Hélène de Oliveira, Un thé aux fleurs bleues
-Partir pendant quelques jours.
-Voilà qui me réjouit fort. Où, messire, voulez-vous que je vous emmène ?
-Loin ! Loin ! Ici la boue est faite de nos fleurs.
… bleues, je le sais. Mais encore ? » : ainsi dialoguent, dès le premier chapitre du roman de Raymond Queneau, Les Fleurs bleues, le duc d’Auge et son cheval, Sthène.
En jeu d’intertextualité avec les Petits poèmes en prose de Charles Baudelaire, le titre du récit oulipien fait sans doute référence au dahlia bleu qui fleurit ainsi qu’à la tulipe noire, au pays rêvé, dans cette autre version de « L’Invitation au voyage » des Fleurs du Mal : « Moi, j’ai trouvé ma tulipe noire et mon dahlia bleu / Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allégorique dahlia, c’est là, n’est-ce pas, dans ce beau pays si calme et si rêveur, qu’il faudrait aller vivre et fleurir ? » « Any where out of the World », pour reprendre un autre titre du poète romantique entre Spleen et Idéal, appel vers l’ailleurs, alors que par son travail d’alchimiste, ce dernier s’avère capable de faire de l’or des songes et des aspirations à partir de la boue de notre condition de mortels, d’où peuvent éclore ces fameuses « fleurs bleues » !
C’est bien d’une pareille métamorphose des épreuves de la vie quotidienne que se traduit, dans son recueil de collecte de telles plantes, la pratique de l’écriture de cette poétesse qui n’a de cesse au fil de ses citations, dialogues et poèmes en vers libre, de relancer son interrogation, sous une forme volontairement espiègle, sur le sens de la vie…
La dernière page de cet ouvrage qui synthétise sa pensée et pourrait tout aussi bien annoncer la définition provisoire de son titre aux vertus cathartiques : « L’existence est un thé d’expériences / Qui infuse dans l’eau du temps. », s’ouvre sur cette méditation finale qui fait des questions partagées des réponses et des réponses, des questions à nouveau posées : « « Un thé aux fleurs bleues » est un premier / recueil poétique sous forme de citations, / de dialogues et de poèmes, / qui aborde les questions de la vie comme / le temps, les épreuves, la résilience, / l’amour et le désir. / Ces questions de la vie, qui sont à elles seules, / les réponses à l’existence humaine. » Et si la « résilience » forme un concept psychanalytique en vogue, ce retournement des situations, se veut la marque, au cours de la lecture de ce livre, d’une capacité humaine, de ressources profondes dans la psyché de tous, de traverser les maux, se réparer, reprendre souffle, s’en sortir.
La construction même de cet ensemble en trois parties significatives se veut moins l’élaboration d’un plan dialectique que la prolongation de ce mouvement de l’existence créateur de sens, affirmations apportées par tous pour édifier la vie de chacun, dans son déploiement du menu, son « Déroulement du service » : « Une tasse en porcelaine de réflexions », « Une eau fumante de discussions », « Un sachet rempli d’herbes de passion » dont le programme illustre à merveille les mille-et-une facettes de ces témoignages, ces échanges, ces expériences recueillies, et qui toutes paraissent imaginer le bonheur à portée de main.
L’invitation du poème initial sert donc de prélude à cet hymne aux vies réparatrices en injonction à affronter son propre destin : « Dans cette vie survoltée, / Vous prendrez bien un petit thé ? / Celui qui survole les pensées. / Un thé aux fleurs bleues. / Asseyez-vous, s’il vous plaît. / Oui, dans ce fauteuil, si vous préférez ! / Car j’ai à vous parler, / Dans un langage particulier. / Celui qui chatouille les oreilles de votre cœur, / Et celui qui ouvre grands les yeux de votre âme. » Et c’est la formule du penseur grec antique Pindare, celle reprise par le philosophe allemand Friedrich Nietzsche, qui semble également une clé de cette démarche : « Deviens ce que tu es », à moins que le recueil qui en résulte, n’en soit la trace rêvée de cette fleur bleue qui sert de fil conducteur également au poète anglais Samuel Taylor Coleridge : « Si un homme traversait le Paradis en songe, qu’il reçût une fleur comme fleur de son passage, et qu’à son éveil, il trouvât cette fleur dans ses mains… que dire alors ? »