Gustave Roud, Œuvres complètes

Un coffret de 4 volumes, 5120 pages, 88 photos couleurs et de très nombreuses illustrations en noir et blanc (car Gustave Roud était aussi photographe). Les œuvres complètes du grand poète suisse, décédé en 1976, sont publiées sous la direction de Claire Jacquier et Daniel Magetti par les éditions Zoé.

Une heureuse initiative permettant de regrouper ses œuvres poétiques (dix recueils de poésie entre 1927 et 1972), ses traductions (notamment de Novalis, Holderlin, Rilke, Trakl…), son journal (1916-1976) ainsi que les articles ou études critiques que Roud a consacrés, tout au long de sa vie, à des poètes, écrivains ou peintres et qui ont été publiés par des journaux ou revues suisses.

« Gustave Roud regarde la nature à l’œil nu et la nature ne le distrait pas », disait de lui Jean Paulhan en 1957. Ce marcheur impénitent, parcourant sans relâche les champs et les collines du Haut-Jorat (au nord-est de Lausanne, dans le canton de Vaud), est l’auteur d’une prose lyrique envoûtante qui témoignera, de bout en bout, de sa relation intime avec le vivant et l’élémentaire : les fleurs, les arbres, les oiseaux, les étangs, les rivières… au cœur d’un monde rural que la modernité n’a pas épargné : « Des vergers aux forêts, tout un cloisonnement de haies, jadis, donnait refuge aux oiseaux. Où trouvent-ils retraite, maintenant qu’un immense espace nu rayé de jeune blé, taché d’orge laineuse, unit les villages épars ? », écrivait-il le 18 décembre 1941 dans la revue L’illustré.

Le poète allie deux perceptions de la vie et du monde. D’une part un sentiment aigu de la précarité de nos existences, de la mort, de la disparition (à l’image de cette civilisation paysanne qui brille de ses derniers feux). D’autre part, le sentiment de la beauté du monde et de la présence, autour de nous, de miettes de paradis. Gustave Roud  avait, en effet, repris à son compte la fameuse injonction de Novalis : « Le paradis est dispersé sur toute la terre et nous ne le reconnaissons plus, il faut en réunir les traits épars ». 

Gustave Roud,  Œuvres complètes, éditions Zoe, 5120 pages, 85 euros, 90 CHF.             

Au cœur de son entreprise poétique, il y a, fondamentalement, cette quête de signes et de messages qui lui donnent la certitude d’un accès au paradis. « A la fois chant du monde et méditation sur la fin de la ruralité traditionnelle, la poésie de Roud apparaît aujourd’hui comme précurseur des écritures contemporaines qui tentent de renouer le lien défait entre l’humain, son habitat terrestre et les vies qui le peuplent », n’hésitent pas affirmer les instigateurs de la publication de ses œuvres complètes.

Ce regard « familier » sur les disparus, mais aussi cet appétit pour le « dehors », pour la nature dans ses expressions les plus diverses, on le trouve en permanence chez Roud. « Merveille de pureté cette matinée où j’avance à travers les prairies multicolores, les ombres fraîches, les feuillages (…) les fleurs se tendent vers moi comme des corps affamés de tendresse », note-t-il dans Essai pour un paradis (1932). Dans son livre Requiem (1967) où il évoque la mort de sa mère et le deuil, le poète écrit : « Je pose un pas toujours plus lent dans le sentier des signes qu’un seul frémissement de feuilles effarouche. J’apprivoise les plus furtives présences ».

S’il a vécu solitaire, Gustave Roud a su multiplier les rencontres en allant à la découverte des œuvres des autres. Qu’il s’agisse d’auteurs dont il cultivait l’amitié (Jaccottet, Chessex…) ou d’artistes dont il a parlé avec  bonheur. « En cherchant à cerner le rapport particulier que les artistes abordés entretiennent avec le monde, l’auteur questionne sa propre position et, à travers ces cas spécifiques, il médite sur le processus créatif en général. Rendre compte d’expériences esthétiques nourrit la démarche du poète et l’exercice de la poésie infléchit en retour son regard sur les œuvres d’autrui », note Bruno Pellegrino dans la présentation des hommages, articles et études critiques que Roud a consacrés à des poètes, à des écrivains et des peintres.

Plus de 45 ans après la mort du poète, ce coffret des œuvres complètes (dans une édition critique) est là pour nous rappeler la place majeure tenue par Gustave Roud dans la vie culturelle de son époque. Elle justice à un œuvre lyrique majeure dans la poésie francophone du XXe siècle.

 

 

Présentation de l’auteur

Gustave Roud

Gustave Roud est un poète et un photographe suisse romand né le 20 avril 1897 à Saint-Légier en canton de Vaud et mort le 10 novembre 1976 à l'hôpital de Moudon. Il a entretenu de nombreuses amitiés avec des artistes, des poètes, des hommes de lettres: Charles Ferdinand Ramuz, Ernest Ansermet et René Auberjonois

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

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Gustave Roud, Œuvres complètes

Un coffret de 4 volumes, 5120 pages, 88 photos couleurs et de très nombreuses illustrations en noir et blanc (car Gustave Roud était aussi photographe). Les œuvres complètes du grand poète suisse, décédé [...]




Chronique du veilleur (48) : Gustave Roud

Les œuvres complètes de Gustave Roud paraissent enfin aux éditions Zoé, en 4 volumes réunissant les 10 livres d'oeuvres poétiques, les traductions, le journal et tous les textes de critique. Les français vont-ils enfin découvrir un de nos plus grands écrivains lyriques du XX ème siècle ?

Depuis longtemps, Gustave Roud est honoré à sa juste dimension dans son pays, la Suisse romande. Né en 1897, il est très vite devenu un acteur culturel helvétique majeur. Installé avec ses parents dans une ferme de Carrouge, il n'a jamais quitté sa maison, arpentant la contrée, participant aux travaux des champs, photographiant ses amis paysans. Dès 1915, ses premiers poèmes ont dit son incurable solitude. « Je serai celui qui va seul au crépuscule / seul -en pleurant, par les routes du crépuscule... » « Seul à tout jamais », dans la souffrance d'une homosexualité impossible à vivre pleinement.

Mais cette solitude, nous dit-il, lui « rendait le monde ». Adieu, le premier livre paru en 1927, célébrait avec une ferveur intense, les villages, les champs, les paysages du Haut Jorat, où chaque marche lui offrait de goûter une véritable communion. Les notes, consignées au fil des promenades et des saisons dans de petits carnets, recopiées dans le Journal (1916-1976), reprises souvent dans les livres achevés, regorgent de sursauts, de rencontres, d'admirations. Et c'est d'abord avec la terre et les plantes que se passe la communion :

Aux haltes, meilleure que l'herbe fraîche à nos pieds en sang, plus douce que l'ombre où l'on s'allonge, nous buvions la couleur des feuillages, comme iune gorgée d'eau ce vert profond (…) Communion, échange, mots insuffisants, c'est incorporation qu'il faudrait dire... (Feuillets)

Gustave Roud, Oeuvres complètes, Editions ZOE, 4 volumes, 5056 pages, 85 euros.

Les corps des jeunes paysans s'accordent au paysage contemplé. Le Journal abonde en désirs inassouvis et en tentations. Le désir est comme transcendé par « l'innocence sublime parce qu'éternelle » que Roud perçoit en chacun. Pour un moissonneur, en 1941, célèbre « les moissonneurs pris dans leur toile blanche comme de grands anges maladroits :

Tu ne disais rien, les lèvres seulement entrouvertes sous le dur crin d'or, une main dans la mienne, l'autre enroulée au manche de ta faux. 

Le poète est ainsi hanté par ces présences frôlées, ces témoins d'un « Paradis dispersé » selon la vision de Novalis, que Roud étudiait et traduisait. Ces présences devenues avec le temps de doux fantômes, dont la vie n'est pas moins proche et sensible :

                  Où es-tu ?

                   Est-ce que tu ne peux plus entendre ce cri ? Est-ce que tu ne peux me dire si tu respires encore, si ton cœur bat, si cette épaule où poser ma main, une seule fois encore, m'est refusée ?

                  Le jour où je n'en pourrai plus d'attendre, je retournerai vers l'oiseau et cette fois, je l'appellerai comme ce soir je t'appelle. Son cœur est plein de pitié (…) Il m'écoutera. Il écoute ce que les morts lui disent, toutes les paroles des voix sans lèvres. Il porte aux vivants les messages des morts. Il écoutera tout ce que je pourrai lui dire et il s'envolera vers toi. 

Ce sont des instants d'éternité que saisit Gustave Roud, il accède alors, par eux, à une « vie profonde et pure », grâce à l'intercession de ceux qu'il désire. Il les réunit tous en quelque sorte sous le nom d'Aimé, à la fois « homme de chair » et créature « d'une transparence de cristal. » Ils appartiennent à  un monde voué à la disparition, à une Campagne perdue, comme l'évoque le dernier livre paru en 1972, 4 ans avant la mort de Roud. C'était un monde de lenteur et de cadences paisibles, où le poète avait le sentiment de toucher là à la « vraie vie ».

Monde défunt, que le regard intérieur, aidé par la mémoire, retient dans ce qu'il a d'essentiel et d'éternel. Rien n'est perdu, quand la Poésie vient sauver l'éphémère, l'instant suprême qu'un certain état extrême de l'âme et du corps a pu connaître. C'est là toute la foi « terrestre » de Gustave Roud, qui nous confie dans Requiem, son livre le plus composé (1967), le plus émouvant sans doute :

Oui, j'ai été cet homme traversé. Les doigts noués au mince tronc d'un frêne adolescent (j'en sens encore la lisse fraîcheur à mes paumes), j'ai soutenu de tout mon corps l'irruption de l'éternel, j'ai subi l'assaut de l'ineffable, j'ai vu la vraie lumière, la même, baigner toutes ces choses périssables autour de moi, leur infuser une splendeur de symphonie. 

Présentation de l’auteur

Gustave Roud

Gustave Roud est un poète et un photographe suisse romand né le 20 avril 1897 à Saint-Légier en canton de Vaud et mort le 10 novembre 1976 à l'hôpital de Moudon. Il a entretenu de nombreuses amitiés avec des artistes, des poètes, des hommes de lettres: Charles Ferdinand Ramuz, Ernest Ansermet et René Auberjonois

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

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Le « roman » du poète Gustave Roud

Gustave et Madeleine. Frère et sœur. Tous deux célibataires. Ils vivent à la sortie d’un village dans une maison dont la façade est couverte de vigne-vierge. Nous sommes autour des années 1960, avant la grande révolution agricole qui transformera les campagnes. Gustave, c’est Gustave Roud, le grand poète suisse (1897-1976). Madeleine, sa sœur, a quatre ans de plus que lui.

  

En décidant d’écrire le « roman » des dernières années de Gustave Roud et de sa sœur, le jeune écrivain suisse Bruno Pellegrino (né en 1998) prenait énormément de risques. Comment « romancer » la vie d’un si grand poète ? Comme s’inspirer librement de certains épisodes de sa vie sans trahir sa personnalité profonde ? Pour y parvenir, il faut sans doute avoir  beaucoup d’empathie pour son sujet et aussi une connaissance très fine de la vie des deux protagonistes. Bruno Pellegrino s’est notamment appuyé  sur sa propre connaissance des lieux (pour y avoir vécu lui-même), sur les correspondances et le Journal du poète ainsi que sur le contenu de Campagne perdue, livre publié par Gustave Roud en 1972. Il a aussi revisité l’émission qu’avait consacrée à Gustave Roud le réalisateur Michel Soutter pour la Télévision Suisse Romande.

 

Gustave Roud, Air de la solitude suivi de Campagne perdue, L'Age d'Homme, collection Poche Suisse, 1995, 189 pages, 10 €

Car nous sommes effectivement en Suisse romande (même si les lieux ne sont jamais nommés dans le roman) du côté du Jorat, dans le canton de Vaud, là où Gustave Roud a vécu à partir de son plus jeune âge. Précisément dans une maison du petit village de Carrouge qu’il n’a jamais quittée. Collaborateur de revues, traducteur, poète, il a vécu chichement, mais toujours dans l’éblouissement d’une contrée qu’il adorait et parcourait inlassablement à pied, muni de son carnet de notes et de son appareil photo.

Lorsqu’il a  quitté la maison, la brume d’aube qui festonnait les prés ne s’était pas encore dissipée. La vieille sacoche à l’épaule, comme un colporteur, il a marché toute la matinée d’un pas régulier, les jambes fortes, la nuque voûtée, le regard sur la route où penchaient des lotiers mal en point.

 

 

Gustave Roud, Feuillets, Lausanne, Editions Nemrod, 1920 ; frontispice et page de titre avec un porttrait de Gustave Roud par rené Auberjonois, Fonds Gustave Roud.

 

Le romancier nous parle, ici, de l’automne 1964. Il nous montre, au fil des pages, un poète en quête de « morceaux de paradis épars » (Novalis) dans les molles collines du Jorat, au contact de ses amis moissonneurs qu’il se plaisait à photographier de préférence torse nu (révélant  au passage une homosexualité profondément ressentie mais jamais nommée).

Des échos de la vie du monde parviennent, assourdis, aux oreilles de Gustave et Madeleine par les journaux, la radio et un peu la télévision. Le romancier s’attarde notamment, dans son récit, sur quelques grands épisodes de la conquête de l’espace (dont la première marche sur la lune), un sujet qui passionnait Madeleine.

 

Que l’on soit, ou non, attaché à l’œuvre de Gustave Roud, que l’on connaisse ou non ses écrits, il faut lire ce livre sans crainte d’y être perdu. Le romancier nous parle de la vie qu’il faut affronter chaque matin, de l’épaisseur des jours,  des saisons qui passent (comme le montre le titre du livre), de la vie domestique dans sa simplicité et sa beauté (la maison, la cuisine, le ménage, le jardin…), de l’aspiration sans cesse renouvelée de dépasser sa condition au contact d’une nature offrant des sensations toujours neuves. La place de Madeleine auprès de son frère y est soulignée avec force. Quand elle mourra (subitement) quatre ans avant lui, le poète connaîtra un profond désarroi. Ils formaient à eux deux un véritable couple. Ce que ce roman sait nous montrer avec beaucoup de sensibilité.

Là bas, août est un mois d’automne, Bruno Pellegrino, éditions Zoé, 225 pages, 17 euros