAS, EDITH AZAM, HORTENSE GAUTHIER, AC HELLO, MARIE BAUTHIAS, NATACHA GUILLER, CAMILLE D’ARC, GUYLAINE MONNIER, AZIYADÉ BAUDOUIN-TALEC, SÉGOLÈNE THUILLART ET ELSA ESCAFFRE UNE PROPOSITION DE POÉSIE IS NOT DEAD UNE EXPOSITION DE POÈMES CONCRETS, SPATIAUX, VISUELS, SONORES, ACTIONS ET NUMÉRIQUES

Quel est le pouvoir de la poésie ?
Je ne sais pas si la poésie a un pouvoir. Je crois que ce n'est pas son objectif premier. Avant tout elle doit créer de la beauté et de l'émotion, mais une émotion forte. Elle doit en quelque sorte percer la carapace dans laquelle nous sommes construits, toutes et tous, de par notre histoire personnelle et la société qui nous met dans des moules. Il faut essayer de casser ce cadre, dans lequel on est enfermés. Je ne pense pas non plus que la poésie ait une fonction politique. Elle doit avant tout créer de l'émotion, et j'ai pu constater que l’émotion peut changer vraiment la manière dont on appréhende le monde. Je ne prétends pas qu’elle change la vie des gens, mais la manière dont ils perçoivent la vie, oui. La poésie a été pour moi un élément déterminant. Au départ ce n’était pas le but recherché parce que nous voulions avant tout nous amuser, car nous nous inscrivons dans le mouvement post Fluxus notamment. Je suis très influencé par Robert Filliou. Et l’idée ce n’est pas d'imposer un message politique où de définir ce que doit faire, dire ou être la poésie. Je trouve que la poésie doit être apolitique bien au contraire. Mais elle doit avoir une un côté subversif par rapport au langage qui est souvent un outil de manipulation.

Poésie is not dead présente : Réanimation poétique jusqu'à nouvel ordre !!!!!! Dès le premier confinement en mars 2020, Poésie is not dead projette en vidéo et en son, les voix des poètes, après le couvre-feu, sur l'immeuble d'en face d'Ut Pictura Poesis (Studio des Poésies Expérimentales), rue de la Folie Méricourt, Paris 11.

Est-ce que ce n’est pas justement éminemment apolitique donc politique de sortir le langage de son emploi quotidien ?
Oui effectivement dès lors qu'on sort le langage de son emploi quotidien, mais dès lors qu’on ne fait pas toujours la même chose, on crée du sens, on questionne, on ouvre des voies. Comme un artiste, il faut toujours se remettre en question et remettre en question les représentations, on est toujours en « work in progress ». Mon ami Joël Hubaut le dit très bien, lorsqu’il constate qu’un texte évolue à chaque fois qu’il est dit.  Donc, le côté apolitique est également certainement politique mais ce n’est pas l'objectif premier, qui est cette nécessité  de casser cette carapace et cet enfermement dans lequel on est, grâce à l'émotion.
Est-ce que l'émotion nous rassemble et témoigne de l’existence d’un collectif humain ?
Oui, l'émotion, la beauté, peuvent effectivement rassembler, et, on le voit bien, elles ont un effet cathartique. Est-ce que la poésie crée un rassemblement de pensée, je ne sais pas, mais ce qui est certain c’est que la poésie crée une émotion, autre, singulière, différente de celle que nous procure nos téléphones cellulaires, le streaming, les plateformes, les réseaux dits "sociaux" ...

Vidéo-poème-action de Jean Torregrosa , membre d'Akenaton à Stefannacia (Corse) en 2019.

Mais est-ce qu’on peut affirmer que la poésie est un genre moins lu, moins fréquenté ?
Déjà est-ce qu'elle est diffusée ? Il y a aujourd'hui beaucoup de maisons d'édition, je crois qu'on n'a jamais autant publié, mais elle est peu diffusée parce qu'elle n'est pas économiquement viable. Donc vous avez des éditeurs qui sont soutenus par les instances publiques, par le CNL, par les régions ou autres… Vous allez dans une librairie, pas à Paris parce qu’il y a des librairies qui offrent des choses assez différentes, mais quand je suis à Charleville par exemple, dans la librairie Rimbaud, certes il y a un rayon Rimbaud, mais le rayon de poésie contemporaine fait 30 cm, et vous n’avez que la collection Gallimard !  Dernièrement j'ai repris avec mon ami Xavier Dandoy de Casabianca la revue Doc(k)s qui est la plus vieille revue de poésie expérimentale créée par Julien Blaine en 1976, qui avait été ensuite reprise par Akenaton (Jean Torregrosa et Philippe Castellin). Malheureusement Philippe nous a quittés il y a un peu plus d'un an. C’est une revue qui a été peu diffusée parce que non économiquement viable.
Les poètes sont un peu fautifs aussi car je pense qu’il y a une responsabilité collective : certains cultivent un côté hermétique de la poésie qui s'est mis en place, il y a eu un côté très individualiste… Même parmi les poètes expérimentaux certains restaient dans leur chapelle… Alors je ne sais pas pourquoi… Est-ce que c'est la peur de l’autre, est-ce que c'est le fait qu’ils attendent des subventions publiques… ?

Poèmes à la Criée : Macadam Poèmes/Poésie Action/Sonore & Performances - Rues de paris - Distribution de 1001 livres de Poésie de la bibliothèque de Jean-Pierre Balpe.

Personnellement j'ai mon indépendance, et je n'attends pas d'avoir une subvention pour créer, bien au contraire. Le seul qui nous aide aujourd'hui c'est Vincent Gimeno Pons avec le Marché de la Poésie. Il a toujours été présent. En dehors de projets très spécifiques comme l’exposition des poétesses à Charleville-Mézières au Musée Rimbaud cet automne, je créé et organise des performances, lectures, des éditions (vinyles, vidéos, livres/fanzines, etc) majoritairement sans argent et avec nos propres moyens, ce qui nous laisse aussi une totale liberté.
Est-ce que la poésie n’est pas, par ailleurs, confisquée, prise en otage, définie par une élite, un certain milieu ?
Oui effectivement je pense que beaucoup de poètes ne se reconnaissent pas dans ce que je propose dans l'espace public. Par exemple, l'ancien directeur de la collection Gallimard Poésie a refusé que nous citions certains poètes, quand nous avons créé en 2016 les chaises-poèmes (Confidents) avec Michel Goulet au jardin du palais Royal nous lui avions très respectueusement écrit pour demander le droit de citer Henri Michaux et Antonin Artaud. Il avait refusé alors que nous avions l'accord, notamment, des ayants droit, prétendant que ces chaises poèmes ne l’intéressaient pas. Réaction bizarre ! Nous avons ensuite compris pourquoi : ces chaises poèmes ont eu un grand retentissement et comme il n’était pas impliqué dès le début…L’Ego comme dit notre ami Ben Vautier.

Plus généralement on voit aujourd’hui un fossé qui s’est creusé entre des poètes ex soixante-huitards et les plus jeunes. Les plus âgés veulent vraiment garder le pouvoir : ce sont eux « la poésie », et surtout ce sont eux qui ont le pouvoir et la légitimité pour la définir. Proposer de la poésie dans l'espace public ce n’est pas assez noble pour certains qui préfèrent les « Maison de la Poésie »  ou les Musées.  Dire des poèmes pour le quidam de la rue ça ne les intéresse pas…
Dernièrement, le premier novembre, nous nous sommes beaucoup amusés, nous avons développé une performance dans les rues de Paris, intitulée « Poèmes à la Criée ». Comme effectivement la poésie ne se vend pas, j’ai récupéré la bibliothèque de poésie de Jean-Pierre Balpe, qui est un ami poète autrefois directeur du BIPVAL (Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne), fortement impliqué dans la revue Action poétique avec Henri Deluy et dont le dernier numéro est sorti en 2012, la revue datait de 1950 !!! Jean-Pierre avait plus de 1001 livres de poésie qu’il voulait donner.
Comme les bibliothèques n’en voulaient pas, et que personne ne voulait prendre tous les livres en même temps, j'ai appelé Jean-Pierre et je lui dis je viens chercher les livres avec comme objectif de créer une action avec ces livres, compte tenu de leur histoire singulière et cette histoire abracadabrantesque de les donner . J'ai pris ma camionnette et effectivement j’ai emporté les 1001 volumes, pour les donner. Et nous avons donc organisé cette action/déambulation poétique avec une quinzaine de Poètes et autres artistes (Julien Blaine, Ma Desheng, Patrice Cazelles, Guylaine Monnier,  Natacha Guiller, Etienne Brunet, Mickaël Berdugo, collectif Famapoil, etc) dans les rues de Paris, nous avons commencé Place Colette et la journée s’est terminée devant Shakespeare and Co avec différents arrêts (Ponts des Arts, Place de Furstenberg, Place St Sulpice, Hotel Beat, etc)  J’avais trois caddies de supermarché que j'avais récupérés et customisés, ils étaient tout doré et nous avons donné déjà 600 livres. Les gens étaient très heureux et vraiment réceptifs, français comme touristes étrangers, pendant que les actions/performances des poètes et artistes …. Il reste quatre-cents livres et nous allons organiser une autre action quand le temps le permettra. Donc si la poésie était mieux diffusée les gens en liraient plus.
En plus de ces actions, j’effectue depuis plus de deux ans aussi des interviews-actions de poètes, pour garder trace et une mémoire de la poésie contemporaine (Serge Pey, Julien Blaine, Philippe Castellin et Akenaton, Joël Hubaut, Esther Ferrer, Liliane Giraudon, Michel Giroud, par exemple), ainsi que des vidéos de lectures performance auxquelles j’assiste, tout ceci diffusé sur ma chaine YouTube…

Poésie is not dead - Jardins du Palais Royal.

Est-ce que les plus jeunes lisent ou écoutent de la poésie ?
Mais qu’est-ce que la poésie ? On ne peut pas la définir, mais pour parler de mon expérience, les jeunes qui ont eu accès à la rencontre humaine avec des poètes vivants ont été touchés, et ces rencontres ont été importantes.
A Charleville j’organisais des résidences à la maison Rimbaud pendant 3 semaines, avec un certain nombre de poètes qui venaient et allaient à la rencontre avec des collégiens ou des lycéens. Là dans cette rencontre avec ce qu’est la poésie, le langage, le texte, quelque chose s’éveillait chez ces jeunes. Le langage est toujours source d’interrogation pour eux. Donc il faut aller vers le jeune public, ils sont en attente ! Il faut diffuser la poésie et ne pas rester dans « l’entre-soi ».
Par exemple sur ma chaîne YouTube John Giorno a fait 18000 vues ! Ce qui est énorme pour la Poésie. Autre exemple : Bernard Heidsieck a fait la première partie d’un groupe de Rock à L’Élysée Montmartre, avec Vaduz ! Le public l’a applaudi. Donc arrêtons de nous flageller !!!
Donc il faut prendre des risques et sortir de sa zone de confort. La poésie demande à être criée, hurlée, parlée, pollinisée… Il faut aller à la rencontre des jeunes, du public…
Est-ce que pour les jeunes le Rap et la Slam n’est pas ce nouveau territoire poétique des jeunes ?
Si, bien sûr, ils peuvent être une entrée , un vecteur. Natacha Guiller par exemple, une des nouvelles voix de la poésie contemporaine, elle a commencé par le Slam ! Les nouvelles générations en creusant découvrent aussi l’oralité, les sonorités, la plasticité du poème également via les écoles d’art ! Quand on voit et et on entend des poètes contemporains comme Charles Pennequin ou Edith Azam, on ne peut être que surpris et les nouvelles générations y sont très sensibles… Il y a un « vrai » message derrière cette « poésie » qui surprend de prime abord. L’essentiel est que « la poésie n’est pas morte and poetry never dies » !!!  

Présentation de l’auteur

François M.

François M. est né et a grandi en Rimbaldie. Il a fondé en 2007 le concept/collectif polymorphe et protéiforme Poésie is not dead , qui se veut être un rhizome entre la poésie et les autres arts, qu’on pourrait dénommer MétaPoésie. Ce concept et collectif sont influencés par les mouvements et les poètes des "poésies expérimentales"(poésie sonore, poésie action, poésie visuelle, poésie-performance et poésie numérique), ainsi que des mouvements d’avant-garde :  dadaïsme, lettrisme, situationnisme et Fluxus.

L’essence des actions entreprises par Poésie is not dead est de « dé-livrer » le poème des espaces institutionnels et/ou alternatifs où il est généralement « enfermé » (rayons des bibliothèques, musées, squats, librairies, etc.) à l’attention souvent d’un public « averti ». Il tente de vaporiser, de percoler et de polliniser le poème dans l’espace public via différents médiums (installations éphémères et pérennes : bancs-poèmes et chaises-poèmes au jardin du Palais Royal par exemple, lectures-performances de poètes sonores et de musiciens expérimentaux dans la rue, road-trips de poésie-action avec la Rimbaumobile, etc.).  Ce collectif est intervenu principalement en Europe et en Amérique du Nord.

Poésie is not dead s'inscrit dans la continuité du poète Bernard Heidsieck pour qui :

« A quoi bon le poème, tout court, s’il ne contribue pas tant soit peu (…) à oxygéner, brûler, irradier, ce qu’il touche ou doit toucher et tente d’atteindre ? », « ce n'est pas le public habituel de la poésie avec ses applaudissements de politesse », que Poésie is not dead souhaite atteindre mais faire réagir « un auditoire non averti, non préparé. C'est ainsi, dans cette situation de risque et de fraîcheur, en fait, que la poésie, toujours, devrait se communiquer. Funambule et présente, malgré tout ! »

La position poétique de Poésie is not dead s'inscrit dans les courants de "l'art pour tous" développé par les artistes Gilbert and George et du "théâtre élitaire pour tous" d'Antoine Vitez

La problématique de Poésie is not dead est alors de : comment créer, diffuser et donner accès à la poésie, qui plus est de la poésie contemporaine, dans l’espace public pour un auditoire non initié ? Comment tenter d’y arriver dans un espace urbain saturé de technologies visant à capter notre attention et rythmé par des flux quotidiens chronométrés et répétitifs ?

Cette démarche de « contre-flux » s’inscrit dans la dérive situationniste telle que Guy Debord la conçoit. Susciter un regroupement, un agencement, un ralliement des passants, qui soient une incision, une distorsion, une rupture et in fine une parenthèse poétique dans leurs courses routinières.

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

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