Françoise Vignet, Journal de mon talus, extraits

1)

         Le pays d’ici.

      Ici, la nuit est sombre, parfumée et la petite route, parfois inondée de lune pour une balade improvisée – la
maison,  posée au bord de la Voie Lactée.

     Ici, l’on écoute le silence : bruissement de ce jet d’eau végétal qu’est le tremble, roucoulement des
tourterelles turques, froissement d’ailes dans les feuilles touffues, appel plaintif de la hulotte, friselis des
maïs séchés sous le vent…

     Ici, la fenêtre ouvre sur un coteau brodé de vignes hautes et sur le méandre de la départementale, qui s’étire
en pente douce vers le clocher.

    Ici, les petits chemins mal goudronnés portent en leur centre une ligne herbue, parfois hachée, parfois ornée
de touffes vertes, et, sur leur côté ensoleillé, un double feston, tout noir : l’ombre des fils du téléphone.

   Ici, au détour d’un virage grand ouvert sur l’espace, c’est l’horizon à nu qui soudain vous saisit… et le cœur qui bondit !

         Août.

 

2)

       Un grand vent de soleil et de feuilles naissantes promet,  entre les frênes,  la vie légère !     

La lumière danse et éclabousse. La lumière nous invite au bal !

         Avril.

 

 3)

     Il est midi.

     D’un long trait de silence, un oiseau bien peigné s’élance,  du toit de tuiles à l’arbre. Seul, bruit le tremble :
son bruit d’eau  rafraîchit.

     Et l’instant se blottit dans l’abri bleu du ciel comme, dans le corps,  la joie.

         Juillet.

 

4)

     A contre-ciel, le tremble ne bruit plus – ses feuilles d’or frais sur le pré vert éparpillées.

     L’été s’en va contre un ciel bleu rosé. Lentement chutent les feuilles ensoleillées : cérémonie discrète, léger
bruit sec. S’annonce le temps du dépouillement.

   Tremble sois-tu – et de bois vert : à toi de bruire en tes feuillets.

         Septembre.

 

5)

 (Platanes, ce qui n'est pas dit)

     Plus que jamais les feuilles au long des fûts s’élancent - en un élan d’or transparent, de temps secret –

vers la lumière qui les aimante.

            Octobre.

 

6)

    Arbres d'hiver, maisons de branches dans les airs,  en transparence sur le haut ciel.

 A leur pied,  un tapis de chaumes,  roux  à peine au ras du soleil.

    Agile, l’enfant-cœur y grimpe et contemple, à califourchon,  les drapés d’ors du couchant.

         Janvier

 

7)

          Plaqueminier.

     Immense dans le soleil, il  rutile en plein hiver. Le regarder est un mirage.

Du levant au couchant, à ses branches étagées,  il suspend ses fruits cuivrés, inaccessibles - comme au Jardin
des  Pommes d’Or.

Et pourtant il en fait don : sa beauté nous est une arme. Au verger d’ici, il est l’Arbre.

     Fi du Dragon : le chemin s’offre à notre allant, de terre boueuse et de plein ciel.

          Janvier.

 

8)

    En un instant,  le large nuage - taffetas gris luminescent  à peine ourlé  de feu rosé - s’éparpille et  s’éteint sur
le bleu du crépuscule : splendeur fugace qui tout efface.

    Divisé, il va son chemin.  Seule demeure, dessinée au fusain, l’ossature éployée du grand chêne.

         Mars

 

   9)

  Plissées avec soin,  de petites feuilles - satin vert frais, soleil acide - apparaissent  sur les arbres qui  jaillissent
en bouquets dans  la transparence du ciel,  tachetée à peine de frondaisons -  légères, légères....

     Et nous allons sous les platanes  -  voûtes naissantes  de feuilles fraîches -  comme sous berceaux de plumetis
    L’encre a coulé dans la lumière.

          Mars.

 

   10)

     Le tremble a retrouvé ses feuilles,  vert jade en forme de cœur : à  leur attache un collier, dentelé.

 (Ce sont de petits grains vert sombre qui s’ébourifferont en pincées de coton, envolées sur le sentier.)

     Que tu sois souffle, pluie d’été ou bruissement - tremble,  tu  appelles le Chant.

           Mai.

 

  11)

   Immobiles dans l’air tiède,  les frênes  aux (déjà) feuillages d’été  filtrent le chant du coucou –

qui vient effleurer  la lumière sur l’herbe du talus.

    En la douceur  le temps s’abolit.

         Mai.

 

12)

Frêne aux cinq branches - évasées d’un tronc puissant  vers les  cinq orients  en lyre de chaque jour - donne-
moi ton élan.

          Août

 

 13)

    Non loin des frênes dénudés,  le tremble palpite encore.

    A chaque souffle ses rares feuilles ébruitent dans le froid soleil  un chant ténu. 

Dansent les feuilles qui sont d’or, au bleu le plus clair du ciel, le bleu qui tremble en nos corps

 -  à jamais nus.

          Novembre.

 

 

Reproduction avec l'aimable autorisation des Editions Alcyone
Copyright Editions Alcyone.




La lettre-mail “Vous prendrez bien un poème ?”

Comme une revue en miniature  (pas plus d'une page - et d'un poème -  à la fois ), la "lettre" hebdomadaire de Françoise Vignet, joliment intitulée "Vous prendrez bien un poème ? " et illustrée de la jolie photo du pont du Jardin Japonais de Toulouse,  fait circuler la poésie contemporaine de façon moderne, via mail, à son réseau d'abonnés,  en toute simplicité :

nous lui donnons la parole.

"Vous prendrez bien un poème?",
feuille
 hebdomadaire gratuite
par abonnement à  
framboise.bergelle@gmail.com

 

 Vous prendrez bien un poème ?  est né d’un désir inachevé, il y a huit ans. Fraîchement installée à l’écart du monde, je disposais de temps libre : il m’est apparu naturel de partager les poètes que j’aime, ceux qui m’ont formée - partager et découvrir- puisque la poésie n’a jamais cessé de m’accompagner, plutôt en secret. Aussi ai-je commencé en janvier 2011 avec les amis anciens, les amis voisins, les amis familiaux, les compagnons de voyage – peu nombreux mais divers. Là où je vis, des lecteurs se sont ensuite présentés. Et la Toile m’a permis de joindre tout le monde, sans frais ni retard.

Très vite, pour suspendre le temps…

La formule initiale, toute simple, n’a pas varié. Un titre sans façon. Une totale gratuité, qui me laisse ma liberté. Une démarche à l’inverse de celle du blog,  puisque le poème vient se glisser dans la boîte aux Lettres du lecteur : intimité assurée. Un poème adressé « au visage » et non en dossier joint : présence immédiate. Une fréquence hebdomadaire, qui donne à la Poésie sa place au fil des jours. Un format réduit, qui facilite la lecture : le « morceau choisi » ne dépasse pas une page, en principe, mais un même auteur est diffusé à tout le moins pendant deux semaines consécutives : ainsi peut-on goûter (mise en bouche) davantage son écriture. Un souci de rigueur, puisque seuls sont diffusés des poèmes publiés en revue ou édités à compte d’éditeur, bien tangibles en leurs feuillets, assortis de leurs références. Une exigence de qualité, qui privilégie le plus souvent la poésie contemporaine d’expression française … sans exclure bien des pas de côté (côté cœur), dans l’espace et dans le temps.

Quant au choix, autant dire que c’est le poème qui me choisit. Le « hasard » a sa part, l’heureux hasard, avec/malgré son « coup de dés »… J’agis par « plaisir », celui « du texte ». Ce qui n’est pas futile (et quand bien même ! …). Un lecteur a suggéré, il y a quelques années, de participer aux choix : ainsi est née la  Feuille Volante, ouverte à tous, qui, le 15 de chaque mois, accueille un poème aimé par un lecteur.

En février 2011, après seulement trois « envois » (deux poèmes de Judith Chavanne et des haïkus pour le Nouvel An lunaire), les lecteurs ont réagi si généreusement que j’ai rassemblé leurs propos dans un Courrier des lecteurs N°1,  Courrier  qui perdure à ce jour. Leurs retours - réactions aux poèmes, informations poétiques ou artistiques, envois de textes - ajoutent à cette circulation de la parole du poème une épaisseur humaine, une résonance singulière, réconfortantes. Ce sont des êtres qui ont « de l’amitié envers la poésie », selon l’expression de Gaston Puel, qui se pencha avec bienveillance sur le berceau de Vous prendrez bien un poème ?

Multiples et celles de L'Arrière-Pays, notamment, ont amené nombre de lecteurs. C’est dire que le lectorat de Vous prendrez bien un poème ? (une centaine environ, répartie dans l’hexagone et quelque peu au-delà), est varié – ce qui est tout à fait précieux, parce que cela lui confère une énergie et une saveur particulières.

En mai 2012, une Anthologie permanente, dont les accès sont privatifs, a vu le jour. Ainsi chaque lecteur, quelle que soit la date à laquelle il s’est abonné, peut-il découvrir ou relire tous les textes, à son gré.

Lors du premier anniversaire, le 6 février 2012, ces mots me sont venus :

« En ces temps de disette et de galimatias, ce que j'aurais à dire tiendrait en peu de

mots : JOIE à découvrir le poème, JOIE à le partager. (…) ».

Huit ans après, ils sonnent toujours juste.