Grégory Rateau, Le Pays incertain

Grégory Rateau : du doute à la permissivité

A la recherche du fil de des­tin, Gre­gory Rateau reçoit ou cueille tout ce qui lui tombe des­sus. Reste à sa poé­sie de le trans­fi­gu­rer — du moins le regard qu’on porte là-dessus. Dans ce livre, comme tou­jours, un tel auteur est Le révolté. Il demeure celui qui tient dans les cou­loirs (par­fois cras­seux) du monde. Surjoue-t-il ses pos­tures ? Non ! Il nous appelle à la « confré­rie par défaut » de ceux qui logent au sein même de leur détresse.

Mais après tout c’est se refaire une santé ou presque. Même si les pierres nous tombent sur la tête. Mais — et comme le rap­pelle Pré­vel en exergue de ce livre — elles peuvent retom­ber « à mes pieds avec un bruit sans écho. Mais je les garde avec la terre qui leur ser­vir d’empreinte ». Pas de Ouille ! donc. Mais du sang existe entre la pierre et le sel de la terre même si la lapi­da­tion n’est pas un rite absolu. Quoiqu’ ici ou ailleurs “les sans-amis” habi­tuels sont tous là, réunis en arc de cercle, moins comme bour­reaux que victimes.
Cha­cun peut néan­moins libé­rer sa tête, lâcher non sa colère mais celle des plus nom­breux qui s’en prennent à leurs mères voire à « une chaus­sette dépa­reillée alors qu’il n’y a plus rien à accor­der. » ans tous les cas, la jus­tice est (mal) faite. C’est l’Onguent du Tigre des sages et des fous join­toyés plus par leurs vices que leur rai­son instinctive.
Mais Gre­gory Rateau fait ale plus beau des ménages. Avouant qu’il « a œuvré en sous-main, d’où puis-je me dres­ser à pré­sent ? », ce paria de nais­sance, affirme que « mon iso­le­ment serait voulu et non un dû ». Il rap­pelle néan­moins  que la ten­dance des socié­tés est de sou­mettre les outils du sym­bo­lique à la domi­na­tion de la quan­tité et du chiffre qui ne manque jamais de reprendre le dessus.

Grégory Rateau, Le Pays incertain, La rumeur libre, 2024.

De plus, la poé­sie per­dant peu à peu la puis­sance qu’on lui avait momen­ta­né­ment recon­nue, tout auteur s’est tel­le­ment éloi­gné, coupé de la vie ordi­naire. Il a de plus en plus de mal à com­prendre sa vraie fonc­tion. Le poète clas­sique, dans ces condi­tions, ne peut évi­dem­ment pas tra­vailler la matière de la société entière. Il est exclu de son usage poli­tique et peut être uti­lisé à des fins contraires à son rôle véritable.
Mais Rateau fait émer­ger la notion de poé­sie brute, celle des inadap­tés. Il évoque le rôle des cha­mans dans de nom­breuses civi­li­sa­tions dites «pre­mières». Il sait plus sur notre huma­nité, ou du moins peut nous en dire plus. Grâce à lui nous n’avons pas encore tout à fait perdu l’idée de la néces­sité vitale de l’altérité, de la ren­contre, de l’étonnement, voire du bouleversement.
Face à la machine ultra­li­bé­rale, l’auteur retrouve des traces de cette néces­sité por­tée par la poé­sie qui résiste à la déshu­ma­ni­sa­tion géné­rale. Reste donc pour lui moins à mimer ses départs, qu’inventer de nou­veaux repères en sortes de poèmes-prophéties indi­gos. Quitte à ce qu’il s’accroche le souffle par­fois lui manque. Mais il en pos­sède  beau­coup dans cette poé­sie aussi hors-normes que les « Can­tos Pisans » de Pound.  Certes pour les deux auteurs — aujourd’hui comme hier — l’apocalypse veille. Mais de vrais poètes res­tent de retour. Urbains ils connaissent nos cités de la peur. Mais après tout la poé­sie devient la piqûre non de rap­pel mais « du baptême ».
Dans le glauque, le chaos et le cloaque quelque chose mal­gré tout se passe. Gre­gory Rateau sans cher­cher du négo­ciable tranche même jusqu’aux pierres. C’est pour­quoi il y a dans un tel livre du “Momo” –enten­dons Artaud aka « Arto ». Comme lui il assume sa dette de sale gosse et sa force d’enragé. Nous pou­vons aisé­ment lui par­don­ner. D’autant qu’un tel livre devient notre bré­viaire, ivre de tous les saints( de Valen­tin à Glin­glin) et sur­tout  Dieu him­self. Dès lors espé­rons  qu’au “pays incer­tain” jaillisse le pays où tout est per­mis. Rateau l’édifie en ordre divin.

Présentation de l’auteur

Grégory Rateau

Grégory Rateau débute en 2007 comme réalisateur et scénariste. Il obtient un Master 2 Pro en cinéma à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne où il réalise un documentaire produit par Le musée du Louvre et les Films d'ici.

Bibliographie

Récit et roman

  • Grégory Rateau, Hors-piste en Roumanie : Récit du promeneur, L'Harmattan, 2016, 208 p. Ouvrage traduit en roumain en 2020 sous le titre Hoinar prin România. Jurnalul unui călător francez (Editura Polirom).
  • Grégory Rateau, Noir de Soleil, éditions Maurice Nadeau, coll. « Lettres Nouvelles », 2020, 174 p.

Poésie

  • Conspiration du réel, recueil de poésie édité aux Editions Unicité, 2022, 82 p, 15 cm × 21 cm, préface de Catherine Dutigny.
  • Nemo, avec Jacques Cauda (poèmes/illustrations) édité à RAZ éditions, 2022, 38 pages.
  • Imprécations nocturnes, éditions Conspiration, 2022, 80 p, 10 cm x 15 cm, préface de Jean-Louis Kuffer.
  • Pour qui parle le poète?, hors-série entièrement consacré à la poésie de Grégory Rateau aux Editions La Page blanche, 2023, 45 p.
  • De mon sous-sol, éditions Tarmac, 2024.
  • Le pays incertain, La Rumeur Libre éditions, 2024, 64 p, 141 cm x 192 cm, préface de Alain Roussel.

Anthologies et ouvrages collectifs

  • « La sieste et autres poèmes », dans Revue A no 11, MARSA Publications, p. 141-150, juin-septembre 2021, 212 p.
  • Revue Points et contrepoints no 2 : Joyce Mansour, Poèmes de Grégory Rateau, éditée par Editions d'Encre Ardente, p. 35 à p. 40, Hiver-Printemps 2021-2022, 91 p.
  • Anthologie Le désir, Poème "Beyrouth by night" de Grégory Rateau, éditée par Scudo Editions, la Maison de la poésie en Corse et Le Printemps des poètes 2021, p. 92-93, janvier 2022.
  • Revue ARPA 137-138, poèmes de Grégory Rateau, octobre 2022, numéro double.
  • Place de la Sorbonne (revue de poésie) no 12, poèmes de Grégory Rateau avec une analyse de son travail par le poète Laurent Fourcaut, 2023, 364 p.
  • Anthologie Ces instants de grâce dans l'éternité, Editions Le Castor astral, textes réunis par Jean-Yves Reuzeau autour de 116 poètes sur le thème de la Grâce du Le Printemps des poètes 2024, 499 p. 
  • Anthologie Génération manifeste, Editions Manifeste, 9 auteurs de la nouvelle scène contemporaine 2024, 120 pages.

Préface

  • Pourquoi écrire ? Préface du recueil posthume de Gérard Lemaire, édité aux Editions Unicité, 2023.
  • La lumière plus intense. Préface de Grégory Rateau au recueil de Thibault Biscarrat, édité par Le Nouvel Athanor, 2023, 106 p.
  • Ensauvagement. Préface de Grégory Rateau au recueil de Vincent Calvet, édité par Les éditions Rafael de Surtis44 , 2024, 12 x 19 cm, 90 p.

Cinéma

  • 2007 : Les Larmes blanches, réalisateur (court-métrage).
  • 2008 : L'Empreinte des lieux, réalisateur (court-métrage).
  • 2013 : Ziad, court-métrage coréalisé et coécrit avec Sarah Taher.

Nominations, sélections - Prix et Distinctions

  • Au Festival du court-métrage méditerranéen de Tanger 2013 : compétition internationale pour Ziad.
  • Au Malmo Arab Film Festival 2013 : compétition internationale pour Ziad.
  • Au Festival du film libanais 2014 : sélection pour Ziad.
  • À la 9e édition du Festival international du film oriental de Genève (FIFOG 2014) pour Ziad.
  • Sélectionné au Prix France-Liban 2020 pour son roman Noir de soleil publié chez Éditions Maurice Nadeau.
  • Sélectionné au Prix de la Maison de la poésie en Corse et du Le Printemps des poètes 2021 pour son poème Beyrouth by nigh.
  • Le prix francophone de Poésie Amélie-Murat lui est attribué en 2023 pour son recueil "Imprécations Nocturnes", aux Éditions Conspirations.
  • Le Prix Renée-Vivien de poésie lui est attribué en 2023 pour son recueil "Imprécations Nocturnes" chez Conspiration éditions
  • Sélectionné pour "Imprécations Nocturnes" au prix Robert Ganzo 2024 du Festival Étonnants Voyageurs (président Alain Borer).
  • Prix de la Maison de poésie - Rimbaud 2024.

Poèmes choisis

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