Marie-Josée Christien, Sentinelle, Guy Allix, Vassal du poème

Marie-Josée Christien, Sentinelle

Tout poète est sentinelle, veilleur, qu'il(elle) soit au bord de l'estran ou bien sur les sentiers d'un quelconque ubac, il doit au monde la clarté du regard et la transformation du silence en une forme de substance vive des mots.

Les Éditions Sauvages viennent de publier le dernier ouvrage de Marie-Josée Christien intitulé justement Sentinelle. Et qui mieux que Marie-Josée Christien, toujours en veille dans sa terre finistérienne assaillie par les tempêtes, pour incarner cette sentinelle, depuis son poste d’observation dans la revue Spered Gouez qu’elle anime. Observer les mots, les siens et ceux des autres, à travers le corps, observer le corps à travers la poésie, le silence, quand "Le corps / prend le chemin / de l'esprit".

Car Marie-Josée Christien est une autrice en veille continuelle, toujours en avance d'une perception, qui continue d'avancer vers où "l'horizon s'efface / retranché derrière son écho". Et demeure constamment à l'écoute des "Souffles du monde / portés / par le silence".

Poète "d'une sobre sagesse / aux aguets", voilà bien trois mots clés pour décrire cette autrice. Et après les aguets, passons à la sagesse et l’humilité :

Marie-Josée Christien, Sentinelle,
Les Editions Sauvages, 2021, 
54 pages, 12 €.

"Nous sommes ces atomes quantiques / captifs d'une autre légende." et la poésie ne fait qu’accélérer ces particules de langage semées à la volée. Et qui connaît Marie-Josée Christien sait qu'elle fuit les prétentieux, les arrogants imbus de leur talent...

Sa poésie ne recule pas dans l'affrontement avec les éléments, comme bon nombre de poètes bretons. Une poésie qui ne craint donc pas le vertige du silence, le "rebond de la tempête", "le silex du vent", mais aussi "l'univers à vif". En prise avec les éléments comme les îles bretonnes qui composent une "escapade insulaire" en seconde partie de l'ouvrage qui ne figurait pas dans le recueil initialement publié par Emmanuelle Le Cam aux éditions Citadel Road. Ici c'est tout naturellement qu'elle rend hommage aux phares qui, la nuit éclairent et guident les navigateurs.

En évitant le je parfois pesant des poèmes, Marie-Josée Christien fouille dans les alluvions de nos vies quand "La peur de vivre / à vif / nous habite / jusqu'à l'os". A signaler aussi, cet ouvrage d'une belle poésie est complété par des collages des plus oniriques de l'artiste Marie-Josée Christien. Un jour, la Bretagne saura ce qu'elle doit à Marie-Josée Christien...

 

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Guy Allix, Vassal du poème, Eléments pour une poétique

Les poètes ne sont-ils jamais que les vassaux du poème ? C'est en tout cas ce qu'affirme Guy Allix dans son dernier ouvrage publié aux éditions sauvages. Être au service du poème, Guy Allix le pratique depuis plus de quarante ans.

Il écrit, il lit, il a enseigné, il diffuse ses notes de lectures, il chante ses textes et ceux des autres. Et tout cela, toujours dans l'amitié et le souci du partage. Et c'est maintenant, définitivement posé en Bretagne, son pays de cœur à défaut de naissance, après toute une vie en poésie et en chanson, qu'il nous invite à réfléchir à une forme d'éthique de l'écriture, ce qu'il appelle sa poéthique.

Mais ici point de doctes préceptes, assénés à coups de grands principes péremptoires et comminatoires. Tout se passe ici dans la modestie de celui qui cherche, et non pas celui qui affirme avoir trouvé. Dans l'humilité de l'homme qui ne perd pas de vue cette destination humus qui nous attend tous et qui nous rend si fragiles. Humilité et modestie sont l'essence même de la sagesse et de la noblesse d'âme comme le courage, l'humanisme, la fraternité, la générosité. Que des mots à replacer en une de nos journaux, nos discours, nos réseaux sociaux...

Guy Allix, Vassal du poème, Les Éditions Sauvages, 2020, 124 pages, 12 €.

Guy Allix a le « courage de l'humilité » tel que l'évoquait André Comte-Sponville. Car il faut du courage pour écrire de la poésie et n'en tirer aucun bénéfice. Il faut du courage pour y affirmer son humilité face à la vanité des préoccupations matérielles, face à l'immensité des connaissances qui nous font défaut. Pour qui connaît l'homme, son humilité n'est pas feinte. Aucun orgueil ne se déguise derrière cette modestie d'un poète, injustement méconnu du public que l'on dit grand...

Cette humilité de Guy Allix se manifeste donc quand il s'affirme"vassal du poème", au service des mots. Il est de cette école des Cadou « Je ne conçois pas le poème sans un miracle d'humilité à la base. », des Christian Bobin « Les orgueilleux m'ont appris l'humilité [...] », des Jean Follain « La seule connaissance que nous apporte le poème est cette connaissance d'une impossibilité de connaissance. » Quant au soi-disant hermétisme de la poésie, Guy Allix y voit une considération liée à l'impatience des lecteurs qui veulent chercher à comprendre, quand il ne s'agit juste que de ressentir « le poème est ouvert comme un corps vers tous ses possibles de sens, dans l'infini de ses possibles », de travailler à ressentir « Car là même où il travaille la langue avec le plus d'acharnement pour découvrir du nouveau et éclairer le monde, il nous demande aussi notre effort et notre participation. C'est ce travail sur la nuit de l'âme, cette aventure aux portes de l'indicible, cette ouverture vertigineuse du poème qui éloigne et ferme le lecteur. »

Guy Allix consacre également un chapitre à la poésie pour enfants (voir ses Poèmes pour Robinson aux éditions Soc et Foc) en affirmant « Oui, la poésie pour les enfants me semble, hélas, le plus souvent la forme la plus censurée qui soit. Parce que, enfin, il ne faudrait parait-il, ne parler que de choses gaies, mignonnes. Ne jamais évoquer de choses graves et douloureuses. » Propos à relativiser cependant quand on voit la masse d'ouvrages pour enfants racontant des histoires autour de la mort...

Les figures tutélaires de Guy Allix sont Eugène Guillevic et Jean Follain. L'analyse qu'il fait de leur œuvre se focalise sur leur façon d'aborder les objets : plutôt en les montrant du doigt pour Follain, et en les touchant, les palpant, les caressant pour Guillevic. Jean Follain, poète discret et singulier cultivait sa singularité en refusant les métaphores et en s'attachant aux faits anodins.

Guy Allix nous livre donc ici une œuvre aux valeurs salutaires quand cynisme, égocentrisme, haines et théories paranoïaques sont assénés à longueur de jour sur les écrans.

Présentation de l’auteur

Marie-Josée Christien

Marie-Josée Christien, née en 1957 dans la Cornouaille morbihannaise, vit dans le Finistère à Quimper. Poète, auteur jeunesse, critique littéraire, collagiste, elle est responsable de la revue annuelle Spered Gouez / l’esprit sauvage qu’elle a fondée en 1991.
En tant que critique, elle collabore régulièrement à la revue bimestrielle
ArMen et occasionnellement au magazine numérique Unidivers. Vents d’ouest, sa chronique consacrée aux maisons d’édition, est accueillie dans la revue Interventions à Haute Voix.

Présente dans une cinquantaine d’anthologies et d’ouvrages collectifs, traduite en allemand, bulgare, espagnol, portugais et breton, elle a publié une quarantaine de livres et collaboré à des livres d’artistes.
Deux ouvrages lui sont consacrés :
La poésie pour viatique (Chiendents n°118, Editions du Petit Véhicule, 2017) et Marie-Josée Christien passagère du réel et du temps (Ed. Spered Gouez, coll. Parcours, 2020).

Pour l’ensemble de son œuvre, elle est lauréate du Prix Xavier-Grall et du Grand prix international de poésie francophone.

Site : https://mariejoseechristien.monsite-orange.fr

Egalement sur wikipédia

Bibliographie

Poésie
Affolement du sang
(préface de Jean-François Mathé, encres de André Guenoun), Al Manar, 2019
Aspect du canal, Sac à dos Editions, 2010
Constante de l’arbre, avec le photographe Yann Champeau, Les Editions Sauvages, coll. Carré de création, 2020
Conversation de l’arbre et du vent (photographies de Jean-Yves Gloaguen), coll. jeunesse A la cime des mots, Tertium éditions 2007, Tapabord, 2018, Liste de référence de l’Education Nationale
Correspondances, recueil à deux voix avec Guy Allix, Les Editions Sauvages, coll. Dialogue, 2011
Lascaux & autres sanctuaires, Jacques André Editeur, 2007
Marais secrets, en collaboration avec le photographe Yann Champeau, Les Editions Sauvages, coll. Carré de création, 2022
Les extraits du temps (préface de Guy Allix), Les Editions Sauvages, coll. Askell, 2009, Prix des Bretons de Paris
Temps morts (préface de Pierre Maubé, encres de Denis Heudré), coll. La Pensée Sauvage, Les Editions Sauvages, 2014
Quand la nuit voit le jour (photographies de Yann Champeau), coll. Jeunesse A la cime des mots, Tertium éditions, 2015

Prose
Eclats d’obscur et de lumière
(collages de Ghislaine Lejard), Les Editions Sauvages, coll. La Pensée Sauvage, 2021
Petites notes d’amertume (préface de Claire Fourier, land art de Roger Dautais), coll. La Pensée Sauvage, Les Editions Sauvages, 2014

Autres lectures

Chiendents n° 118, consacré à Marie-Josée CHRISTIEN

Marie-Josée Christien est née en 1957 à Guiscriff en Cornouaille morbihannaise. Sa poésie est très marquée par sa Bretagne natale où elle vit. "La poésie pour viatique" est bienvenue. Gérard Cléry, Guy Allix, [...]

Marie-Josée Christien, Constante de l’arbre

L’arbre est dans le vent. On l’enlace, c’est bon pour la santé. On fait une marche en forêt et tout va pour le mieux. Mais le poète  - et pas seulement les thérapeutes [...]

Marie-Josée Christien, Eclats d’obscur et de lumière

Les aphorismes de Marie-Josée Christien Faire halte, regarder le monde sans complaisance, mais aussi savoir s’émerveiller. La poétesse quimpéroise Marie-Josée Christien distille des graines de sagesse sous forme d’aphorismes ou de pensées lapidaires. [...]

Marie-Josée Christien et Yann Champeau, Marais secrets

Marais secrets Le marais est une belle matière poétique. Monde entre deux mondes (la terre et l’eau), il confine par définition au mystère au point d’être considéré, notamment du côté des Monts d’Arrée, [...]

Présentation de l’auteur

Guy Allix

Né en 1953 à Douai (59). Vit à Rouen (76). Poète, critique littéraire, auteur jeunesse, auteur-compositeur-interprète. Nombreux recueils de poésie aux éditions Rougerie, au Nouvel Athanor, aux éditions sauvages et à l'atelier de Groutel. Parmi les dernières publications : Le sang le soir (poésie)Le Nouvel Athanor, 2015. Au nom de la terre (poésie), Les éditions sauvages, 2017. En chemin avec Angèle Vannier (essai), éditions Unicité, 2018. Oser l'amour suivie de D'amour et de douleur (poésie, bibliophilie), Atelier de Groutel, 2018. Je suis... Georges Brassens, co-écrit avec Michel Baglin, Jacques André éditeur, 2019.
En préparation : Les amis, l'amour, la poésie, CD chansons et poèmes interprétés par Guy Allix, autoproduction. Vassal de la poésie, (recueil d'articles), Les éditions sauvages. 

Autres lectures




Guy Allix & Michel Baglin, Je suis… Georges Brassens, Les Copains d’abord

La collection « je suis… », dirigée par Jean-Paul Chich, donne la parole - par plume  interposée - à des figures littéraires, politiques, scientifiques… dont le nom a été attribué à un établissement scolaire – elle constitue ce que l’éditeur nomme « un Panthéon de papier » en tête de la liste des titres : presqu’une cinquantaine de noms de personnalités d’exceptions qui défendirent les valeurs de la République.

Pas sûr que Georges aurait aimé cette introduction, lui, l’anar, le libertaire, qui a si souvent brocardé les honneurs et les institutions… et qui donne son nom à pas moins de 236 établissements scolaires… l’apothéose pour cette « mauvaise herbe » qui faisait peur aux « braves gens » et se moquait des trompettes de la renommée avec beaucoup de provocation...

 C’est  bien lui pourtant qu’on entend, sous les plumes conjuguées de Guy Allix, poète baladin interprétant ses textes et ceux des autres avec sa guitare, et de Michel Baglin,  poète, directeur de la revue Texture, et cheville ouvrière du festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée. Michel a tiré sa révérence juste avant la sortie du recueil, dont il a suivi les corrections jusqu’à la fin, malgré la maladie tenue secrète – en vrai fils de Brassens, le brave. Il n’a pas assisté aux hommages tenus à l’espace Brassens et ailleurs, même si ses mots et son esprit planaient sur Sète en juillet, tant il manque à tous ceux qui l’ont connu. D’ailleurs, la 4ème de couverture semble aussi parler de lui, quand lui et son complice font dire à Georges :

Guy Allix & Michel Baglin, Je suis… Georges Brassens,
Les Copains d’abord, Jacques André éditeur, 2019, 99p.,
10 euros.

Je voudrais, si vous me le permettez, qu’on se souvienne de moi pas seulement pour avoir passé ma vie à écrire des chansons et les avoir interprétées… ces chansons étaient avant tout une forme de poésie, des célébrations de la vie, de l’amour et surtout de l’amitié. J’ai tellement aimé mes amis. 

C’est donc Georges qui parle dans ce petit opus, comme une conversation à cœur ouvert, avec les mots de ses chansons, illustrés par de délicates encres réalisées par FredKha, non créditée, et on le regrette, tant elles ajoutent de tendresse à ce portrait d’un ours pourfendeur de bourgeois et de bien-pensance, dont les textes résonnent encore avec beaucoup d’actualité. Qu’on songe à l’époque du mouvement « me too » et des luttes pour le respect des femmes, combien résonne moderne sa superbe « non demande en mariage » ou sa « complainte pour les filles de joie », sans compter la revendication de « Quatre-vint-quinze pour cent» ! Et l’attention portée à la misère et à la solidarité qui l’accompagne, à travers l’ensemble de ses textes, fait pendant à l’actuelle  violence  d’une société où s’accroissent les écarts entre « bourgeois et gueux » ostracisés par le retour du mépris de classe.

De l’enfance sétoise du mauvais sujet dont la famille n’a pas soutenu les projets d’études musicales, en passant par les rencontres faites à Paris, chez Jeanne (dont la chanson éponyme vante l’universelle générosité), la bohème et sa misère, les débuts tardifs sur scène, et la soudaine notoriété, l’amour de Pupchen jamais démenti et les amitiés jamais reniées… on découvre aussi des éléments de la « fabrique » des chansons, technique ou sources d’inspiration, on se remémore le timide bourru créateur d’esclandres,  enthousiasmant les salles, on découvre la lutte contre la maladie et la confrontation avec la Faucheuse, souvent tournée en dérision mais si tôt présente dans la vie de l’artiste… On a envie de réentendre les disques, d’entonner de nouveau avec lui Le Gorille ou L’Orage… On est pris – ému, et heureux .

Très sérieusement, ce petit ouvrage indispensable aux amoureux du grand Georges offre des repères chronologiques et la liste des personnages importants de  sa « bande de cons », ainsi qu’affectueusement il nommait, par antiphrase, ses amis. Et on se dit aussi que, modestement, puisqu’on l’aime, on en fait un  peu partie .

Présentation de l’auteur

Guy Allix

Né en 1953 à Douai (59). Vit à Rouen (76). Poète, critique littéraire, auteur jeunesse, auteur-compositeur-interprète. Nombreux recueils de poésie aux éditions Rougerie, au Nouvel Athanor, aux éditions sauvages et à l'atelier de Groutel. Parmi les dernières publications : Le sang le soir (poésie)Le Nouvel Athanor, 2015. Au nom de la terre (poésie), Les éditions sauvages, 2017. En chemin avec Angèle Vannier (essai), éditions Unicité, 2018. Oser l'amour suivie de D'amour et de douleur (poésie, bibliophilie), Atelier de Groutel, 2018. Je suis... Georges Brassens, co-écrit avec Michel Baglin, Jacques André éditeur, 2019.
En préparation : Les amis, l'amour, la poésie, CD chansons et poèmes interprétés par Guy Allix, autoproduction. Vassal de la poésie, (recueil d'articles), Les éditions sauvages. 

Autres lectures

Présentation de l’auteur

Michel Baglin

Michel Baglin, né en 1950 dans la région parisienne, vit depuis ses onze ans à Toulouse. Après la fac et de nombreux « petits boulots », il devient journaliste. Guy Chambelland édite son premier recueil en 1974. Depuis, il a publié plus d’une vingtaine de romans, essais, recueils de poèmes et de nouvelles. Il est notamment l’auteur de Les Mains nues (L’Âge d’Homme), L’Obscur vertige des vivants (Le Dé bleu), Entre les lignes (La Table Ronde), L’Alcool des vents (Le Cherche Midi), Les Chants du regard, poèmes sur 40 photographies de Jean Dieuzaide (Privat), La Balade de l’escargot (Pascal Galodé) et De chair et de mots (Le Castor Astral).

Il a reçu le prix Max-Pol Fouchet en 1988. Critique pour divers journaux et revues et fondateur de la revue Texture, il anime aujourd’hui le site littéraire revue-texture.fr

Autres lectures

Michel Baglin, Loupés russes

Alain Kewes, éditeur à l'enseigne de Rhubarbe, a décidé de fêter les dix ans de son activité à sa façon : 12  plaquettes à raison d'une par mois, Michel Baglin ayant droit à [...]

Michel Baglin, Dieu se moque des lèche-bottes

    Aucun genre littéraire ne laisse indifférent Michel Balgin : on connaissait le romancier, le nouvelliste, le poète, l'essayiste…, avec ce nouvel opus, Dieu se moque des lèche-bottes, on découvre l'auteur de [...]

Paola Pigani, Indovina

  Indovina semble vouloir signifier devine ou la voyante, selon le contexte : je ne maîtrise pas l'italien. Le mot ici est le titre d'un recueil de poèmes, la polysémie n'est d'aucun secours. [...]

Avec Michel Baglin pour Brassens

à Jackie, Hélène et Serge Baglin   C’est d’abord une rencontre lors du Printemps de Durcet, je ne sais plus en quelle année exactement mais pas avant 2010. Avant cela j’avais lu Michel [...]

Lettre poème en hommage à Michel Baglin

À Michel BAGLIN   Tes poèmes sont ces vagues qui continuent de remuer nos plages d'existence nos laisses d'errances notre soif inextinguible de partances dans le creux de nos fatigues passagères sur [...]




Guy Allix, Troy Davis, A mes amis syriens…

Troy Davis

 

La nuit dernière
Un homme est mort
Qu’avait-il fait ?
Que n’avait-il pas fait ?
Nul ne le sait
Hormis ceux qui savent
Ou croient savoir
Envers et contre tout
Envers et contre l'homme

Un homme parmi les hommes
Frère des hommes fragiles
Qui se tiennent vivants
Et se soutiennent et s'aident
Contre l’adversité
Contre le dernier mot

Un homme parmi les hommes
Et ne restent que les larmes

Il est mort
Et ne restent que ceux
Qui ont permis cela
Qui ont commis cela

Hommes inhumains...
A jamais

                                 22 septembre 2011((jour même de l'exécution, à Savannah,  de Troy Davis, jugé coupable du meurtre du policier Mark McPhail survenu le 19 août 1989, en dépit d'une importante mobilisation internationale d'associations et de personnalités visant à contester sa culpabilité et du fort écho de cette mobilisation dans les médias.aux Etats-Unis.))

 

 

À mes amis syriens de l’été 2001

 

Il y avait votre rire
Il y avait votre joie
Il y avait votre amitié
Votre vie et cette chanson de la France
Qui traversait les frontières

Vous me disiez
Viens chez nous partager notre pain
Viens voir notre beau pays plein de notre fête

Plein de fraternité

Mes amis d’un été
Mes beaux témoins de la rencontre d’un amour

Avec vos mots on rêvait d’un pays de soleil on rêvait
On rêvait d’une terre et la terre était belle à vos pieds
Gonflée de vie gonflée de ce rêve même
Et de votre chaude poignée de main

C’était avant tous ces morts
Tant plus de morts tant plus de morts
Qu’on n’ose en dire le nombre

Je ne sais où vous êtes
Mais vos rires et vos chansons se sont éteints
Et gisent eux-mêmes comme des morts comme des morts

Et vous-mêmes
Peut-être poussière déjà pour certains
Ou pourriture sous les bombes
De la pourriture immonde qui vous assassine

Aujourd’hui tant d’années ont passé
Tant de morts tant de morts tant de morts
Comme pour compter le temps
Et mon pauvre poème a mal à la poésie
Qui pourtant foudroie la page mais ne peut rien faire d’autre
Que témoigner crier s’insurger contre l’infâme et la haine
Contre l’absurde et la barbarie

Et rêver encore et toujours un pays de vrai soleil
Et tenter de tisser de nos mots de nos mains le seul poème
Une terre enfin juste à nos pieds enfin belle
Par-dessus tous ces morts tous vos morts

Par-dessus vous
Qui étiez si vivants