Le mémorial des limules de Jacqueline Assaël. Sur FJ Temple

En novembre 2013, cette critique amorçait une collaboration fructueuse avec son auteur.

∗∗∗

 

Jacqueline Assaël publie un essai sur l'œuvre poétique de Frédéric Jacques Temple… Et je ne peux m'empêcher de penser, même lointainement, à la lecture que fit Paul Claudel d'Arthur Rimbaud (1). Il cite alors quelques passages de la lettre d'Isabelle Rimbaud à sa mère, décrivant les derniers moments d'Arthur Rimbaud à l'hôpital de la Conception à Marseille : "Tu vas voir, on va apporter les cierges et les dentelles, il faut mettre des linges blancs partout…" Et ça suffit à Claudel pour faire de Rimbaud un catholique envers et contre tout (ou presque tous).  Ce à quoi s'oppose violemment  Aragon dès 1930 dans sa préface (longtemps inédite) à Une Saison en Enfer (2) : "Le truquage est le fort de ces hommes rompus à la sophistique chrétienne, de ces hommes  qui parlent couramment des preuves de l'existence de Dieu. En attendant, il faut surtout subtiliser les pièces du procès qui pourraient infirmer la thèse catholique : il est certain que sur les conseils de Claudel, le couple Berrichon enterra deux poèmes blasphématoires… etc ". Mais en septembre 1943, Aragon et Claudel finiront par se rencontrer lors d'un déjeuner organisé à Lyon par René Tavernier, les temps n'étant plus les mêmes…

L'essai de Jacqueline Assaël comporte deux parties (dont la première me laisse sur l'expectative par ses partis-pris, alors que j'adhère à la seconde) suivies d'un entretien de l'auteur(e) avec le poète. Si ce dernier, avec son ouverture d'esprit habituelle ne remet pas en cause l'approche de Jacqueline Assaël, il ne manque pas de noter que toute œuvre donne naissance à des interprétations diverses : Frédéric Jacques Temple ne déclare-t-il pas : " Je crois que ce qui fait l'authenticité d'une œuvre littéraire, c'est justement que la multiplicité des interprétations, selon les personnes et les époques, ne l'épuise pas. Bien sûr, l'œuvre critique en apprend souvent davantage sur les obsessions de son auteur que sur son référent et quand elle est de qualité, eh bien, elle en apprend autant ! " (p 66).  Belle façon de botter en touche après avoir déclaré, en réponse à ce qu'affirme Jacqueline Assaël présentant son essai ("Cette réaction est sans doute caractéristique du zèle d'une néophyte qui n'envisage pas de prendre l'habitude de supporter, sans mot dire, les manifestations d'un mépris de la foi dans les productions intellectuelles et qui ne veut pas donner l'impression d'admettre comme une évidence et sans discussion le bien-fondé d'une idéologie matérialiste" [p 63]) : "J'étais effectivement très surpris que vous ayez privilégié ce dont les critiques ou les commentateurs ne se sont pas souciés jusqu'à aujourd'hui, c'est à dire mes rapports à Dieu. Mais je n'ai jamais nié son existence, ne serait-ce que par prudence ! " (p 64). Que penser de cette prudence ? Et que met-on sous le vocable de Dieu ?

Dans la première partie de son essai, Jacqueline Assaël pose comme un postulat l'existence de Dieu. Et partant de là, elle (re)lit l'œuvre de Frédéric Jacques Temple et force parfois le trait ou se fait violence (ah, le zèle du néophyte !) pour prouver que l'œuvre correspond à ses a priori. D'où cette impression de malaise que j'ai éprouvée à la lecture. En effet, nous dit-elle, l'aurochs "renvoie à l'image massive et animale d'une créature proche du taureau, sombre divinité des manades, et à celle du bœuf de la crèche (3), réchauffant du souffle de ses naseaux et de la proximité de son poids de chair la nouvelle étincelle de la vie" (p 21). Et pourquoi pas, au lieu du bœuf de la crèche, le taureau présent dans la pensée religieuse des Sumériens, des Babyloniens, de l'Inde aryenne et védique, de la Crète, de la Grèce et de Rome ? Comment comprendre cet archétype qui court de l'Antiquité (voire de la Préhistoire avec ses figures pariétales) jusqu'à Frédéric Jacques Temple ? Jacqueline Assaël ne répond pas à ces questions.

    Pour autant, la seconde partie (qui ne met pas en évidence ses préférences idéologiques) est une bonne introduction à l'œuvre de Frédéric Jacques Temple. J'ai ainsi, en particulier, apprécié l'approche du poète en collectionneur qui conserve (et préserve donc de l'oubli) les mots renvoyant à ce qui est en passe d'être oublié, comme les êtres vivants qui n'ont pour seules traces que des fossiles. On est alors en plein dans une option matérialiste, me semble-t-il… Mais que le dieu de Jacqueline Assaël me garde de lancer l'anathème sur son essai : ce dernier donne envie de lire les livres de Frédéric Jacques Temple !

Notes :

1. Paul Claudel, Préface aux Poèmes de Rimbaud. Le livre de poche n° 498, Gallimard, 1960. 

2. Aragon, in Une Saison en Enfer d'Arthur Rimbaud. Le Temps des Cerises (collection Les Lettres françaises), Paris, 2011. page 9. Voir mon article sur internet dans "revue-texture", janvier 2012. 

3. C'est nous qui soulignons… (NDLA).

Présentation de l’auteur

Frédéric Jacques Temple

Frédéric Jacques Temple est né en 1921 à Montpellier. c'est un écrivain et poète français. Son œuvre comprend des poèmes, des romans, des récits de voyage et des essais. On lui doit également des traductions de l'anglais.

Poèmes choisis

Autres lectures

Frédéric Jacques TEMPLE, Poèmes en Archipel

Vivre d’abord Belle initiative du poète et éditeur Habib Tengour de publier, dans la collection Poèmes du Monde qu’il dirige aux éditions APIC à Alger, une nouvelle anthologie de poèmes de Frédéric Jacques [...]




Frédéric Jacques TEMPLE, Poèmes en Archipel

Vivre d’abord

Belle initiative du poète et éditeur Habib Tengour de publier, dans la collection Poèmes du Monde qu’il dirige aux éditions APIC à Alger, une nouvelle anthologie de poèmes de Frédéric Jacques Temple, Poèmes en Archipel.

Frédéric Jacques Temple, figure majeure de notre temps, a fêté cet été ses quatre- vingt-dix- huit ans, et vit dans l’incessant renouveau de la création poétique.

En l’an nonante de mon âge 
l’hiver est encore un printemps. 
Depuis que je suis vivant
le soleil est toujours levant.
Que roule ma barque longtemps 
avant que ma vie ne naufrage.

Poèmes en Archipel regroupe des poèmes écrits au fil du temps, publiés dans différents recueils, entre 1968 et 2017, et dont la recomposition en cinq grandes sections constitue « l’archipel » poétique au sens que René Char donnait à son propre recueil « La parole en archipel » : un ensemble d’îles de textes, isolées et indépendantes, que la mise à proximité éclaire d’un nouveau sens. L’anthologie personnelle de Frédéric Jacques Temple, parue en 1990 chez Actes Sud, adoptait, elle, l’organisation chronologique, qui était aussi celle du « nostos », le retour du grand voyageur à ses sources et ses racines.

Frédéric Jacques TEMPLE, Poèmes en Archipel, Editions APIC (2019), Collection Poèmes du Monde dirigée par HABIB TENGOUR Avec une lettre-préface de Frédéric Jacques Temple et Sept questions à Frédéric Jacques Temple.

Ici, l’image de l’archipel, image marine, renvoie à une image céleste. La très belle lettre-préface de Frédéric Jacques Temple le précise : « Ces poèmes sont des témoins, des musiques, des traces, de ma présence sur terre sous l’immense archipel des étoiles ».

L’ouvrage nous invite à la relecture de l’œuvre selon un parcours nouveau, incluant des textes extraits de récentes parutions (2017, Dans l’erre des vents, éditions Bruno Doucey), et nous fait « visiter la vie » de l’auteur. Ainsi s’organise une autobiographie en poésie très émouvante, car y apparaît en filigrane la leçon retirée de toute une vie.

Poèmes de l’intranquillité, Poèmes de l’ailleurs, Poèmes de l’intime, Poèmes du pays natal, poèmes au cœur du monde... Cet ordonnancement trace la carte des grands thèmes : tourments de l’existence, voyages initiatiques, célébration des paysages, des éléments, amours – celui de la vie en premier lieu, paradis de l’enfance, réflexions mûries au cœur du monde au retour du monde entier. Dans cette nouvelle composition sont confrontés et mis en perspective des poèmes de tous les âges de la vie, rendant évidentes évolution et permanence.

 

Si vous tentez de savoir ce que je suis, je ne puis que conseiller d’interroger les poèmes qui, au fil du temps, ont formé mon journal de route.

 

Les choix opérés dans l’œuvre pour constituer cette anthologie dessinent l’autoportrait du poète et replacent le lecteur au cœur de cet univers et de cette expérience humaine transmise par la voix inégalable de la poésie.

 

J’ai ouvert les portes du monde pour l’aventure d’y vivre et l’y découvrir enfin.

 

Temple sait depuis toujours ce qu’est le rapport harmonieux et passionné entre l’homme et la nature. Le mot « écologie » est beaucoup trop galvaudé pour dire ce rapport. Enfant de Henry David Thoreau et de Blaise Cendrars, dont les ombres planent sur ce recueil comme sur toute l’œuvre, Temple célèbre cette osmose. Il ditsa chance d’avoir connu un monde aujourd’hui révolu, un état de la Terre où l’on pouvait éprouver dans son corps et son esprit les noces de l’homme et de la Nature.

Lourd de la nostalgie

Des anciens vagabondages
J’erre parmi les ronciers

Dans le sillage des couleuvres
  Abreuvées de rêves solaires

 

Imaginez des soirs furtifs comme des palombes, des aubes de moire, des envols de velours, des crissements. Imaginez dans le miroir des eaux glacées, des visages de jeunes femmes qui prennent aux heures leurs teintes : nacre, lavande, ou givre. Plus loin, au-delà des collines, au terme des rivières où s’éteignent les échos des bergeries, commence la frairie des oiseaux marins. Les fumées s’appuient aux herbes sur les grèves, sous le plafond des vents. Sans défaillance, la mer dévore et renaît. La nostalgie toujours prête au festin, porte des mots d’adieu, à tout jamais désespérés, sur les vagues du large. Telle est la joie, douloureuse, l’enivrante blessure.

Bonheur de retrouver dans ce recueil l’un des textes les plus importants de l’œuvre de Temple, « Un long voyage », épopée intime du retour aux sources, Anabase personnelle. Le paradis vécu dans l’enfance –amour des siens, beauté du monde, « sentiment du monde » -, a construit l’homme, forgé le poète, lui a donné pour toute la vie, comme des dons au sens magique, vigueur et appétit de vivre, amour passionné de la nature.

 

Ce fut un très ancien voyage sur des plateaux immobiles... 
Déjà les grives semaient l’automne,
Mais voici que naissaient dans les coulées de pierres blanches 
Les bourgeons de mon enfance
En toi resurgie. 
(....)
Cela venait avec l’amère pluie,
Cela germait des premiers âges
Les doux vagissements, les nuits de lait, les maternes onctions, 
Les langues de quiétude et les mots souverains,
Cela venait, de miel et d’onguents.

 

Le poète, « celui qui nomme », sait tout nommer : oiseaux, arbres, plantes, fleurs, bêtes, pierres... Il a de la nature une connaissance à la fois sensuelle, instinctive, et savante. Il connaît le nom et le destin de chaque chose. Sa passion pour ce qu’il appelle « l’Histoire Naturelle », merveilleuse appellation gardée de Buffon, est connue. Cette passion lui permet de goûter à toutes les sources de plaisir dont terre et mers regorgent, de ressentir et de transmettre toutes les sensations qui permettent à l’homme d’éprouver vraiment, car avec ses sens, la vie. L’homme est connaissance et sensations en action conjuguée. Une poésie revendiquée de la célébration et du chant, où « le rythme et la mélodie » sont essentiels, où les mots « ont une chair et une saveur ».

 

Les bruits sont nés dans les cendres du thym : 
Ongles, silex, insectes, râpes. Lune, 
D’absinthe enivre le blaireau,
Vin noir, baptise d’or le sommeil des cyprès. 
Viennent la flûte et ses crapauds,
Les tambourins et les crécelles, Griffes, velours, ailes, ciseaux, 
En moi la nuit, blanche baleine.

 

Instants est constitué de strophes où le rythme et les sons, vérité de la poésie, donnent à éprouver l’évocation :

 

Furtive
  une plume
tombe
  d’un nid
là-haut 
  dans le
grand
  arbre
Je pense.

 

Un souffle épique passe sur ces poèmes. Saluant de manière claire Homère ou Virgile, auxquels la puissance de l’écriture semble redevable, Temple écrit le chant épique de son Amérique mythique, celle des grands espaces, des peuples libres et fiers, de « l’âge humain de l’Amérique », dans l’admirable Via air mail, dédié au peintre Arthur Secunda, qui termine le recueil. Arma virumque cano... je chante rouge la mort de Sitting Bull, je chante Alvar Nuñez Cabeza de Vaca, je chante le rude laboureur Abraham Lincoln... Publié pour la première fois en 1969, ce poème, repris dans l’Anthologie personnelle de 1989 (Actes Sud), reste dans l’œuvre du poète un texte d’une essentielle actualité.

Ce recueil est le témoignage d’une présence au monde intense, à partager par la grâce de la poésie.

 

Soleil
toi
rouge-cœur
je t’aime

 

 

Présentation de l’auteur

Frédéric Jacques Temple

Frédéric Jacques Temple est né en 1921 à Montpellier. c'est un écrivain et poète français. Son œuvre comprend des poèmes, des romans, des récits de voyage et des essais. On lui doit également des traductions de l'anglais.

Poèmes choisis

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Frédéric Jacques TEMPLE, Poèmes en Archipel

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