Gérard Le Goff, Les chercheurs d’or, Hommages « à la manière de »
Les motivations du pasticheur sont diverses, et, reconnaissons-le, parfois suspectes. La mimesis, étape indispensable à la formation d’un style, n’évite pas toujours une certaine forme de sarcasme. En leur temps les pastiches de Müller et Reboux, qui connurent un grand succès, ne ménagèrent pas leurs modèles. Peut-être les deux complices jubilèrent-ils d’une joie mauvaise à l’idée de faire déchoir les vaches sacrées de leur piédestal – révélant ainsi la cruelle jalousie qui les dévorait. Même ceux d’un écrivain délicat comme Marcel Proust font sentir une certaine irrévérence. Pasticher n’est-ce pas une manière de tuer le père, de montrer qu’on en maîtrise désormais toutes les recettes et que on peut les reproduire ?
Rien de tel pourtant dans l’ouvrage de Gérard Le Goff, le pastiche est chez lui un hommage, une reconnaissance de dettes signée par un honnête homme. « Hommages personnalisés, certes, que j’ose croire sincères », mais qu’il nous autorise à considérer comme de « simples amusettes ». Cette sincérité légère le lave-t-il de tout soupçon ? Oui, car c’est l’or de la poésie qu’il recherche.
Pour en avoir le cœur net, caressons avec Gérard Le Goff le chat de Charles, qui ronronne et s’étire avec une sensualité que l’on reconnaîtra sans difficulté :
Le chat frémit sous la caresse ensorcelante
Que lui prodigue le poète à la main nonchalante
Quand l’autre dicte avec rage au vélin sa beauté
Gérard Le Goff y fait entendre sa familiarité profonde avec les poètes, et si l’on devine de la malice, c’est sans doute pour faire un aveu : je joue à faire comme, mais vous entendez bien que c’est moi, et pas Baudelaire ou Hugo qui parle. Il s’agira de jouer au chat et à la souris, jusque dans les salles néogothiques d’un Château d’Argam, ou dans ces pages très réussies où Gérard Le Goff revisite de manière magistrale les chants de « mal d’aurore ».
Gérard Le Goff, Les chercheurs d’or, Hommages « à la manière de », Éditions Stellamaris, 2023, 20 euros.
Telle est sans doute l’intention de Gérard Le Goff, ne pas totalement s’effacer dans « la manière », pour dévoiler, dans le geste qui imite, la griffe du pastiché. Son intelligence des classiques, patiemment pratiqués et assimilés, est telle qu’ils sont pour lui une forge de l’écriture. Et dans cette forge, on retrouve, parmi les plus grands, l’ouvrier Victor :
J’aime les calmes tombées du jour, les vêpres du monde,
Le ciel verse une lumière dont la blondeur inonde
Le marbre des temples et le pisé.
Sans doute, ici, le non respect des règles de la métrique est une manière de faire mieux entendre comment se distingue le style de l’écrivain imité. L’or se découvre dans les irrégularités du terrain, à travers de petits dérèglements bien orchestrés.
Après le chat de Charles, on croisera également les estaminets de Paul.
Dans les miroirs du café, la nuit
Désordonne les avenues lointaines,
Appelle les élégantes riveraines
A venir au plus loin de la pluie
Ou encore Stéphane, sur un pied plutôt burlesque :
Par la brune sorcière de son donjon minéral,
Abomination auréolée de choucas,
Car le recueilles, si loin du sacre inaugural
Gérard Le Goff nous rappelle que le procédé du pastiche, ou même du découpage, est une ruse, c’est-à-dire la forme la plus malicieuse de l’hommage. L’auteur raconte comment Cendrars enfournait dans ses propres poèmes des extraits conséquents de Gustave Le Rouge, sans même les assimiler par le suc de la digestion.
Sans doute l’intérêt du livre de Gérard Le Goff est-il de montrer que la poésie est faite autant d’originalité que de reprise, de détournement, de transvasements, de clins d’œils, comme l’ont bien montré les pratiques des Surréalistes. La reprise du geste, la trituration, pouvant faire jaillir l’or de la poésie, selon le vœu de Lautréamont, grand parodiste lui aussi, qui voulait que la poésie soit faite par tous, non pas un.
Avec l’hommage à « Barbara » de Prévert, il semble même que l’imitation dépasse le modèle ; on appréciera aussi les amusantes et instructives interviews imaginaires d’Aragon, de Char, ou même de Bonnefoy.
Dans son livre, Gérard Le Goff interroge le labeur poétique, côté cuisine. Ce n’est pas déshonorant, car cette cuisine rejoint l’alchimie. On y produit de l’or.
La couverture du livre édité aux éditions Stellamaris reproduit un motif de la tombe de d’André Breton, au cimetière des Batignolles, où l’on peut lire également la devise : je cherche l’or du temps.